Décision

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Paré c. Conseil de la magistrature du Québec

2024 QCCS 17

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT de QUÉBEC

 

 

 

 :

200-17-034707-232

 

 

DATE :

11 janvier 2024

 

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

BERNard tremblay, j.c.s. (JT1706)

 

 

 

CHANTAL PARÉ

Demanderesse

c.

CONSEIL DE LA MAGISTRATURE DU QUÉBEC

Défendeur

et

MATHIEU GUAY-TOUSSAINT

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ le 11 janvier 2024

______________________________________________________________________

 

[1]                Au moyen d’un pourvoi en contrôle judiciaire, la demanderesse, juge à la Cour municipale de la Ville de Laval, conteste la légalité des conclusions et de la recommandation formulées par un Comité d’enquête [le Comité] du Conseil de la magistrature du Québec [le Conseil][1], formé à la suite d’une plainte portée contre la demanderesse par le mis en cause et plaignant dans cette affaire, monsieur Mathieu Guay-Toussaint [le Plaignant] le 20 février 2022[2].

[2]                Préalablement à l’enquête du Comité, le Conseil a décidé le 16 juin 2022 que la plainte portée devant lui justifiait qu’un comité d’examen se penche sur la proportionnalité de la réponse de la demanderesse envers l’impolitesse du Plaignant[3].

[3]                Le Comité conclut dans son rapport du 28 mars 2023[4] qui fait l’objet de ce pourvoi, que la demanderesse a enfreint l’article 8 du Code de déontologie des juges municipaux du Québec [Code], puisqu’ayant manqué de réserve et de sérénité en ordonnant la détention injustifiée du Plaignant, rendant ainsi une décision excessive et disproportionnée par rapport au manque de courtoisie de la part de ce dernier envers elle.

[4]                Le Comité recommande au Conseil de réprimander la demanderesse.

[5]                La demanderesse prétend que le Comité constitué par le Conseil pour s’enquérir des faits et circonstances entourant cette plainte, a enfreint durant son enquête les règles d’équité procédurale lui étant applicables.

[6]                Elle soutient de plus que les conclusions du rapport du Comité, qu’elle assimile à une décision du Conseil [la Décision du Conseil], sont déraisonnables.

[7]                Elle demande par conséquent l’annulation de cette décision du Conseil et le rejet de la plainte du Plaignant.

[8]                Le Tribunal en vient plutôt à la conclusion que les règles d’équité procédurale applicables n’ont pas été enfreintes par le Conseil et que sa décision appartient aux issues possibles s’offrant à lui au regard de la preuve administrée et des principes juridiques applicables.

ANALYSE

Les faits et les procédures

[9]                Le 20 janvier 2022, par une décision longuement motivée, rendue oralement et séance tenante, la demanderesse rejette une demande d’ordonnance formulée en vertu de l’article 810 du Code criminel formulée contre le Plaignant afin de l’enjoindre de ne pas troubler la paix.

[10]           Après que la demanderesse eut expliqué au Plaignant qu’il ne lui est pas possible d’obtenir une version écrite de cette décision rendue oralement autrement qu’en procédant à une transcription de l’enregistrement de cette audience, le Plaignant déclare à la demanderesse : « Pas obligée de t’énerver ».

[11]           À la suite de cette remarque du Plaignant, la demanderesse lui répond : « Pardon? », puis indique au Plaignant qu’il doit demeurer dans la salle d’audience le temps pour elle d’ajourner l’audience durant quelques minutes, se retirer et décider si elle le citera ou non pour outrage au tribunal.

[12]           Elle requiert ensuite la greffière de contacter la sécurité, de sorte que le Plaignant se retrouve assis dans le corridor attenant à la salle daudience, accompagné par deux constables spéciaux.

[13]           La demanderesse suspend l’audience, se retire quelques minutes[5] puis revient dans la salle d’audience.

[14]           Elle s’adresse alors au Plaignant pour lui indiquer que le vouvoiement et la courtoisie sont de mise devant le Tribunal, puis l’informe de sa décision de ne pas le citer pour outrage au Tribunal et lui permet de quitter.

[15]           Le 20 février 2022, le Plaignant dépose une plainte auprès du Conseil dans laquelle il allègue que :

Suite à la lecture du jugement, j’ai demandé à la juge si je pouvais avoir une copie du jugement. À ce moment la juge s’est contrarié et a réagi d’une façon, selon moi, disproportionné, avec un ton de voie différent de celui utilisé pendant la lecture du jugement, hostile, humiliante et agressive. Elle m’a répondu qu’aucune loi ne l’obligeait à rendre une copie papier de son jugement. J’ai été offensé par son attitude et je lui ai dit qu’elle n’avait aucune raison de s’offusquer, je lui avais posé une question légitime. Suite à mon commentaire elle s’insurge plus et elle me fait arrêter et détenir par un agent de sécurité mentionnant un outrage au tribunal et son intention de m’imposer une amende. J’ai patienté entre 5 et 10 minutes et elle a abandonné son idée de m’imposer une amende et m’a libéré, selon moi cela prouve son exagération et qu’elle agissait selon une impulsion délirante. Cette nuit, j’ai fait un cauchemar, un militaire me tuait à l’extérieur de mon domicile. 

[16]           Pour sa part, la demanderesse transmet une lettre au Conseil le 27 février 2022[6] dans laquelle elle expose sa version des faits et sa position :

Voyant la vive réaction de nombreux défendeurs présents dans la salle (il s’agit d’une petite salle), qui semblaient manifestement se demander quelle suite je donnerais à ce comportement, je me suis interrogée sur le maintien du bon ordre de la salle et sur le bon déroulement des audiences subséquentes. Je me suis dès lors questionnée sur l’opportunité de citer monsieur pour outrage au Tribunal. Je m’adresse à monsieur en l’avisant qu’il est détenu le temps que je rende ma décision, à savoir, s’il y aurait citation pour outrage au Tribunal. Je rends l’ordonnance de détention étant functus officio dans le dossier criminel du défendeur lui ayant précédemment indiqué qu’il pouvait quitter la salle. L’intention, à ce moment, d’avoir monsieur présent à mon retour : l’avisé en personne de ma décision, des motifs, lui expliquer la procédure en cas de citation et l’inviter à consulter un avocat si nécessaire.

Il est 09h55. Je suspends mentionnant que la suspension sera de (5) minutes et précise ne pas souhaiter garder inutilement monsieur détenu (09h55:44 et 09h55:49). Je reviens, 4 minutes plus tard (09h59:12), pour rendre ma décision. 

Dans les minutes qui suivent la suspension, me questionnant sur l’opportunité ou non de citer monsieur, je me suis remémoré les enseignements reçus, lors de nos débuts comme juge, où l’on nous invite à éviter, en règle générale, la citation pour outrage, celle-ci devant être une mesure exceptionnelle ; notre fonction étant de régler des litiges et non d’en créer. Le propos de Monsieur Guay-Toussaint n’appelait pas l’application d’une mesure exceptionnelle.

Réalisant l’erreur d’opportunité quant à la citation pour outrage, réalisant que cela entrainerait une erreur de droit quant à la détention de monsieur Guy-Toussaint dans l’attente de ma décision, dès ce moment, je suis retournée en salle de cour et ai fait rappeler le dossier.

Monsieur revient en salle à 09h59. Je m’adresse à lui en expliquant que le tutoiement n’est pas admissible en salle de cour et que durant son audition (10 novembre 2021), toutes les parties avaient utilisé le vouvoiement et fait preuve de courtoisie. Monsieur réagit, à ce propos, en roulant des yeux. Je n’ai pas commenté sa réaction et lui mentionne aussi que je ne lui demanderai pas de s’excuser n’ayant pas la conviction que ses excuses seraient sincères. Dans un second temps, je l’avise qu’il ne sera pas cité pour outrage, que cela serait inutile dans son cas. Je libère monsieur (10h00:15), lui indique qu’il peut quitter la salle et que s’il a des questions, il peut s’adresser au greffe.

[Renvois omis]

[17]           Le 10 mai 2022, le procureur de la demanderesse s’adresse par écrit au Conseil pour lui rappeler que lorsqu’elle décide de la détention du Plaignant le 20 janvier 2022, la demanderesse est guidée et motivée par l’objectif de ne pas perdre juridiction sur le Plaignant le temps de ce bref ajournement afin de lui permettre de décider de la suite des choses, et qu’elle est également préoccupée par le respect de son autorité, le maintien de l’ordre dans la salle d’audience et le bon déroulement des causes subséquentes qu’elle doit entendre vu la réaction de nombreux défendeurs alors présents dans cette petite salle d’audience.

[18]           Une fois son enquête complétée par la tenue d’une audience le 13 janvier 2023, le Comité rappelle d’abord dans son rapport les deux reproches initialement formulés contre la demanderesse dans la plainte adressée par le Plaignant au Conseil:

-          S’être adressée au plaignant sur un ton hostile, humiliant et agressif lorsqu’il a demandé s’il pouvait obtenir une copie écrite du jugement;

-          Avoir ordonné son arrestation et sa détention injustement, pour outrage au tribunal.

[19]           Dans sa décision antérieure du 16 juin 2022[7] qui précède l’enquête et le rapport du Comité, le Conseil a déjà décidé que :

L’écoute de l’enregistrement des débats révèle que la juge, à la première étape visant à expliquer au plaignant la procédure à suivre pour obtenir une copie de l’enregistrement du jugement rendu oralement, a eu un ton ferme et directif, mais ne présentant pas d’hostilité, d’humiliation ni d’agressivité. À la suite de ces explications, le plaignant a répliqué « pas besoin de t’énerver ».

[20]           Quant au second reproche toutefois, le Conseil a conclu que[8] :

La réaction de la juge et les conséquences lors de cette deuxième intervention conduisant à la décision de détenir le plaignant, pourraient constituer un manquement au Code de déontologie. La situation justifie qu’un comité d’examen se penche sur la proportionnalité de la réponse de la juge envers l’impolitesse du plaignant. 

[21]           Dans son rapport du 28 mars 2023[9], le Comité commence son analyse par une réflexion sur l’application des articles 1 et 2 du Code.

[22]           Le Comité écarte d’entrée de jeu l’application de l’article 1 qui énonce que le rôle du juge est de rendre justice dans le cadre du droit.

[23]           En effet, le Comité conclut que la mauvaise interprétation du droit applicable par la demanderesse qui croyait devoir détenir le Plaignant afin de ne pas perdre juridiction à son endroit, ne constitue pas un manquement à l’article 1[10].

[24]           Se penchant ensuite sur l’application de l’article 2 du Code qui prescrit que le juge doit remplir son rôle avec intégrité, dignité et honneur, le Comité retient que le manquement déontologique commis par la demanderesse relève davantage de l’article 8 du Code[11] qui prévoit que dans son comportement public, le juge doit faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité.

[25]           Le Tribunal reproduit ici certains extraits du rapport du Comité :

23. Dans Identité caviardée et Descôteaux, le comité d’enquête rappelle ainsi en quoi consistent les obligations de réserve et de sérénité :

24. La notion de réserve est définie comme la « (q)ualité de quelqu’un, de son comportement, qui montre de la prudence et de la discrétion » et comme la « (q)ualité qui consiste à se garder de tout excès (dans les propos, etc.) ».

25. La sérénité décrit « le caractère d’une personne calme, en contrôle de ses actes, de ses pensées et de ses paroles ».

26. Ces qualités sont requises, à l’occasion des audiences, dans le but d’en faciliter et favoriser le déroulement, dans un esprit empreint de calme et de respect. La sérénité est également nécessaire à la prise de décision du juge. »

                                                                             [Références omises]

27. Le plaignant a certes manqué de courtoisie en tutoyant la juge. Cependant, l’écoute de l’enregistrement des débats démontre que la demande du plaignant, pourtant banale, irrite la juge et que sa réponse est inutilement sèche.

28. Ce manque évident de sérénité amène la juge à une décision excessive, soit la mise en détention injustifiée du plaignant. Elle aurait pu simplement lui demander de sortir de la salle.

29. L’avocat de la juge soutient que la détention fut de courte durée et peu contraignante. Là n’est pas la question. Une détention non nécessaire dans les circonstances constitue une réaction disproportionnée à la remarque du plaignant. 

[…]

33. Une personne raisonnable, impartiale et bien informée peut conclure que le comportement de la juge mine la confiance du public dans la magistrature et, par conséquent, sa considération dans l’administration de la justice.

34. Dans le cas présent, les actions de la juge contreviennent à ses obligations de réserve, courtoisie et sérénité prévues à l’article 8 du Code. 

                                                                       [Le Tribunal souligne]

[26]           Selon ce que révèlent ces extraits, le Comité retient de la preuve, plus spécifiquement de l’écoute de l’enregistrement des débats, que la demanderesse est  « irritée, a un ton inutilement sec et qu’il en découle un manque évident de sérénité de sa part, pour ensuite conclure que la détention non nécessaire du Plaignant constitue une réaction disproportionnée. »              

                                                             [Nos soulignés]


La norme applicable

[27]           Depuis l’arrêt rendu par la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Vavilov[12], il existe une présomption d’application générale de la norme de la décision raisonnable lors d’un contrôle judiciaire d’une décision d’un organisme assujetti au pouvoir de surveillance et de contrôle des tribunaux de révision.

[28]           Toutefois, cette présomption peut être repoussée dans certaines circonstances.

[29]           Premièrement, le législateur peut faire échec à cette présomption en prescrivant expressément dans la loi une norme de contrôle applicable au décideur, ou en prévoyant un droit d’appel à l’encontre d’une décision de celui-ci, ce qui donne généralement lieu à l’application des normes d’intervention applicables dans le cadre d’un appel.

[30]           De plus, le respect de la primauté du droit exige que la norme de la décision correcte soit appliquée dans certains cas, dont les questions constitutionnelles, les questions de droit d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires.

[31]           Au surplus, la norme de la décision correcte s’applique à l’appréciation d’une violation à une règle d’équité procédurale, comme le droit d’être entendu, et qui ne repose pas sur l’interprétation d’une loi ou d’un règlement[13].

[32]           Dans le cas à l’étude, la demanderesse invoque deux moyens:

Le Conseil a porté atteinte à l’équité procédurale en fondant sa décision sur l’article 8 du Code de déontologie alors que le débat et les représentations lors de l’audition ont porté uniquement sur les articles 1 et 2 et sur le second incident;

La décision du Conseil est déraisonnable.

[33]           Selon l’analyse qui précède, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à l’analyse du premier moyen soulevé par la demanderesse, alors que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à l’analyse du second.

L’atteinte à l’équité procédurale

[34]           Les parties ne soulèvent pas devant le Tribunal que le pourvoi en l’espèce puisse être prématuré au motif que le Conseil n’a pas encore rendu sa décision finale à la suite de la recommandation formulée par le Comité.

[35]           Cette position découle possiblement du fait que le Conseil doit légalement suivre la recommandation du Comité[14], ainsi qu’à un souci d’efficacité voulant que la lumière soit faite dès maintenant sur les questions à débattre.

[36]           Selon le pourvoi de la demanderesse et sa plaidoirie devant le Tribunal :

- Elle ne conteste pas la compétence du Conseil d’identifier le ou les articles du   Code qui correspondent au comportement qui lui est reproché.

- Le Conseil avait néanmoins l’obligation de lui indiquer la ou les dispositions du Code qu’on lui reprochait d’avoir enfreint.

- Cette obligation serait reconnue dans la décision Bouchard et Ruffo[15] :

[…]

32. Les articles 263 et 264 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (L.T.J.) n’obligent pas la personne qui dépose une plainte à indiquer à quel article du Code de déontologie le manquement allégué correspond.

[…]

34. Autrement dit, on reproche un manquement à Madame la juge Andrée Ruffo et c’est l’enquête qui permettra de déterminer s’il y a un manquement au Code (ou plusieurs) et lequel (ou lesquels) précisément.

35. Il peut arriver qu’une plainte indique qu’un ou plusieurs des articles du code de déontologie auraient été violés.

36. Ni le Conseil ni le Comité ne sont liés par cela.

37. Si après examen de la plainte, le Conseil décide qu’il y a lieu de faire enquête, c’est à la suite ou en cours de l’audition ou de la production de documents que le Comité pourra déterminer quel article du code de déontologie aurait été enfreint, sous réserve évidemment d’en informer Madame la juge Andrée Ruffo et de lui permettre d’apporter toute réponse qu’elle jugera appropriée.

38. Et cela découle tout naturellement du fait qu’on agit dans le cadre d’une procédure d’investigation plutôt que dans un débat contradictoire.

      [Le Tribunal souligne]

[37]           Le droit d’être entendu est une composante inhérente de l’équité procédurale et le Conseil, ainsi que le Comité, sont tenus au respect de cette obligation.

[38]           Cependant, le contenu et la portée de cette obligation peuvent varier selon les circonstances de l’affaire à l’étude.

[39]           Dans l’arrêt Baker[16], la Cour suprême du Canada a énoncé les facteurs à prendre en considération afin de déterminer le contenu et la portée de l’obligation d’agir équitablement en fonction du décideur en cause.

[40]           Premièrement, la nature du processus décisionnel est à prendre en compte de sorte que plus il tend vers un processus judiciaire, plus les protections procédurales devront être prises en compte.

[41]           Le deuxième facteur à considérer est la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme décisionnel en question. Ainsi, l’absence d’un processus de révision prévu par la loi entraînera un respect plus accentué et rigoureux de l’obligation d’agir équitablement.

[42]           Le troisième facteur tient à l’impact de la décision sur le justiciable concerné. Plus les répercussions de la décision sont importantes pour cette personne, davantage devront être rigoureusement respectées les protections procédurales reconnues.

[43]           Le quatrième facteur s’intéresse aux attentes légitimes de la personne visée par rapport à l’équité procédurale puisque l’expression de telles attentes peut influencer le contenu et la portée de l’obligation d’agir équitablement dans un tel contexte.

[44]           Finalement, le choix de la procédure par l’organisme décisionnel est à prendre en considération puisqu’il y aura lieu de composer avec ce choix, particulièrement si le législateur laisse la possibilité au décideur de déterminer la procédure qu’il entend suivre.

[45]           Le processus d’enquête du Comité n’est pas en soi un processus judiciaire, mais plutôt dinvestigation puisqu’il consiste en une cueillette des faits et une analyse de ceux-ci en vue de présenter une recommandation au Conseil.

[46]           Sous cet angle, le Comité exerce davantage une fonction de nature administrative pouvant être qualifiée d’investigatrice[17], ce qui pourrait militer pour une application moins scrupuleuse de l’obligation d’agir équitablement.

La fonction première du Comité est la recherche de la vérité; or, celle-ci n’emprunte pas la voie d’un lis inter partes mais celle d’une véritable enquête où le Comité, par ses propres moyens, celles du plaignant et du juge qui fait l’objet de la plainte, s’informe de la situation en vue de décider de la recommandation qui soit la plus adéquate, au regard des circonstances de l’affaire qui lui est soumise[18].

[47]           Toutefois, l’enquête peut comporter l’interrogatoire de témoins et que des représentations des parties aient lieu au terme de celle-ci.

[48]           De plus, il n’y a pas d’appel possible du rapport et des recommandations formulées par le Comité, comme c’est ici le cas.

[49]           Aussi, la décision du Comité est d’une importance élevée pour la demanderesse et a un impact certain sur celle-ci, puisqu’il s’agit d’une enquête portant sur la conduite d’un juge et le respect par celui-ci des règles déontologiques lui étant applicables.

[50]           L’issue de cette enquête risque d’affecter sa réputation et d’affaiblir son autorité, en ce qu’elle conduit à une recommandation formulée au Conseil et que celui-ci est tenu d’accepter[19], et pouvant consister à imposer une sanction : la réprimande ou la révocation[20].

[51]           Enfin, eu égard au quatrième et au cinquième facteur décrits ci-dessus, il est indéniable qu’il existe chez la demanderesse une attente légitime à l’égard de la procédure adoptée par le Comité en vue de tenir son enquête, et voulant notamment que ses droits fondamentaux soient respectés compte tenu de l’issue possible de cette procédure.

[52]           Cependant, il n’existe aucune prescription particulière dans le Code ou dans la Loi sur les tribunaux judiciaires[21] sur la procédure à suivre par le Comité lors de son enquête, car les règles publiées n’ont pas d’application en l’espèce[22].

[53]           Ainsi, des éléments favorisent en l’espèce une application plus stricte de l’obligation d’agir selon les règles de l’équité procédurale, mais d’autres facteurs militent en revanche pour un respect moins strict de ces règles.

[54]           Après avoir évalué les différents facteurs retenus dans l’arrêt Baker et soupesé le tout, le Tribunal estime que l’obligation d’agir équitablement devait être rigoureusement et scrupuleusement respectée par le Comité en l’espèce, mais il est également d’avis que celui-ci n’avait pas pour autant l’obligation d’identifier dès le début de son enquête ni à un autre moment durant celle-ci, les dispositions du Code retenant son attention aux fins d’évaluer la présence ou non d’un manquement de la part de la demanderesse.

[55]           Une enquête est par définition un processus évolutif qui se distingue à maints égards d’une procédure accusatoire.

[56]           L’affaire Ruffo citée par la demanderesse n’apparaît pas concluante sur ce sujet, une interprétation différente pouvant même être sérieusement mise de l’avant.

[57]           Dans le contexte d’une enquête comme celle tenue par le Comité en l’espèce, ce sont les faits et les informations qui importent et à ce titre, le Tribunal ne croit pas que le Comité ait porté atteinte à l’équité procédurale en fondant son rapport sur une disposition du Code de déontologie qui n’avait pas été invoquée durant son enquête ni lors des représentations faites par les parties.

[58]           Les articles 1 et 2 du Code ont d’ailleurs été identifiés à la toute fin de l’audience par l’avocate assistant le Comité, alors que celui-ci n’est pas lié par cette opinion, ce qu’il a d’ailleurs confirmé dans son rapport en opinant finalement pour appuyer sa décision sur l’article 8 du Code.

[59]           Le Tribunal considère que la demanderesse a été informée de tous faits sur lesquels porte la plainte dirigée contre elle et qu’elle a eu l’opportunité de présenter son point de vue sur ceux-ci au Comité, afin que celui-ci ait en mains tous les éléments factuels en vue de faire ses recommandations au Conseil[23].

[60]           De plus, la demanderesse ne pouvait elle-même ignorer les dispositions du Code régissant sa conduite à tout moment durant l’exercice de sa profession, s’agissant en quelque sorte de son code de conduite dans l’accomplissement de ses fonctions au quotidien.

[61]           Il faut aussi garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une procédure de mise en accusation de nature pénale.

[62]           Enfin, comme le souligne avec justesse le procureur du Conseil, la demanderesse n’explique pas en quoi sa cause aurait été différemment présentée et plaidée devant le Comité si l’application possible de cet article 8 du Code avait été soulevée avant.

La raisonnabilité de la décision du Conseil

[63]           Tel qu’établi plus haut, la légalité de la décision du Conseil portant sur le manquement retenu à l’endroit de la demanderesse doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[64]           La Cour suprême du Canada nous rappelle qu’une décision est raisonnable lorsqu’elle s’appuie sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et qui est justifié au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision qui doit être rendue[24].

[65]           Le premier reproche formulé contre la demanderesse a été écarté par le Conseil dans sa décision du 16 juin 2022, en affirmant que la demanderesse s’est adressée au Plaignant sur un ton ferme et directif, mais ne présentant pas d’hostilité, d’humiliation, ni d’agressivité.

[66]           Par la suite, le Comité met d’entrée de jeu de côté l’application de l’article 1 du Code, ne retenant pas comme cause de reproche à l’endroit de la demanderesse l’erreur de droit commise par celle-ci lorsqu’elle a ordonné la détention du Plaignant pour quelques minutes en salle d’audience afin de ne pas perdre compétence à son endroit, puisque cette détention n’était pas légalement requise ni nécessaire à cette fin.

[67]           Le Comité indique cependant que la demande, somme toute, banale du Plaignant d’obtenir une copie de la décision venant d’être rendue séance tenante par la demanderesse, ne commandait pas de la part de cette dernière l’usage d’un ton inutilement sec et révélant son irritation.

[68]           Or, le Tribunal ne partage pas l’avis du Comité sur son appréciation du ton employé par la demanderesse, et il s’en distance encore davantage lorsque ce ton est qualifié d’inutile, et qu’en plus, il révèlerait, selon le Comité, une irritation de part de la demanderesse.

[69]           Seul un enregistrement audio rend compte de tous ces échanges entre la demanderesse et le Plaignant.

[70]           Le soussigné a écouté l’enregistrement complet de la lecture par la demanderesse de son jugement rendu séance tenante ce 20 janvier 2022, ainsi que des échanges survenus peu après entre la demanderesse et le Plaignant, puis ceux tenus au retour de la demanderesse en salle d’audience après cet ajournement de quelques minutes lorsqu’elle s’est adressée une dernière fois au Plaignant.

[71]           Selon le Tribunal, la demanderesse utilise un ton formel, certes, par opposition à un ton familier ou débonnaire, tout au long de la lecture de son jugement et par la suite.

[72]           D’ailleurs, la lecture par la demanderesse de sa décision est faite sur un ton que le soussigné estime être adéquat et approprié.

[73]           De plus, le Tribunal ne note pas de variations significatives dans le ton utilisé par la demanderesse, et ce, tant pendant qu’après la lecture de son jugement ni à la suite des propos déplacés du Plaignant à son endroit, ni même ensuite lorsqu’elle s’adresse à lui après cet ajournement.

[74]           La demanderesse demeure en tout temps calme, réservée, courtoise, posée et ne hausse jamais le ton.

[75]           Le Tribunal n’a donc pas perçu une forme quelconque d’irritation lors de l’écoute de l’enregistrement audio ni un ton inutilement sec de la part de la demanderesse, mais plutôt un ton formel et quelque peu autoritaire, possiblement aussi un brin condescendant, mais sans plus.

[76]           Chacun peut avoir sa perception et son appréciation du ton employé par la demanderesse, tant pendant la lecture de sa décision, que lors de son échange avec le Plaignant après qu’il eut demandé une copie du jugement, puis lorsqu’elle répond à son impolitesse et enfin, lorsqu’elle s’adresse à lui après l’ajournement de l’audience.

[77]           Cet exercice demeure ainsi en grande partie subjectif.

[78]           Ainsi, parce qu’il existe une possibilité de perceptions et d’appréciations multiples et différentes que chacun peut avoir du ton employé par une autre personne, le Tribunal demeure prudent et réservé sur l’appréciation pouvant être faite du ton qu’aurait utilisé la demanderesse et que le Comité qualifie d’inutilement sec.

[79]           En effet, le ton employé par un juge en salle d’audience est inévitablement différent d’un juge à l’autre, et peut être différemment perçu et apprécié par ses collègues, pour moult raisons, toutes légitimes par ailleurs, et pouvant découler de la personnalité d’un juge, de son caractère, son style, ses habiletés sur le plan communicationnel, son expérience, son éducation et de ses valeurs.

[80]           Cela étant exposé, le Tribunal est fort conscient que le Comité puisse avoir une perception différente de la sienne quant au ton utilisé par la demanderesse avant la remarque déplacée du Plaignant, sachant au surplus que les membres du Comité ont possiblement eu l’opportunité, contrairement au soussigné, d’entendre la demanderesse durant son enquête.

[81]           Il est donc possible que le Comité se soit fait une idée plus précise et complète des traits de personnalité de la demanderesse et du ton qu’elle utilise en général, toujours dans la mesure où cette appréciation puisse être faite de manière relativement objective, et dans la mesure où tout cela puisse être pertinent à la solution du cas à l’étude, ce qui demeure à démonter et alors que le ton de la demanderesse n’est pas en soi le reproche retenu en bout de ligne par le Comité.

[82]           Il importe davantage au Tribunal à ce sujet que le ton utilisé par un juge soit objectivement adéquat et approprié, et le soit avec dignité, respect,serve, courtoisie et sérénité, comme le prescrit le Code, en ayant à l’esprit la perception que peut se faire des personnes raisonnables et bien informées qui entendent les propos du juge.

[83]           Précisons aussi qu’immédiatement après sa remarque au Plaignant qui lui demande une copie de sa décision, la demanderesse le dirige vers les ressources pertinentes en l’invitant à obtenir du greffe une copie de l’enregistrement des débats et de le faire transcrire.

[84]           Enfin et surtout, en plus d’être différente de cette détermination faite antérieurement par le Conseil dans sa décision du 16 juin 2022 sur le ton utilisé par la demanderesse avant les propos déplacés du Plaignant à son endroit, détermination que ne remet pourtant pas en cause le Comité, celui-ci va beaucoup plus loin et pourrait même sembler contredire le constat fait par le Conseil en déduisant de ce ton la présence d’une irritation chez la demanderesse.

[85]           Or, en inférant la présence d’une irritation chez la demanderesse à partir de ce ton inutilement sec qu’aurait employé la demanderesse, le Comité fait une détermination précise à partir de cette trame factuelle pour laquelle aucun reproche n’est retenu par le Conseil contre la demanderesse, mais qui a néanmoins une incidence déterminante sur sa décision portant sur le second reproche formulé contre celle-ci sur sa conduite subséquente, soit après que de tels propos déplacés aient été tenus par le Plaignant.

[86]           Le Comité franchit un pas de plus lorsqu’il infère à nouveau un manque évident de sérénité de la part de la demanderesse en raison de son irritation qui est elle-même une inférence antérieure par le Comité découlant du ton employé par cette dernière, et que ce manque évident de sérénité explique cette détention injustifiée qu’elle ordonne, lors de la trame factuelle subséquente de l’affaire, et qui est de ce fait, disproportionnée et excessive eu égard à l’impolitesse du Plaignant.

[87]           Cela étant énoncé et sans vouloir substituer sa propre décision à celle du Comité, ce qui n’est pas le rôle du Tribunal dans le cadre du présent pourvoi en contrôle judiciaire, le soussigné considère tout de même que la justesse de l’appréciation de la preuve par le Comité et de ses conclusions selon lesquelles cette irritation chez la demanderesse à l’origine de son manque évident de sérénité qui se manifeste ensuite par cette détention injustifiée, peut prêter sérieusement flanc à critique et à un débat légitime.

[88]           Voyons maintenant ce qu’il en est de la détention injustifiée du Plaignant, et qui constitue, selon le Comité, une mesure excessive et disproportionnée.

[89]           D’entrée de jeu, le Tribunal ne peut pas retenir la décision rendue dans l’affaire Plante c. Prévost[25], puisque les faits sont fort (tellement) différents et aisément distinguables de ceux en l’espèce. Nous ne sommes tout simplement, mais pas du tout dans le même registre.

[90]           Dans cette affaire, le juge s’est mis à argumenter avec le justiciable, le menaçant de l’envoyer en prison, puis finalement le faire, avec hargne et mépris, ce qui transpire abondamment de ses propos. Il était clair que ce juge avait manqué de réserve et de sérénité.

[91]           Malgré qu’elle ait pu mal se diriger sur le plan juridique en exigeant la détention du Plaignant afin de ne pas perdre juridiction sur celui-ci dans l’attente de décider si elle allait ou non le citer pour outrage au tribunal, la demanderesse n’a finalement pas retenu cette avenue et si elle l’avait fait, des moyens de défense et des recours existent pour sanctionner une citation injustifiée à comparaître pour outrage au tribunal.

[92]           Il ne faut pas perdre de vue en effet que la mesure envisagée par la demanderesse en réponse aux propos déplacés du Plaignant est demeurée au stade seulement d’une hypothèse puisque, même si ce scénario fut évoqué verbalement par la demanderesse, il n’a pas été mise en œuvre puisque cette dernière l’a écarté.

[93]           Or, le Comité juge que cette détention injustifiée du Plaignant est une réaction excessive et disproportionnée de la demanderesse aux propos déplacés de ce dernier.

[94]           Selon le Tribunal, il n’est pas incongru de se demander ce qu’aurait été la décision du Comité si cette brève détention avait été légalement requise, nécessaire et inévitable pendant la durée de cet ajournement afin que la demanderesse ne perde pas juridiction à l’égard du Plaignant.

[95]           En effet, en présence des mêmes faits, le Comité aurait difficilement pu conclure à l’absence de justification de cette décision de détenir le Plaignant durant quelques minutes dans la salle d’audience afin de ne pas perdre compétence sur celui-ci dans l’hypothèse où cette démarche pouvait légalement être justifiée en vertu des principes juridiques applicables.

[96]           Par conséquent, il est difficile de soutenir que la demanderesse, dans la mesure où elle croyait en toute bonne foi qu’elle n’avait pas d’autre choix que de détenir le Plaignant, ait pu agir de façon excessive et disproportionnée parce qu’irritée, d’autant plus qu’on ne lui tient pas rigueur de cette erreur sur la règle de droit applicable.

[97]             Ce raisonnement devrait en effet suffire pour atténuer sérieusement la possibilité que la demanderesse ait pu avoir une quelconque motivation oblique ou excessive pouvant affecter sa sérénité.

[98]           C’est pourquoi le Tribunal éprouve de sérieuses difficultés à concilier la portée de ce volet de la décision du Comité qui ne reproche pas à la demanderesse cette erreur de droit portant sur la nécessité de détenir le Plaignant dans l’attente de la décision qu’elle allait rendre, et cet autre volet de sa décision qui lui reproche par ailleurs cette mesure qu’il qualifie d’injustifiée, pour ensuite conclure que cette absence de justification la rend excessive et disproportionnée.

[99]           Il semble au soussigné que le Comité adresse finalement à la demanderesse, indirectement toutefois, le même reproche que celui qu’elle venait d’écarter en lien avec l’article 1 du Code, ce qui revient en définitive à lui reprocher à nouveau l’erreur de droit qu’elle a commise sur la nécessité de cette détention au plan juridique, raisonnement qui peut révéler, aux yeux d’une personne raisonnable et bien informée, une certaine incohérence, du moins apparente, dans la démarche suivie par le Comité sur cette question précise.

[100]       Ce faisant, le Comité met systématiquement de côté les deux principales motivations qui animent alors la demanderesse et qui sont pourtant en preuve devant le Comité et non contestées, soit d’abord, et comme discuté ci-dessus, qu’elle veuille agir légalement et ensuite, qu’elle veuille agir avec un certain degré de rigueur et de fermeté vu l’impact causé dans la salle d’audience par la remarque déplacée du Plaignant à son endroit.

[101]       Contrairement à cette apparente irritation de la demanderesse qu’infère le Comité du ton employé par la demanderesse, ces deux principales motivations de cette dernière sont réelles et furent mises en preuve devant le Comité durant son enquête.

[102]       Or, il apparaît au Tribunal que ces deux motivations sont primordiales et essentielles dans l’appréciation de la conduite de la demanderesse, dont sa réserve et sa sérénité, et par conséquent, sont au cœur du présent débat et de la solution à y apporter.

[103]       Eu égard à la seconde motivation de la demanderesse, personne ne prétend en l’instance que la remarque déplacée du Plaignant pouvait demeurer sans suite ni réponse ou conséquence, tant sur le plan du maintien du décorum que sur le maintien de l’autorité de la demanderesse dans la salle d’audience afin de préserver le respect envers la Cour des autres justiciables alors présents.

[104]       Le Comité dans le cas présent ne remet pourtant pas cela en cause.

[105]       Du point de vue du Tribunal, la remarque du Plaignant envers la demanderesse est plus qu’un simple manque de courtoisie de sa part, et va au de-là de la simple absence de tutoiement.

[106]       Cette remarque désobligeante du Plaignant témoigne d’un manque élémentaire de respect, de dignité et de civisme de sa part, lesquels doivent pourtant prévaloir durant une audience envers le juge qui la préside.

[107]       Il est vrai cependant que certains réussissent tout de même à rester respectueux tout en tutoyant le juge qui les entend, surtout lorsque cela se produit par inadvertance, nervosité ou pour des raisons culturelles comme l’âge ou la langue maternelle, mais cela demeure quand même plutôt rare.

[108]       Or, tel n’est pas le cas ici.

[109]       Selon le Tribunal, les termes employés par le Plaignant, et là aussi le ton qu’il utilise, mais dont l’appréciation demeure, rappelons-le, un exercice en bonne partie subjectif, ne sont pas acceptables dans une salle d’audience et ne doivent pas être tolérés.

[110]       Encore là, les perceptions et les valeurs de tous et chacun peuvent diverger.

[111]       Néanmoins, ces propos déplacés du Plaignant ne sont pas, quant à eux, banals et suscitent objectivement et inévitablement une réaction de tout juge qui les reçoit.

[112]       Pour certains juges, l’approche suggérée par le Comité de simplement reprendre le Plaignant sur son manque de courtoisie et lui demander de quitter, peut être perçue comme insuffisante puisqu’un tel manque de respect envers la Cour doit être, selon certains juges, davantage relevé, réprimandé et doit porter à conséquence.

[113]       Ainsi, le Tribunal estime que la demanderesse, si on ne lui tient plus rigueur de la légalité de la détention du Plaignant, donc de son caractère injustifié, a agi à l’intérieur de la zone des options possibles et permises à un juge pour affirmer l’autorité du tribunal, et ce, même si l’approche choisie par la demanderesse peut se situer dans le cas présent près de l’une des extrémités du spectre des options lui étant alors disponibles.

[114]       Or, il n’en demeure pas moins qu’en agissant de la sorte, la demanderesse peut avoir néanmoins agi avec réserve et sérénité, en tenant compte surtout de son désir d’agir légalement, rappelons-le, et de façon à maintenir l’autorité du Tribunal.

[115]       C’est la conduite de la demanderesse qui doit être examinée par le Comité alors qu’elle intervient auprès d’un justiciable dans le cadre de l’exercice de ses fonctions judiciaires, et non la justesse ou de l’opportunité sur le plan juridique de la mesure qu’elle applique eu égard à la situation factuelle et les règles de droit qui sont, ou qu’elle croit être celles applicables.

[116]       Il ne s’agit donc pas dans le cas présent d’apprécier la légalité de la mesure déployée par la demanderesse ni sa justification ou son opportunité selon les faits, une erreur d’appréciation de la preuve ou en droit par un juge est toujours possible, d’où les recours possibles en révision ou en appel prévus à la loi.

[117]       Il y a lieu, selon nous, de faire une distinction importante entre la justification et, de ce fait, la valeur sur le plan juridique d’une décision judiciaire et qui peut être contestée par des recours prévus à la loi, comme l’appel ou la révision, lorsqu’applicables, et la conduite du juge au moment de rendre cette décision, dont la portée peut apparaître sévère ou excessive, alors qu’une telle décision si mal fondée soit-elle, peut très bien être rendue malgré cela avec réserve, courtoisie et sérénité.

[118]       Lors de cette journée du 20 janvier 2022, dans cette petite salle d’audience qu’elle décrit dans sa narration des faits, la demanderesse considère que la situation nécessite une intervention assez vigoureuse de sa part devant les autres défendeurs assis dans cette salle et qui attendent leur tour.

[119]       La façon choisie par la demanderesse pour assurer le maintien du décorum et pour encadrer les débats durant l’audience qu’elle a présidée le 20 janvier 2022, peut aisément s’expliquer par cette volonté d’envoyer un message aux autres défendeurs présents, voulant que des remarques comme celles du Plaignant ne sont pas acceptables dans une salle d’audience et qu’elles déconsidèrent l’administration de la justice.

[120]       On ne peut lui en faire reproche.

[121]       La demanderesse décide en effet qu’elle doit réagir avec une certaine fermeté et sévérité.

[122]       Elle considère que son inaction ou qu’une réaction plus modérée aurait probablement un impact plutôt négatif ou insuffisant sur la bonne administration de la justice par les tribunaux, et elle veut que les justiciables présents comprennent qu’il ne faut pas s’adresser au juge qui préside l’audience comme envers d’autres joueurs durant une partie de hockey ou de pétanque.

[123]       On ne peut faire grief à la demanderesse d’avoir été motivée par de tels objectifs dans le cas présent compte tenu du contexte de l’affaire, ceci même si d’autres juges auraient peut-être jugé plus opportun d’adopter une approche moins ferme.

[124]       La demanderesse explique tout de même calmement et de manière posée au Plaignant pourquoi elle le retient brièvement dans la salle d’audience, afin de se retirer pour décider rapidement si elle allait ou non le citer pour outrage au tribunal.

[125]       Elle l’a fait sur un ton formel, certes, ce qui n’est pas inapproprié en soi, et même adéquat, et cela tout en restant polie, selon ce que révèle l’enregistrement de cette intervention judiciaire et la perception qu’en a le soussigné.

[126]       En agissant comme elle a agi en décidant de détenir le Plaignant, le Tribunal, avec tous les égards dus aux membres du Comité qui ont par ailleurs déposé un rapport d’une facture irréprochable, n’est pas en mesure de conclure, contrairement à ce que retient le Comité, que la demanderesse a manqué de réserve, de courtoisie ou de sérénité.

[127]       En faisant d’ailleurs siens les termes utilisés par le Comité et en tenant compte du contexte que la demanderesse décrit et dans le cadre duquel elle rend sa décision, notamment quant aux autres défendeurs présents dans la salle d’audience et qui attendent leur tour, le Tribunal estime qu’une personne raisonnable, impartiale et bien informée pouvait tout aussi bien conclure que le comportement de la demanderesse raffermit, plutôt qu’il ne la mine, la confiance du public dans la magistrature et, par conséquent, sa considération envers l’administration de la justice.

Conclusion

[128]       Le lecteur aura compris que le Tribunal aurait rendu une décision différente de celle du Comité dans la présente affaire.

[129]       Or, il ne doit qu’en contrôler la légalité.

[130]       Même s’il ne partage pas l’appréciation faite par le Comité de la preuve présentée durant son enquête sur la conduite de la Plaignante, il s’agit avant tout d’une analyse effectuée par deux décideurs différents pour en arriver chacun à des conclusions également différentes qu’ils tirent de la preuve et des règles de droit pouvant être applicables.

[131]       Le Tribunal concède qu’en écartant l’application de l’article 1 du Code dans l’examen de cette plainte, rien n’empêchait le Comité d’exercer malgré tout son pouvoir d’apprécier globalement la conduite de la demanderesse, avant comme après sa décision de détenir le Plaignant, et d’examiner celle-ci non seulement sous la loupe des articles 2 ou 8 du Code, ou des deux ensembles, mais aussi selon une autre norme de conduite reconnue, mais non nécessairement codifiée[26], et d’interpréter les exigences y énoncées et de les appliquer différemment du soussigné au cas lui étant soumis.

[132]       Le Tribunal ne doit donc pas intervenir, en application de la norme de la décision raisonnable, en présence d’une décision dont le raisonnement repose, comme c’est le cas en l’espèce, sur des contraintes factuelles et juridiques bien identifiées, présentes et réelles, et qui ont été examinées et soupesées dans la décision attaquée, laquelle prend appui sur les principes juridiques applicables et sur des sources et autorités qui sont en lien avec ces principes.

[133]       C’est là que prend tout son sens la notion de déférence dont doit faire preuve le tribunal de révision envers le tribunal spécialisé dont la décision est attaquée.

[134]       Par conséquent, le Tribunal est d’avis que le Comité pouvait rendre la décision qu’il a rendue puisqu’elle appartient aux issues possibles dans cette affaire au regard des faits et du droit.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[135]       REJETTE le pourvoi de la demanderesse en contrôle judiciaire de la décision rendue par le Conseil de la magistrature du Québec, sous le numéro 2022-CMCQ-024;

[136]       LE TOUT, avec les frais de justice.

 

 

__________________________________

BERNARD TREMBLAY, j.c.s.

 

Mes Giuseppe Batista, Ad. E. et Jessy Bourassa Héroux

BATTISTA TURCOT ISRAEL, s.e.n.c.

jheroux@btiavocats.com

Avocats de la demanderesse

 

Me Olivier Desjardins

DESJARDINS RIVERIN AVOCATS INC.

odesjardins@desjardinsriverin.ca

Avocats du défendeur

 

Date d’audience :

4 octobre 2023

 


[1]     Constitué en vertu de l’article 247 de Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ c. T-16.

[2]     Annexe 2.

[3]     Annexe 4.

[4]     Annexe 1.

[5]     La demanderesse fait état de moins de cinq minutes en référant au minutage des débats et le rapport du Comité indique que sept minutes se sont écoulées.

[6]     Annexe 3.

[7]     Préc. Note 3, par. 4.

[8]     Id. par. 6.

[9]     Préc. Note 2, annexe 1.

[10]    Id. par. 14 à 18.

[11]    Id. par 19.

[12]    Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII), [2019] 4 RCS 653.

[13]     Société québécoise des infrastructures c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 713.

[14]    Articles 278 et 279 LTJ et 17 des Règles de fonctionnement concernant la conduite d’une enquête, adoptées par le Conseil de la magistrature du Québec le 28 janvier 2015.

[15]     2003 CanLII 75442 (QCCM).

[16]     Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999]    2 RCS 817.

[17]     Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1985] 4 R.C.S. 267.

[18]     Id. par. 72 et 73.

[19]     Préc. note 14.

[20]     Article 279 LTJ.

[21]     RLRQ. C. T-16.

[22]     Id. et Conseil de la magistrature, guide en matière d’examen des plaintes.

[23]     Paré c. Fortin, 2003 CanLII 75446 (QC CM).

[24]     Préc. Note 12 et Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 RCS 190, 

[25]     2008 CanLII 20351 (requête en révision judiciaire rejetée - 2009 QCCS 5116).

[26] NOREAU, Pierre et BERNHEIM, Emmanuelle, La déontologie judiciaire appliquée, 4ème éd., 2018 et Durocher et Plouffe, 2016 CanLII 25482 (QC CM).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.