Décision

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Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Gauvin-David

2023 QCCDTSTCF 7

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

ORDRE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX ET DES THÉRAPEUTES CONJUGAUX ET FAMILIAUX DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 :

37-23-143

 

DATE :

Le 20 avril 2023.

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me MAURICE CLOUTIER

Président

M. JOSEPH ANGLADE, T.S.

Membre

Mme JOSÉE LAURENDEAU, T.S.

Membre

______________________________________________________________________

 

MÉLANIE MERCURE, travailleuse sociale, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec

Requérante

c.

JUSTIN GAUVIN-DAVID, travailleur social

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR UNE REQUÊTE EN SUSPENSION IMMÉDIATE PROVISOIRE DU DROIT DE L’INTIMÉ D’EXERCER DES ACTIVITÉS PROFESSIONNELLES ET D’UTILISER LE TITRE RÉSERVÉ AUX MEMBRES DE L’ORDRE

(Articles 122.0.1 à 122.0.4 du Code des professions)

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]               Le 11 avril 2023, la requérante signe la « Requête en suspension immédiate provisoire du droit de l’intimé d’exercer des activités professionnelles et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre (la requête) en vertu des articles 122.0.1 et suivants du Code des professions[1] ».

[2]               Cette requête fait suite aux  accusations de nature criminelle portées contre l’intimé dans le dossier 500-01-244280-233.

[3]               Le 11 avril 2023, la requête et les pièces sont signifiées par huissier à l’intimé en mains propres à son domicile[2].

[4]               Le 17 avril 2022, le Conseil procède à l’audition de cette requête en présence de la requérante et de l’intimé.

QUESTIONS EN LITIGE

A)      Les infractions portées contre l’intimé sont-elles punissables de cinq ans d’emprisonnement ou plus?

B)      La protection du public exige-t-elle qu’une ordonnance de suspension provisoire immédiate du droit d’exercice de l’intimé soit prononcée?

i)          Les infractions alléguées à la dénonciation ont-elles un lien avec l’exercice de la profession de travailleur social?

ou

ii)       La confiance du public envers les membres de l’Ordre risque-t-elle d’être compromise si le Conseil de discipline ne prononce aucune ordonnance?

CONTEXTE

[5]               La requérante produit une preuve documentaire[3] confirmant notamment que l’intimé est inscrit au tableau de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (l’Ordre)[4].

[6]               Le 3 novembre 2022, l’intimé est nommé à un poste régulier à temps complet au service Enfance-Famille-Jeunesse, dans l’équipe CAFE (Crise-Ado Famille Enfance) du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (l’établissement)[5].

[7]               Or, le 16 février 2023, l’intimé comparaît devant un juge de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, à la suite du dépôt d’accusations fondées sous les articles 163.1 (4) a) (possession de pornographie juvénile) et 163.1 (4.1) a) (accès à la pornographie juvénile) du Code criminel[6].

[8]               Le 23 février 2023, madame Mélanie Rioux, conseillère cadre au développement des pratiques professionnelles de l’établissement, transmet une demande d’enquête au Bureau du syndic de l’Ordre l’informant du dépôt de ces accusations criminelles à l’endroit de l’intimé et précise ce qui suit[7] :

i)          Avant son arrestation survenue le 15 février 2023, l’intimé occupe la fonction de travailleur social au sein d’une équipe jeunesse;

ii)        Le 15 février 2023, l’intimé est arrêté sur les lieux de travail. Il se voit imposer des conditions pour sa remise en liberté, jusqu’à sa comparution prévue pour le 27 mars 2023;

iii)      Considérant les accusations, l’intimé est suspendu avec solde par l’établissement.

[9]               Le 6 mars 2023, madame Maude Poirier, conseillère en relations de travail de l’établissement, transmet au Bureau du syndic des photocopies de la dénonciation et de la lettre de suspension émanant de l’établissement[8]. Elle n’a reçu aucune information selon laquelle un usager serait impliqué dans la production de pornographie juvénile.

[10]           Le 15 mars 2023, la requérante communique avec l’intimé pour obtenir sa version des faits. L’enregistrement de cette conversation permet de constater que l’intimé reconnaît que la situation pourrait être de nature à « porter préjudice à la clientèle »[9].

[11]           Le 27 mars 2023, l’intimé comparaît en chambre criminelle et celui-ci est remis en liberté. Le 19 juin 2023, une orientation doit être donnée à ce dossier.

[12]           Le 17 avril 2023, l’intimé se représente lui-même devant le Conseil. Il est alors avisé de son droit et des avantages d’être représenté par un avocat ou d’en consulter un. Le Conseil lui explique la nature de la demande d’ordonnance dont il est saisi, sa durée possible et les conséquences éventuelles sur son droit d’exercer sa profession et d’utiliser son titre de travailleur social. L’intimé précise vouloir procéder. Il ne prévoit pas de retenir les services d’un avocat, notamment en raison du coût lié à une telle représentation.

[13]           L’intimé témoigne brièvement pour expliquer qu’il a enregistré un plaidoyer de non-culpabilité aux accusations criminelles et qu’il est possible, à la lumière du moyen de défense qu’il prévoit invoquer, que le poursuivant révise sa décision quant au maintien ou à la modification des chefs d’accusation liés à la pornographie juvénile.

[14]           Il confirme ne pas travailler en ce moment et ne planifie pas exercer sa profession « dans les prochains temps. » Il mentionne faire actuellement l’objet d’une suspension avec solde, mais que la situation changera s’il perd son droit d'exercer sa profession.

POSITION DES PARTIES

[15]           La requérante considère comme nécessaire de présenter le présent dossier à l’examen du Conseil pour les motifs suivants.

[16]           Les accusations portées contre l’intimé sont passibles d’une peine d’emprisonnement de cinq ans et plus.

[17]           Il y a un lien direct avec l’exercice de la profession. Un travailleur social se doit de protéger les droits et le bien-être des jeunes. Il a la responsabilité de protéger les enfants et les adolescents de l’exploitation sexuelle.

[18]           La possession et l’exploitation de pornographie juvénile contribuent à l’exploitation sexuelle des mineurs et à la violation de leurs droits fondamentaux. Les valeurs devant animer les travailleurs sociaux commandent le respect de la dignité et l’intégrité. Or, la possession et la consultation de pornographie juvénile impliquent la participation à une activité illégale et préjudiciable à l’égard du public.

[19]           Les accusations sont incompatibles avec les valeurs du travail social. Elles minent la crédibilité de la profession. Cette situation entrave la confiance que le public doit avoir dans une offre et une prestation de services auxquelles le public s’attend. Cela nuit à la relation professionnelle à la base du travail social. Dans ce contexte, il n’est pas possible d’exercer la profession de travailleur social tout en faisant face à des accusations de consultation et de possession de pornographie juvénile.

[20]           Elle invoque des autorités à l’appui de sa position et souligne les valeurs énoncées à l’article 5 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (le Code de déontologie)[10].

[21]           Pour sa part, l’intimé n’a rien à ajouter à ce qu’il a précédemment mentionné.

ANALYSE

Principes de droit applicables

[22]           La présente requête se fonde sur l’article 122.0.1 du Code des professions :

Un syndic peut, lorsqu’il est d’avis qu’une poursuite intentée contre un professionnel pour une infraction punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus a un lien avec l’exercice de la profession, requérir du conseil de discipline qu’il impose immédiatement à ce professionnel soit une suspension ou une limitation provisoire de son droit d’exercer des activités professionnelles ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre, soit des conditions suivant lesquelles il pourra continuer d’exercer la profession ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre.

[Notre soulignement]

[23]           D’autre part, le premier alinéa de l’article 122.0.3 du même Code fait état des balises suivantes :

À la suite de l’instruction, le conseil de discipline, s’il juge que la protection du public l’exige, peut rendre une ordonnance imposant immédiatement au professionnel soit une suspension ou une limitation provisoire de son droit d’exercer des activités professionnelles ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre, soit des conditions suivant lesquelles il pourra continuer d’exercer la profession ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre. Dans sa décision, le Conseil de discipline tient compte du lien entre l’infraction alléguée et l’exercice de la profession ou du fait que la confiance du public envers les membres de l’ordre risque d’être compromise si le Conseil de discipline ne prononce aucune ordonnance.

[Notre soulignement]

[24]           Ces dispositions sont commentées par l’auteure Sharon Godbout dans son article « La suspension ou la limitation provisoire du droit d’un professionnel d’exercer ses activités professionnelles lorsqu’il fait l’objet d’une poursuite criminelle »[11] :

Page 6

En somme, le mécanisme des articles 122.0.1 et suivants, tout comme la procédure en radiation ou limitation provisoire prévue au Code des professions, est un recours exceptionnel puisqu'il a pour conséquence de priver le professionnel de son droit d'exercer sa profession avant même qu'il soit reconnu coupable des actes allégués. En conséquence, le conseil de discipline doit appliquer les critères prévus à ces dispositions avec prudence tout en respectant l'objectif du législateur d'assurer la protection et la confiance du public à l'endroit du système disciplinaire québécois.

Page 7

L'expression « punissable » renvoie à la peine prévue dans la loi créant l'infraction pénale, et non à la peine qui pourrait, dans les faits, être infligée à un professionnel en particulier.

Page 9

Il faut également avoir à l'esprit que le syndic ne disposera pas nécessairement d'une connaissance approfondie des faits entourant la perpétration de l'infraction puisque le procès criminel n'aura pas été encore tenu. Contrairement à la procédure de radiation ou de limitation provisoire prévue à l'article 130 C. prof., où le syndic dispose d'un certain degré de preuve puisqu'il doit prouver prima facie que les 6 infractions ont été commises, dans le cadre de la procédure des articles 122.0.1 et suivants, le syndic ne bénéficiera généralement que de l'acte d'accusation.

[25]           Dans l’affaire Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lavoie[12], le conseil de discipline décide que les termes « infractions punissables de cinq ans d’emprisonnement » constituent un critère de nature purement objective :

[52]  Finalement le législateur, par le libellé de l’article 122.0.1 du Code, vise uniquement des infractions dont la gravité est suffisamment élevée pour exiger que le professionnel qui en est accusé soit passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins 5 ans. De plus, il s’agit d’une mesure qui demeure en vigueur suivant les circonstances bien définies par l’article 122.0.4 du Code.

[26]           Ce recours vise à suspendre ou à limiter l’exercice de la profession des professionnels accusés d’infractions dont la gravité est très élevée[13].

[27]           Comme décidé dans l’affaire Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Berthelot[14], un conseil de discipline n’a pas à remettre en question les accusations criminelles ni à s’immiscer dans la procédure criminelle :

[44]        Par ailleurs, considérant le caractère urgent de la procédure prévue par le législateur, il serait contraire à l’essence même de ces mesures ajoutées au Code des professions lors des modifications législatives de juin 2017, qu’une enquête exhaustive ait lieu à ce stade-ci.

[45]        Contrairement à une demande en radiation provisoire, à laquelle est nécessairement rattachée une plainte disciplinaire, qui implique donc une enquête minimale ayant mené au dépôt d’une plainte, la mesure d’urgence prévue au C.prof. ne se prête pas à une enquête exhaustive et la preuve présentée lors de l’instruction est nécessairement sommaire. Le Conseil n’a pas à s’immiscer dans la procédure criminelle et questionner l’enquête du DPCP, ni du jugement d’un procureur de la Couronne qui a décidé, sur la base des éléments de preuve en sa possession, qu’une accusation pouvant démontrer la commission des infractions reprochées hors de tout doute raisonnable, devait être portée.

[46]        Et contrairement à une demande en radiation provisoire, le requérant n’a pas à faire une preuve prima facie de la commission de l’infraction. Ce n’est pas le but recherché de l’article 122.0.1 du C.prof.

[47]        Par conséquent, le Conseil, doit prendre les accusations telles que portées « à leur face même » et émettre une des ordonnances prévues à l’article 122.0.3 du C.prof., car la mesure recherchée par cet article n’est pas une question de droit substantif, mais de procédure.

[28]           Les questions en litige sont maintenant abordées.

A) Les infractions portées contre l’intimé sont-elles punissables de cinq ans d’emprisonnement ou plus?

[29]           Les chefs 1 et 2 de la dénonciation au dossier de la Cour du Québec portant le numéro 500-01-244280-233 réfèrent aux articles 163.1 (4) a) et 163.1 (4.1) a) du Code criminel [15] lesquels prévoient ce qui suit :

Possession de pornographie juvénile

(4) Quiconque a en sa possession de la pornographie juvénile est coupable :

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de un an;

Accès à la pornographie juvénile

(4.1) Quiconque accède à de la pornographie juvénile est coupable :

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de un an;

[30]           Le Conseil prend les accusations telles que portées[16].

[31]           Puisque ces chefs accusations font état d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus, ce critère d’assujettissement à la procédure prévue à l’article 122.0.1 du Code des professions est établi.

B) La protection du public exige-t-elle qu’une ordonnance de suspension provisoire immédiate du droit d’exercice de l’intimé soit prononcée?

i) Les infractions alléguées à la dénonciation ont-elles un lien avec l’exercice de la profession de travailleur social? ou

ii) La confiance du public envers les membres de l’Ordre risque-t-elle d’être compromise si le Conseil de discipline ne prononce aucune ordonnance?

[32]           Le Conseil peut tenir compte « du lien entre l’infraction alléguée et l’exercice de la profession » ou « du fait que la confiance du public envers les membres de l’Ordre risque d’être compromise si le Conseil de discipline ne prononce aucune ordonnance ».

[33]           Il ne s’agit pas de critères cumulatifs[17] et une ordonnance peut être prononcée même si un seul de ces critères s’applique.

Le lien entre l’infraction et la profession

[34]           En procédant aux adaptations nécessaires, il y a lieu d’appliquer le test développé par le Tribunal des professions pour déterminer si les gestes reprochés sont en lien avec la profession[18].

[35]           Plus précisément, dans l’affaire Thivierge[19] un avocat reconnaît sa culpabilité à des accusations criminelles, mais conteste que celles-ci ont un lien avec l’exercice de la profession au sens de l’article 149.1 du Code des professions :

[78]   À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les actes de la vie privée d’un avocat ou de tout autre professionnel peuvent  être liés à sa vie professionnelle. La jurisprudence du Tribunal des professions est sans équivoque.

[79]   On retient aussi de cette jurisprudence que la première étape visant à déterminer l’existence d’un lien entre la commission d’infractions criminelles et l’exercice d’une profession consiste à examiner la nature des infractions dont le professionnel a été reconnu coupable, leur gravité de même que les circonstances entourant leur commission et ce, en relation avec les qualités essentielles à l’exercice de cette profession. Si le Conseil conclut à l’absence de lien, l’exercice s’arrête à cette première étape.

[]

[84]   En effet, le Conseil erre en procédant ainsi puisqu’il omet de s’interroger notamment sur la nature des infractions commises et sur les qualités essentielles à l’exercice de la profession d’avocat, indépendamment de la pratique spécifique du professionnel.

[85]   Il va sans dire que les qualités essentielles liées à l’exercice d’une profession varient d’une profession à l’autre. Par exemple, certaines professions du domaine de la santé sont plus exigeantes à l’égard de leurs membres pour des infractions à caractère sexuel en raison du fait que ceux-ci ont accès à l’intimité de personnes souvent vulnérables sur le plan physique et/ou psychologique.

[Notre soulignement]

[36]           Dans l’affaire Nareau[20], le Tribunal des professions enseigne que l’existence d’un lien s’impose s’il s’agit de gestes « qui s’ils avaient été posés dans l’exercice de la profession, auraient constitué sans équivoque des infractions disciplinaires graves ». Dans cette affaire, le geste reproché, soit d’avoir poignardé un ami pendant un épisode d’intoxication, n’en est pas un qui est posé dans l’exercice de la profession. Dans ce second cas, il faut examiner la gravité du geste, les circonstances entourant sa commission, et ce, en lien avec l’exercice de la profession.

[37]           Dans le cas du travailleur social, les qualités essentielles liées à l’exercice de la profession sont exigeantes à l’égard de leurs membres pour des infractions visant à sanctionner la corruption de mœurs. Soulignons que les infractions pour lesquelles l’intimé est accusé sont prévues à la Partie IV du Code criminel, soit les « infractions d’ordre sexuel, actes contraires aux bonnes mœurs, inconduite ». Elles sont réunies sous le titre « Infractions tendant à corrompre les mœurs. »

[38]           Or, l’article 37 d) du Code des professions prévoit ce qui suit en ce qui concerne l’exercice de la profession :

i.  pour l’exercice de la profession de travailleur social: évaluer le fonctionnement social, déterminer un plan d’intervention et en assurer la mise en œuvre ainsi que soutenir et rétablir le fonctionnement social de la personne en réciprocité avec son milieu dans le but de favoriser le développement optimal de l’être humain en interaction avec son environnement;

ii.  pour l’exercice de la profession de thérapeute conjugal et familial: évaluer la dynamique des systèmes relationnels des couples et des familles, déterminer un plan de traitement et d’intervention ainsi que restaurer et améliorer les modes de communication dans le but de favoriser de meilleures relations conjugales et familiales chez l’être humain en interaction avec son environnement;

[39]           Le travailleur social intervient auprès d’une clientèle souvent vulnérable et ayant besoin d’un grand soutien. Dans le cas d’un usager bénéficiant de services offerts par un établissement du réseau de la santé et des services sociaux, celui-ci peut s’attendre à recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats. Or, l’intervention d’un travailleur social suppose l’existence d’un lien de confiance important en raison du caractère très personnel et délicat des informations que ce dernier doit obtenir et des interventions effectuées par la suite. D’ailleurs, l’article 32 du Code de déontologie lui impose de chercher à établir et à maintenir avec son client une relation de confiance et de respect mutuel.

[40]           Rappelons que dans le présent dossier, l’intimé exerce sa profession au service Enfance-Famille-Jeunesse, dans l’équipe CAFE  de l’établissement.

[41]           Ainsi, dans le cadre de son travail, il intervient dans des situations de crises impliquant des enfants ou des adolescents. Or, les infractions criminelles en cause concernent la possession ou l’accès à de la pornographie juvénile.

[42]           Puisque le Conseil doit considérer les accusations criminelles telles qu’elles sont portées, le fait pour un travailleur social de faire l’objet d’accusations en lien avec de la pornographie juvénile tétanise son intervention auprès des enfants et des adolescents. Le lien entre les infractions reprochées et la profession de travailleur social appelé à intervenir dans l’équipe CAFE est clair.

[43]           Il n’est pas sans intérêt de relever qu’à l’occasion de la rencontre entre la requérante et l’intimé, ce dernier indique que dans sa situation, les accusations pouvaient venir à porter un préjudice à la clientèle[21].

[44]           Ajoutons que même si la preuve ne démontre pas que les gestes reprochés à l’intimé supposent une implication avec des usagers du service Enfance-Famille-Jeunesse, permettre à un travailleur social faisant l’objet de telles accusations de continuer à rendre des services à ces clients apparaît contraire aux valeurs devant animer tous les membres de la profession.

[45]           En outre, on voit mal comment un travailleur social, dans un tel contexte, pourrait intervenir après de tout client dans le cadre d’une relation d’aide alors qu’un lien de confiance doit être établi et qu’il fait l’objet d’accusations criminelles relatives à la corruption de mœurs.

[46]           Ajoutons que l’article 5 du Code de déontologie prévoit que les gestes posés par un travailleur social reposent notamment sur les valeurs et les principes éthiques suivants : le respect de la dignité de la personne, le respect des droits de la personne et la promotion du bien-être des personnes.

[47]           Les gestes reprochés à l’intimé dans le cadre des accusations criminelles se situent aux antipodes de ces valeurs.

[48]           Le lien entre les infractions reprochées et la profession de travailleur social est clairement établi.

La confiance du public envers les membres de l’Ordre risque d’être compromise

[49]           En premier lieu, comme déjà mentionné, ce critère est alternatif. L’ordonnance peut être prononcée puisque le premier critère déjà analysé ci-dessus le justifie.

[50]           Toutefois, eu égard à ce second critère, il n’est pas sans intérêt de se référer à l’affaire Nareau[22] :

[40]        L'objectif poursuivi est la protection du public dont le volet perception du public revêt ici une importance particulière.  Rappelons l'enseignement de la Cour d'appel dans Salomon :

Protection du public

[75]      De fait, la mission première des ordres professionnels – et singulièrement celle de leur comité de discipline – est d'assurer la protection du public.  Je suis plutôt d'accord avec l'avocat de Salomon lorsqu'il plaide que l’article 55.1 C.p. vise à assurer une protection immédiate au public et que les autres critères, dont l'exemplarité, doivent demeurer l'apanage du Comité de discipline.  Par ailleurs, je ne suis pas certain, contrairement à ce prétend l'avocat de Salomon, qu'on puisse tracer une cloison étanche entre la protection du public et la perception du public.  La dernière n'est-elle pas une composante de la première?  Le public n'est-il pas en droit de croire que les ordres professionnels prennent toutes les mesures pour éviter que certains de leurs membres, dont l'honnêteté a été mise en doute, ne puissent offrir leurs services au public?

[Référence omise]

[51]           Lorsqu’un travailleur social est visé par des accusations criminelles relatives à la corruption de mœurs, permettre que celui-ci puisse continuer d’exercer sa profession serait de nature à miner la confiance du public envers les membres de l’Ordre. Le public pourrait percevoir que toutes les mesures ne sont pas prises pour éviter qu’un membre dont les mœurs sont sérieusement mises en doute puisse continuer à offrir ses services au public.

[52]           Les reproches formulés à l’endroit de l’intimé vont à l’encontre des valeurs qui se situent au cœur de l’exercice de la profession. Ces valeurs et les principes éthiques qui doivent animer un travailleur social sont mentionnés au Code de déontologie :

5. La profession de travailleur social ainsi que celle de thérapeute conjugal et familial reposent sur les valeurs et les principes éthiques suivants:

1° le respect de la dignité de la personne;

2° le respect des droits des personnes, des couples, des familles, des groupes et des collectivités;

3° le respect du principe d’autonomie de la personne et du principe d’autodétermination;

4° le droit de toute personne en danger de recevoir assistance et protection selon ses besoins;

5° la promotion des principes de justice sociale;

6° la croyance en la capacité humaine d’évoluer et de se développer;

7° la reconnaissance de la nécessité de percevoir et de comprendre la personne en tant qu’élément de systèmes interdépendants et potentiellement porteurs de changements;

8° la promotion du bien-être des personnes, des couples, des familles, des groupes et des collectivités.

[53]           Ajoutons que l’article 8 du Code de déontologie prévoit qu’un travailleur social doit s’acquitter de ses obligations avec intégrité.

[54]           La confiance du public risque d’être compromise si l’intimé est autorisé à poursuivre son travail auprès des jeunes et des adolescents alors qu’il est visé par des accusations en lien avec de la pornographie juvénile. Une telle situation ne peut se réaliser sans aller à l’encontre de toutes les valeurs devant animer un travailleur social et ne pourrait rationnellement se justifier.

[55]           De plus, le fait d’être visé par des accusations de corruption de mœurs fait en sorte que le public peut considérer que toute intervention de l’intimé auprès de l’ensemble de la clientèle est également de nature à compromettre la confiance du public envers les membres de l’Ordre. Comme déjà mentionné, cette clientèle est souvent vulnérable et a besoin d’aide. La relation de confiance nécessaire à une intervention est compromise alors que de telles accusations sont pendantes.

[56]           Le Conseil juge que la confiance du public envers les membres de l’Ordre risque d’être compromise s’il ne prononce aucune ordonnance.

Les déboursés et la publication d’un avis de la présente décision

[57]           L’article 122.0.3 (3) du Code des professions rend applicables les cinquième, sixième et septième alinéas de l’article 133 du Code des professions.

[58]           Suivant le cinquième alinéa de l’article 133 du Code des professions, lorsque le conseil de discipline impose à un professionnel une radiation ou une limitation temporaire, il doit aussi décider si un avis de sa décision doit être publié.

[59]           La publication d’un tel avis doit être considérée comme étant la règle, comme l’enseigne le Tribunal des professions dans l’affaire Lambert[23] :

Il est d'intérêt public que soient connues les décisions des comités de discipline dans des cas semblables au présent dossier.  Il faut que le public sache que le système fonctionne pour assurer sa protection, ce qui est le but du droit disciplinaire.  En l'espèce, la plainte a été portée à la connaissance du public; il faut compléter l'exercice et en faire connaître le dénouement.

[60]           Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles qu’un tel avis n’est pas publié[24]. En l’instance, l’intérêt public milite en faveur d’une publication d’un avis de la présente décision.

[61]           La requérante demande que l’intimé soit condamné au paiement des déboursés et des frais de publication d’un avis de la présente décision.

[62]           La règle générale veut que les déboursés et les frais de publication soient assumés par la partie qui succombe[25]. Il n’y a pas lieu de s’en écarter.

POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL :

[63]           ACCUEILLE la requête pour l’émission d’une ordonnance de suspension immédiate provisoire du droit de l’intimé d’exercer des activités professionnelles et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre, présentée par la requérante en vertu de l’article 122.0.1 et suivants.

[64]           ORDONNE la suspension immédiate provisoire du droit de l’intimé d’exercer la profession de travailleur social.

[65]           ORDONNE la suspension immédiate provisoire du droit de l’intimé d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.

[66]           ORDONNE à la secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec de publier un avis de la décision dans un journal circulant dans le lieu d’exercice l’intimé a son domicile professionnel, conformément à l’article 122.0.3 du Code des professions.

[67]           CONDAMNE l’intimé au paiement des frais de publication d’un avis de la présente décision ordonnant la suspension provisoire immédiate du droit d’exercice de l’intimé.

[68]           CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, conformément à l’article 151 du Code des professions.

 

__________________________________

Me MAURICE CLOUTIER

Président

 

 

 

__________________________________

M. JOSEPH ANGLADE, T.S.

Membre

 

 

 

__________________________________

Mme JOSÉE LAURENDEAU T.S.

Membre

 

Me Véronique Brouilllette

Me Eirini Michali

Avocates de la requérante

 

Justin Gauvin-David

Agissant personnellement

 

Date d’audience :

 

17 avril 2023

 


[1]  RLRQ, c. C-26.

[2]  Pièces RP-1 à RP-11, dont RP-8, l’enregistrement d’une entrevue du 23 février 2023. La retranscription sous forme de notes sténographiques de cet enregistrement, soit RP-8 a) a été communiqué le 16 avril 2023.

[3]  Pièces RP-1 à RP-11.

[4]  Pièces RP-1 et RP-3 : renouvellement de l’inscription au tableau de l’Ordre en date du 6 mars 2023.

[5]  Pièce RP-5.

[6]   Pièce RP-7 A : plumitif du dossier portant le numéro 500-01-244280-233.

[7]   Pièce RP-4.

[8]  Pièce RP-6.

[9]  Pièce RP-8, p. 8 in fine et 9.

[10]   RLRQ, c. C-26, r. 286.1.

[11]  Sharon Godbout, « La suspension ou la limitation provisoire du droit d’un professionnel d’exercer ses activités professionnelles lorsqu’il fait l’objet d’une poursuite criminelle », Repères, Yvon Blais, 2018, EYB2018REP2622 cité dans : Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Sandhu, 2022 QCCDIA 2. Voir aussi : Chiropraticiens (Ordre professionnel des) c. Chagnon, 2022 QCCDCHIR 12, paragr. 15.

[12]  Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lavoie, 2019 CanLII 20258 (QC OPQ), paragr. 40.

[13]  Chiropraticiens (Ordre professionnel des) c. Chagnon, 2022 QCCDCHIR 12, paragr. 12.

[14]  Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Berthelot, 2021 QCCDBQ 47.

[15]  Code criminel, LRC 1985, c. C-46.

[16]  Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Berthelot, supra, note 14, paragr. 47.

[17]  Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lavoie, supra, note 12, paragr. 78; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Berthelot, supra, note 14, paragr. 38; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Gauvin, 2022 QCCDCPA 43, paragr. 41, 42 et 45.

[18]  Podiatres (Ordre professionnel des) c. Nadeau, 2022 QCCDPOD 5, paragr. 68; Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lavoie, 2019 CanLII 20258 (QC OPQ), paragr. 55.

[19]  Avocats (Ordre professionnel des) c. Thivierge, 2018 QCTP 23, Pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 2019 QCCS 3809, Requête pour permission d’appeler accueillie 2019 QCCA 1991, Appel rejeté, 2021 QCCA 678. Au même effet : Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, 2018 QCTP 60.

[20]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 19.

[21]   Pièce RP-8 a), p. 8 in fine et p. 9.

[22]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 19.

[23]  Lambert c. Fortin, 1997 CanLII 17405 (QC TP).

[24]  Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52, paragr. 74.

[25]   Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lavoie, supra, note 12, paragr. 82; Murphy c. Chambre de la sécurité financière, 2010 QCCA 1079, paragr. 70.

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