Bernier c. Nissan Canada inc. |
2018 QCCQ 10244 |
JD2786
COUR DU QUÉBEC
« Division des petites créances »
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE LONGUEUIL
LOCALITÉ DE LONGUEUIL
« Chambre civile »
N° : 505-32-700475-172
DATE : 21 décembre 2018
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.
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ROBERT BERNIER
Demandeur
c.
NISSAN CANADA INC.
Défenderesse
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JUGEMENT
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[1] Robert Bernier réclame à Nissan Canda inc. la somme de 1 744,48 $ parce qu’il a dû changer le cadre arrière de son véhicule Nissan Murano, qui rouille de façon prématurée.
[2] Nissan Canada conteste au motif que les garanties conventionnelle et légale sont caduques, vu l’âge et le kilométrage du véhicule.
Questions en litige
[3] Le véhicule Nissan Murano de Bernier[1] est-il affecté d’un vice de fabrication?
[4] Le cas échéant, Bernier a-t-il droit au montant réclamé?
Le contexte
[5] En mai 2012, Bernier achète une voiture de marque Nissan modèle Murano de l’année 2007, dont l’odomètre marque alors 140 000 km.
[6] Le 23 décembre 2016, son garagiste découvre que le cadre arrière est rouillé à tel point qu’il s’est rompu : les roues arrière ouvrent et la voiture est très instable. L’odomètre marque alors 273 913 km.
[7] Bernier téléphone à Nissan Canada et lui fait part de ce problème. À la demande de son représentant, il se rend chez Longueuil Nissan où un mécanicien examine la voiture et constate que le cadre (« subframe ») est brisé[2].
[8] Par mise en demeure du 20 janvier 2017, Bernier avise Nissan Canada qu’il considère qu’il s’agit d’un bris prématuré de la voiture qu’il a toujours bien entretenue. Il lui demande d’effectuer les réparations sans frais selon l’estimé qu’il joint, à défaut de quoi il fera faire les réparations et en réclamera le coût.
[9] Le 27 janvier, Nissan Canada l’avise de son refus vu l’expiration de la garantie limitée des véhicules neufs.
[10] Le 2 mars suivant, Bernier fait remplacer le cadre arrière par une pièce usagée. Il réclame aujourd’hui à Nissan Canada la somme de 898,54 $ (temps et matériel).
[11] Il ajoute que les pneus arrière se sont usés prématurément en raison de la condition du cadre arrière, qu’il doit remplacer les quatre pneus et réclame 800,00 $, leur prix estimé.
Analyse et décision
[12] Il n’est pas contesté que la garantie conventionnelle de Nissan Canada sur les véhicules neufs est expirée depuis longtemps au moment de la découverte du bris allégué.
[13] Par ailleurs, la Loi sur la protection du consommateur[3] (« L.p.c. ») garantit au consommateur que le bien qu’il achète peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable[4].
[14] Cette protection s’applique tant aux biens neufs qu’aux biens usagés. Même si l’achat d’un bien usagé comporte l’acceptation de certains risques, il doit pouvoir être utilisable dans des conditions normales pendant une durée raisonnable, tenant compte de trois critères[5] :
- son prix;
- les clauses du contrat;
- les conditions d’utilisation du bien.
[15] Cette garantie présente un avantage important pour le consommateur : il n’a pas à faire la preuve, directe ou indirecte, du vice caché. Cependant, il doit démontrer par preuve prépondérante que le bien n’a pas servi normalement pendant une durée raisonnable eu égard à ces trois critères. S’il réussit dans cette preuve, il peut réclamer non seulement le coût des réparations mais aussi les dommages et inconvénients subis[6].
[16] Bernier ne dépose aucun rapport d’expert quant à la durée raisonnable de la pièce défectueuse de la voiture mais invite le Tribunal à conclure à l’usure prématurée du cadre arrière. Il s’agit d’une preuve par présomption[7], un raisonnement qui permet de déduire des faits dont on est certain, d’autres faits qui sont inconnus et que l’on veut prouver. Il s’agit d’une preuve indirecte fondée sur des indices et non sur des faits directement observés[8].
[17] Le Tribunal est libre de tirer les conclusions qu’il désire des faits mis en preuve. La présomption de faits doit être grave, précise et concordante pour être prise en considération. Les faits prouvés doivent avoir des liens étroits entre eux et être si évidents qu’une fois mis ensemble, la conclusion s’en déduit facilement. La conclusion recherchée doit être probable et non seulement possible.
[18] La présomption de faits est laissée à l’appréciation du Tribunal.
[19] Bernier produit des documents qui émanent de Transport Canada suite à sa demande d’information au sujet de problèmes semblables sur des véhicules Murano[9].
[20] Dans son rapport écrit du 31 août 2018, Transport Canada déclare avoir reçu et documenté cinq autres plaintes de propriétaires de véhicules Nissan Murano des années 2003 à 2007 pour un problème similaire de rouille du cadre auxiliaire de la voiture. Quatre de ces plaintes sont relatives au cadre arrière de la voiture.
[21] Ce rapport ne contient aucun détail au sujet du kilométrage parcouru par les quatre véhicules présentant un problème semblable à celui de Bernier.
[22] Bernier ajoute qu’il a eu beaucoup de difficulté à trouver une pièce de remplacement. Le Tribunal ne peut cependant inférer de ce seul fait que c’est parce que la Nissan Murano 2007, ou d’une année concomitante, présente souvent ce genre de problèmes.
[23] Bernier produit des photos[10] pour démontrer que la partie arrière sous la voiture est très rouillée alors que la partie avant, jusqu’au milieu, est en très bonne condition, pour démontrer que la rouille à l’arrière n’est pas normale.
[24] Nissan Canada signale qu’à la vue de ces photos, le problème de rouille est évident. Le fabricant ajoute que Transport Canada souligne dans le rapport mentionné plus haut que la corrosion est visuellement détectable à l’occasion d’un entretien périodique normal de la voiture.
[25] Cependant, Bernier témoigne qu’il a pris soin de faire enduire de graisse le dessous du châssis de la voiture pour prévenir la corrosion. Ce n’est qu’après avoir enlevé cette graisse qu’il constate la rouille à l’arrière alors que la partie avant est normale.
[26] Bernier fait la preuve que Nissan Canada a fait un rappel des modèles Altima et Maxima aux États-Unis pour un problème de corrosion du cadre auxiliaire. Ces voitures ont le même châssis que la Murano.
[27] À la demande du Tribunal, la représentante de Nissan Canada lui transmet des informations précises sur ce rappel des voitures aux États-Unis.
[28] Dans le document intitulé « Services Campaign Bulletin » daté du 6 juin 2012, le fabricant Nissan indique que certains modèles des années 2002-2005 de la Nissan Altima et des années 2004-2005 de la Nissan Maxima présentent possiblement un problème de corrosion au cadre auxiliaire arrière. Ce problème se présente surtout où le climat est froid et où l’épandage de sel est fréquent. Toujours selon le manufacturier, un mélange de ce sel et de l’eau peut provoquer la corrosion du cadre arrière des véhicules.
[29] Pour cette raison, le fabricant effectue une campagne de service des véhicules immatriculés dans certains états du Nord des États-Unis et dans la plupart des cas, il s’engage à remplacer le cadre auxiliaire arrière.
[30] Certes, cette campagne ne concerne pas des véhicules Nissan vendus au Canada, ni plus particulièrement le modèle Murano de l’année 2007, comme celui de Bernier.
[31] Cependant, le « Services Campaign Bulletin » permet de conclure que la rouille du cadre auxiliaire arrière des voitures visées n’est pas normale. Comme il s’agit de voitures des années antérieures à celle de Bernier, et vu le rapport de Transport Canada, les photos prises par Bernier de sa voiture et son témoignage, le Tribunal conclut qu’il y a suffisamment de faits graves, précis et concordants lui permettant d’inférer que la rouille apparaissant sur le cadre arrière de la voiture de Bernier nécessitant son remplacement est prématurée.
[32] Pour se dégager de sa responsabilité, il appartenait à Nissan Canada de démontrer à son tour par preuve prépondérante, que cette condition est due à l’usage anormale par Bernier ou par un cas fortuit.
[33] C’est justement ce que soulève sa représentante dans sa correspondance au Tribunal à l’occasion de l’envoi des informations au sujet de la campagne de service de Nissan aux États-Unis lorsqu’elle écrit que Bernier n’a pas mentionné au procès s’il avait fait traité le cadre de la voiture contre la rouille et le cas échéant, de quel produit il s’agissait.
[34] Si Nissan prétend que c’est le traitement antirouille qui a pu causer le problème affectant le cadre auxiliaire arrière de la voiture de Bernier, il lui appartenait d’en faire la preuve. Le Tribunal rappelle qu’à sa demande, Bernier a fait examiner la voiture par un concessionnaire Nissan au Québec, qui n’a cependant pas investigué davantage les causes de la rouille.
Le cas échéant, Bernier a-t-il droit au montant réclamé?
[35] Vu ce qui précède et les pièces produites par Bernier, Nissan Canada doit lui rembourser le prix de la réparation soit 898,54 $.
[36] Le Tribunal ne lui accorde pas le prix de remplacement des quatre pneus, vu l’absence de la preuve probante quant au lien entre l’usure des pneus arrière et le bris du cadre arrière, et de la nécessité de remplacer les quatre pneus.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[37] ACCUEILLE en partie l’action du demandeur;
[38] CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 898,54 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 20 janvier 2017, date de la mise en demeure, de même que les droits de greffe de 100,00 $.
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MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.
[1] L'utilisation des seuls noms ou prénoms dans le présent jugement a pour but d'alléger le texte et il ne faut y voir aucune discourtoisie à l'égard des personnes concernées.
[2] Pièce P-10.
[3] RLRQ, c. P-40.1.
[4] Art. 37 et 38 L.p.c.
[5] Loubert c. BRP Bombardier Produits récréatifs inc., 2009 QCCQ 390; Martel c. 3370160 Canada inc. (Mazda de Repentigny), 2009 QCCQ 1435; Preisler c. Centre de liquidation pneus, mags, auto Inc., 2002 CanLII 46596 (QC CQ).
[6] Art. 272 L.p.c.
[7] Art. 2846 et 2847 C.c.Q.
[8] Hubert REID, Dictionnaire de droits Québécois et Canadien, 4e édition, p. 475.
[9] Pièce P-4.
[10] Pièce P-1.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.