D.S. c. Lester B. Pearson School Board |
2021 QCCQ 5489 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-22-254045-191 |
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DATE : |
30 Juin 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
LOUIS RIVERIN, J.C.Q. |
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D… S…, en sa qualité de tuteur de son enfant mineur, X
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Demanderesse |
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c.
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LESTER B. PEARSON SCHOOL BOARD
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Défenderesse |
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JUGEMENT [1] |
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[1] Alors que son enfant est victime d’intimidation en milieu scolaire, madame D.S. (« Mme S. ») réclame 14 400$ pour les coûts d’un professeur privé assumés pour l’instruction de son enfant et 20 000$ en dommages.
[2] La commission scolaire Lester B. Pearson (« commission scolaire ») soutient n’avoir pas commis de faute car elle a offert d’autres écoles sur son territoire selon leur disponibilité.
[3] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal accueille en partie la demande et tient responsable la commission scolaire des dommages subis par Mme S. et son enfant mineur.
Contexte
[4] Pour l’année scolaire 2017-2018, X alors âgée de 13 ans est étudiante [à l’école A], école de la commission scolaire Lester B. Pearson. Elle est dyslexique et éprouve quelques difficultés scolaire.
[5] X est la cible de E. et de ses amies, lesquelles fréquentent également [école A]. L’intimidation a lieu au sein de l’école, à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment. X fait des détours dans les couloirs et les escaliers pour éviter de croiser ses tortionnaires. Parfois, elle simule être malade pour éviter de se présenter en classe. On lui crie des noms, on jette ses livres par terre, on la tourne en dérision. Ces gestes et paroles se répètent et engendrent chez X un sentiment d’oppression et de détresse. Elle se sent exclue et elle vit dans une crainte constante. Des maux de tête et d’estomac l’affligent.
[6] La situation atteint son paroxysme le 6 novembre 2017. E. texte à X pour lui dire qu’elle va la frapper le lendemain, qu’elle va s’occuper d’elle, etc…Les messages sont relayés sur les médias sociaux de telle sorte que plusieurs élèves fréquentant [école A] sont au courant.
[7] Le 7 novembre X se présente plus tard à l’école, évitant le premier cours puisque E. est dans la même classe. X a l’ intention d’aller voir un professeur ou le directeur pour dénoncer la situation. Elle n’aura pas l’occasion de s’y rendre tout de suite puisque E. et un groupe l’aperçoivent sur le terrain de football et l’entourent. Tous attendent l’affrontement, lequel sera à sens unique. E. déverse son fiel sur X, se moque d’elle devant tous et l’insulte, lui disant qu’elle est chanceuse d’être à l’école parce que si elle était ailleurs elle lui ferait mal et qu’elle aurait besoin d’une ambulance. Ensuite E. verse de l’eau sur la tête de X qui se trouve entièrement mouillée[2].
[8] Sous les moqueries et les regards de tous, en larmes, X se rend ensuite au bureau de Mme C… D..., directrice adjointe de l’[école A] pour lui faire part des évènements. Mme D... l’informe qu’elle peut suspendre les harceleurs, ce sur quoi X demande d’attendre au lendemain pour qu’elle ne soit pas présente.
[9] Mme D... propose à X de changer d’école[3]. Mme S. la mère de X est appelée sur les lieux où elle rencontre Mme D.... Au bout de dix minutes, la rencontre est terminée et le dossier est réglé : un formulaire de demande de transfert d’école est signé et est transmis à [l’école B]. Pendant tout le temps où X est avec Mme D... et les dix minutes de rencontre avec la mère, aucune autre option n’est présentée[4].
[10] Suivra une réponse négative de [l’école B] faute de place libre puis un ensemble de démarches toujours initié par Mme S. afin de trouver une école pour son enfant. Ces démarches prendront un mois avant qu’une réponse positive pour une école parvienne à Mme S. Hélas, cet établissement est fréquenté par un (e) ami (e) très proche de E. et d’autres personnes faisant partie de son cercle.
[11] Mme S. poursuit alors ses démarches et finalement, la solution qui s’impose à elle et à X est qu’un enseignant privé soit à la maison pour son enfant. C’est dans ce contexte qu’un professeur privé est engagé et qu’il en a coûté la somme de 14 400$ pour l’instruction de X pour son année scolaire 2017-2018[5].
[12] En aucun temps, la commission scolaire et son personnel n’auront présenté et discuté de solution autre qu’un changement d’école et, surtout, présenté à X et à sa mère la politique et le plan de lutte en cas d’intimidation en vigueur.
Questions en litige
a) La commission scolaire Lester B. Pearson a-t-elle commis une faute en offrant qu’un transfert d’école à son étudiante (X, victime d’intimidation)?
b) Dans l’affirmative, quels sont les dommages auxquels a droit Mme S., personnellement, et en sa qualité de titulaire de l’autorité parentale de son enfant mineur X?
Analyse
[13] Le cadre juridique entourant le présent litige a comme source première la Loi sur l’instruction publique (RLQ c. I-13.3, ci-après nommé LIP).
[14] Cette loi prévoit que toute personne a droit au service d’enseignement secondaire et aux autres services éducatifs complémentaires et particuliers prévus par la LIP. La gratuité des services[6] et le choix de l’établissement scolaire[7] y sont mentionnés. L’obligation de fréquentation de l’école pour tout enfant âgé entre 6 et 16 ans est aussi stipulée[8]. Il revient aux commissions scolaires et aux écoles de donner cet enseignement et ces services. Bien plus, elles doivent s’assurer que la personne reçoive les services éducatifs auxquels elle a droit en vertu de la LIP[9].
[15] La mission de l’école est d’instruire et de socialiser les élèves tout en les rendant aptes à apprendre et réussir un parcours scolaire[10]. Le milieu scolaire n’est pas de tout repos et le législateur en est conscient. C’est pourquoi, en 2012, des ajouts importants sont incorporés à la LIP relativement à l’adoption et la mise en œuvre d’un plan de lutte contre l’intimidation et la violence[11]. L’article 75. 1 LIP prévoit :
« 75.1. Le conseil d’établissement adopte le plan de lutte contre l’intimidation et la violence et son actualisation proposés par le directeur de l’école.
Ce plan a principalement pour objet de prévenir et de contrer toute forme d’intimidation et de violence à l’endroit d’un élève, d’un enseignant et de tout autre membre du personnel de l’école.
Le plan de lutte contre l’intimidation et la violence doit notamment prévoir, en outre des éléments que le ministre peut prescrire par règlement:
1° une analyse de la situation de l’école au regard des actes d’intimidation et de violence;
2° les mesures de prévention visant à contrer toute forme d’intimidation ou de violence motivée, notamment, par le racisme, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’homophobie, un handicap ou une caractéristique physique;
3° les mesures visant à favoriser la collaboration des parents à la lutte contre l’intimidation et la violence et à l’établissement d’un milieu d’apprentissage sain et sécuritaire;
4° les modalités applicables pour effectuer un signalement ou pour formuler une plainte concernant un acte d’intimidation ou de violence et, de façon plus particulière, celles applicables pour dénoncer une utilisation de médias sociaux ou de technologies de communication à des fins de cyberintimidation;
5° les actions qui doivent être prises lorsqu’un acte d’intimidation ou de violence est constaté par un élève, un enseignant, un autre membre du personnel de l’école ou par quelque autre personne;
6° les mesures visant à assurer la confidentialité de tout signalement et de toute plainte concernant un acte d’intimidation ou de violence;
7° les mesures de soutien ou d’encadrement offertes à un élève victime d’un acte d’intimidation ou de violence ainsi que celles offertes à un témoin ou à l’auteur d’un tel acte;
8° les sanctions disciplinaires applicables spécifiquement au regard des actes d’intimidation ou de violence selon la gravité ou le caractère répétitif de ces actes;
9° le suivi qui doit être donné à tout signalement et à toute plainte concernant un acte d’intimidation ou de violence.
Un document expliquant le plan de lutte contre l’intimidation et la violence est distribué aux parents. Le conseil d’établissement veille à ce que ce document soit rédigé de manière claire et accessible.
Le plan de lutte contre l’intimidation et la violence est révisé annuellement et, le cas échéant, il est actualisé. ». (Nos soulignements).
[16] L’intimidation est ainsi définie à l’article13 LIP :
« 13. Dans la présente loi on entend par:
[…]
1.1° «intimidation» : tout comportement, parole, acte ou geste délibéré ou non à caractère répétitif, exprimé directement ou indirectement, y compris dans le cyberespace, dans un contexte caractérisé par l’inégalité des rapports de force entre les personnes concernées, ayant pour effet d’engendrer des sentiments de détresse et de léser, blesser, opprimer ou ostraciser;
[…]
[17] L’article 96.12 LIP impose des obligations précises au directeur de l’école au sujet de la lutte contre l’intimidation ce qui suit :
« 96.12. Sous l’autorité du directeur général du centre de services scolaire, le directeur de l’école s’assure de la qualité des services éducatifs dispensés à l’école.
Il assure la direction pédagogique et administrative de l’école et s’assure de l’application des décisions du conseil d’établissement et des autres dispositions qui régissent l’école.
Le directeur de l’école voit à la mise en œuvre du plan de lutte contre l’intimidation et la violence. Il reçoit et traite avec diligence tout signalement et toute plainte concernant un acte d’intimidation ou de violence.
Le directeur de l’école qui est saisi d’une plainte concernant un acte d’intimidation ou de violence doit, après avoir considéré l’intérêt des élèves directement impliqués, communiquer promptement avec leurs parents afin de les informer des mesures prévues dans le plan de lutte contre l’intimidation et la violence. Il doit également les informer de leur droit de demander l’assistance de la personne que le centre de services scolaire doit désigner spécialement à cette fin.
Le directeur de l’école transmet au directeur général du centre de services scolaire, au regard de chaque plainte relative à un acte d’intimidation ou de violence dont il est saisi, un rapport sommaire qui fait état de la nature des événements qui se sont produits et du suivi qui leur a été donné.
Le directeur de l’école doit désigner, parmi les membres du personnel de l’école, une personne chargée, dans le cadre de sa prestation de travail, de coordonner les travaux d’une équipe qu’il doit constituer en vue de lutter contre l’intimidation et la violence. (Nos soulignements)
a) La commission scolaire Lester B. Pearson a-t-elle commis une faute en offrant qu’un transfert d’école à son étudiante?
[18] C’est dans ce cadre juridique qu’il convient d’analyser si la commission scolaire a commis une faute en offrant qu’un transfert d’école à son étudiante dans les circonstances ci-devant relatées.
[19] La preuve révèle que la commission scolaire et l’école ont adopté une politique et un plan de lutte contre l’intimidation[12] et un Code de conduite à l’école[13] en vigueur lors de la survenance des faits en litige. Ces documents reprennent la définition de l’intimidation contenue à l’article 13 LIP.
[20] La preuve révèle que la procédure de rapport n’a pas été suivie. Aucun rapport écrit n’a été rédigé relativement à l’incident du 7 novembre 2017[14]. Plus grave encore, les mesures de supervision et de support à la victime[15] ne sont pas offertes. Ces mesures méritent d’être citées :
« All members of the [School A] Community will be thorough in their treatment of reported cases of bullying or violence.
Proposed Steps (Victim) :
1. Students will be encouraged to speak to a staff member with whom they feel comfortable.
2. A [School A] staff member (namely Administration) will conduct follow-up meetings with the student to ensure the bullying or violence has stopped and to provide support to the student.
3. In all cases, a determination will be made as to which members of the school staff must be made aware of the incident to ensure that the student is safe.
4. The student will be required to work through a written reflection process.
5. Parents will be informed following the incident, and updated with information.
6. The [School A] team may refer to in-school counselling and/or an outside agency. ».
[21] Les points 2, 3, 4, 5 et 6 ne sont pas effectués. En aucun temps on explique à la victime, ni à sa mère rencontrée dix minutes le jour de l’évènement, les politiques et le plan de lutte contre l’intimidation ni même les options possibles. Le plan contre l’intimidation et la violence[16] n’est pas présenté ni discuté contrairement à l’obligation spécifique prévue à l’article 96.12 LIP et surtout, il n’est pas appliqué par la direction de l’école. Aucun rapport écrit de l’évènement n’est fait[17]. Pourtant, ce plan contient un cadre d’intervention bien définit :
7. Supervisory or support Measures for Victims, Witness, and Perpetrator :
All members of the JRHS Community will be thorough in their treatment of reported cases of bullying or violence. They pledge to intervene in an appropriate manner, request the intervention of school administration, if necessary, and report the incident as per the process described in section 6 of the plan.
[…]
· A JRHS staff member will conduct scheduled follow-up meetings with the student to ensure the bullying or violence has stopped and to provide support to the student. The degree of support offered at these meetings and their frequency shall depend upon the feedback from the victim regarding the current circumtance.
· In all cases, a determination will be made as to which members of the school staff must be made aware of the incident to ensure that the student is safe.
· Parents will be infomed following the incident and regularly updated until the situation is resolved. Referral for counselling through the LBPSB Student Services Department or through outside referral will be requested when deemed appropriate.
· The victim will be engaged in discuss or follow-up meetings with their support contact to ensure establishment of a sense of security.
· In some cases, the school team may suggest a referral to the school social worker or make a CSSS referral for victim services.
· The JRHS team may suggest the involvement of the victim in a social skills group.
· The JRHS team may suggest referral to an outside agency for support or services if it feels such services are warranted.
· The JRHS team may suggest specific therapeutic intervention after consultation with professionals from the Student Services Department of the Lester B. Pearson School Board.
· In all cases, victims of bullying or violence should have a reasonable expectation of feedback from an intervening adult figure in a timely manner so as to guarantee a sense of safety and security in the school.
[22] De l’avis du Tribunal, la direction de l’école a grandement manqué à ses obligations lors de la rencontre du 7 novembre. Elle reçoit dans son bureau un enfant de 13 ans qui vient tout juste d’être sévèrement humilié et intimidé devant ses pairs. Cet enfant est émotif, en larmes, trempé de la tête aux pieds. S’il est un moment où il n’y a pas lieu de prendre une décision et faire remplir un formulaire de transfert d’école, c’est bien celui-là.
[23] Questionnée sur le fait que le plan de lutte n’a pas été présenté, Mme D... a eu cette réponse :
« no opportunity to provide support to X because she was no longer at school… ».
« She was no longer my student… ».
[24] De l’avis du Tribunal, une telle réponse est inacceptable. On ne peut pas se laver les mains d’un cas d’intimidation au sein d’une école sous prétexte que, dans l’heure suivant l’évènement, l’on présente et fait signer un formulaire de transfert, ni même que la victime demande un tel transfert sous le coup de l’émotion.
[25] On est en droit de s’attendre à beaucoup mieux du milieu de l’éducation. Prendre un temps de recul, laisser tomber les émotions, fixer une rencontre pour un autre jour, présenter le plan de lutte, voilà les obligations auxquelles la direction de l’école et la commission scolaire devaient répondre. Elles ne l’ont pas fait.
[26] Les faits de ce dossier démontrent que même si une école et une commission scolaire ont les plus beaux plans de lutte adoptés, si les personnes en autorité ne les appliquent pas, ne les présentent pas, ces plans ne sont que des mots, des vœux pieux, qui n’ont pas plus de valeur que le papier et l’encre sur lesquels ils sont imprimés.
[27] Or, le paragraphe 5 de l’article 75.1 LIP est clair. Le plan doit prévoir :
« Les actions qui doivent être prises lorsqu’un acte d’intimidation est constaté. ». (Notre soulignement).
[28] De plus, l’article 96.12 LIP est limpide :
« 96.12. Le directeur de l’école qui est saisi d’une plainte concernant un acte d’intimidation ou de violence doit, après avoir considéré l’intérêt des élèves directement impliqués, communiquer promptement avec leurs parents afin de les informer des mesures prévues dans le plan de lutte contre l’intimidation et la violence. ». (Nos soulignements).
[29] C’est donc à tort que la commission scolaire plaide en défense les critères de l’article 1460 C.c.Q. puisque les manquements à ses obligations relèvent de l’application de la LIP.
[30] La commission scolaire a gravement manqué à ses obligations en ne prenant pas les actions requises et prévues à son propre plan de lutte et en ne présentant pas cette option à Mme S. et X, ce qui les a placées devant une seule issue possible : changer d’école.
[31] Le 7 novembre, en quittant après dix minutes de rencontre, Mme S. signe le formulaire de transfert[18] pour [l’école B]. La capacité d’accueil est remplie et dès ce moment, Mme S. fait toutes les démarches pour que l’on trouve une école, sans succès. De guerre lasse et après plusieurs appels et suivis toujours initiés par elle-même, elle reçoit le 22 novembre l’information pour l’école à la maison[19]. Soulignons qu’il revient au directeur de [l’école A] de trouver un autre classement si l’école choisie refuse[20]. Ce ne sera pas le cas.
[32] La preuve révèle que pendant tout le mois de novembre Mme S. téléphone à divers intervenants et directeurs de la commission scolaire et qu’elle explique à chaque fois la situation et en aucun temps, en aucun niveau, une personne de la commission scolaire explique et propose d’appliquer le plan de lutte contre l’intimidation pour permettre à la victime de fréquenter une école, pour que X reçoive les services éducatifs auxquels elle a droit. La mission d’instruire et de socialiser les élèves est, en l’espèce, un échec à l’égard de X, et également à l’égard des intimidateurs.
[33] Ce n’est pas en s’échangeant des formulaires de transfert entre les écoles que la commission scolaire a pris les moyens raisonnables pour s’assurer de remplir ses obligations à l’égard de X Le Tribunal considère donc que la commission scolaire a commis une faute suite aux manquements à son devoir de conduite[21] et qu’elle doit compenser pour les dommages directs subis.
b) Dans l’affirmative, quelles sont les dommages auxquels a droit Mme S., personnellement, et en sa qualité de titulaire de l’autorité parentale de son enfant mineur X ?
[34] La conséquence directe et immédiate de se contenter de transférer, sans succès, la victime à une autre école en lieu et place d’appliquer le plan de lutte contre l’intimidation, ou même d’offrir cette opportunité est que Mme S. n’a eu d’autre choix que d’engager un enseignant privé pour l’école à la maison et ce, à la connaissance de la commission scolaire[22].
[35] Rappelons que la LIP stipule l’obligation de fréquentation scolaire[23] et que les parents doivent prendre les moyens nécessaires pour que leurs enfants remplissent leur obligation de fréquentation scolaire[24].
[36] Il en a coûté la somme de 14 400$ pour l’enseignement de X[25] et aucune preuve n’a été administrée en défense relativement au fait que ces coûts auraient pu être moindre. En conséquence, le Tribunal accueille cette partie de la réclamation.
[37] En ce qui a trait à la réclamation de 20 000$ en dommages, la preuve prépondérante révèle que X a été victime d’intimidation, telle que définie à l’article 13 LIP et repris dans les plans de lutte de la commission scolaire et de l’école[26] et que la commission scolaire a fait défaut de respecter ses obligations prévues aux articles 75.1 et 96.12 LIP, ce qui a entraîné l’exclusion de X de son milieu scolaire.
[38] La quantification des dommages moraux est un exercice délicat, parfois complexe et forcément discrétionnaire. À cet égard, la Cour d’appel dans l’affaire Larose c. Fleury écrit ceci :
« Les dommages-intérêts compensatoires, qu'ils soient d'ordre moral ou économique, visent à rétablir la victime dans sa position n'eût été de la faute commise à son égard (art. 1611 C.c.Q.). Leur quantification repose sur un exercice certes parfois complexe, mais qui vise essentiellement à comparer la situation de la victime à la suite de la faute par rapport à celle qu'elle aurait été n'eût été de la faute. Il s'agit ensuite de compenser cette nouvelle situation par l'octroi d'un montant d'argent approprié (art. 1616 C.c.Q.). Si pour le dommage économique l'exercice se fait selon une certaine rigueur, il faut reconnaître que la compensation des dommages moraux comporte, souvent, une évaluation approximative qui fait appel, jusqu'à un certain point, à une discrétion judiciaire. »[27].
[39] Pour l’évaluation des dommages réclamés ici, la combinaison des approches conceptuelles, personnelles et fonctionnelles dans leur interrelation permettent au Tribunal d’en arriver à un résultat raisonnable et équitable[28]. C’est par cette interrelation que la perte subie par X de façon personnalisée peut être indemnisée, respectant ainsi la tradition civiliste telle que codifiée à l’article 1611 C.c.Q.
[40] La situation vécue a engendré chez X des sentiments de détresse et d’oppression. Elle a été blessée et opprimée à un âge où l’acceptation de soi passe souvent par l’acception au sein d’un groupe. Or, de par l’inaction de la commission scolaire, c’est la victime qui se trouve exclue de son milieu scolaire. X ne comprend pas pourquoi elle, qui n’a rien fait de mal, se retrouve à la maison sans pouvoir retourner à l’école comme la très grande majorité des enfants de son âge. Elle se sent punie, elle pleure pendant des jours et des jours[29].
[41] Elle demeure pendant plusieurs semaines dans l’attente d’une réponse pour une nouvelle école, sans succès. Personne au sein de la commission scolaire ne l’a aidée, offert un support quelconque ou ne serait-ce qu’un peu de sympathie pour ce qu’elle a vécu. Tant Mme S. que X ont vécu un désengagement complet à l’égard de la situation, personne ne s’en préoccupant vraiment.
[42] X se retrouve coupée de son milieu, suivant sur les réseaux sociaux la vie dont elle est maintenant privée. Elle n’ose plus aller au [Centre A fréquenté par E. et d’autres jeunes de son groupe, ni même au cinéma de peur de les croiser. Voilà bien le genre de situation que le plan de lutte vise justement à prévenir.
[43] Lors de l’audience, X est d’abord réservée dans son témoignage. Le Tribunal sent qu’elle a enfoui cette période malheureuse de sa vie loin dans ses souvenirs qu’elle tente d’oublier. Mais les cicatrices sont toujours présentes et fortes.
[44] L’évaluation des dommages subis en pareils cas n’est pas chose aisée. Ils doivent être évalués selon divers critères : la gravité de la situation subie, la portée sur la victime, la durée et la permanence des effets. Transposer en termes pécuniaires les effets de l’intimidation, de la crainte, de la peur, du stress, de l’exclusion découlant du manquement d’un organisme public à ses propres obligations constituent un exercice délicat et imprécis, relevant d’une certaine discrétion judiciaire.
[45] Il existe peu de précédent en la matière. Dans B.L. c. Labrie[30] la Cour supérieure accorde 20 000$. Dans E.C. c. École Saint-Vincent-Marie[31] c’est une somme de 10 000$ qui est octroyée. Chaque cas est un cas d’espèce et il dépend des faits du dossier et de l’ensemble de la preuve présentée.
[46] Considérant l’exclusion dont a été victime X pendant tout le reste de l’année scolaire et les effets ressentis dont elle a témoigné, de même que sa mère tel que ci-devant relaté, le Tribunal considère que la somme de 15 000$ est ici une compensation juste et raisonnable.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
CONDAMME Lester B. Pearson School Board à payer à Mme ^D… S…, en sa qualité de tuteur de son enfant mineur X, la somme de 29 400$ avec intérêts additionnels prévus à l’article 1619 C.c.Q. depuis le 19 mars 2019;
LE TOUT avec frais de justice.
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_____________________ LOUIS RIVERIN, J.C.Q. |
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Me Philip E. Fine |
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Avocat de la demanderesse |
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Me Thu Mai Nguyen Avocate de la défenderesse |
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Date d’audience : |
29 avril 2021 |
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[1] Afin de préserver la confidentialité des noms des enfants mineurs impliqués, seules des initiales fictives sont utilisées. Les pièces du dossier sont mises sous-scellées suivant ordonnance du juge soussigné.
[2] Détails des évènements pièce P-9 interrogatoire au préalable du 18 juin 2019, p. 18 à 31.
[3] P-9 interrogatoire au préalable p. 33 à 36.
[4] P-9 interrogatoire au préalable p. 36 et P-10 interrogatoire au préalable p-38 à 44.
[5] Pièce P-2 : reçus. Mme S. a témoigné sur ces reçus comme ayant été émis par le professeur privé et qu’elle a payé les sommes y inscrites. La preuve du paiement est recevable et l’objection formulée à cet égard rejetée.
[6] Article 3 LIP
[7] Article 4 LIP
[8] Article 14 LIP
[9] Articles 207.2 et 208 LIP
[10] Article 36 LIP
[11] Articles 75.1 à 75.3 et article 96.12 LIP
[12] Pièces D-1, D-2 et D-12
[13] Pièce D-12 A
[14] D-2 section 4, p.5
[15] D-2 section 7
[16] D-12
[17] D-12 section 1 second point; section 5 premier point
[18] D-5 A
[19] Pièce D-8
[20] Témoignage de Mme Suzanne Day
[21] Beaudoin, Jean-Louis, Deslauriers, Patrice et Moore, Benoît, La responsabilité civile, 9ème éd., volume 1, Cowansville, Éditions Yvons Blais, 2020, p. 180 à 183.
[22] P-10, p. 80 à 83 interrogatoire au préalable
[23] Article 14 LIP
[24] Article 17 LIP
[25] Pièce P-2
[26] D-1, D-2 et D-12
[27] 2006 QCCA 1050 (par. 69)
[28] CINAR Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73 (par. 105 et 106)
[29] P-10, P. 86
[30] 2019 QCCS 4648
[31] 2015 QCCS 5996
AVIS :
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