Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et Directeur des poursuites criminelles et pénales | 2025 QCCFP 1 |
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIER No : | 2000036 |
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DATE : | 8 janvier 2025 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | Denis St-Hilaire |
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ASSOCIATION DES PROCUREURS AUX POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
Partie demanderesse |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
Partie défenderesse et MINISTÈRE DE LA JUSTICE Partie ayant présenté une demande d’intervention |
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DÉCISION INTERLOCUTOIRE
(Article 16, Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective, RLRQ, c. P‑27.1) |
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- Le 17 avril 2023, l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (Association) dépose un avis de mésentente à la Commission de la fonction publique (Commission), conformément à l’article 16 de la Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective[1] (Loi) et au chapitre 9 de l’Entente relative aux conditions de travail des procureurs aux poursuites criminelles et pénales 2019‑2023 (Entente).
- Par cet avis de mésentente, l’Association conteste deux décisions du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).
- La première décision contestée porte sur le refus allégué du DPCP d’informer l’Association d’un évènement survenu le 2 mars 2023, au palais de justice de Granby, mettant en cause la sécurité des procureurs.
- La seconde décision contestée concerne le refus allégué du DPCP de transmettre à l’Association des documents en lien avec des problématiques de sécurité des procureurs qui doivent être étudiées au sein d’un comité paritaire.
- Le 11 décembre 2024, le ministère de la Justice (MJQ) présente une demande d’intervention au recours en vertu de l’article 12 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission de la fonction publique[2] (Règlement).
- Le MJQ soutient que certains documents demandés par l’Association dans le cadre du litige comportent des informations strictement confidentielles qui font notamment référence aux plans de plusieurs palais de justice au Québec. Ainsi, à titre de responsable de la sécurité des palais de justice, il a un intérêt immédiat à intervenir dans le dossier.
- L’Association s’oppose à cette demande puisqu’elle considère que les critères justifiant l’intervention ne sont pas satisfaits.
- La Commission doit donc statuer sur la question suivante :
Le MJQ a-t-il démontré, selon la règle de la prépondérance de la preuve, qu’il respecte les critères afin de justifier son droit d’intervention dans le présent recours?
[13] La Commission répond négativement à la question puisque le MJQ ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve relativement aux critères. Il n’est donc pas autorisé à intervenir au litige.
CONTEXTE
- L’article 12 du Règlement prévoit la demande d’intervention d’une tierce partie en pareilles circonstances ;
12. Une personne qui prétend avoir un intérêt dans un recours peut déposer par écrit à la Commission une demande d’intervention contenant les renseignements prévus aux paragraphes 1 et 2 du deuxième alinéa de l’article 3 et un exposé sommaire des motifs justifiant son intérêt.
- Dans le cadre de cette demande d’intervention, le MJQ réclame les droits procéduraux suivants :
- Être convoqué à l’audience ;
- Assister à l’audience ;
- Y être représenté par l’avocat de son choix ;
- Obtenir l’ensemble de la preuve documentaire ;
- Produire une preuve sur les éléments qui le concernent directement ;
- Être interrogé par son avocat ;
- Faire des objections à la preuve ;
- Faire valoir ses arguments et représentations.
Transcription textuelle
- La demande d’intervention s’inscrit dans un recours où l’Association demande à la Commission de déterminer les informations et les documents requis afin que le comité qui doit étudier les problématiques de sécurité des procureurs puisse s’acquitter de son mandat. Le recours tire son origine à l’article 3-4.01 de l’Entente :
3-4.00 COMITÉ SUR LA SÉCURITÉ
3-4.01 L’employeur et l’association forment un comité dont le mandat est d’étudier les problématiques de sécurité des procureurs. Ce comité est composé de trois (3) représentants de l’employeur parmi lesquels il y a un procureur en chef et de trois (3) représentants désignés par l’Association.
ANALYSE
Le témoignage de Mme Karine Larochelle et la règle de l’exclusion des témoins
- Lors de l’audience portant sur la demande d’intervention, la Commission a accepté que le MJQ fasse témoigner Mme Karine Larochelle, directrice générale des ressources humaines et de l’innovation organisationnelle au MJQ, bien que cette dernière ait pu entendre le témoignage précédent, soit celui de Mme Hélène Gagné, directrice des relations professionnelles et de la rémunération globale au MJQ. En effet, les parties n’ont jamais demandé l’exclusion des témoins au début de l’audience et la Commission ne l’a pas appliqué d’office.
- La Commission possède la discrétion nécessaire pour entendre une personne dans de telles circonstances puisque la règle de l’exclusion des témoins n’est pas absolue. Par ailleurs, elle doit tenir compte de cette situation lorsqu’elle apprécie la crédibilité et la valeur probante du témoignage de Mme Larochelle[3].
- La Commission considère que les deux témoignages ont la même valeur probante. Les informations fournies sont essentiellement les mêmes et se résument à des inquiétudes concernant la sécurité des utilisateurs des palais de justice, si des informations sensibles et confidentielles contenues dans certains documents demandés par l’Association lui sont transmises. Il s’agit d’ailleurs de documents que les deux témoins n’ont jamais vus et connaissent très peu, pour ne pas dire pas du tout.
- Le témoignage de Mme Larochelle, plus long et élaboré, contenait plus d’exemples et de détails et fut livré avec davantage de conviction, mais le contenu demeure sensiblement le même que celui du témoignage de Mme Gagné.
La demande d’intervention du MJQ
- La tierce intervention est une mesure exceptionnelle et la Commission doit être prudente avant d’accepter qu’une autre partie se joigne à un recours amorcé le 29 novembre 2023, qui a déjà fait l’objet de deux décisions interlocutoires[4] et d’une journée d’audience sur le fond du dossier.
- Afin de statuer sur une telle demande, les tribunaux ont établi trois critères cumulatifs, soit l’intérêt juridique, le caractère exceptionnel et la nécessité de l’intervention qui doivent faire l’objet d’une démonstration claire[5].
- Au premier plan, les parties concernées par le recours sont l’Association et le DPCP. La participation d’un tiers demeure une exception possible uniquement lorsque ces trois critères cumulatifs sont rigoureusement satisfaits.
- L’intérêt juridique
- Il ne s’agit pas seulement d’être intéressé par le recours, mais bien d’avoir un intérêt juridique réel qui soit direct, personnel, né et actuel. La tierce intervention ne sera permise exceptionnellement que dans les cas de nécessité et d’utilité véritables[6].
- Le MJQ considère que des documents tels que l’Évaluation de la menace et du risque ainsi que le Cahier d’exigences fonctionnelles contiennent des informations confidentielles et sensibles qu’il se doit de protéger. Ces derniers sont à usage restreint et mentionnent des informations techniques qui pourraient permettre d’identifier des failles dans la sécurité.
- À titre d’exemples, ces documents requis par l’Association afin d’étudier les problématiques de sécurité des procureurs, dans le cadre d’un comté sur la sécurité constitué en vertu de l’Entente, peuvent contenir des plans de certains palais de justice, des informations sur les arches de sécurité ou les couloirs de sécurité, le nombre d’agents de sécurité en place et se retrouver entre les mains de personnes malveillantes.
- La Société québécoise des infrastructures (SQI) est la propriétaire des palais de justice, mais il revient au MJQ d’en assurer la sécurité afin de protéger ses employés, la magistrature, les locataires et le public. Le DPCP est certes un locataire, mais il y en a d’autres.
- Le MJQ craint de créer des vulnérabilités dans la sécurité des palais de justice et veut éviter des précédents en permettant la diffusion de ces documents. Ce sont des enjeux de sécurité et d’apparence de sécurité.
- Le MJQ allègue qu’il a un intérêt juridique distinct du DPCP. Il ne veut pas intervenir sous l’angle des relations de travail entre les parties, mais uniquement en ce qui a trait aux questions de sécurité qui concernent les palais de justice.
- Ces documents proviennent du DPCP. Ce dernier en est l’auteur et il a obtenu les informations nécessaires permettant la confection de ces documents qui sont pourtant strictement confidentielles. Il s’oppose d’ailleurs vigoureusement à sa transmission et à son utilisation par l’Association, tout comme le ferait manifestement le MJQ si la présente demande d’intervention est accordée.
- Le MJQ soutient qu’il a des obligations de sécurité à l’égard de partenaires autres que le DPCP tels que ses employés, la magistrature et des locataires. Bien que cela soit vrai, il n’en demeure pas moins que le DPCP s’opposera à la transmission de ces documents pour les mêmes motifs que le ferait le MJQ. Le fait que ce dernier détienne une obligation à l’égard d’un plus grand bassin de personnes n’est pas suffisant pour conclure à un intérêt juridique distinct.
- L’intérêt du MJQ est inspiré par la crainte et les doutes. Cela est insuffisant pour convaincre la Commission d’un intérêt juridique réel et sa demande d’intervention n’est pas nécessaire ni utile dans les circonstances.
- Le premier critère n’est pas satisfait. Même si les trois critères sont cumulatifs et doivent tous être respectés, la Commission analysera néanmoins les deux autres.
- Le caractère exceptionnel
- Le MJQ soutient que refuser l’intervention équivaut à un déni de justice puisque cela a pour effet de lui retirer son droit d’être entendu. La Commission est très sensible au droit d’être entendu d’une partie comme elle a d’ailleurs eu l’occasion de l’expliquer dans une récente décision[7]. Par ailleurs, le droit d’être entendu est à la remorque d’un principe tout aussi fondamental, soit celui d’avoir l’intérêt juridique nécessaire pour intervenir dans un recours. Ce principe assure une saine administration de la justice en évitant d’alourdir inutilement le traitement des dossiers.
- La Commission juge que le deuxième critère n’est pas satisfait puisque le MJQ n’a pas démontré qu’il est applicable dans la présente affaire.
- La nécessité de l’intervention
- Il n’est pas nécessaire que le MJQ intervienne puisque la protection d’informations sensibles et confidentielles contenues dans des documents demandés par l’Association sera manifestement au cœur du débat entre les parties par rapport à la deuxième décision contestée.
- En effet, celle-ci concerne le refus allégué du DPCP de transmettre à l’Association des documents en lien avec des problématiques de sécurité des procureurs qui doivent être étudiées au sein d’un comité paritaire. Le DPCP a déjà demandé et obtenu qu’un de ces documents soit protégé par une ordonnance de confidentialité, notamment pour des raisons de sécurité. Le DPCP et le MJQ ont manifestement la même préoccupation relativement à ces documents, soit d’en éviter la diffusion pour des raisons de confidentialité et de sécurité. Ils sont d’ailleurs représentés par la même procureure.
- Ce troisième critère n’est donc pas satisfait.
La Commission a rendu des décisions relatives à des demandes d’intervention qui illustrent bien le respect des trois critères cumulatifs[8]. En effet, des demandes d’intervention de la part de prétendus harceleurs dans le cadre de recours de harcèlement psychologique mettent notamment en évidence l’intérêt distinct des demandeurs qui sont les seuls à pouvoir protéger certains droits fondamentaux, le caractère exceptionnel de la situation et la nécessité de l’intervention. Or, la preuve ne démontre pas que ces critères sont satisfaits en l’espèce.
- Le MJQ ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve, et ce, à l’égard des trois critères. Il n’est donc pas autorisé à intervenir au litige.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
REJETTE la demande d’intervention du ministère de la Justice.
Original signé par : |
| __________________________________ Denis St-Hilaire |
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Me Marie-Jo Bouchard | | |
Procureure de l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales | | |
Partie demanderesse | | |
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Me Anne-Marie Vézina | | |
Procureure du Directeur des poursuites criminelles et pénales | | |
Partie défenderesse et Procureure du ministère de la Justice Partie ayant présenté une demande d’intervention Audience tenue par visioconférence | | |
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Date de l’audience : | 17 décembre 2024 | | |
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[8] Desbiens et Secrétariat du Conseil du trésor, 2017 QCCFP 13; Thibault et Ministère des Transports, 2021 QCCFP 9; Pipon et Ministère des Transports, 2021 QCCFP 30; Gagnier et Tribunal administratif du logement, 2022 QCCFP 5; Lemieux et Secrétariat du Conseil du Trésor, 2024 QCCFP 15.