Décision

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Marcellus c. R.

2024 QCCA 1262

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-008038-232, 500-10-008039-230

(500-01-203402-208)

 

DATE :

 27 septembre 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

 

No : 500-10-008038-232 (500-01-203402-208 séq. 002)

 

GRETZKY MARCELLUS

REQUÉRANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

No : 500-10-008039-230 (500-01-203402-208 séq. 001)

 

OMAR ARAGHOUNE

REQUÉRANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

 

Ordonnance de non-publication :

il est interdit de publier toute information susceptible

de permettre l'identification de la conjointe et des enfants de la victime

 

 

[1]                Jeffrey Romel Nauzinor et les requérants Gretzky Marcellus et Omar Araghoune sont impliqués dans le meurtre de la victime, assassinée d’un coup de feu à la tête lors d’une invasion de domicile le 16 septembre 2019. Nauzinor et Marcellus sont accusés de meurtre au premier degré et Araghoune, d’homicide involontaire coupable.

[2]                Après un procès conjoint de trois mois devant juge et jury présidé par l’honorable Mario Longpré de la Cour supérieure du Québec, district de Montréal, Nauzinor est déclaré coupable de meurtre au premier degré, et Marcellus et Araghoune, d’homicide involontaire coupable en utilisant une arme à feu. Nauzinor est emprisonné à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Le 24 mai 2023, dans un jugement fouillé et détaillé rendu oralement, le juge impose une peine de 17 ans d’emprisonnement à Marcellus et de 12 ans à Araghoune. Le jugement est transcrit le 5 juin 2023[1].

[3]                Marcellus et Araghoune se pourvoient en appel contre leurs peines. Leurs requêtes en autorisation d’appel sont déférées à la présente formation[2].

***

[4]                Les requérants soulèvent plusieurs moyens d’appel, qui se résument ainsi :

  1. Le juge se trompe quant à la responsabilité morale de Marcellus en concluant qu’il a posé des gestes de violence et a aidé à la séquestration de la victime, et ce, au moment même du meurtre commis par Nauzinor;
  2. Le juge se trompe en attribuant aux requérants une culpabilité morale équivalente à celle de l’auteur réel qui commet un « quasi-meurtre », sans considérer a) les gestes individuels posés par les requérants dans la commission de l’homicide et b) l’absence de preuve qu’ils connaissaient l’intention de Nauzinor d’utiliser l’arme à feu ou avaient la prévisibilité subjective du risque que Nauzinor l’utilise;
  3. Le juge s’écarte substantiellement des fourchettes en semblables matières en raison de la recrudescence des armes à feu dans la région de Montréal, alors que cette preuve est postérieure aux infractions et est sans lien avec les requérants, et la fourchette des peines tient déjà compte du problème des armes à feu;
  4. Le juge fait double emploi du fait que les requérants savaient que Nauzinor était armé a) en imposant la peine minimale prévue au paragraphe 236a) C.cr. et b) en tenant compte de cet élément comme facteur aggravant;
  5. Le juge retient à titre de facteur aggravant que les requérants étaient soumis à une ordonnance d’interdiction de posséder des armes à feu, alors que la preuve ne peut soutenir la conclusion qu’ils avaient la possession de l’arme utilisée par Nauzinor;
  6. Le juge retient, à titre de circonstance aggravante, l’un des éléments constitutifs de l’infraction, soit l’invasion de domicile afin de commettre un vol par violence;
  7. Le juge accorde un poids démesuré et une insistance trop grande aux objectifs de dénonciation et d’exemplarité;
  8. Les peines sont excessives, déraisonnables et manifestement non indiquées.

[5]                Aucun de ces moyens n’est fondé.

***

[6]                Les principes généraux applicables aux appels de peines sont bien connus.

[7]                En matière de peine, une cour d’appel n’intervient pas à la légère en raison de la déférence considérable à l’endroit du juge de première instance et une intervention ne s’avère possible que si (1) la peine est manifestement non indiquée ou (2) le juge a commis une erreur de principe qui a une incidence sur la peine[3]. La déférence est particulièrement élevée à l’égard d’une peine pour un homicide involontaire coupable en raison de la diversité des circonstances[4].

[8]                Une peine manifestement non indiquée en est une qui n’est pas proportionnelle à la gravité de l’infraction et à la culpabilité morale du délinquant[5]. Une erreur de principe peut être une erreur de droit, une omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant, dans la mesure où le juge a exercé son pouvoir d’une manière déraisonnable[6]. Toutefois, la décision d’un juge d’accorder plus ou moins de poids à un facteur aggravant ou atténuant est strictement discrétionnaire et, en particulier, « [u]ne cour d’appel ne peut intervenir simplement parce qu’elle leur aurait attribué un poids différent »[7].

***

[9]                Les deux premiers moyens portent sur la culpabilité morale des requérants et leur degré de participation dans le meurtre de la victime.

[10]           Le premier moyen concerne les gestes posés par Marcellus lors de la commission de l’infraction. Le juge reprend bien la règle selon laquelle il est lié par les conclusions du jury quant aux faits, exprès ou implicites, essentiels aux verdicts, et qu’il doit tirer ses propres conclusions quant aux autres faits pertinents et nécessaires à l’imposition de la peine appropriée.

[11]           Les jurés n’avaient pas à se prononcer sur les questions de savoir si Marcellus a séquestré la victime ou s’il a commis des voies de fait à son égard. S’agissant d’éléments pertinents à la détermination de la peine appropriée, le juge devait analyser la preuve et tirer ses propres conclusions à ce chapitre. C’est ce qu’il a fait.

[12]           Marcellus ne peut prétendre que le juge a mal interprété la preuve, comme il a choisi de ne pas la produire[8]. La Cour ne peut donc pas intervenir sur cet aspect. Marcellus soulève plutôt une contradiction entre les conclusions du juge aux paragraphes 29 et 34 du jugement :

[29] Dès son entrée dans l’appartement, Nauzinor empoigne la victime par les cheveux, et ce, tout au long de l’événement tragique. La victime se fait rapidement demander : « Where is the stuff? » Il entraîne la victime dans la chambre à coucher des maîtres où se trouvaient déjà la conjointe de la victime et leur fillette âgée de quatre ans. Le fils de la victime, âgé de neuf ans, se fait pousser par Marcellus et Nauzinor pour qu’il entre également dans la chambre à coucher principale. Marcellus se rend aussi dans la chambre à coucher et donne des coups à la victime, en plus de Nauzinor qui lui en assène aussi. Le Tribunal retient que Marcellus a aidé à la séquestration de la victime par Nauzinor en la frappant pendant que Nauzinor la tenait en joue, empêchant ainsi la victime de se défendre et de s’enfuir en raison notamment du caractère exigu des lieux.

[…]

[34] Le Tribunal ne peut conclure exactement ce que Marcellus était en train de faire au moment du coup de feu fatal, puisque la conjointe de la victime n’est plus en mesure d’affirmer, comme elle l’avait déjà fait dans le passé, qu’il aurait donné des coups à la victime après avoir fouillé dans l’armoire dans les instants précédant le coup de feu. Le Tribunal retient néanmoins de la preuve que Marcellus est encore dans la chambre à coucher au moment du coup de feu fatal tiré à bout portant à la tête de la victime, contrairement à ce que croit le jeune garçon et qu’il mentionne dans sa déclaration.

[Soulignements ajoutés]

[13]           Il n’y a toutefois aucune contradiction entre ces paragraphes. Le fait que la conduite de Marcellus au moment du coup de feu soit inconnue ne contredit aucunement la conclusion que, plus tôt dans l’agression qui a duré moins de cinq minutes, Marcellus a donné des coups à la victime et a aidé à la séquestrer, ou la conclusion que Marcellus était toujours dans la chambre.

[14]           Le premier moyen d’appel est donc rejeté.

[15]           Quant au deuxième moyen, le juge est bien conscient qu’il est lié par les conclusions du jury qui limitent le degré de participation des requérants dans le meurtre de la victime :

[9] Quant à Marcellus, le Tribunal a instruit le jury quant à sa participation en vertu de l’art. 21(2) C.cr. et, alternativement, en vertu du par. 21(1)b) C.cr, le jury n’ayant pas à être unanime sur le chemin pour y arriver. Puisque le jury a acquitté Marcellus de l’infraction de meurtre, il faut conclure que le jury a entretenu un doute raisonnable soit quant au fait qu’il savait que la réalisation de la fin illégale aurait pour conséquence probable la mort de la victime, ou encore qu’il a eu un doute raisonnable que Marcellus avait l’intention d’aider Nauzinor à commettre le meurtre, sachant que Nauzinor avait l’intention requise pour le meurtre prévue à l’art.229a) (i) ou (ii) C.cr.

[10] Quant à Araghoune, puisqu’il a été trouvé coupable de l’infraction d’homicide involontaire coupable telle que portée à l’acte d’accusation, il faut conclure que le jury a été convaincu hors de tout doute raisonnable des éléments constitutifs de l’infraction, selon les directives qui leur ont été données quant à sa participation en fonction de l’art. 21(2) C.cr. Puisque l’infraction d’homicide involontaire coupable n’exige pas une intention subjective du risque de lésions corporelles pour être déclaré coupable, il faut conclure que le jury a minimalement décidé qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances qu’Araghoune aurait prévu que la conséquence de la fin illégale comportait un risque de lésions corporelles.

[16]           Dans son évaluation de la culpabilité morale des requérants, le juge conclut donc qu’ils n’avaient pas la prévisibilité subjective de la probabilité du décès de la victime, mais seulement la prévisibilité objective :

[225] La culpabilité morale d’Araghoune et de Marcellus est grande et bien qu’à la lumière du verdict rendu par le jury il y a lieu de conclure que Marcellus n’avait pas la prévisibilité subjective que la réalisation de la fin illégale aurait pour conséquence probable la mort de la victime, toutefois, d’un point de vue objectif, il y a lieu de conclure qu’il y avait présence d’un tel risque.

[226] De la même manière, le Tribunal ne peut conclure qu’Araghoune avait la prévisibilité subjective que la réalisation de la fin illégale aurait pour conséquence probable la mort de la victime, mais, d’un point de vue objectif, il y avait le risque que la réalisation de la fin illégale entraîne comme conséquence des blessures corporelles graves et même la mort de la victime.

[17]           Le juge ne commet donc pas l’erreur reprochée d’attribuer aux requérants une responsabilité morale basée sur une prévisibilité subjective du décès de la victime, ce qui aurait été contraire aux verdicts du jury.

[18]           Mais ceci ne l’empêche pas de conclure à un haut degré de responsabilité morale : les requérants ont joué des rôles importants dans la planification et l’exécution d’une invasion de domicile avec arme à feu, pendant laquelle la victime a été exécutée devant sa conjointe et ses enfants.

[19]           De plus, le juge pouvait conclure que la responsabilité morale de Marcellus était encore plus élevée, en fonction de la participation différente de chacun dans le meurtre de la victime : Araghoune était dans la cuisine, alors que Marcellus a donné des coups à la victime, a aidé à sa séquestration et était présent dans la chambre lors du meurtre.

[20]           Le second moyen est ainsi rejeté.

***

[21]           Le troisième moyen d’appel porte sur la fourchette de peines applicable.

[22]           Les fourchettes de peines ne sont pas des « carcans »[9]. Elles sont plutôt « des condensés des peines minimales et maximales déjà infligées, et qui, selon le cas de figure, servent de guides d’application de tous les principes et objectifs pertinents »[10]. Elles sont donc pertinentes en vue de favoriser la cohérence des peines infligées aux délinquants[11], mais elles ne sont pas contraignantes. Il est loisible aux juges de s’en écarter dans l’exercice de leur discrétion dans chaque cas afin d’imposer une peine proportionnelle[12].

[23]           En conséquence, le défaut d’identifier la fourchette applicable, l’application de la mauvaise fourchette ou l’imposition d’une peine en haut ou en bas de la fourchette ne sont pas en soi des erreurs de principe justifiant l’intervention de la Cour. En l’absence d’une autre erreur de principe, ils ne peuvent justifier une intervention que si la peine est manifestement non indiquée[13].

[24]           En l’espèce, le juge estime que les fourchettes examinées par la Cour dans R. c. Vallée[14] « ne tiennent pas compte de cette nouvelle réalité [la recrudescence de l’utilisation des armes à feu à Montréal] et ne différencient pas nettement les homicides involontaires commis par arme à feu des autres cas d’homicide involontaire »[15] et qu’elles ont une utilité limitée dans le dossier[16].

[25]           La recrudescence de l’utilisation des armes à feu à Montréal ne justifiait pas que le juge mette de côté le portrait tracé par la Cour dans l’arrêt Vallée. La Cour suprême énonce dans Friesen qu’une fourchette peut être « désuète et devoir être révisée à la hausse » « lorsque le législateur augmente la peine maximale pour une infraction et que la société comprend mieux la gravité du préjudice qui découle de cette infraction »[17].

[26]           Les homicides involontaires coupables commis avec arme à feu ont toujours été considérés comme des infractions graves et la culpabilité morale des délinquants est grande. L'approche des tribunaux canadiens et de notre Cour n'a pas changé au cours des dernières années[18]. La recrudescence des infractions avec des armes à feu ne justifie pas que la Cour redéfinisse les fourchettes de peines[19]. Les fourchettes de peines discutées dans l’arrêt Vallée demeurent adéquates, le juge ayant toujours le pouvoir de s’en éloigner dans un cas approprié. Dans le présent dossier, le juge fait erreur lorsqu’il rejette les fourchettes de l’arrêt Vallée, où l’homicide involontaire coupable avait par ailleurs été commis par une arme à feu, mais cette erreur n’est pas déterminante.

[27]           Le juge poursuit son analyse en écrivant que « [m]ême s’[il] avait été contraint d’utiliser les catégories énoncées dans l’arrêt Vallée, il aurait été d’avis qu’il y aurait eu lieu soit d’aller à la limite supérieure de la fourchette, ou encore même d’y déroger pour imposer une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et au haut degré de responsabilité morale d’Araghoune et de Marcellus »[20].

[28]           Cet énoncé est conforme à la jurisprudence. L’arrêt Vallée utilise la classification proposée par les auteurs Hughes Parent et Julie Desrosiers dans la deuxième édition de leur ouvrage sur la peine et qui divise les homicides involontaires coupables en trois catégories, allant de ceux qui se rapprochent de l’accident à ceux qui se rapprochent du meurtre (les « quasi-meurtres »)[21]. Cette dernière catégorie englobe les homicides involontaires coupables les plus sérieux et les plus violents et elle n’exclut pas l’infliction de peines dépassant 15 ans d’emprisonnement lorsqu’une telle peine est « proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant »[22]. Il va de soi que cette catégorisation              n’a pas le caractère d’une codification[23].

[29]           Les requérants suggèrent erronément que la prévisibilité subjective du décès de la victime est un élément essentiel du « quasi-meurtre » alors que cela n’est évidemment pas le cas même si l’homicide involontaire coupable est qualifié de « quasi-meurtre ». Comme le dit le juge Doyon dans R. c. McLaughlin-Thibault[24] :

[37] On comprend que le juge mentionne l’absence d’intention de tuer au moment de déterminer les faits prouvés. On comprend moins toutefois que cela puisse être retenu au chapitre de la responsabilité morale puisque le verdict rendu par le jury, en acquittant l’intimé de meurtre, rend cette absence d’intention sans réelle pertinence au moment de déterminer la peine. On ne peut évidemment pas refuser de qualifier un homicide involontaire coupable de quasi-meurtre parce que le délinquant n’avait pas l’intention de tuer. On ne peut pas davantage retenir l’absence d’intention de tuer pour réduire le niveau de responsabilité morale en cas d’homicide involontaire coupable.

[Soulignement ajouté]

[30]           Les conclusions du juge quant à la culpabilité morale des requérants justifient qu’il ait qualifié l’homicide involontaire dont ils ont été trouvés coupables de « quasi-meurtre ».

[31]           Enfin, l’écart de peines entre Marcellus et Araghoune se justifie en partie en raison de leur participation différente dans le meurtre de la victime. Le principe de la parité n’interdit pas la disparité entre deux délinquants ayant commis la même infraction si les circonstances le justifient[25].

***

[32]           Les quatrième et cinquième moyens d’appel portent sur l’impact du fait que le meurtre a été perpétré en utilisant une arme à feu.

[33]           D’abord, les requérants ont été reconnus coupables d’homicide involontaire coupable en utilisant une arme à feu. Ils sont donc sujets à la peine minimale de quatre ans prévue à l’article 236a) C.cr. Ceci n’est pas remis en question.

[34]           Toutefois, ils soutiennent en appel que le juge ne devait pas en plus tenir compte, comme facteurs aggravants, de l’utilisation d’une arme ou du fait que les requérants étaient sujets à une ordonnance d’interdiction de posséder des armes à feu.

[35]           L’article 236a) C.cr. a pour effet de créer une infraction distincte, soit homicide involontaire coupable avec arme à feu[26]. Cette infraction est sujette à une peine minimale de 4 ans d’emprisonnement et est plus sévère que l’homicide involontaire coupable sans arme à feu. En conséquence, les peines pour homicide involontaire coupable avec arme à feu sont généralement plus sévères que les peines pour homicide involontaire coupable sans arme à feu. Toutefois, comme un des éléments essentiels de l’infraction est l’utilisation d’une arme à feu, c'est une erreur de principe de considérer l'usage d'une arme à feu en soi comme étant un facteur aggravant[27]. Toutefois, l'erreur peut ne pas avoir d'impact sur la détermination de la peine[28]. Il n’est pas interdit de tenir compte des circonstances entourant l’utilisation de l’arme à feu, soit, dans le présent cas, lors d’une invasion de domicile et le fait que l’arme ait été utilisée devant la famille de la victime[29]. Ainsi, les circonstances entourant la commission d’un homicide involontaire coupable avec arme à feu peuvent justifier, comme en l’espèce, une peine plus sévère.

[36]           Par ailleurs, même s’il est vrai que c’est Nauzinor qui a utilisé l’arme à feu, il n’est pas contesté que les requérants savaient que Nauzinor était en possession d’une arme à feu lors de l’invasion de domicile et qu’ils sont ses complices. La Cour a conclu dans l’arrêt Rincon Arias c. R. qu’on peut retenir l’usage par l’accusé d’une arme à feu, que ce soit comme auteur réel ou comme complice, sans qu’il l’ait nécessairement utilisée luimême[30].

[37]           Enfin, le fait que les requérants étaient sujets à une ordonnance d’interdiction de posséder des armes à feu est aussi un facteur aggravant lorsqu’on compare les requérants à un contrevenant qui n’était pas assujetti à une telle ordonnance[31].

[38]           Les troisième, quatrième et cinquième moyens sont donc rejetés.

***

[39]           Le sixième moyen, soit que l’invasion de domicile ne peut être retenue comme facteur aggravant puisqu’il s’agit d’un élément constitutif de l’infraction, peut quant à lui être rejeté sommairement.

[40]           Le principe est bien établi : on ne peut, par exemple, retenir le décès de la victime comme facteur aggravant dans un cas d’homicide involontaire coupable. Il est vrai qu’en l’espèce les arbres décisionnels demandaient au jury de décider si les requérants avaient « formé et réalisé avec une personne ou plus d’une personne le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider ». Il est donc vrai qu’une fin illégale est un élément constitutif de l’infraction. Mais certaines fins illégales sont plus sérieuses que d’autres. Tout comme en matière de voies de fait causant des lésions corporelles, les lésions corporelles sont un élément constitutif de l’infraction, le juge doit tout de même tenir compte de leur sérieux dans la détermination de la peine[32]; en l’espèce, il devait y avoir une fin illégale et le juge devait tenir compte de son sérieux. L’invasion de domicile constitue donc un facteur aggravant[33].

***

[41]           Le septième moyen, que le juge a accordé un poids démesuré et une insistance trop grande aux objectifs de dénonciation et d’exemplarité, peut également être rejeté.

[42]           Les objectifs que le juge doit considérer sont énumérés à l’article 718 C.cr. Le juge reprend cet article au paragraphe 166 de son jugement. Il conclut au paragraphe 321 qu’« à la lumière de l’ensemble des circonstances », il doit favoriser les objectifs de dénonciation et de dissuasion, tant générale que spécifique, dans le présent dossier. Il mentionne en outre au paragraphe 233 que l’un des éléments qui l’amène à cette conclusion est la recrudescence des armes à feu dans les crimes commis à Montréal. Il poursuit au paragraphe 234 :

[234] De surcroît, il revient aux tribunaux d’envoyer un message clair que des gestes violents commis par arme à feu n’ont pas leur place dans une société qui se veut paisible et sécuritaire. […]

[43]           Dans l’arrêt R. c. Parranto, les juges Brown et Martin rappellent aux cours d’appel que « [l]es juges chargés de déterminer la peine jouissent du pouvoir discrétionnaire de décider à quels objectifs il faut accorder la priorité »[34]. Le juge a exercé cette discrétion.

[44]           De plus, les juges Brown et Martin indiquent que les principes de la dénonciation et la dissuasion « sont généralement des objectifs intrinsèques », mais que le juge doit « [tenir] compte des autres objectifs pertinents relatifs à la détermination de la peine, y compris la réinsertion sociale et la modération quant au recours à l’emprisonnement »[35].

[45]           Dans l’exercice de sa discrétion pour déterminer la peine proportionnée, c’est-à-dire individualisée, juste et appropriée[36], le juge pouvait tenir compte de la recrudescence des infractions commises avec des armes à feu pour favoriser les principes de dénonciation et de dissuasion[37]. De plus, on comprend facilement pourquoi, dans les circonstances particulières de ce dossier, considérant surtout les antécédents des requérants et l’absence de preuve d’une amorce de réhabilitation, le juge n’a pas donné beaucoup de poids à la réinsertion sociale.

[46]           Il n’y a donc pas lieu d’intervenir sur ce moyen.

***

[47]           Demeure la question de savoir si les peines sont excessives et déraisonnables et manifestement non indiquées.

[48]           Il est vrai que les peines sont sévères, mais les circonstances particulières les justifient.

[49]           D’abord, les circonstances entourant le crime justifient une sévère réprobation[38] : la victime est assassinée d’un coup de feu à la tête devant sa conjointe et leurs jeunes enfants lors d’une invasion de leur domicile.

[50]           La responsabilité morale des requérants est élevée, car même s’ils n’ont pas appuyé sur la gâchette, ils ont participé à la planification et à l’exécution de l’invasion de domicile et ils savaient que Nauzinor possédait une arme à feu. De plus, Marcellus a commis des voies de fait sur la victime et a aidé à sa séquestration avant le coup fatal. Dans des cas de complices dans un homicide pendant une invasion de domicile ou des circonstances semblables, la jurisprudence des cours d’appel canadiennes inclut des exemples de peines de 12 ans[39], 13 ans[40], 14 ans[41], 15 ans[42] et même 16 ans[43].

[51]           Le juge retient comme facteurs aggravants les antécédents judiciaires des requérants pour des crimes similaires à celui du présent dossier et leurs profils criminalisés. Araghoune a été reconnu coupable en 2014 de vol qualifié, d’introduction par infraction dans une maison d’habitation et de harcèlement criminel, pour lesquels il a purgé une peine de quelques mois d’emprisonnement. Marcellus a été reconnu coupable en 2011 de possession non autorisée d’une arme à feu et, en 2013, d’avoir déchargé une arme à feu lors d’un vol qualifié commis au domicile de la victime, infraction pour laquelle il a été condamné à sept ans d’emprisonnement. Il a violé par deux fois les conditions de sa liberté conditionnelle, la première fois en fréquentant des gens criminalisés, et la seconde, en coupant son bracelet électronique et en partant en cavale pendant 198 jours. Le crime dans le présent dossier a été commis un peu plus de 24 heures après la fin de son mandat d’emprisonnement pour cette affaire.

[52]           Les deux requérants étaient sujets à des ordonnances d’interdiction de possession d’arme à feu, mais participent toutefois à une infraction impliquant son usage.

[53]           De plus, les deux requérants ont commis de multiples manquements carcéraux depuis leur arrestation. Marcellus continue à faire l’apologie du crime sur les réseaux sociaux, même en détention. Le juge retient que les requérants fréquentent des gens criminalisés. Dans le cas de Marcellus, il fréquente aussi des individus liés à des gangs de rue. Rien ne démontre qu’il n’y a, à ce stade, une quelconque forme d’amorce de réhabilitation de la part des requérants.

[54]           Enfin, le juge rappelle aussi comme facteur aggravant les graves conséquences de l’infraction sur la famille de la victime.

[55]           Dans l’ensemble de ces circonstances, la Cour ne peut conclure que les peines sont excessives, déraisonnables ou manifestement non indiquées.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

Dans le dossier 500-10-008038-232 :

[56]           ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel de la peine amendée;

[57]           REJETTE lappel;

Dans le dossier 500-10-008039-230 :

[58]           ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel de la peine;

[59]           REJETTE l’appel.

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

Me Mylène Lareau

Pour Gretzky Marcellus

 

Me Annie-Sophie Bédard

Pour Omar Araghoune

 

Me Mathieu Locas

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour Sa majesté le Roi

 

Date d’audience :

7 juin 2024

 


[1]  R. c. Araghoune, 2023 QCCS 1919 [sentences].

[2]  Marcellus c. R., 2023 QCCA 1123.

[3]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 26; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 41 et 44; R. c. Parranto, 2021 CSC 46, paragr. 13 et 29–30. Voir aussi R. c. Simard, 2024 QCCA 835, paragr. 28-30 et 60-63.

[4]  R. c. McLaughlin-Thibault, 2022 QCCA 1005, paragr. 21, citant Pozzobon c. R., 2019 QCCA 725, paragr. 55.

[5]  R. c. Hills, 2023 CSC 2, paragr. 57; R. c. Lacasse, supra, note 3, paragr. 12 et 52–53.

[6]  R. c. Friesen, supra, note 3, paragr. 26.

[7]  Pierre c. R., 2023 QCCA 84, paragr. 20.

[8]  Pateras c. M.B., [1986] R.D.J. 441 (C.A.); R. c. Delisle, 2023 QCCA 1096, paragr. 26.

[9]  R. c. Lacasse, supra, note 3, paragr. 57.

[10]  R. c. Lacasse, supra, note 3, paragr. 57, cité dans R. c. Friesen, supra, note 3, paragr. 36.

[11]  R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, paragr. 44.

[12]  R. c. Friesen, supra, note 3, paragr. 108.

[13]  R. c. Lacasse, supra, note 3, paragr. 11 et 51.

[14]  R. c. Vallée, 2017 QCCA 666, paragr. 9.

[15]  Sentences, paragr. 235.

[16]  Sentences, paragr. 308.

[17]  R. c. Friesen, supra, note 3, paragr. 108-109, citant R. c. Lacasse, supra, note 3, paragr. 62-64 et 74 et R. c. Régnier, 2018 QCCA 306, paragr. 30.

[18]  Voir R. c. Nur, 2015 CSC 15, paragr. 1-5; R. c. Hilbach, 2023 CSC 3, paragr. 73; Baptiste c. R., 2021 QCCA 1064, paragr. 2-4; Jean c. R, 2024 QCCA 1137, paragr. 64.

[19]  Jean c. R, supra, note 18, paragr. 64.

[20]  Sentences, paragr. 308.

[22]  Jean c. R, supra, note 18, paragr. 64.

[23]  R. c. Vallée, supra, note 14, paragr. 9.

[24]  R. c. McLaughlin-Thibault, supra, note 4, paragr. 37.

[25]  R. c. L.M., 2008 CSC 31, paragr. 36; Denis-Damée c. R., 2018 QCCA 1251, paragr. 78; Sylvain-Bourgelas c. R., 2024 QCCA 486, paragr. 65.

[26]  Par analogie avec Sylvain-Bourgelas c. R., supra, note 25, paragr. 60; R. c. Lacasse, supra, note 3, paragr. 16.

[27]  R. c. Araya, 2013 ONCA 734, paragr. 54-55.

[28]  R. c. Lacasse, supra, note 3, paragr. 16.

[29]  R. v. Araya, 2015 ONCA 854, paragr. 26; R. v. Yaali, 2020 ONCA 150, paragr. 6.

[30]  Rincon Arias c. R., 2014 QCCA 822, paragr. 84.

[31]  R. c. Hilbach, supra, note 18, paragr. 50.

[32]  R. c. Foster, 2020 QCCA 1172, paragr. 22-24.

[33]  Voir Rincon Arias c. R., supra, note 30, paragr. 79; R. v. Laberge, 1995 ABCA 196, paragr. 8.

[34]  R. c. Parranto, supra, note 3, paragr. 45, citant R. c. Nasogaluak, supra, note 11 paragr. 43; R. c. Lacasse, supra, note 3, paragr. 54.

[35]  Ibid.

[36]  R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, paragr. 51; Jean c. R., supra, note 18, paragr. 55.

[37]  Jean c. R., supra, note 18, paragr. 55-57

[38]  R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, paragr. 81.

[39]  Rincon Arias c. R., supra, note 30. L’homicide a lieu dans la cour arrière de la victime et non dans son domicile. Le juge Doyon ajoute que « la fourchette pourrait même aller jusqu’à 13 ans, lorsqu’il y a invasion de domicile » (paragr. 92).

[40]  R. v. Jones-Solomon, 2015 ONCA 654.

[41]  R. v. Barton, 2003 BCCA 206; R. v. Monk, 2005 BCCA 394.

[42]  R. v. Barreira, 2021 ONCA 455; R. v. Warner, 2019 ONCA 1014; R. v. Atherley, 2009 ONCA 195.

[43]  R. v. Deer, 2014 ABCA 88.

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