Décision

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R. c. Minville

2022 QCCQ 8919

COUR DU QUÉBEC

Chambre criminelle et pénale

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 :

500-01-222284-215

 

DATE :

2 décembre 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DENNIS GALIATSATOS, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

Poursuivant - requérant

c.

 

FRANKLIN MINVILLE

Accusé - intimé

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

INSTITUT PHILIPPE-PINEL

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR UNE DEMANDE DE PROROGATION DES DÉLAIS POUR UNE ÉVALUATION SOUS L’ART. 752.1 C.cr.

(art. 752.1(3) C.cr.)

______________________________________________________________________

 

LE CONTEXTE

[1]                Le Tribunal est saisi d’une demande de prorogation du délai pour la confection et le dépôt d’un rapport d’évaluation portant sur la dangerosité du délinquant. La surcharge de travail et le manque d’effectifs sont les seuls motifs au soutien de la demande.

[2]                L’importance du rapport d’évaluation ne peut être surestimée. Selon le libellé clair de l’art. 753(1) C.cr. et une jurisprudence constante[1], le rapport est une condition préalable à une déclaration de délinquant dangereux.

[3]                Le 12 juillet 2022, l’accusé Franklin Minville a plaidé coupable à des infractions d’une gravité inégalée, dont une tentative de meurtre (art. 239(1)(b) C.cr.), des voies de fait graves (art. 268 C.cr.) et des menaces de mort (art. 264.1 C.cr.) à l’égard de Kazimierz Ballue. Selon l’exposé conjoint des faits[2], l’attaque a été préméditée et bien réfléchie.

[4]                Ayant comme but explicite de causer la mort, Minville a localisé la victime, il l’a suivie pendant 30 minutes et lorsqu’il l’a attrapée, il l’a poignardée au visage, à l’abdomen et au dos. Un témoin a dû s’interposer pour mettre fin à l’attaque. C’est par la grâce de Dieu que Ballue a survécu. Pendant son interrogatoire policier, l’accusé a averti qu’il allait tuer la victime à sa sortie de prison.

[5]                Minville a une panoplie d’antécédents judiciaires en matière de violence. Qui plus est, au moment de la tentative de meurtre, il était déjà sous le coup d’une ordonnance de surveillance de longue durée de sept ans (art. 753.1(1) C.cr.), imposée dans le contexte d’une peine pour de multiples extorsions et menaces de mort.

[6]                Le ministère public envisage maintenant de présenter une demande pour une déclaration de délinquant dangereux en vertu de l’art. 753 C.cr. À cette fin, le 23 septembre 2022, il a déposé une requête en renvoi pour évaluation en vertu de l’art. 752.1 C.cr. qui n’était pas contestée par la défense[3]. À cette même date, le Tribunal a accueilli la demande et il a ordonné le renvoi du délinquant à l’Institut Philippe-Pinel pour une période de 60 jours.

[7]                Je note que dans sa requête, le poursuivant-requérant sollicitait une durée de 60 jours. D’ailleurs, à l’art. 752.1(1) C.cr., le législateur a fixé la période maximale à 60 jours avec la possibilité d’obtenir une prorogation d’au plus 30 jours additionnels lorsque des motifs raisonnables le justifient.

[8]                Or, le 18 octobre 2022, le soussigné a reçu une lettre directement de l’Institut Philippe-Pinel indiquant que « l’attribution de la demande d’évaluation » prendra plus de six mois. Cela est sans compter l’évaluation elle-même ou la rédaction du rapport. En fin de compte, selon la preuve entendue à l’audition, on doit envisager des délais qui seront d’environ quatre à cinq fois le délai statutaire maximal. Qui plus est, le dossier de monsieur Minville est loin d’être unique. Au contraire, le problème est généralisé.

LES FAITS

1- Les faits reconnus au moment du plaidoyer de culpabilité

[9]                En août 2021, l’accusé et la victime étaient employés par deux compagnies distinctes responsables de l’entretien des rues de Montréal. Le 8 août 2021 vers 10h15, la victime Ballue balayait le trottoir sur la rue Sainte-Catherine dans le cadre de ses fonctions.

[10]           Tout à coup, un conflit a éclaté entre Ballue et l’accusé. Un témoin indépendant a vu la scène et il s’est approché pour séparer les deux hommes. Le témoin a aussitôt constaté que l’accusé tenait un couteau.

[11]           Minville a saisi Ballue par le cou, tenant le couteau dans l’autre main. Devant le témoin, l’accusé s’est mis à poignarder la victime à plusieurs reprises au visage, à l’abdomen et au dos, entre autres. Ballue criait à l’aide. Dans l’échauffourée, l’accusé a échappé le couteau. Le témoin a vite donné un coup de pied à l’arme pour l’éloigner de l’accusé.

[12]           L’accusé a quitté les lieux à pied, ses vêtements maculés du sang de la victime. Pendant sa fuite, il a tenté sans succès de jeter son chandail dans un drain. Six minutes plus tard, les policiers l’ont localisé dans une ruelle près des lieux, torse nu. Au moment de son appréhension, il a mentionné aux patrouilleurs : « une chance que vous êtes arrivés, car je voulais l’achever ». Le couteau utilisé est un couteau de cuisine dont la lame mesure 16 centimètres[4].

[13]           Dans son interrogatoire après son arrestation, l’accusé a avoué qu’il voulait tuer Ballue car ce dernier aurait manqué de respect à son endroit. Trois jours auparavant, Ballue l’avait traité de paresseux et de mauvais travailleur. Son intention réelle pendant l’agression était de le tuer. Le matin en question, il s’est rendu sur la rue Sainte-Catherine pour voir si la victime travaillait. Après avoir localisé Ballue, l’accusé l’a suivi pendant 30 minutes et il a fait une introduction dans une adresse sur le boulevard Maisonneuve pour y voler un couteau. Il a ensuite rejoint la victime et il l’a poignardée. L’accusé a admis que la victime ne l’a jamais attaqué. Ce n’était donc pas un cas de légitime défense. En outre, l’accusé n’avait consommé aucune drogue ou aucun alcool.

[14]           Enfin, lors de l’interrogatoire, Minville a averti l’enquêteur qu’il allait tuer Ballue à sa sortie de prison.

[15]           La victime a été hospitalisée et son état était critique. Les médecins craignaient pour sa vie. Peu de détails ont été fournis au Tribunal, puisque l’audition sur la détermination de la peine n’a pas encore eu lieu. L’étendue des blessures n’est donc pas encore en preuve. Ceci dit, la poursuite a déposé des photos de la victime prises à l’hôpital quatre jours après la tentative de meurtre[5]. Il appert qu’il a subi plusieurs interventions chirurgicales. Il a de longues lacérations au cou, aux joues, à la bouche et à l’arrière de la tête, près de l’oreille. Il a également de nombreuses lacérations à la poitrine, à l’abdomen, à l’avant-bras et aux côtes. Il porte des blessures défensives aux doigts et aux paumes. Les points de suture sont trop nombreux pour les compter. Sa main droite et son avant-bras droit sont enveloppés d’un énorme pansement.

2- Les antécédents judiciaires de l’accusé

[16]           L’accusé n’en est pas à ses premiers démêlés avec le système judiciaire. Il a un casier judiciaire très chargé qui s’échelonne de 2008 à 2022. La plus récente condamnation (avant sa réincarcération) datait d’à peine trois mois avant la tentative de meurtre. Ses antécédents sont pour une multitude d’infractions, dont plusieurs en matière de violence et plusieurs commises alors qu’il était détenu, notamment :

 

30 mars 2021

 

-Extorsion

-346(1) C.cr.

 

-sentence suspendue.

 

-probation de 2 ans.

 

1er octobre 2015

 

-Vol qualifié

-344(1) C.cr.

 

-2 ans d’emprisonnement.

3 juin 2013

 

-Tentative de proférer des menaces

-264.1 C.cr.

(3 chefs)

 

-18 mois d’emprisonnement consécutifs.

 

12 novembre 2012

-Intimidation d’un participant au système judiciaire

-423.1 C.cr.

 

-1 an d’emprisonnement consécutif.

31 mai 2011

 

-Tentative de proférer des menaces

-264.1 C.cr.

 

-12 mois d’emprisonnement.

4 mai 2011

 

-Extorsion

-346(1) C.cr.

(5 chefs)

 

-Proférer des menaces

-264.1 C.cr.

(7 chefs)

 

-4 ans d’emprisonnement consécutifs à la sentence en cours.

 

-déclaration de délinquant à contrôler selon l’art. 753.1(3) C.cr. et O.S.L.D. d’une durée de 7 ans.

 

2 novembre 2009

 

-Proférer des menaces

-264.1 C.cr.

 

-3 ans d’emprisonnement.

29 janvier 2009

 

-Proférer des menaces

-264.1 C.cr.

(2 chefs)

 

-9 mois d’emprisonnement.

 

-probation de 3 ans.

5 décembre 2008

 

-Proférer des menaces

-264.1 C.cr

(3 chefs)

 

-Harcèlement criminel

-264(1) C.cr.

 

-20 mois d’emprisonnement.

 

-probation de 3 ans.

17 juin 2008

 

-Non-respect de l’ordonnance de sursis

-742.6(9)(d) C.cr.

 

-ordonnance de sursis révoquée.

24 janvier 2008

 

-Incendie criminel causant dommages matériels

-434 C.cr.

(3 chefs)

 

-14 mois d’emprisonnement avec sursis.

 

-probation de 3 ans.

 

[17]           À cela s’ajoutent cinq condamnations pour bris de probation.

[18]           Enfin, le 29 novembre 2022, devant le soussigné, l’accusé a plaidé coupable à l’infraction de voies de fait sur un agent correctionnel (art. 270(1) C.cr.), commise le 1er juin 2022 au centre de détention. Il a aussi plaidé coupable à l’accusation d’avoir omis de respecter une ordonnance de surveillance de longue durée (art. 753.3(1) C.cr.). Les parties ont formulé une recommandation commune quant aux peines à infliger, soit respectivement 12 mois d’emprisonnement et 2 ans d’emprisonnement à être purgés de façon consécutive. Le Tribunal a entériné leur suggestion.

3- Les deux lettres reçues de l’Institut Philippe-Pinel

[19]           Tel qu’indiqué ci-dessus, le Tribunal a ordonné le renvoi pour évaluation le 23 septembre 2022. La durée du renvoi était de 60 jours.

[20]           Le 18 octobre 2022, le soussigné a reçu une première lettre[6] d’Élizabeth Mandeville, cheffe du service de l’accueil, de l’admission et des archives médicales de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel.

[21]           Dans sa lettre, elle informait le Tribunal que « l’attribution de la demande d’évaluation prendrait plus de six mois » [soulignement dans l’original].

[22]           Cette lettre précise qu’une longue liste d’attente a été constituée au courant des dernières années. À la mi-octobre, il y avait 24 accusés en attente d’évaluation en vertu de l’art. 752.1 du Code criminel. Monsieur Minville était le 23e dans la liste d’attente.

[23]           En moyenne, l’Institut recevait environ 40 demandes par année. Cependant, au courant de l’année 2021-2022, plus de 60 demandes ont été acheminées, ce qui était atypique et ce qui surpasse leurs capacités. Compte tenu de la « rareté de leurs ressources » et du contexte pandémique, il leur est impossible de répondre au volume des demandes. En plus des ordonnances relatives aux délinquants dangereux (ou à contrôler), il y a également eu une augmentation importante du nombre d’autres types d’ordonnances d’évaluation psychiatrique, notamment sur la responsabilité criminelle et l’aptitude à subir un procès (arts. 672.11(a)(b) C.cr.).

[24]           La lettre explique ensuite une entente entre le ministère de la Santé et le ministère de la Justice, ainsi que des problèmes de recrutement. Ces extraits méritent d’être cités intégralement :

Il est aussi à prendre en compte qu’une entente survenue avec le MSSS et le MJQ convenait que l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel et l’Institut universitaire de santé mentale de Québec devaient effectuer 15 évaluations avec un financement relié. Cependant, l’entente est outrepassée et le financement insuffisant. Des représentations ont été faites afin de sensibiliser le MSSS et le MJQ. Des travaux ont été aussi faits afin de présenter au MSSS un projet de création d’un département dédié avec des ressources financées et permanentes pouvant assurer une prise en charge suffisante afin de répondre à la demande croissante. Nous sommes en attente de réponse de leur part.

[…]

Nous vous mentionnons aussi du même souffle que seulement six experts pour répondre à l’ensemble des demandes faites pour l’ensemble des districts judiciaires sont habiletés afin d’effectuer ce type d’évaluation. Le mode de rémunération des ressources est clairement un frein au recrutement de nouvelles. De plus, de ces ressources, deux prendront leur retraite dans une optique de moins de 18 mois et les autres ont toutes des activités professionnelles parallèles au traitement de ces demandes.

[25]           Environ un mois plus tard, le 11 novembre 2022, madame Mandeville a envoyé une deuxième lettre – non sollicitée – au soussigné[7]. L’accusé dans le présent dossier est maintenant rendu 22e dans la liste d’attente.

[26]           Cette deuxième lettre est semblable à la première, quoique certaines parties sont notablement absentes. Le paragraphe énonçant l’estimation d’un délai de plus de six mois a été retiré.

[27]           Également retiré est le paragraphe référant à l’entente survenue avec le MSSS et le MJQ qui est outrepassée, ainsi que le financement insuffisant.

[28]           Enfin, bien que le paragraphe référant au nombre de psychiatres soit maintenu, on y a retiré les phrases mentionnant les difficultés de recrutement en raison du mode de rémunération, ainsi que la phrase annonçant la retraite prochaine de deux des six experts qualifiés.

4- Le témoignage de madame Mandeville, cheffe de service à l’Institut PhilippePinel

[29]           Le contenu de ces lettres était troublant. Plus étonnantes encore étaient les modifications dans la deuxième lettre et le fait que des informations avaient été soigneusement retirées.

[30]           En raison de ces lettres, le Tribunal a écrit aux parties à deux dates distinctes. D’abord, le 2 novembre 2022, j’ai demandé qu’un représentant du bureau du Procureur général du Québec soit convoqué pour l’audition du 28 novembre 2022, car j’aurais les questions suivantes à lui poser :

  • Quelles démarches concrètes avaient été prises par le Gouvernement du Québec pour rectifier la situation;
  • Quelle est la durée des délais en Ontario pour des demandes semblables; et
  • Y a-t-il des experts-psychiatres bilingues disponibles en Ontario pour pourraient procéder à l’évaluation de monsieur Minville?

[31]           Dans un autre courriel daté du 11 novembre 2022, j’ai avisé la Couronne que j’avais plusieurs questions à la suite de la lecture de la deuxième lettre. Sans ordonner la présence de quiconque, j’ai invité la Couronne à évaluer si elle désirait convoquer madame Mandeville comme témoin au soutien de sa demande de prolongation.

[32]           Madame Mandeville s’est effectivement présentée à l’audition du 28 novembre 2022, qui a dû être annulée pour les motifs exposés ci-dessous. Elle est revenue à la cour le 29 novembre. Dans son témoignage, madame Mandeville confirme que le problème est effectivement généralisé.

[33]           Son rôle est d’assurer la coordination, la réception et le traitement des demandes. Elle exerce ces fonctions depuis trois ans.

[34]           Elle explique que le nombre de demandes d’évaluation en vertu de l’art. 752.1 C.cr. a explosé dans les deux dernières années. Depuis les 5 dernières années, l’Institut recevait en moyenne 40 demandes par année. Or, pour des raisons partiellement identifiées, entre avril 2020 et mars 2021, il y a eu 60 demandes.

[35]           Il s’agit donc, selon elle, d’un phénomène récent, imprévisible et accablant. Elle n’avait jamais vu autant de demandes par le passé. Elle donne notamment l’exemple du mois de juillet 2020, pendant lequel elle a reçu 20 demandes en l’espace de 5 semaines.

[36]           Appelée à identifier les causes de cette augmentation soudaine, elle ne peut que spéculer. Dans le contexte de diverses rencontres et divers comités, les intervenants du système identifient notamment l’avènement du mouvement #MeToo. Ce phénomène aurait causé une augmentation importante dans le nombre de dossiers à caractère sexuel.

[37]           La paralysie du système judiciaire engendré par la COVID-19 est également mentionnée, quoique le témoin précise que les évaluations n’ont jamais cessé pendant la pandémie. Même pendant la période intense de mars 2020, les évaluations se poursuivaient par visioconférence. Ils étaient donc en mesure de répondre à la demande.

[38]           Depuis cinq ans, il y a toujours eu six experts désignés pour effectuer ces évaluations. Tout récemment, en août 2022, l’un d’entre eux a quitté ses fonctions. Il n’en reste donc que cinq.

[39]           Dans les dernières années, avant que les retards deviennent problématiques, les délais moyens étaient d’environ 120 jours pour une évaluation.

[40]           Actuellement, le délai est rendu à plus de six mois.

[41]           Depuis novembre 2021, madame Mandeville « tire la sonnette d’alarme ». Elle fait tout ce qu’elle peut pour améliorer la situation. Elle supplie le centre de psychiatrie à Québec pour des renforts. Elle perçoit qu’elle a beaucoup d’écoute, mais rien de concret n’a encore été fait.

[42]           Monsieur Minville est maintenant rendu au 17e rang dans la liste d’attente. Malgré tout, le délai anticipé est encore de six mois additionnels, à compter d’aujourd’hui. Ceci serait simplement pour assigner un expert, qui devra ensuite procéder à l’évaluation ellemême.

[43]           Madame Mandeville gère toutes les demandes selon ordre chronologique de leur réception. L’Institut est réfractaire à toute forme de « mise en priorité » de dossiers, car chaque accusé/avocat/procureur/juge considérerait que son dossier est plus prioritaire que les autres.

[44]           Appelée à identifier le problème, sa réponse est non équivoque : il manque des ressources à l’Institut Philippe-Pinel. Le mot « ressources » est bien défini. Il manque des psychiatres et des psychologues spécialisés en matière sexuelle qui seraient qualifiés à traiter de telles demandes. Idéalement, l’Institut aimerait avoir un (ou des) psychiatre(s) désigné(s) à temps plein pour ces évaluations. Actuellement, les mêmes médecins sont appelés à effectuer plusieurs autres tâches, y compris les évaluations quant à l’aptitude à subir un procès (art. 672.11(a) C.cr.) et la responsabilité criminelle (art. 672.11(b) C.cr.).

[45]           Appelée à élucider sa remarque dans la lettre R-1 au sujet de la rémunération qui nuit au recrutement, elle explique que le mode de rémunération actuel des psychiatres légistes à l’Institut n’est pas avantageux par rapport aux autres psychiatres, compte tenu de la nature de leurs fonctions.

[46]           Appelée à éclaircir la question du financement insuffisant auquel elle réfère dans la lettre R-1, elle explique qu’une entente conclue avec le gouvernement en 2011 n’a jamais été bonifiée. Ladite entente prévoyait une rémunération de 100 000 $ pour que l’Institut Philippe-Pinel complète 15 demandes par année. Or, l’institut en complète plus de 35 par année en moyenne. Quant aux travaux entamés pour gérer cette situation, madame Mandeville attend toujours des nouvelles.

[47]           Elle précise que depuis des années, l’Institut Philippe-Pinel travaille pour avoir un financement supplémentaire et adéquat dans ce dossier.

[48]           Malheureusement, étant donné le manque criant de ressources, ça prendra jusqu’à deux ans pour reprendre le contrôle des délais.

[49]           Le Tribunal lui demande combien de temps passera avant que l’on puisse atteindre la cible du délai statutaire de 60 jours prévu à l’art. 752.1 du Code. Le témoin répond que ce sera dans trois ans, vu l’état actuel des ressources.

5- Les représentations du Procureur général du Québec et de l’Institut PhilippePinel

[50]           Certains faits ont été mis en preuve, avec le consentement des parties, par le biais de représentations non contestées du bureau du Procureur général du Québec.

[51]           D’abord, la situation en Ontario a été examinée. Leur système est structuré de manière fondamentalement différente. Plutôt que d’avoir un hôpital désigné, le Procureur général ontarien détient une courte liste de psychiatres spécialisés qui s’adonnent à des analyses de dangerosité selon l’art. 752.1 C.cr. Ces psychiatres ne sont pas rattachés à un hôpital en particulier.

[52]           Actuellement, le système judiciaire ontarien n’éprouve aucun problème à respecter les délais statutaires prévus à l’art. 752.1(1) du Code. La problématique n’existe tout simplement pas.

[53]           Toujours par le biais de représentations, le procureur du mis en cause assure le Tribunal que le gouvernement est au courant du problème et qu’il y consacre les ressources nécessaires pour trouver une solution. Le gouvernement identifie le problème comme étant « avant tout » un problème de disponibilité de candidats spécialisés au Québec pour des postes peu attrayants.

[54]           Le ministère de la Santé et le ministère de la Justice tiennent des rencontres et ils travaillent pour trouver un plan pour résoudre le problème.

[55]           Malheureusement, dans l’immédiat, le gouvernement du Québec n’a aucune solution à proposer. Toutefois, le mis en cause m’assure que le problème est pris au sérieux.

[56]           Pour sa part, l’avocate de l’Institut Philippe-Pinel explique que des vérifications ont été faites quant au nombre d’évaluations demandées en Ontario. Ses recherches ont révélé qu’en Ontario, ainsi que dans toutes les autres provinces au Canada, le nombre de demandes d’évaluation a baissé pendant la pandémie. Ce n’est qu’au Québec qu’elles ont augmenté.

[57]           En Ontario, les demandes n’ont jamais dépassé le seuil des 40 évaluations par année.

LA POSITION DES PARTIES

[58]           La procureure de la défense est dans une situation déontologique délicate. Elle exprime que la situation est déplorable, mais elle ajoute qu’elle n’a pas le mandat de contester la demande de prolongation de la Couronne. Ses représentations étaient donc très succinctes.

[59]           Il va de soi que l’acquiescement formel de l’accusé à la prolongation n’est pas déterminant.

[60]           Le procureur du Directeur des poursuites criminelles et pénales présente ses arguments avec modération, professionnalisme et conviction, quoique l’on puisse aussi déceler un certain sentiment de découragement de sa part. Au service de l’institution indépendante du DPCP, les procureurs de la Couronne doivent, eux aussi, composer avec le manque criant de ressources, notamment en ce qui a trait aux psychiatres légistes. Le procureur ne peut justifier les lacunes institutionnelles du système. Ce n’est pas son rôle de le faire. Il n’est pas un agent politique. Il se trouve plutôt dans une position difficile, entre l’arbre et l’écorce. Il désire pouvoir présenter sa requête en déclaration de délinquant dangereux (si les conclusions du rapport s’y prêtent), une démarche tout à fait appropriée. En même temps, il est visiblement mal à l’aise de demander au Tribunal d’ignorer une disposition de la loi.

[61]           Tout de même, le procureur souligne que l’accusé Minville ne subirait absolument aucun préjudice si la demande de prolongation était accueillie. L’accusé sera incarcéré pour une période minimale de trois ans d’emprisonnement en raison de son agression de l’agent correctionnel. Par ailleurs, la Couronne annonce demander une peine de plus de 10 ans d’emprisonnement supplémentaires pour la tentative de meurtre. Il soutient donc que l’absence de préjudice est déterminante, selon la jurisprudence citée.

[62]           Le procureur ajoute que l’accusé a déjà démontré par son comportement une incapacité flagrante de contrôler son comportement violent. Ainsi, on doit tout faire pour éviter qu’il tombe entre les mailles du filet à ce stade.

[63]           La Couronne me demande donc de prolonger le renvoi de 60 jours. Quand le Tribunal souligne qu’une telle ordonnance serait totalement futile, le procureur le reconnaît avec beaucoup d’humilité. Il augmente alors sa demande à une prolongation de 90 jours. Or, selon la preuve non contredite, une telle demande serait tout aussi futile.

[64]           Quant à l’avocat du Procureur général du Québec, il tente de rassurer le Tribunal en insistant sur le fait que des appels ont été faits. Les préoccupations du Tribunal ont été entendues – haut et fort – par les acteurs haut placés du gouvernement et ce, avant même l’audition du 29 novembre 2022. Dès la réception du courriel du Tribunal convoquant un représentant du Procureur général, ils ont compris que la situation était urgente. Il ajoute que le gouvernement est activement en train d’essayer de trouver des solutions.

LE DROIT

[65]               Malgré le libellé clair des alinéas 752.1(1) et 752.1(3) C.cr., une prolongation audelà du délai maximal cumulatif de 90 jours demeure possible.

[66]               Le ton du législateur est directif. Il énonce que le juge « doit » [« shall »] rendre une ordonnance pour une « période maximale de 60 jours » [« a period not exceeding 60 days »]. Malgré ce libellé, il ne prévoit pas explicitement les conséquences du nonrespect de ces termes pourtant apparemment impératifs. Il appartient donc aux tribunaux d’analyser la portée du « shall ».

[67]               Dans les arrêts R. c. Larrivée[8], R. c. Gladu[9] et R. c. Barkley[10], la Cour d’appel du Québec a énoncé que les délais pour l’évaluation et pour la confection du rapport prévus à l’art. 752.1 C.cr. sont procéduraux et non substantifs. Ainsi, en l’absence de préjudice, leur non-respect n’entraînera pas la nullité de la procédure de déclaration de délinquant dangereux.

[68]               Ceci dit, dans les trois cas, la question d’accorder ou de refuser une prolongation n’était pas la question en litige[11]. Qui plus est, en aucun cas la Cour d’appel n’a-t-elle statué qu’un juge de première instance est tenu d’accorder une prolongation.

[69]               Dans Larrivée, les délais n’étaient pas en jeu. L’accusé se plaignait plutôt du fait qu’un rapport d’évaluation datant de 2013 (pour un dossier antérieur) avait été déposé dans son nouveau dossier de 2015. À tout événement, en première instance, il avait consenti au dépôt dudit rapport et à la désignation de délinquant à contrôler, qui était d’ailleurs le fruit d’une suggestion commune. La Cour d’appel a rejeté son appel.

[70]               Dans Gladu, il n’y avait jamais eu de demande de prolongation. La Cour d’appel n’a donc pas eu à juger de l’opportunité d’accorder une telle demande. L’accusé avait plutôt été gardé sous garde au-delà de la période prévue à l’ordonnance du juge. C’est dans ce contexte que la Cour a conclu que le non-respect des délais n’invalidait pas la procédure entière. En décidant ainsi, la Cour d’appel a noté l’absence de préjudice, soulignant qu’une personne gardée en évaluation au-delà de la période prévue à l’ordonnance avait d’autres recours, notamment : requérir un bref d’habeas corpus, refuser de demeurer à l’Institut Philippe-Pinel plus longtemps sous garde et exiger que l’audition sur la peine ait lieu sans attendre la confection du rapport.

[71]               Qui plus est, je note que monsieur Gladu avait consenti à sa détention excédentaire en première instance ainsi qu’à sa désignation de délinquant à contrôler. Il avait tout simplement changé d’idée en appel. Pour ces motifs, la pertinence de cet arrêt est limitée en l’espèce.

[72]               Enfin, dans Barkley, c’était les exigences de l’art. 754(1) C.cr. qui faisaient l’objet du litige. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[73]               L’affaire R. c. Pauzé[12] s’applique plus directement au présent dossier. En dépit des objections de l’accusé, le juge de première instance avait accordé de nombreuses prolongations en raison du manque de ressources à l’Institut Philippe-Pinel et du contexte de la pandémie de COVID-19. La Cour supérieure a rejeté une demande de bref de certiorari au motif que les délais prévus à l’art. 752.1 C.cr. étaient procéduraux et non substantifs. L’accusé ne s’était pas déchargé de son fardeau de démontrer un préjudice, entre autres, parce qu’il encourait une longue peine d’emprisonnement[13].

[74]               Quelques observations s’imposent au sujet de cette décision. D’abord, la situation pandémique en décembre 2021 n’était pas la même qu’elle l’est aujourd’hui dans le dossier en l’espèce. En outre, la décision ne précise pas quelle était la preuve devant le juge de première instance. Ce manque de détail rend difficile l’exercice de comparer la situation actuelle à celle qui régnait à l’époque en décembre 2021. Il est également impossible de déterminer si l’État a pris des démarches correctives depuis décembre 2021. Il est surtout difficile de déterminer, à la lecture de la décision de la Cour supérieure, s’il y avait des problèmes systémiques et une inaction de la part de l’État.

[75]               De plus, par sa décision, la Cour supérieure a tout simplement refusé d’émettre le recours extraordinaire. Nulle part dans la décision n’indique-t-elle qu’a contrario, les juges de première instance sont tenus d’accorder les prolongations.

[76]               S’il est donc clair qu’un juge peut accorder une prolongation, il est tout aussi clair qu’il n’est pas tenu à l’accorder, ce qu’a confirmé la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’arrêt R. v. A.H.[14].

[77]               Le juge possède un pouvoir discrétionnaire qui doit, indubitablement, être exercé de façon judiciaire et dans les limites des principes de droit applicables. Les demandes ne doivent pas être automatiquement accordées, mais elles ne doivent pas non plus être refusées pour des motifs capricieux, arbitraires ou non pertinents.

[78]               Quant au critère applicable, je partage l’avis du juge Renke dans l’affaire R. v. Scrivens lorsqu’il exprime que le dépassement des délais statutaires doit être exceptionnel et justifié au cas par cas[15]. Des explications détaillées doivent être fournies au Tribunal et la nature des actions et des omissions de l’État doit être scrutée[16]. Il ajoute :

… s. 752.1(3) is meaningless if non-compliance is excused without application for an extension…

Recognition of a discretion promotes the importance of standardization and regulation by requiring an examination of the circumstances to determine whether or not further proceedings are merited[17].

[79]               Dans l’affaire R. v. McDonald, en décidant d’accorder la prolongation, le juge Fitch (siégeant alors à la Cour supérieure) a considéré que le retard n’était pas causé par des délais systémiques, « the consequences of which should be closely monitored by the court »[18]. Je partage sans réserve cet avis. Incidemment, dans l’affaire McDonald, le retard découlait d’un simple imbroglio. Le psychiatre saisi de la demande avait mal compris le délai indiqué sur l’ordonnance. Il n’y avait eu aucune négligence de la part de la Couronne ou de l’hôpital psychiatrique[19].

[80]               La même situation s’est produite dans l’arrêt R. v. Howdle, qui est devenu l’un des arrêts de principe au Canada au soutien de l’approche flexible. Le psychiatre s’était tout simplement trompé en lisant mal la date d’échéance indiquée à l’ordonnance. Une prolongation de 30 jours a été accordée pour lui permettre de terminer son rapport[20]. La situation est fort différente en l’espèce.

ANALYSE ET DÉCISION

[81]           Même s’il est évident, il me paraît nécessaire de mentionner d’emblée, dans les termes les plus clairs, que le Tribunal ne reproche absolument rien à madame Mandeville. Sa bonne foi, ses efforts et son dévouement envers le système de justice et le bon fonctionnement de l’Institut Philippe-Pinel sont indiscutables. Son témoignage était empreint de sincérité, de passion et d’exaspération. La même remarque s’applique au personnel de l’Institut, particulièrement les psychiatres judiciaires qui font preuve d’efforts soutenus et de travail acharné dans des conditions manifestement difficiles. Leur engagement est solide et inébranlable.

[82]           Ils ne sont pas la cause du problème. Ils sont plutôt, eux aussi, victimes de la situation.

[83]           Ceci dit, selon la preuve présentée, il est futile d’espérer que l’évaluation de monsieur Minville sera complétée et le rapport déposé d’ici huit mois. Ajoutés aux 2 mois déjà écoulés, cela nous amènerait – dans le meilleur des scénarios – à une attente de 10 mois pour un rapport qui est censé être prêt en 60 jours. Le délai statutaire usuel de 60 jours est déjà passé et le processus d’évaluation n’a pas encore débuté. Il n’est pas sur le point de débuter non plus.

[84]           Il est regrettable de constater que les délais catastrophiques dans le présent dossier ne sont pas exceptionnels. Au contraire, ils sont la norme et il n’y a actuellement aucune mesure concrète prise pour affronter le problème.

[85]           Il y a donc lieu de scruter les actions et/ou omissions de l’État afin de déterminer si la situation résulte de problèmes systémiques ou d’un manque injustifié d’empressement.

[86]           Quels efforts concrets ont été déployés?

[87]           Ayant entendu la preuve et les représentations des parties, le Tribunal conclut que le gouvernement n’a pas agi avec le sentiment d’urgence qui s’impose.

[88]           D’emblée, personne ne met en question l’augmentation inédite du nombre de dossiers d’évaluation. En 2020-2021, l’Institut Philippe-Pinel a reçu 60 demandes, contrairement aux 40 demandes annuelles habituelles. La preuve est claire à cet égard, quoiqu’il soit très difficile d’identifier ce qui a causé ce phénomène. Rappelons que dans toutes les autres provinces au Canada, y compris l’Ontario (qui est la plus peuplée), les chiffres sont soit stables soit à la baisse.

[89]           Le témoignage de madame Mandeville n’a pas permis de clarifier les causes davantage. Ce n’est pas un reproche. Il est normal qu’elle ne connaisse pas toutes les réponses. Elle n’est que la messagère. C’est elle qui reçoit les demandes au point de chute. Toutefois, comme elle le souligne dans son témoignage, elle ne fait pas partie du processus décisionnel au sein de chaque bureau de la Couronne qui choisit quels dossiers soumettre. Chose certaine, il est anormal à première vue qu’en Ontario, province qui compte 14.5 millions d’habitants et des centres métropolitains majeurs avec des problèmes de criminalité, il y ait beaucoup moins de demandes annuelles d’évaluation qu’au Québec. Certes, la discrétion du DPCP dans son choix de dossiers à soumettre est entière. Elle n’est pas assujettie à la révision ou au contrôle par les tribunaux[21]. Cependant, une remise en question s’impose peut-être dans leurs critères internes de sélection.

[90]           Je suis surtout réticent à présumer que les procureurs de la Couronne ontariens sont moins soucieux de la sécurité de leurs communautés que ceux du Québec.

[91]           Le phénomène #MeToo a été évoqué à l’audience. Avec égards, malgré les explications données, le Tribunal n’est pas en mesure d’apprécier la relation entre le mouvement #MeToo et le nombre de nouvelles demandes.

[92]           À tout événement, tel qu’indiqué ci-dessus, indépendamment de la cause de l’augmentation, les chiffres ne mentent pas.

[93]           Minimalement, le problème pressant existe depuis l’été 2020. Cela fait plus de deux ans. Pourtant, aujourd’hui, il y a moins de psychiatres désignés qu’il y avait à l’époque, alors qu’une augmentation des effectifs aurait dû suivre la tendance. La prolifération des dossiers aurait dû inciter les autorités à agir rapidement et efficacement. Elles ne l’ont pas fait.

[94]           Déjà en juillet 2020, quand l’Institut a été bombardé de 20 demandes en 5 semaines, l’État aurait dû appuyer sur l’accélérateur pour augmenter les effectifs et trouver des solutions. C’était il y a deux ans et demi.

[95]           En mars 2021, lorsque le bilan annuel a établi que le nombre de dossiers était passé de 40 à 60, l’État aurait dû appuyer sur l’accélérateur. C’était il y a plus d’un an et demi.

[96]           Depuis novembre 2021, madame Mandeville tire la sonnette d’alarme. Un an plus tard, l’État n’a toujours rien augmenté au niveau des ressources. Elles ont plutôt diminué, étant donné le départ de l’un des six experts.

[97]           Soit dit en passant, selon la preuve, même avant l’augmentation inexpliquée des demandes (donc avant 2020), les délais moyens étaient de 120 jours pour une évaluation. Est-il nécessaire de rappeler que le délai statutaire de base est de 60 jours? Le Tribunal croit nécessaire de signaler qu’il n’y a aucune raison de niveler par le bas en tentant de rétablir des délais qui étaient déjà inadéquats.

[98]           Depuis des années, l’Institut Philippe-Pinel dénonce que l’entente de 2011 entre le MSSS et le MJQ est désuète et que le financement est insuffisant. Des « travaux sont entamés », mais rien de concret n’a abouti.

[99]           Même si la jurisprudence est claire que les échéanciers statutaires ne sont pas des carcans, on ne peut non plus nonchalamment jeter aux poubelles l’art. 752.1. Malgré toute la flexibilité que permet la jurisprudence, le Parlement ne parle pas pour ne rien dire. En 2008, l’art. 752.1 C.cr. a été amendé par la Loi sur la lutte contre les crimes violents[22]. Deux modifications ont alors été portées au régime préexistant. D’abord, l’alinéa (3) a été ajouté, permettant une prolongation d’au plus 30 jours. De plus, l’alinéa (2) a été amendé pour augmenter le délai de dépôt du rapport (c’est-à-dire, après la fin de l’évaluation) de 15 à 30 jours.

[100]       Fait à noter : le législateur a laissé intact l’alinéa (1) qui prévoit le délai de base maximal de 60 jours. Il aurait pu l’augmenter. Il a plutôt choisi de le maintenir.

[101]       En ce sens, je n’ai ni l’intention ni le pouvoir d’abroger un alinéa du Code criminel pour excuser l’incapacité systémique de l’État de se conformer à la loi.

[102]       Même si l’objectif des délais établis à l’art. 752.1 C.cr. est limité à uniformiser le processus d’évaluation[23], il demeure un objectif important qui ne doit pas être banalisé. Il vise à standardiser et à contrôler le processus en imposant un échéancier concret et connu tout en réduisant les délais déraisonnables ou injustifiés à leur minimum.

[103]       Bien sûr, gouverner n’est pas une tâche aisée à accomplir. Des choix difficiles doivent être faits. Ces choix-là n’appartiennent pas aux tribunaux. Comme le soulignait la Cour d’appel dans l’arrêt Ville de Westmount c. Québec(P.G.), « il n'est peut-être pas inutile de rappeler, si besoin est, que la Cour, comme toutes les cours de justice au Canada, ne doit pas s'immiscer dans les choix politiques des gouvernements et des législateurs »[24].

[104]       Au même chapitre, il est évident que les tribunaux ne peuvent enjoindre à l’exécutif de verser quelque somme que ce soit, prélevée sur le trésor[25]. Le Tribunal n’a aucune intention de s’ingérer dans la gestion du système de justice pénale par le gouvernement du Québec, dans l’attribution des ressources, dans la rémunération ou le recrutement des agents publics. En l’espèce, la preuve non contredite démontre que le mode de rémunération des psychiatres et psychologues à l’Institut est « clairement un frein au recrutement » de nouveaux évaluateurs. L’État décidera ce qu’il veut retirer de ce constat.

[105]       Toutefois, il s’inscrit pleinement dans les tâches des tribunaux de déceler (et de dénoncer, le cas échéant) des violations systémiques et grossières des dispositions statutaires entraînant des conséquences sur les droits des accusés et sur l’intégrité du système judiciaire.

[106]       Or, si la solution préconisée de l’État est d’ignorer – de façon routinière – le texte clair d’une disposition législative, cela est révélateur d’un problème fondamental qui est difficile à ignorer. C’est essentiellement ce que proposent le requérant et le mis en cause en l’espèce. Le Tribunal ne peut cautionner une telle pratique qui serait antagonique à la primauté du droit.

[107]       L’inaction n’est pas une solution. L’inaction est plutôt le problème.

[108]       Accorder une prolongation dans de telles circonstances encouragerait une culture de complaisance étatique vis-à-vis les délais, ce qui est une approche à proscrire. Il est inacceptable que rien n’ait été fait depuis les deux derniers ans. Il est tout aussi inacceptable qu’au moment de l’audition de la demande, le bureau du Procureur général demande au Tribunal de lui faire confiance en affirmant qu’il prend la situation au sérieux et qu’il y attribue « les ressources nécessaires », tout en reconnaissant du même souffle qu’il n’a aucune solution à proposer.

[109]       Le contexte général actuel du système de justice pénale dans le district de Montréal est pertinent et peu rassurant à cet égard. Quotidiennement, le manque de personnel fait en sorte que plusieurs salles de cour de la Chambre criminelle sont soit fermées, soit ouvertes à des heures déraisonnablement tardives. Les justiciables, les témoins, les victimes et les avocats en souffrent. La situation est dénoncée publiquement depuis plusieurs mois. Pourtant, toute amélioration est lente à venir. Au contraire, la situation semble se détériorer davantage. Greffières, adjointes, interprètes, sténographes, constables, agents de détention ont tous atteint des niveaux de pénurie accablants.

[110]       Il est difficile de ne pas constater un délaissement généralisé de la justice.

[111]       Ironiquement et lamentablement, le matin du 28 novembre 2022 quand la présente demande devait être entendue, la salle de cour du soussigné ne pouvait pas s’ouvrir, étant donné le manque de greffière audiencière. Le jour en question, pas moins que 10 salles d’audience étaient incapables d’ouvrir. Dossiers reportés, dossiers retardés, système paralysé Il s’agit d’un jeu de loterie déplorable par lequel les justiciables se déplacent au palais de justice, espérant qu’ils auront le « privilège » de procéder à la date qui leur avait été promise. Ceci est déplorable. Le 28 novembre, le personnel du bureau de la coordination a dû se résigner, encore une fois, à jouer au Tetris avec la projection. Malgré ses efforts soutenus toute la journée et malgré des essais d’échanger des greffières entre les juges comme des denrées recherchées, aucune greffière ne s’est matérialisée. La journée entière a été perdue. La situation est plus qu’inacceptable.

[112]       Cette situation généralisée affaiblit grandement toute motivation du Tribunal d’être indulgent envers les délais causés par le manque de ressources étatiques allouées à l’Institut Philippe-Pinel.

[113]       Le fait que les délais de ces évaluations soient généralisés est un facteur important dans l’analyse. Par analogie, en matière d’exclusion de preuve en vertu de l’art. 24(2) de la Charte, les tribunaux tiendront compte du fait qu’une violation est systématique, délibérée ou grossière. Au même effet, lorsqu’un accusé sollicite un arrêt des procédures en vertu de l’art. 24(1) de la Charte, les tribunaux évalueront si les violations sont systémiques, répétées, constantes, dénoncées ou décriées. Les tribunaux, gardiens de la Charte, doivent agir s’ils constatent que l’État adopte un système qui compromet les droits des justiciables[26].

[114]       Pourquoi serait-il différent ici, dans le contexte d’une demande de prorogation?

[115]       Naturellement, les parties invoquent les problèmes engendrés par la pandémie. Il est incontestable que la COVID-19 a présenté de nombreux défis inédits pour tous les paliers du gouvernement et tous les aspects de notre système judiciaire. Par ailleurs, la pandémie ne doit pas servir de carte blanche ou de bouc émissaire perpétuel. La COVID19 a fait son apparition au Canada en janvier 2020. Elle est donc présente depuis bientôt trois ans. Les acteurs du système doivent s’ajuster à cette nouvelle réalité.

[116]       L’Ontario a été confronté au même virus. Pourtant, aujourd’hui, l’Ontario n’est pas aux prises avec un problème de délais pour ses évaluations en vertu de l’art. 752.1 C.cr.

[117]       Il est injustifiable qu’une évaluation au Québec nécessite 8 mois alors que la même évaluation en Ontario peut être faite en 60 jours.

[118]       Il est inacceptable que la situation au Québec ne sera rétablie qu’en trois ans, alors qu’en Ontario, lundi prochain, la situation sera normale. Le contraste est bouleversant.

[119]       Le DPCP souligne avec raison que la question du préjudice est importante. Elle demeure une considération pertinente et ce, jusqu’à ce qu’un tribunal d’appel ne l’exclue clairement, comme l’a fait la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Jordan[27] en lien avec l’art. 11(b) de la Charte. Entre-temps, la jurisprudence applicable identifie le préjudice comme un facteur important, parfois prépondérant.

[120]       Par ailleurs, à mon avis, ce facteur ne sera pas toujours déterminant.

[121]       En l’espèce, je reconnais que Minville encourt une très longue peine d’emprisonnement pour l’infraction de tentative de meurtre. Indépendamment de la question de l’évaluation, il demeurera détenu à moyen et à long terme. Rappelons que le 29 novembre 2022, suivant la suggestion commune des parties, le Tribunal lui a infligé une nouvelle sentence de trois ans d’emprisonnement. Ainsi, il purge actuellement une longue peine de détention. Je conclus donc que le préjudice personnel et concret subi par l’accusé serait minime si la demande de prolongation était accordée. Toutefois, la question ne s’arrête pas là.

[122]       D’abord, l’argument est quasi tautologique. Dans la grande majorité des cas, les délinquants susceptibles de faire l’objet d’un renvoi en vertu de l’art. 752.1 C.cr. se voient imposer des peines d’emprisonnement considérables. Le DPCP n’entame pas ce type de procédures pour quelqu’un qui risque une peine de quatre mois d’emprisonnement. Autrement dit, la Couronne pourra toujours prétendre que « le préjudice est minime car l’accusé demeurera détenu de toute façon ». Un tel argument en bloc viendrait systématiquement neutraliser la portée des arts. 752.1(1) et 752.1(3). Une telle approche est contraire à l’intention du législateur et à la jurisprudence qui énonce que les prolongations doivent être exceptionnelles et individuellement justifiées.

[123]       D’autre part, il n’est pas inutile de rappeler, comme le soulignait la Cour suprême dans l’arrêt Jordan, que la société a aussi un intérêt à ce que les accusés soient jugés rapidement et équitablement. L’art. 720 du Code criminel abonde dans le même sens : le Tribunal doit procéder à la détermination de la peine dans les meilleurs délais possibles suivant la déclaration de culpabilité du délinquant. En l’espèce, l’accusé a plaidé coupable en juillet 2022. Quatre mois se sont déjà écoulés depuis le verdict de culpabilité. Au moins six mois de plus seraient à prévoir pour qu’un psychiatre soit affecté à son dossier. Quelques mois additionnels seraient requis pour l’évaluation elle-même et la rédaction du rapport.

[124]       Kazimierz Ballue, la victime qui a frôlé la mort, a droit, lui aussi, à son « day in court ». Il a le droit de tourner la page dans ce chapitre traumatisant de sa vie.

[125]       C’est donc avec le cœur lourd que le Tribunal arrive à la conclusion qu’une prolongation des délais serait inappropriée. Je suis conscient du fait que l’objectif principal du régime applicable aux délinquants dangereux est la protection du public[28].

[126]       Or, il se peut fort bien que monsieur Minville soit dangereux et intraitable. Sa feuille de route est effectivement très alarmante. Rappelons qu’il a commis ces crimes brutaux alors qu’il était déjà sous le coup d’une ordonnance de surveillance, une mesure qui est en soi rare et réservée aux personnes dangereuses. La possibilité qu’il soit déclaré délinquant dangereux aurait été bien réelle; la défense n’a même pas contesté la demande de renvoi (quoiqu’elle aurait contesté la question de la désignation au fond). Dans les circonstances, sa libération éventuelle pourrait bel et bien mettre en péril la sécurité de la communauté.

[127]       Malencontreusement, c’est le cas de presque tous les accusés qui font l’objet de telles demandes de renvoi. La clientèle visée est composée de personnes qui sont – potentiellement – parmi les plus dangereuses pour la sécurité d’autrui. Le ministère public ne présente pas ces demandes à la légère. Cette réalité devrait servir de motivation pour l’État à mobiliser les ressources requises pour assurer le fonctionnement sain et efficace du régime.

[128]       Selon la preuve entendue, cette motivation semble, jusqu’à présent, nettement déficiente.

[129]       Je reconnais que cette portion de mon analyse contredit celle privilégiée par le juge Renke dans l’affaire R. v. Scrivens. Dans cette décision, prenant compte de la primauté de la protection du public, le juge a conclu que cet intérêt l’emportera toujours. C’est-à-dire, on ne pourra jamais en toute conscience justifier le fait d’exposer le public à un danger comme conséquence d’un « simple » non-respect d’échéanciers procéduraux[29]. Je peux aisément comprendre le raisonnement du juge, qui est louable à plusieurs égards et qui se prêtait bien à sa juridiction et à l’époque où il a rendu sa décision.

[130]       Cependant et avec égards pour l’opinion contraire, le juge Renke n’était pas confronté à la situation désastreuse qui sévit dans le district de Montréal. L’évaluation dans Scrivens a été complétée 12 jours en retard et le dépôt du rapport a été fait 10 jours en retard. Le retard découlait d’erreurs cléricales sur le procès-verbal qui identifiaient mal les dates pertinentes. On peut donc facilement comprendre l’indulgence du juge Renke et sa préoccupation arrêtée pour la sécurité du public. Malgré tout, il a rendu une décision de 38 pages justifiant ce léger délai excédentaire.

[131]       Le présent dossier est à des années-lumière d’un tel scénario.

[132]       Donner une carte blanche à l’État ici encouragerait la complaisance.

[133]       Dans la mise en balance des intérêts, je considère que le ministère public dispose tout de même d’autres mesures alternatives pour tenter de protéger le public à long terme. S’il prétend qu’une longue période d’isolement est nécessaire pour éviter une récidive, il pourra solliciter une peine importante, voire même la peine maximale d’emprisonnement à perpétuité, quoique l’accusé sera(it) admissible à la libération conditionnelle après un temps d’épreuve de sept ans[30]. Si la Couronne demeure toujours insatisfaite, elle pourra(it) tenter d’invoquer l’art. 743.6(1) C.cr. pour demander au Tribunal d’imposer un temps d’épreuve minimal supérieur à sept ans, si les conditions sont remplies.

[134]       Avant d’arriver à ma conclusion, j’ai relu attentivement le récent arrêt R. c. Lévesque-Paquette de notre Cour d’appel, particulièrement la remarque suivante au paragraphe 80 de la décision :

Ce délai est très long, a priori, même si l’affaire impliquait une demande régie par les arts. 752 et s. C.cr., en l’occurrence une demande de déclarer l’appelant délinquant à contrôler, qui commande habituellement un temps considérable. Il n’est pas rare, en pareil cas, que le délai de culpabilité-peine soit de 12 à 15 ou 18 mois et même davantage, et ce, notamment en raison des nombreuses démarches et des multiples rapports qui sont requis [avec une note de bas de page qui réfère à de nombreux exemples][31].

[135]       Je ne crois pas que ces propos – lus isolément – doivent être interprétés comme un signe de tolérance ou d’indulgence (et surtout pas de la complaisance) de la part de notre Cour d’appel en ce qui a trait aux délais excessifs qui font l’objet de la présente affaire. Bien au contraire. Le contexte de l’affaire l’illustre. D’abord, dans Lévesque-Paquette, la Cour d’appel était saisie de la question du caractère raisonnable des délais post-verdict, selon le cadre analytique de l’art. 11(b) de la Charte. En ce sens, elle examinait le caractère du délai total entre le verdict de culpabilité et la décision finale quant à la sentence. De toute évidence, ce délai total englobe de nombreuses autres démarches et auditions, notamment :

      La rédaction et le dépôt par la Couronne de la requête en renvoi pour évaluation (art. 752.1(1) C.cr.);

      L’évaluation proprement dite, effectuée par un psychiatre ou un psychologue spécialisé;

      La rédaction et le dépôt du rapport d’évaluation du psychiatre;

      La rédaction et le dépôt par la Couronne de la requête pour faire déclarer l’accusé délinquant dangereux (art. 753 C.cr.) ou à contrôler (art. 753.1 C.cr.) au fond;

      La confection d’autres rapports ou de contre-expertises;

      L’audition au fond sur la détermination de la peine;

      Le délibéré du juge qui doit rédiger sa décision;

      Le dépôt de la décision du juge.

[136]       Naturellement, l’effet cumulatif de toutes ces étapes fait en sorte que le processus peut être long. Toutefois, la Cour d’appel n’a aucunement avalisé des délais de six à huit mois pour la confection et le rapport du psychiatre désigné. Qui plus est, dans tous les exemples cités par la Cour d’appel en note de bas de page 71 qui avaient certes des délais totaux très longs, des facteurs extrinsèques les expliquaient, ce qui est propre à l’analyse de l’art. 11(b). Par exemple :

  • R. c. Santamaria[32]: délai total d’un peu moins de 12 mois. Il est à noter qu’à l’intérieur d’un délai de six mois, l’évaluation 752.1 était complétée, le rapport était déposé et les parties procédaient déjà à l’audition au fond[33].
  • R. c. Azevedo[34]: délai total d’un peu moins de 15 mois. Dans cette affaire, les longs délais s’expliquent par le fait qu’il y avait également un rapport pré-sentenciel et un rapport d’évaluation psychologique confectionnés. C’est par la suite que le juge a aussi ordonné un renvoi selon l’art. 752.1 C.cr. Ce rapport-là était complété et déposé dans un délai de quatre mois[35].
  • R. c. Ouellet[36]: délai total d’un peu plus de 10 mois. Dans cette affaire, l’évaluation 752.1, la rédaction du rapport et son dépôt à la cour ont été faits en moins de 2 ½ mois[37].
  • R. c. Rodrigue[38]: délai total d’un peu moins de 13 mois. Le long délai s’explique en partie du fait qu’il y avait trois rapports confectionnés : un rapport pré-sentenciel, un rapport d’évaluation psychologique et un rapport d’évaluation 752.1. Qui plus est, même après le dépôt du rapport 752.1, l’audition sur la détermination de la peine n’a eu lieu que six mois plus tard.
  • R. c. Bolduc[39]: délai total d’environ 2 ½ ans. Dans cette affaire, il y avait des rapports d’expertise contradictoires. De plus, l’accusé avait contesté la constitutionnalité des dispositions du Code criminel et il avait consenti à attendre la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Boutilier avant de procéder[40].
  • R. c. G.L.[41]: délai total d’un peu plus de 13 mois. Dans cette affaire, l’évaluation 752.1, la rédaction du rapport et son dépôt à la cour ont été faits en 2 ½ mois[42].
  • R. c. Guilbault[43]: délai total de 27-31 mois. Cette affaire impliquait de nombreux dossiers, un historique complexe, de multiples expertises et une audition sur la détermination de la peine qui a duré 9 jours non-consécutifs.

[137]       Pour ces motifs, je ne crois pas que l’arrêt Lévesque-Paquette ait une incidence directe sur la question dont je suis saisi.

[138]       En conclusion, le Tribunal n’est pas disposé à « déclarer » que le présent dossier est prioritaire (même en supposant que j’ai un tel pouvoir). Au même chapitre, je refuse de recommander à l’Institut Philippe-Pinel de le traiter avant les autres dans la longue liste d’attente. À mon avis, une telle démarche manquerait de respect pour toutes les victimes impliquées dans les autres dossiers pendants en attente d’évaluation. En outre, je suis d’accord avec madame Mandeville lorsqu’elle affirme qu’une telle approche provoquerait une situation chaotique, avec un risque que chaque juge ou avocat considère que son dossier est plus « urgent » que les autres.

[139]       Enfin, le DPCP et le bureau du Procureur général me proposent, comme remède alternatif, d’accorder la prolongation tout en dénonçant de manière ferme l’insuffisance des ressources étatiques. Les procureurs prétendent qu’une telle déclaration judiciaire aurait comme effet de provoquer des changements concrets qui feraient « bouger les choses ». Ce type de jugement déclaratoire aurait l’avantage d’envoyer un message clair au gouvernement, tout en lui donnant une occasion raisonnable de s’ajuster en conséquence.

[140]       Le Tribunal rejette fermement cette proposition, qui ne serait que symbolique, pour deux motifs. D’abord, lors de l’audition, le mis en cause a candidement admis que le gouvernement n’a toujours aucune solution concrète à proposer pour gérer la situation. Ma décision serait possiblement différente si un plan concret était déjà établi et sur le point d’être mis en œuvre. Tel n’est pas le cas. Deuxièmement, l’Institut Philippe-Pinel lance des cris d’alarme depuis plus de deux ans et l’État a choisi de ne pas réagir. Dans l’arrêt R. c. Jordan, la Cour suprême a rappelé que tous les participants du système de justice doivent se montrer proactifs dans la réduction des délais. Cette remarque s’applique aussi aux gouvernements. Or, le fait d’attendre qu’un juge agite ses poings dans un jugement déclaratoire avant d’agir constitue l’antithèse de la proactivité.

CONCLUSION

POUR CES MOTIFS, le Tribunal rejette la demande de prorogation des délais.

 

 

 

 

__________________________________

D. Galiatsatos, J.C.Q.

Me Patrick Lafrenière

Procureur de la poursuite - DPCP

 

Me Cynthia Chénier

Procureure de l’accusé

 

Me Alexandre Duval

Me Valérie Gourvil

Procureurs du mis en cause, le Procureur général du Québec

 

Me Annie-Pierre Ouimet-Comtois

Procureure du mis en cause, l’Institut Philippe-Pinel

 

 

Date d’audience :

 

28 novembre 2022 (date annulée), 29 novembre 2022

 


[1]  R. c. Boutilier, [2017] 2 R.C.S. 936 au para. 39; R. v. Roberts (2007), 46 C.R. (6th) 40 (C.A.Ont.) au para. 27; R. v. D.(F.E.) (2007), 84 O.R. (3d) 721 (C.A.Ont.) au para. 50, permission d’appel refusée, [2007] S.C.C.A. No. 568; R. v. Johnson (2001), 158 C.C.C. (3d) 155 (C.A.C.B.) aux paras. 27-30, conf. par [2003] 2 R.C.S. 357 sans référence à ce sujet; R. v. Vincent, [2002] O.J. no. 5623 (Ont.S.C.J.) au para. 1; R. v. Blackwood, 2010 ONSC 6178 au para. 1; l’honorable E.G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada, 3e éd., Aurora (Ont.), Canada Law Book Inc., version en ligne, aux paras. 18:387-18:388.

[2]  Pièce S-1.

[3]  Quoiqu’une demande de déclaration de délinquant dangereux sera(it) contestée, le cas échéant.

[4]  Pièce S-3 à la p. 3.

[5]  Pièce S-2.

[6]  Pièce R-1.

[7]  Pièce R-2.

[8]  R. c. Larrivée, 2020 QCCA 595 au para. 14, permission d’appel refusée, [2021] S.C.C.A. No. 275.

[9]  R. c. Gladu, 2012 QCCA 2091 aux paras. 5-9.

[10]  R. c. Barkley, 2020 QCCA 810 au para. 10.

[11]  D’autres tribunaux d’appel ont également conclu que les exigences de l’art. 752.1 C.cr. sont procédurales. Toutefois, les circonstances étaient particulières et ces autorités sont donc d’une utilité limitée. Voir : R. v. K.R.S. (2000), 147 C.C.C. (3d) 302 (C.A.C.B.) [le rapport n’avait pas été estampillé par le greffe]; R. v. Howdle, 2004 SKCA 39, permission d’appel refusée, [2004] S.C.C.A. No. 327 [la Cour d’appel confirme la prolongation accordée par le juge de première instance. Ceci dit, cette extension était d’une durée de 30 jours (et non pas plusieurs mois) et le motif du retard était le fait que le psychiatre s’était trompé en lisant mal l’échéancier dans l’ordonnance : 2002 SKQB 440 au para. 5].

[12]  R. c. Pauzé, 2022 QCCS 2984.

[13]  Voir au même effet : R. c. Ste-Marie, 2021 QCCS 1294.

[14]  R. v. A.H., 2018 NSCA 47, permission d’appel refusée, [2018] S.C.C.A. No. 327.

[15]  R. v. Scrivens, 2018 ABQB 1027 au para. 116.

[16]  Ibid. au para. 118.

[17]  Ibid. aux paras. 115-116.

[18]  R. v. McDonald, 2014 BCSC 2131 au para. 66.

[19]  Ibid. au para. 65.

[20]  R. v. Howdle, 2002 SKQB 440, conf. par 2004 SKCA 39, permission d’appel refusée, [2004] S.C.C.A. No. 327.

[21]  R. c. Anderson, [2014] 2 R.C.S. 167.

[22]  L.C. 2008, c. 6, art. 41.

[23]  R. v. Scrivens, 2018 ABQB 1027 aux paras. 88-90.

[24]  Ville de Westmount c. Procureur Général du Québec, 2001 R.J.Q. 2520 (C.A.Qué.) au para. 249.

[25]  Ontario c. Criminal Lawyers’ Association, [2013] 3 R.C.S. 3 aux paras. 60-68.

[26]  R. c. Garneau, 2020 QCCS 1217 aux paras. 104-105.

[27]  R. c. Jordan, [2016] 1 R.C.S. 631.

[28]  R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357 au para. 23; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Steele, [2014] 3 R.C.S. 138 au para. 29.

[29]  R. v. Scrivens, supra, aux paras. 93-101.

[30]  Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20, art. 120(2).

[31]  R. c. Lévesque-Paquette, 2022 QCCA 1047.

[32]  R. c. Santamaria, 2022 QCCQ 570.

[33]  Ordonnance de renvoi : 7 mai 2021. Audition sur la détermination de la peine : 4 novembre 2015. Décision finale : 25 janvier 2022.

[34]  R. c. Azevedo, 2021 QCCA 1688.

[35]  Voir le jugement de première instance pour les dates : 2020 QCCQ 3129 au para. 239. Ordonnance de renvoi : 9 mai 2019. Production du rapport : 11 septembre 2019.

[36]  R. c. Ouellet, 2021 QCCA 547.

[37]  Voir le jugement de première instance pour les dates : 2018 QCCS 5178 aux paras. 4, 5. Date du renvoi : 23 février 2018. Production du rapport : 11 mai 2018.

[38]  R. c. Rodrigue, 2021 QCCA 456.

[39]  R. c. Bolduc, 2021 QCCA 257.

[40]  Voir le jugement de première instance : 2018 QCCQ 7460 au para. 17.

[41]  R. c. G.L., 2020 QCCQ 1137.

[42]  Ordonnance de renvoi : 30 janvier 2019. Production du rapport : 16 avril 2019.

[43]  R. c. Guilbault, 2020 QCCQ 973.

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