Binette c. Freundlich |
2021 QCTAL 140 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
485099 31 20191004 G |
No demande : |
2861644 |
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Date : |
07 janvier 2021 |
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Devant la juge administrative : |
Suzanne Guévremont |
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Marie-Claire Binette |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Israel Freundlich |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] La
locataire demande en diminution mensuelle de loyer de 25 % à partir du 1er
décembre 2018, de dommages-intérêts matériels (1 000 $) et de dommages
moraux pour troubles et inconvénients (2 000 $), avec les intérêts et
l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[2] Elle demande également au Tribunal d’ordonner au locateur d’exterminer les coquerelles et les punaises de lit et à lui procurer la jouissance paisible du logement. Étant déménagée du logement en mars 2020, ces ordonnances n’ont plus d’objet.
LE BAIL
[3] Les parties étaient liées par un bail du 1er avril 2016 au 30 juin 2017, pour un loyer mensuel de 620 $, reconduit aux mêmes conditions jusqu’au 30 juin 2020.
LES ALLÉGATIONS ET LA PREUVE EN DEMANDE
[4] La locataire explique qu’à la suite d’un incendie dans l’immeuble à la fin de l’année 2018, des coquerelles sont apparues dans son logement. Rapidement, elles se sont propagées partout, notamment dans les électroménagers et dans les armoires de la cuisine. Elles provenaient d’autres logements et s’infiltraient chez elle par les interstices des murs et des plafonds. Ensuite sont apparues les punaises de lit.
[5] Mis au fait rapidement de la situation, le locateur n’a jamais pris pas les moyens nécessaires pour régler le problème. Toute la bâtisse était infestée, or, il ne traitait que quelques logements à la fois.
[6] Le 11 septembre 2019, après plusieurs plaintes de sa part et aucun résultat satisfaisant, une mise en demeure a été transmise au locateur.
[7] En guise de réponse, elle a reçu le 10 octobre 2019 un refus formel du locateur de lui payer les sommes réclamées, l’accusant à tort d’empêcher l’accès à son logement pour les traitements antiparasitaires.
[8] Or, dit-elle, même lorsqu’elle ne recevait pas de préavis raisonnable, elle collaborait avec les exterminateurs puisqu’elle voulait voir le problème réglé. D’ailleurs, elle préparait les lieux du mieux qu’elle le pouvait pour répondre à leurs attentes, et ce, bien que ce fût long, fastidieux et surtout très dérangeant. Une seule fois sa colocataire, en son absence, a refusé un traitement parce que la personne ne s’était pas identifiée.
[9] Pour la locataire, cette situation était très stressante et anxiogène. Elle dormait mal, s’isolait et bien qu’étant l’aidante naturelle de son père, elle avait peur de le visiter par crainte de propager l’infestation chez lui. Tous ces troubles et inconvénients justifient, selon elle, la somme de 2 000 $ exigée en dommages moraux.
[10] La locataire produit une série de photos. Parmi celles-ci, la photo d’un message annonçant la visite d’exterminateurs pour lendemain et aussi plusieurs clichés d’insectes morts. À l’évidence, ils s’en retrouvaient en grand nombre chez elle.
[11] La locataire a tenté par elle-même de colmater les fissures là où les insectes pouvaient se frayer un chemin. De plus, il lui a fallu jeter certains biens infestés. Elle réclame 1 000 $ pour compenser les dépenses encourues et ses pertes matérielles. Elle produit des factures pour l’achat de matériaux (239 $).
[12] Elle produit aussi des factures pour l’impression des photographies et autres documents qui constituent sa preuve (51,73 $).
[13] Finalement, la locataire dépose le rapport d’un inspecteur municipal qui confirme la présence de punaises de lit et de coquerelles chez elle et ailleurs dans l’immeuble.
[14] Elle fait aussi entendre madame Alexandra Di Laurenzo, qui vit avec elle depuis trois ans. Son témoignage n’apporte rien de nouveau à ce qui a déjà été dit.
LES ALLÉGATIONS ET LA PREUVE EN DÉFENSE
[15] Le témoignage du locateur est bref.
[16] Il ne nie pas la présence de coquerelles et de punaises de lit. Il en impute la responsabilité à la locataire qui ne collaborait pas pour les éradiquer.
[17] Qui plus est, il lui reproche son agressivité et son manque de savoir-vivre. Il prétend qu’elle a déjà brisé une fenêtre.
[18] Il se devait de protéger ses employés. C’est pourquoi il a cessé les traitements chez elle.
[19] Ainsi se résume l’essentiel de la preuve.
ANALYSE ET DÉCISION
Le fondement juridique
[20] Le recours de la locataire est fondé sur les dispositions suivantes du Code civil du Québec :
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »
[21] L’inexécution de ces
obligations par le locateur confère le droit au locataire de demander, entre
autres, une ordonnance du Tribunal l’obligeant à s’exécuter, la diminution du
loyer en proportion de sa perte de jouissance et des dommages-intérêts (article
[22] Rappelons aussi que
les articles
La locataire doit donc démontrer l’inexécution des obligations du locateur selon la règle relative à la prépondérance de preuve. C’est sur elle, à titre de demanderesse, que repose le fardeau de convaincre le Tribunal.
[23] Qu’en est-il en l’instance?
[24] En vertu de l’article
[25] Il s'agit là d'obligations de résultat et même de garantie, non uniquement de moyen.
« Il ne suffit pas pour le locateur de tenter de résoudre les problèmes relatifs à la location. Il doit les régler, sauf dans des situations exceptionnelles relevant de la force majeure[1]. »
[26] En l’espèce, la preuve prépondérante révèle la présence de coquerelles et de punaises de lit chez la locataire. Ce problème a débuté en décembre 2018. Lorsqu’elle déménage à la fin mars 2020, les insectes sont toujours bien présents dans le logement.
[27] Les témoignages de la locataire et de madame Di Laurenzo sont crédibles. De plus, ils sont appuyés par des photos et par le rapport d’un inspecteur municipal, un témoin objectif et indépendant.
[28] Le Tribunal ne croit pas que la locataire a empêché les traitements antiparasitaires chez elle. Cette allégation du locateur ne tient pas la route compte tenu des nombreuses démarches prouvées par la locataire, notamment auprès de la ville, pour obliger le locateur à agir.
[29] Ajoutons que des recours s’offraient au locateur si, comme il le dit, la locataire ne coopérait pas.
[30] En ce qui concerne le comportement de la locataire, manifestement elle est une personne qui contrôle mal ses émotions, mais le Tribunal ne la croit pas agressive. Cela étant, elle n’a pas pu, par ses agissements et encore moins par ses paroles, menacer la sécurité des employés du locateur.
[31] Me Gilles Joly, dans la décision Girard c. Placements Bédard et Gauthier Enr., définit ainsi le recours en diminution de loyer :
« Le recours en diminution de loyer est de nature « quantis minoris », c'est-à-dire qu'il cherche à rétablir un équilibre entre la prestation du locateur et celle de la locataire; en vertu du bail, le locateur doit procurer à la locataire la jouissance du logement qui y est décrit; en contrepartie, la locataire doit payer le loyer dont le montant doit équivaloir aux droits que le contrat lui procure. Or, dès que la locataire n'a plus la jouissance des lieux comme elle devrait l'avoir, elle peut exercer le recours en diminution de loyer afin que son obligation soit réduite en proportion du trouble qu'elle endure[2]. »
[32] Après analyse de toute la preuve, le Tribunal estime que le locateur a fait défaut d'entretenir le logement en état de servir à l'usage pour lequel il a été loué.
[33] Malgré des dénonciations répétées, il n’a pas procédé efficacement à éradiquer l’infestation des insectes nuisibles dans le logement concerné. Cette infestation lui a fait perdre une partie significative de sa valeur locative.
[34] Partant, la locataire a droit à la diminution mensuelle de loyer de 25 %. Elle débutera à partir du 11 septembre 2019, soit lorsqu’il y a eu dénonciation formelle au locateur par voie de mise en demeure.
[35] La locataire a aussi droit d’être compensée pour ses troubles et inconvénients puisqu’il n’est pas normal de vivre dans un logement avec des coquerelles et des punaises de lit.
[36] Cela dit, pour évaluer les dommages moraux de la locataire, le Tribunal tient compte de leur durée ainsi que du préjudice subi par la victime du comportement fautif.
[37] Le Tribunal croit la locataire lorsqu'elle affirme avoir été grandement perturbée par la présence de parasites chez elle.
[38] Selon la preuve prépondérante, le Tribunal lui accorde le plein montant réclamé sous ce chef puisqu’il est raisonnable, soit 2 000 $.
[39] Il en va autrement de sa réclamation en dommages matériels.
[40] Pour les biens dont elle s'est départie, le fait de ne pas aviser au préalable le locateur doit faire échec au droit à une indemnisation.
[41] La même conclusion s’impose pour le matériel acheté afin de combler les fissures dans les murs puisque la locataire a agi sans l’autorisation du Tribunal (1867 C.c.Q.).
[42] Quant aux frais encourus pour la confection de sa preuve, cette demande est rejetée puisqu'il s'agit de dommages indirects.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[43] ACCORDE une diminution de loyer de 25 % à la locataire de 11 septembre 2019 au 31 mars 2020;
[44] CONDAMNE le locateur à payer à la locataire 1 033 $ à titre de diminution de loyer, ce qui équivaut à 25 % du loyer payé du 11 septembre 2019 au 31 mars 2020;
[45] CONDAMNE aussi
le locateur à payer à la locataire 2 000 $ en dommages moraux, avec
les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[46] REJETTE la demande quant au surplus.
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Suzanne Guévremont |
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Présence(s) : |
la locataire le locateur |
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Dates des audiences : |
22 septembre 2020 et 10 novembre 2020 |
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AVIS :
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