Gagnon c. 9378-0823 Québec inc. |
2021 QCCQ 8619 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LAVAL |
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LOCALITÉ DE |
LAVAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
540-32-702416-197 |
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DATE : |
Le 22 septembre 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
LA JUGE |
JOHANNE GAGNON, J.C.Q. |
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Nicolas GAGNON |
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Demandeur-Défendeur reconventionnel |
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c. |
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9378-0823 QUÉBEC INC. |
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Défenderesse-Demanderesse reconventionnelle
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JUGEMENT |
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APERÇU
[1] 9378-0823 Québec inc. (ci-après « Québec »), opérant sous le nom de Meubles Slickjunkiez, se spécialise dans le reconditionnement et la vente de meubles datant de la période dite Mid-Century Modern.
[2] Le 13 décembre 2018, Nicolas Gagnon lui achète six (6) chaises en bois de Taek africain pour la somme de 1 254,83 $. Au moment de la vente, le représentant de Québec, Sydney Ampratwum, lui indique que s’il prend soin des chaises, celles-ci vont durer 50 ans.
[3] Or, après neuf (9) semaines d’utilisation, monsieur Gagnon constate une faiblesse importante au niveau de la jonction entre le siège et le support du dossier : quatre (4) chaises sont sur le point de se fendre en deux (2).
[4] Les chaises étant inutilisables, il arrête de s’en servir à compter du mois de février 2019. Il s’adresse à Québec afin qu’elle reprenne les chaises et les répare, à ses propres frais. Cette dernière refuse d’assumer les réparations, alléguant l’expiration de la « période de probation » d’un (1) mois qu’elle a consentie lors de l’achat.
[5] Se prévalant des garanties d’usage normal et de durabilité raisonnable prévues aux articles 37 et 38 de la Loi sur la protection du consommateur[1] (ci-après la « Loi »), monsieur Gagnon demande la résolution de la vente et le remboursement du prix qu’il a payé. Il est toujours en possession des chaises, lesquelles ont été entreposées dans une des pièces de son sous-sol, après l’achat de nouvelles chaises.
[6] Québec conteste le recours. Elle soutient que les chaises qu’elle a vendues à monsieur Gagnon étaient en bon état de fonctionnement. Elle plaide au surplus que les problèmes dont se plaint monsieur Gagnon sont survenus après l’expiration de la « période de probation » d’un (1) mois qu’elle lui a consentie.
[7] Bien qu’aucune demande reconventionnelle n’ait été logée, Québec demande, dans le cadre d’un résumé des faits déposé comme pièce D-1, que monsieur Gagnon soit condamné à lui payer 1 500 $ à titre de dommages pour le stress et l’angoisse que son attitude a causés à monsieur Ampratwum et sa conjointe.
[8] Afin de solutionner ce litige, le Tribunal doit déterminer si Québec a manqué à ses obligations en vertu de la Loi et, le cas échéant, si monsieur Gagnon a droit à la résolution de la vente. Le Tribunal doit également trancher la demande en dommages formulée par Québec.
[9] Le Tribunal conclut que le recours de monsieur Gagnon doit être accueilli et que la demande de Québec doit être rejetée. Voici pourquoi.
ANALYSE ET DÉCISION
[10] Rappelons d’entrée de jeu qu’en matière civile, le fardeau incombe aux parties de prouver leurs prétentions selon la règle de la prépondérance[2]. Cette règle prévoit qu’un fait sera considéré prouvé si le Tribunal est convaincu que son existence est plus probable que son inexistence. Il ne s’agit donc pas de démontrer qu’un fait est possible mais plutôt de démontrer qu’il est probable[3].
[11] Lorsque la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante ou si la preuve est contradictoire et qu’il est impossible pour le juge de cerner la vérité, celui sur qui reposait le fardeau perdra[4].
[12] En l’espèce, la vente des chaises s’inscrit dans le contexte d’un contrat de consommation et est donc soumise à la Loi ainsi qu’aux règles édictées par le Code civil du Québec en matière de contrat de vente.
[13] Rappelons que la Loi est d’ordre public.
[14] L’article 37 de celle-ci traite de la garantie d’usage normal alors que la garantie de durabilité raisonnable est prévue à l’article 38 :
37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.
38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.
[15] Précisons que la garantie d’usage normal implique que le bien acheté par le consommateur doit être exempt de tout défaut qui empêche l’usage auquel il est destiné. En d’autres termes, le consommateur doit pouvoir faire un usage normal du bien qu’il achète.
[16] La garantie de durabilité raisonnable implique quant à elle que le bien vendu doit pouvoir être utilisé pendant une durée raisonnable.
[17] Aux yeux du Tribunal, la « période de probation » consentie verbalement par Québec ne fait pas échec à l’application de ces garanties.
[18] Par ailleurs, Québec étant spécialisée dans la vente de meubles Mid-Century Modern reconditionnés, elle est qualifiée de vendeur professionnel au sens de la Loi et du Code civil du Québec. Par conséquent, elle est présumée connaître les défauts cachés pouvant affecter les meubles qu’elle vend, et ce, conformément aux dispositions des articles 53 de la Loi et 1729 C.c.Q.
[19] Ainsi, dès lors que monsieur Gagnon établit, par preuve prépondérante, que la détérioration des chaises est survenue prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce, il y a renversement du fardeau de la preuve. Ce renversement fait en sorte qu’il revient alors à Québec de repousser la présomption en prouvant, selon la règle de la prépondérance, que la détérioration prématurée des chaises résulte d’une mauvaise utilisation de celles-ci par monsieur Gagnon.
[20] En l’espèce, le Tribunal conclut que monsieur Gagnon a rempli son fardeau de preuve. Il donne des explications précises, crédibles et convaincantes, avec photos à l’appui, sur l’évolution de la condition des chaises que lui a vendues Québec. Considérant les représentations de monsieur Ampratwum selon lesquelles elles pourraient durer encore 50 ans, la version de monsieur Gagnon rend probable la thèse de la détérioration prématurée de celles-ci, d’autant plus qu’il n’y a aucune preuve que monsieur Gagnon n’a pas pris soin des chaises.
[21] Le Tribunal ne retient pas la position de Québec selon laquelle les chaises n’étaient affectées d’aucun vice au moment de la vente en raison du fait que monsieur Gagnon les a essayées et examinées à maintes reprises avant de les acheter. Le Tribunal considère anormal qu’à peine neuf (9) semaines suivant l’achat, quatre (4) des six (6) chaises, reconditionnées et vendues comme neuves, se détériorent au point de menacer de se fendre en deux (2).
[22] Aux yeux du Tribunal, Québec n’a pas démontré que la détérioration des chaises résulte d’une mauvaise utilisation de celles-ci par monsieur Gagnon.
[23] Le Tribunal
considère que la situation décrite par monsieur Gagnon est majeure et constitue
une inexécution substantielle des obligations de Québec au sens des
dispositions des articles 37 et 38 de la Loi et de l’article
[24] L’article 272 de la Loi prévoit les recours offerts à monsieur Gagnon dans un tel cas :
272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:
a) l’exécution de l’obligation;
b) l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;
c) la réduction de son obligation;
d) la résiliation du contrat;
e) la résolution du contrat; ou
f) la nullité du contrat,
sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.
[25] Rappelons que lorsque la résolution d’un contrat est prononcée, le contrat est réputé n’avoir jamais existé et il doit y avoir remise en état des parties[5]. En d’autres termes, chacune des parties doit remettre à l’autre ce qu’elle a reçu bien que, selon la jurisprudence[6], dans certaines situations, il y a lieu de modifier les modalités de restitution des prestations.
[26] Comme le souligne le juge Christian Brunelle, J.C.Q.[7], la résolution du contrat «est réservée à des cas d’une gravité particulière».
[27] Aux yeux du Tribunal, il s’agit en l’espèce d’un cas d’une telle gravité.
[28] Par conséquent, le Tribunal fait droit à la demande de monsieur Gagnon et conclut à la résolution de la vente intervenue le 13 décembre 2018.
[29] Considérant que monsieur Gagnon n’a que très peu joui des chaises, le Tribunal considère qu’il n’y a pas lieu de modifier les modalités de restitution des prestations. En d’autres termes, le montant complet du prix payé par monsieur Gagnon devra lui être remis.
[30] Monsieur Gagnon
a également droit aux intérêts sur cette somme, au taux légal majoré de
l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[31] Par conséquent, malgré la sympathie que le Tribunal éprouve pour le représentant de Québec, le recours de monsieur Gagnon est accueilli.
[32] Compte tenu de ce qui précède, la demande en dommages formulée par Québec aux termes de sa pièce D-1 est rejetée. D’ailleurs, ni monsieur Ampratwum, ni sa conjointe, ne sont pas parties aux procédures.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la demande.
RÉSOUT le contrat de vente intervenu entre les parties le 13 décembre 2018 portant sur six (6) chaises Mid Century vert lime.
CONDAMNE
la défenderesse à payer au demandeur la somme de 1 254,83 $ avec les
intérêts au taux de 5% l'an ainsi que l'indemnité additionnelle prévue par
l'article
ORDONNE au demandeur de permettre à la défenderesse de reprendre, à ses frais, dans un délai maximal de soixante (60) jours suivant le dépôt du présent jugement et après avoir donné un préavis d’au moins cinq (5) jours au demandeur, les six (6) chaises visées par le contrat intervenu le 13 décembre 2018, et ce, sur paiement des sommes dues au demandeur aux termes du présent jugement; À DÉFAUT par la défenderesse de s’exécuter dans le délai imparti, le demandeur pourra disposer des chaises en question à sa convenance et sans indemnité à la défenderesse.
CONDAMNE la défenderesse au paiement des frais de justice limités aux droits de greffe payés par le demandeur lors du dépôt de sa demande, soit la somme de 103 $.
REJETTE la demande reconventionnelle en dommages formulée par 9378-0823 Québec inc. aux termes de la pièce D-1, sans frais.
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__________________________________ JOHANNE GAGNON, j.c.q. |
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Date d’audience : |
24 août 2021 |
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[1] RLRQ c. P-40.1.
[2]
Articles
[3]
Bell Canada c. Promutuel Lanaudière, société mutuelle d’assurances
générales,
[4] Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, par. 146.
[5]
Article
[6]
Voir notamment : Bergeron c. Club Piscine Joliette,
[7]
St-Pierre c. Spas et piscines Sansouci inc.,
AVIS :
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