Décision

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Droit de la famille — 162246

2016 QCCS 4236

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre familiale)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

 

 

N° :

540-04-011925-127

 

DATE :

LE 1er septembre 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

Y... D...

Requérant 

 

c.

A... T...

et

P... T...

Défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

I

[1]           Le présent jugement porte sur une situation inédite en jurisprudence. En effet, le 14 avril 2015, le juge Pierre Béliveau, de cette Cour, n’a pas signé l’ordonnance spéciale de comparaître à une accusation d’outrage au tribunal qui était jointe à la requête de M. D... pour l’émission de cette ordonnance spéciale, mais il a plutôt rendu l’ordonnance suivante : « Ordonne aux défenderesses de se présenter le 5 mai 2015 à 9 h 00 pour qu’il soit déterminé s’il y a lieu de les citer pour outrage au tribunal ». 

[2]           En conséquence, le tribunal est donc saisi de la requête de M. D... pour l’émission d’une ordonnance spéciale à comparaître à une accusation d’outrages au tribunal multiples suivant les art. 1, 36, 49 et 53 de l’ancien Code de procédure civile (« a.C.p.c. »). Cette précision est importante et limite la compétence du tribunal puisque les parties ont présenté leur preuve et ont plaidé leur cause comme si les défenderesses avaient déjà été citées pour répondre aux accusations d’outrage au tribunal portées par le requérant.

[3]           La procureure des défenderesses a vivement contesté tant la citation pour outrage au tribunal que les accusations elles-mêmes portées par M. D... contre les défenderesses.

II

 

[4]           Le contexte de la présente affaire peut être résumé comme suit.

[5]           Les parties, M. D..., le père, et madame A... T..., la mère, ne se sont jamais mariées. De leur relation sont issus deux enfants mineurs, à savoir, X et Y, des jumeaux actuellement âgés de quatre ans.

[6]           En date du 12 novembre 2013 et du 25 juin 2014, des jugements ont été rendus confiant la garde à la mère et accordant au père requérant des droits d’accès aux deux enfants mineurs. Le jugement du 12 novembre 2013 entérine le consentement intérimaire signé par les parties le même jour et ordonne aux parties de s’y conformer. Le jugement du 25 juin 2014 rend diverses ordonnances permettant au père de se rendre avec les jumeaux chez le médecin et ordonne que les droits d’accès prévus pour lui reprennent dès le 27 juin 2014.

[7]           Le 14 avril 2015, le père, non représenté par procureur, prépare et présente une requête pour l’émission d’une ordonnance spéciale à comparaître à une accusation d’outrages au tribunal multiples contre les défenderesses, soit la mère des enfants ainsi que madame P... T..., la grand-mère maternelle de ces derniers. À cette requête est jointe une ordonnance spéciale de comparaître à une accusation d’outrage au tribunal; toutefois, on l’a dit, le juge Béliveau qui entend cette requête de M. D... ne signe pas cette ordonnance spéciale, mais rend plutôt une ordonnance exigeant que les défenderesses se présentent devant le tribunal afin de déterminer s’il y a lieu de les citer pour outrage.

[8]           Le 14 mai 2015, la nouvelle procureure de M. D... intente une deuxième requête en outrage au tribunal, laquelle ne vise que la mère des enfants, Mme A... T....

[9]           Les deux enfants des parties sont tous les deux asthmatiques et doivent se trouver dans un environnement sans animaux, sans fumée et sans irritants respiratoires d’aucune sorte sous peine d’aggraver leur condition. La mère a informé le père de cette condition médicale des enfants ainsi que des mesures préventives à respecter et de la médication qu’ils doivent prendre relativement à ces problèmes respiratoires des enfants.

[10]        Le père possède deux chats à sa résidence et a refusé de s’en défaire malgré la condition médicale des enfants et les recommandations des médecins.

[11]        La mère a averti le père à plusieurs reprises qu’il devait s’en départir s’il voulait recevoir les enfants chez lui lors de l’exercice de ses droits d’accès. Elle a même offert au père de défrayer la moitié des coûts relatifs au nettoyage de son domicile suite au départ éventuel des chats pour assurer un environnement sain aux deux enfants des parties.

[12]        Le 23 avril 2014, la mère a informé le père par courriel qu’elle refusait ses droits d’accès tant qu’il ne serait pas en mesure de fournir des soins et un domicile adéquats pour la santé de leurs deux enfants.

[13]        Le 13 mai 2015, la mère a fait signifier au père une requête pour modification de ses droits d’accès[1]. Cette requête sera par la suite amendée le 2 juillet 2015[2]. Lors de l’audition, la procureure de la mère a demandé au tribunal de rayer ses deux requêtes.

[14]        Le père s’est départi de ses deux chats le 1er juin 2015.

 

III

 

[15]        L’instruction de la requête en outrage au tribunal a duré deux jours. Au moment de l’instruction, les deux parties étaient représentées par procureurs.

[16]        M. D... a témoigné ainsi que M. L... C.... Mme J... L..., épouse de M. D..., a aussi témoigné. De plus, M. D... a produit plusieurs pièces au soutien de sa requête.

[17]        La procureure de Mme T... n’a pas jugé bon de faire une preuve en défense.

 

IV

 

[18]        Une seule question se pose en l’espèce : suite à l’ordonnance du juge Béliveau, la mère devrait-elle être citée pour outrage au tribunal comme le demande le père?

[19]        Selon les procureurs de M. D..., non seulement la mère devrait être citée pour outrage, mais elle devrait aussi être condamnée pour outrage au tribunal parce qu’elle aurait contrevenu aux droits d’accès accordés au père les 6 mars, 20 mars et 3 avril 2015.

 

 

[20]        La procureure de la mère soutient au contraire qu’il n’y a pas de preuve prima facie suffisante permettant de citer Mme T... pour outrage au tribunal et que, le cas échéant, les accusations pour outrage n’ont pas été prouvées hors de tout doute raisonnable. Madame T... devrait donc être acquittée de ces accusations.

 

V

 

[21]        D’entrée de jeu, il est nécessaire de signaler que la requête de M. D... pour l’émission d’une ordonnance spéciale à comparaître, qui a fait l’objet de l’ordonnance du juge Béliveau du 14 avril 2015, a été suivie par une nouvelle requête en outrage au tribunal datée du 14 mai 2015 qui fut préparée par la nouvelle procureure de M. D....

[22]        Toutefois, cette nouvelle requête soulève plusieurs problèmes qui ont été soulignés lors de l’instruction. D’abord, cette nouvelle requête pour outrage n’est pas appuyée d’un affidavit. De plus, elle amende substantiellement la requête du 14 avril 2015 qu’avait préparée M. D.... Or, l’ordonnance du juge Béliveau porte sur la requête du 14 avril 2015 et non sur celle de 14 mai 2015.

[23]        À l’audience, la procureure de M. D... a avisé le tribunal qu’elle abandonnait la requête du 14 mai 2015 pour s’en tenir à celle du 14 avril 2015.

[24]        Après avoir entendu les observations des parties, le tribunal a alors réservé sa décision sur cette question qu’il importe maintenant de trancher.

[25]        En l’espèce, la question est intéressante puisque si la nouvelle requête du 14 mai 2015 a remplacé la requête de M. D... du 14 avril 2015, il ne resterait donc plus aucune procédure conforme car, d’une part, la nouvelle requête de mai 2015 n’est pas appuyée d’un affidavit et, d’autre part, ce n’est pas sur cette nouvelle requête que le juge Béliveau a cité la mère - afin que le tribunal détermine s’il y a lieu de la citer pour outrage au tribunal.

[26]        Une situation similaire s’est présentée dans le cadre d’un recours collectif : Meyer c. National Drug Ltd., [1984] R.D.J. 103 (C.A.). Dans cette affaire, la Cour d’appel avait retenu l’argument de la demanderesse-appelante qu’elle s’était désistée non pas de sa requête amendée, mais bien des amendements à sa requête laissant ainsi intacte la requête initiale en autorisation d’un recours collectif laquelle était appuyée d’un affidavit. La Cour d’appel s’était notamment fondée sur l’art. 2 a.C.p.c. prévoyant que : « les règles de procédures édictées par ce code sont destinées à faire apparaître le droit et en assurer la sanction; et à moins d’une disposition contraire, l’inobservation de celles qui ne sont pas d’ordre public ne pourra affecter le sort d’une demande que s’il n’y a pas été remédié alors qu’il était possible de le faire [...] ».

[27]        Cependant, il importe de le souligner, nous sommes en matière d’outrage au tribunal, procédure de droit strict (strictissimi juris)[3].

[28]        En conséquence, compte tenu de l’ordonnance déjà rendue par le juge Béliveau le 14 avril 2015, que les procédures en matière d’outrage au tribunal sont de droit strict et que madame T... était en droit de savoir, avant l’audition, ce à quoi elle devait faire face, la nouvelle requête du 14 mai 2015 constitue, de l’avis du tribunal, un vice de procédure fatal dans les circonstances très particulières de la présente affaire.

[29]        Cela décidé, il importe tout de même de trancher la question en litige résultant de l’ordonnance inhabituelle rendue par le juge Béliveau. Avant de ce faire cependant, il est nécessaire de déterminer la nature de l’ordonnance émise par ce dernier puisque celle-ci définit la compétence exercée par le tribunal en l’espèce.

[30]        Il faut d’abord déterminer si l’ordonnance émise par le juge Béliveau constitue une ordonnance spéciale de comparaître pour outrage au tribunal. Après analyse, le tribunal est d’avis que les termes utilisés par le juge Béliveau dans son ordonnance sont précis et confirment clairement que les parties étaient convoquées devant le tribunal le 5 mai 2015 afin de déterminer s’il y avait lieu de citer pour outrage la mère.

[31]        Le tribunal - ni les procureurs des parties d’ailleurs - n’a pu repérer de décisions jurisprudentielles où un tribunal (ou un juge) aurait procédé de cette façon. La requête pour l’émission d’une ordonnance spéciale à comparaître pour outrage au tribunal est généralement entendue ex parte. C’est ce que prévoyait l’art. 53 al. 2 a.C.p.c. : « le juge peut émettre l’ordonnance d’office ou sur demande. Cette demande n’a pas à être signifiée et peut être présentée devant un juge du district où l’outrage a été commis », et c’est ce que prévoit maintenant l’art. 60 al. 1 C.p.c. : « l’ordonnance portant citation à comparaître est prononcée d’office ou à la suite d’une demande présentée au tribunal, laquelle n’a pas à être notifiée ».

[32]        Toutefois, rien n’empêche un juge - maintenant le tribunal - de citer la personne visée par la demande d’outrage afin qu’il soit déterminé si elle devrait être citée pour outrage au tribunal. L’art. 53 al. 2 a.C.p.c. - maintenant l’art. 60 al. 1 C.p.c. - n’interdit pas cette façon de procéder et tant l’art. 46 a.C.p.c. que l’art. 49 C.p.c. confèrent ce pouvoir au juge et au tribunal. L’art. 46 a.C.p.c. prévoyait d’ailleurs que les tribunaux et les juges peuvent, même d’office, rendre toutes ordonnances appropriées pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de remède spécifique. L’art. 49 al. 2 C.p.c est au même effet. À titre d’analogie, on peut référer à la demande d’injonction interlocutoire provisoire qui peut légalement être entendue et émise ex parte, mais qui l’est rarement (art. 510 al. 2 C.p.c.).

 

 

[33]        La nature de l’ordonnance rendue en l’espèce par le juge Béliveau est d’une importance fondamentale pour la suite du déroulement de la procédure d’outrage au tribunal. Comme l’a d’ailleurs souligné la Cour d’appel à plusieurs reprises au cours des dernières années :

[32] C’est ainsi que la Cour a rappelé que l'ordonnance spéciale à comparaître doit énoncer la nature des violations avec précision. Il peut cependant être suffisant de renvoyer précisément aux paragraphes de la requête en outrage. Cette façon de faire est sans doute plus expéditive, mais elle n’est pas sans risque. Le juge qui délivre l'ordonnance spéciale doit s’assurer que les actes reprochés sont clairement définis et qu’il existe une preuve suffisante pour aller de l’avant. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette ordonnance spéciale à comparaître, qui est le cœur de la procédure qui s’amorce. On devrait certainement préférer une ordonnance originale qui énumère précisément des actes reprochés, ce qui éviterait toute confusion.

[33] Du même souffle, cette procédure, toute importante qu’elle soit, ne doit pas revêtir « un formalisme artificiel et excessif ». L’objectif est de permettre au défendeur de comprendre sur quelles bases le procès se tient. Le défendeur peut certainement requérir les précisions nécessaires. À cet égard, la nature du dossier, les pièces communiquées, de même que toutes les circonstances propres à l’espèce permettent de déterminer, le cas échéant, la suffisance de reproches.  [notes omises, soulignement ajouté] [4]

[34]        Et, antérieurement, elle avait jugé que :

[26] Il revient au juge qui délivre l'ordonnance spéciale d’exercer un rôle de filtrage et de s'assurer que les actes reprochés sont énoncés avec précision dans la citation ou, à tout le moins, dans la requête pour ordonnance spéciale qui l'accompagnera. Si les actes reprochés sont mal définis ou imprécis, il ne peut qu’en résulter des problèmes par la suite. De même, le juge doit estimer que la violation alléguée est susceptible de donner lieu à une condamnation pour outrage; cela comprend une évaluation sommaire de la portée de l'ordonnance dont la violation est alléguée et des faits invoqués par la partie demandant l'ordonnance spéciale, les tenant pour avérés. Le juge doit apprécier la preuve prima facie et ne délivrer une ordonnance spéciale que si cette preuve semble suffisante.

[27] Une personne citée pour outrage a le droit de connaître la nature exacte des accusations et a droit d'être informée de tous les détails pertinents, surtout si elle est citée pour un outrage commis hors la présence de la cour (R. v. Cohn (1984), 1984 CanLII 43 (ON CA), 15 C.C.C. (3d) 150 (C.A. Ont.)). Il s'ensuit que, concurremment à la signification de la citation ou peu après, la partie poursuivante doit communiquer les pièces et autres éléments qu'elle entend invoquer pour démontrer l'outrage, ce qui est d'ailleurs tout à fait conforme aux exigences des art. 331.1 et suivants C.p.c. Elle devra aussi communiquer conformément à la règle 15 du Règlement de procédure civile (Cour supérieure), la liste des témoins, les admissions proposées et un exposé concis des questions de fait et de droit en litige. Par contre, la personne citée n’a pas l’obligation de compléter ce formulaire. À mon avis, la communication des pièces et autres éléments jumelés au formulaire II prescrit par la règle 15 constitue une communication adéquate de la preuve de la partie poursuivante à la partie accusée d'outrage. [notes omises, soulignement ajouté][5]

[35]        Ainsi, le juge ou le tribunal doit effectuer une analyse rigoureuse lorsqu’il apprécie la preuve prima facie tant sur la portée de l’ordonnance dont la violation est alléguée que sur les faits invoqués par la partie demandant l’ordonnance spéciale de comparaître pour outrage au tribunal. Il importe de souligner que les termes « preuve prima facie » ont un sens juridique bien défini comme le rappelait d’ailleurs la Cour d’appel dans Dancause c. 9064-3032 Québec, 2013 QCCA 1657, par. 6 :

 [6] Dans le Dictionnaire de maximes et locutions latines1, on trouve:

PRIMA FACIE

[...]

La preuve prima facie est, à première vue, suffisante, mais on peut y faire échec par une preuve contraire que la cour estime raisonnable. [Suivent quatre références à la jurisprudence.]

_____________

1.   Albert MAYRAND, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 3e éd., Les Éditions YvonBlais inc., Cowansville.

 

 

[36]        De plus, les tribunaux ont affirmé à maintes reprises que l’outrage au tribunal n’est pas conçu pour être un moyen d’exécution des jugements[6].

[37]        Une personne alléguant le non-respect d’une ordonnance par l’autre partie ne doit entamer la procédure d’outrage qu’en dernier ressort. Il s’agit d’une procédure exceptionnelle qui ne doit être utilisée qu’après avoir épuisé tous les moyens disponibles d’exécution de jugement[7].

[38]        Ceci étant, force est de constater qu’aucune citation à comparaître n’avait encore été émise lorsque les parties se sont présentées devant le tribunal. En conséquence, cette absence de citation entraîne nécessairement que le tribunal ne peut se saisir du fond de l’outrage au tribunal, il doit se limiter à déterminer s’il existe une preuve prima facie suffisante justifiant de citer la mère pour outrage comme le demande le père. D’ailleurs, puisque l’ordonnance émise par le juge Béliveau ne comporte ni citation à comparaître ni accusation spécifique, le tribunal commettrait une erreur en se penchant sur le fond de la demande d’outrage au tribunal[8].

[39]        Enfin, il est important de noter que du début jusqu’à la fin du processus de la procédure pour outrage au tribunal, à savoir de l’émission d’une ordonnance spéciale de comparaître pour outrage au tribunal jusqu’au jugement, la preuve offerte par le demandeur, relativement à un outrage au tribunal, ne doit pas laisser place à un doute raisonnable et l’intimée ne peut être contrainte à témoigner (art. 53.1 a.C.p.c., art. 61 C.p.c.; Javanmardi c. Collège des médecins du Québec, 2013 QCCA 306, par. 23-28; Droit de la famille - 122875, 2012 QCCA 1855, par. 27-32).

[40]        La compétence du tribunal étant circonscrite, il convient maintenant de trancher la question en litige : la mère devrait-elle être citée pour outrage au tribunal? Plus précisément, y a-t-il une preuve prima facie suffisante permettant au tribunal de citer la mère pour outrage tel que le requiert le père?

[41]        En l’espèce, le père demande à ce que la mère soit citée pour outrage au tribunal parce qu’elle l’aurait empêché d’exercer ses droits d’accès à trois reprises, soit les 6 et 20 mars et 3 avril 2015.

[42]        La demande de citation pour outrage est fondée sur l’art. 50 a.C.p.c. dont le premier alinéa se lit comme suit :

50. Est coupable d’outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d’un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l’administration de la justice, soit à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.

[43]        Le nouveau Code de procédure civile prévoit à son art. 58 al. 1 ce qui suit :

58. Se rend coupable d’outrage au tribunal la personne qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou qui agit de manière à entraver le cours de l’administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.

[44]        On l’a déjà indiqué, mais il convient de le rappeler, que la procédure pour outrage au tribunal est de droit strict. Ainsi, il est nécessaire dans la demande de citation pour outrage d’indiquer clairement et précisément ce qui est reproché à la personne que l’on veut voir citer pour outrage. En l’espèce, la requête pour l’émission d’une ordonnance spéciale à comparaître reproche à la mère qu’elle aurait contrevenu à une ordonnance du tribunal accordant au père des droits d’accès. Il s’agit donc du premier des quatre cas qui sont prévus à l’art. 50 al. 1 a.C.p.c. et maintenant à l’art. 58 al. 1 C.p.c. Ainsi, il n’est donc pas question en l’espèce de citer la mère pour outrage parce qu’elle aurait contrevenu à une injonction, qu’elle aurait agi de manière à entraver le cours de l’administration de la justice ou qu’elle aurait porté atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.

[45]        Les ordonnances que le père reproche à la mère d’avoir violées apparaissent aux procès-verbaux d’audience du 12 novembre 2013 et du 25 juin 2014. Les dispositions pertinentes du procès-verbal du 12 novembre 2013 se lisent ainsi : « Le tribunal : entérine le consentement intérimaire signé par les parties le 12 novembre 2013; ordonne aux parties de s’y conformer; le tout pour valoir jusqu’au 14 janvier 2014; [...] »

[46]        Les dispositions pertinentes du procès-verbal du 25 juin 2014 se lisent ainsi : « [...] ordonne que les droits d’accès prévus pour Monsieur reprennent dès le 27 juin 2014; sans frais ».

[47]        Il est admis que le jugement du 25 juin 2014 était exécutoire aux dates pertinentes. Le père demande donc à ce que la mère soit citée pour outrage au tribunal parce qu’elle aurait violé ses droits d’accès les 6 et 20 mars et le 3 avril 2015.

[48]        La première question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la mère est accusée d’avoir violé une ordonnance du tribunal. Autrement dit, la mère était-elle visée par une ordonnance du tribunal? Après analyse, le tribunal conclut qu’aucune ordonnance ne vise la mère en l’espèce. D’une part, le jugement accorde des droits d’accès au père et, d’autre part, « ordonne aux parties de s’y conformer ». Or, les termes « ordonne aux parties de s’y conformer » ne constituent pas une ordonnance susceptible de mener à une condamnation pour outrage au tribunal[9].

[49]        De plus, l’arrêt phare de la Cour suprême du Canada Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques inc, [1992] 2 R.C.S. 1065, p. 1078, confirme sans équivoque que le jugement qui règle les droits de visite du parent n’ayant pas la garde de l’enfant ne constitue pas non plus une ordonnance à l’endroit du parent gardien. Le juge Gonthier, pour la majorité, s’exprime ainsi :

Le jugement qui règle les droits de visite du parent n'ayant pas la garde de l'enfant ne constitue pas non plus une ordonnance à l'endroit du parent gardien (Charlebois c. Bourbeau, [1979] C.A. 545).

[50]        En l’espèce, il est incontestable que la mère a toujours eu la garde des deux enfants des parties.

[51]        Force est de constater qu’aucune ordonnance d’un juge ou du tribunal ne visait la mère aux moments pertinents. Ainsi, cette dernière ne peut être accusée d’avoir violé une ordonnance la rendant passible d’outrage au tribunal[10].

[52]        Partant, puisqu’il n’existe pas de preuve prima facie suffisante que la mère aurait commis un outrage au tribunal, la citation à comparaître demandée par le père doit donc être rejetée.

[53]        Mais il y a plus.

[54]        Lors de l’instruction de la requête du père pour l’émission d’une ordonnance spéciale de comparaître, conformément à l’ordonnance du juge Béliveau, la preuve prima facie révèle l’absence de preuve d’intention coupable (mens rea) de la mère. Le tribunal ne peut donc la citer pour un outrage sans aucune assise.

[55]        En effet, la preuve prima facie révèle que la mère était parfaitement justifiée d’agir comme elle l’a fait afin de protéger la santé de ses deux enfants[11]. Le père était manifestement au courant des problèmes de santé de ses enfants, mais il n’a rien fait jusqu’au 1er juin 2015. Or, les accusations pour lesquelles il désire citer la mère auraient été commises les 6 et 20 mars et 3 avril 2015.

[56]        En conséquence, le tribunal est justifié d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas citer la mère pour outrage au tribunal étant donné qu’à leur face même les accusations portées par le père sont manifestement sans fondement.

 

VI

 

[57]         La procédure adoptée en l’espèce par le juge Béliveau - soit de citer la mère afin de déterminer si elle doit être citée pour outrage au tribunal -, quoiqu’inhabituelle, est empreinte de sagesse et particulièrement bien adaptée au contexte des litiges en matière familiale. Cette procédure est conforme à la règle audi alteram partem maintenant codifiée à l’art. 17 C.p.c., elle confirme le caractère exceptionnel du recours pour outrage au tribunal et elle évite de tenir un procès inutile sur une accusation d’outrage au tribunal qui, prima facie, n’apparaît pas comme étant fondée. D’ailleurs, la Cour d’appel a, à plusieurs reprises, rappelé que le recours à l’outrage au tribunal n’est souvent pas souhaitable, particulièrement en matière familiale[12].

 

 

[58]        En l’espèce, le tribunal conclut que le père n’a pas respecté le caractère strictissimi juris des procédures pour outrage au tribunal et n’a pas non plus démontré que les accusations portées contre la mère apparaissaient, prima facie, comme étant fondées.

[59]        En conséquence, le tribunal est d’avis que, suite à l’ordonnance du juge Béliveau, la mère ne doit pas être citée pour outrage au tribunal.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[60]        REJETTE la requête du requérant Y... D... pour l’émission d’une ordonnance spéciale à comparaître à une accusation d’outrages au tribunal multiples (séq. # 100 au plumitif);

[61]        REFUSE de citer madame A... T... pour outrage au tribunal;

[62]        DONNE ACTE au désistement de la requête du requérant à l’égard de madame P... T...;

[63]        RAYE les requêtes en modification de droits d’accès de madame A... T... (séq. # 105 et 119 au plumitif);

[64]        LE TOUT, avec frais de justice.

 

 

 

 

 

__________________________________

GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

 

Me Marie Flambart

Me Jean-François Rousseau

rousseau boyce s.a.

Pour le requérant

 

Me Stéphanie Bisaillon-Auclaire

Stephanie Bisaillon-Auclaire, avocate

Pour les défenderesses

 

 



[1]     Séq. # 105 au plumitif.

[2]     Séq. # 119 au plumitif.

[3]     Voir Droit de la famille - 122875, 2012 QCCA 1855, par. 24; Carey c. Laiken, 2015 CSC 17, [2015] 2 R.C.S. 79.

[4]     Trudel c. Foucher, 2015 QCCA 691.

[5]     Droit de la famille - 122875, 2012 QCCA 1855.

[6]     Droit de la famille - 12971, 2012 QCCA 806, par. 4; 147319 Canada inc. c. Banque nationale du Canada, B.E. 2001BE-472 (C.A.).

[7]     Centre commercial Les Rivières Ltée c. Jean bleu inc., 2012 QCCA 1663, par. 7 et 45; Parent c. Perreault, [1979] C.A. 237; Droit de la famille - 681, [1989] R.D.J. 336 (C.A.); Daigle c. Corporation municipale de la paroisse de St-Gabriel de Brandon, [1991] R.D.J. 249 (C.A.), cité avec approbation dans Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électriques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065, 1078-1079 (j. Gonthier); Droit de la famille - 1605, [1995] R.D.F. 8 (C.A.).

[8]     Doyon c. Séguin, J.E. 2003-1863 (C.A.).

[9]     M.F. c. J.B., [2002] R.D.F. 1008 (C.S.); D.(S.) c. V.(G.), EYB 2004-61866 (C.S.).

[10]    Évidemment, l’ordonnance du tribunal aurait pu être rédigée différemment, par exemple, en « accordant des droits d’accès au père et en ordonnant à la mère de les respecter ». Toutefois, en l’espèce, ce n’est pas l’ordonnance qui a été rendue par le tribunal.

[11]    Voir notamment l’art. 33 C.c.Q.

[12]    Centre commercial Les Rivières Ltée c. Jean bleu inc., 2012 QCCA 1663, par. 64.

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