Lépine c. Latham Pool Products Inc. | 2022 QCCQ 5761 | ||||||
COUR DU QUÉBEC | |||||||
« Division des petites créances » | |||||||
CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | JOLIETTE | ||||||
LOCALITÉ DE | JOLIETTE | ||||||
« Chambre civile » | |||||||
N° : | 705-32-702229-201 | ||||||
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DATE : | Le 25 juillet 2022 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | LA JUGE | JOHANNE GAGNON, J.C.Q. | |||||
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SYLVAIN LÉPINE | |||||||
Demandeur | |||||||
c. | |||||||
LATHAM POOL PRODUCTS INC. et PISCINE DÉCOR JOLIETTE INC. | |||||||
Défenderesses | |||||||
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JUGEMENT | |||||||
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APERÇU
[1] Le 10 mai 2018, Sylvain Lépine achète de Piscine Décor Joliette inc. (ci-après « PDJ ») une toile neuve pour sa piscine hors terre, ainsi que des accessoires, le tout au coût de 647,29 $ taxes incluses. Il procède lui-même à l’installation de la toile, avec son beau-frère.
[2] En avril 2020, monsieur Lépine constate qu’il n’y a que de la glace dans la piscine, que les roches situées au sol, sur le pourtour extérieur de la piscine, sont déplacées et que le sable situé en dessous de la piscine est sorti de son lit.
[3] Au début du mois de mai 2020, il constate que la toile est fissurée à plusieurs endroits près de la jonction entre la partie verticale et la partie horizontale de la toile. Il remarque également qu’il y a des ondulations dans la paroi de tôle de la piscine, à la base de celle-ci.
[4] Monsieur Lépine avise PDJ de la situation. Celle-ci envoie un de ses spécialistes sur place. Ce dernier confirme à monsieur Lépine que la piscine n’est plus sécuritaire en raison des déformations de la tôle. Le 20 mai 2020, le fabricant de la toile, Latham Pool Products Inc. (ci-après « Latham »), avise monsieur Lépine que sa réclamation n’est pas couverte par la garantie.
[5] Devant la position adoptée par PDJ et Latham, monsieur Lépine ne trouve aucun fournisseur pour l’installation d’une nouvelle piscine, vu notamment la pandémie mondiale de la maladie à coronavirus connue sous le nom de Covid-19. Afin de ne pas « perdre son été », monsieur Lépine se procure une piscine usagée sur le site Kijiji ainsi qu’une toile. Cette piscine de fortune est installée à la mi-juillet 2020.
[6] Monsieur Lépine soutient que la toile de la piscine est affectée d’un défaut de conception ou de fabrication qui est à l’origine des fissures dans la toile et, par conséquent, de la perte de sa piscine. Il tient Latham et PDJ responsables de la situation.
[7] La réclamation se chiffre à la somme de 6 994,92 $, soit 647,29 $ pour la toile, 5 847,63 $ pour la remise en état et 500 $ pour la perte de jouissance de la piscine.
[8] PDJ et Latham nient responsabilité.
[9] Elles avancent que s’il y avait effectivement eu un défaut de conception ou de fabrication comme monsieur Lépine le prétend, la toile ne se serait pas déchirée par sections mais se serait tout simplement dessoudée en continu, comme une fermeture éclair. Selon elles, plusieurs autres causes peuvent expliquer les fissures constatées par monsieur Lépine, incluant une installation déficiente de la toile et le déplacement de bloc(s) de glace vers le fond de la piscine.
[10] Afin de solutionner le litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
(a) PDJ et Latham ont-ils rempli leurs obligations envers monsieur Lépine?
(b) Le cas échéant, à combien monsieur Lépine a-t-il droit et qui de PDJ et Latham doit l’indemniser?
[11] Le Tribunal accueille en partie le recours de monsieur Lépine. Voici pourquoi.
ANALYSE ET DÉCISION
[12] Rappelons d’entrée de jeu qu’en matière civile, le fardeau incombe aux parties de prouver leurs prétentions selon la règle de la prépondérance[1]. Cette règle prévoit qu’un fait sera considéré prouvé si le Tribunal est convaincu que son existence est plus probable que son inexistence. Il ne s’agit donc pas de démontrer qu’un fait est possible mais plutôt de démontrer qu’il est probable[2].
[13] Rappelons également que lorsque la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante ou si la preuve est contradictoire et qu’il est impossible pour le juge de cerner la vérité, celui sur qui reposait le fardeau perdra[3].
[14] La vente intervenue le 10 mai 2018 s’inscrit dans le contexte d’un contrat de consommation. Ainsi, en plus des règles édictées par le Code civil du Québec, elle est également soumise à celles prévues à la Loi sur la protection du consommateur[4] (ci-après la « Loi »).
[15] PDJ, à titre de vendeur, et Latham, à titre de fabricant[5], sont donc tenues aux garanties prévues aux articles
1729. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.
Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.
38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.
[16] De plus, en raison de la nature de leurs activités, PDJ et Latham sont qualifiées de vendeurs professionnels. À ce titre, elles sont présumées connaître les défauts pouvant affecter les biens qu’elles vendent, et ce, conformément aux dispositions des articles
1729. En cas de vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.
53. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur un vice caché du bien qui a fait l’objet du contrat, sauf si le consommateur pouvait déceler ce vice par un examen ordinaire.
Il en est ainsi pour le défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte.
Ni le commerçant, ni le fabricant ne peuvent alléguer le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut.
Le recours contre le fabricant peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.
[17] Cette présomption de connaissance a un impact direct sur le fardeau de preuve qui est alors partagé entre monsieur Lépine d’une part et PDJ et Latham d’autre part.
[18] Ainsi, dès lors que monsieur Lépine établit, par une preuve prépondérante, que la détérioration de la toile de sa piscine est survenue prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce, il revient à PDJ et Latham, à titre de vendeurs professionnels, de démontrer, selon la règle de la prépondérance, que la détérioration prématurée de la toile résulte d’une mauvaise utilisation de celle-ci par monsieur Lépine.
[19] Le Tribunal est d’avis que monsieur Lépine a rempli son fardeau de preuve. La preuve non contredite révèle que la toile n’a servi que pendant deux (2) étés, ce qui est anormal pour une toile neuve. Aux yeux du Tribunal, la toile a fait l’objet d’une détérioration prématurée et n’a pas eu une durée de vie raisonnable selon la garantie prévue à l’article 38 de la Loi.
[20] Monsieur Lépine bénéficiant de la présomption de connaissance expliquée ci-avant, il appartient à PDJ et Latham de démontrer, par une preuve prépondérante, que la détérioration prématurée de la toile de la piscine résulte d’une mauvaise utilisation de celle-ci par monsieur Lépine.
[21] PDJ et Latham prétendent qu’il ne s’agit pas d’un cas de dessoudage de la toile. Selon le témoignage de madame Martine Lévesque de PDJ, une toile se dessoude rarement après deux (2) ans d’utilisation. Habituellement, le phénomène se produit dès l’installation de la toile ou peu de temps après.
[22] PDJ et Latham avancent qu’il s’agit plutôt d’une déchirure de la toile qui peut non seulement résulter d’une installation déficiente mais également du déplacement de bloc(s) de glace vers le fond de la piscine.
[23] PDJ et Latham ne convainquent pas le Tribunal. Bien que leur version soit possible, elle n’est pas plus probable que celle de monsieur Lépine.
[24] Premièrement, la preuve présentée ne permet pas au Tribunal de conclure à une installation déficiente de la toile. La preuve révèle au contraire que monsieur Lépine est très familier avec les piscines hors terre. Il habite sa résidence depuis 30 ans, a toujours eu une piscine hors terre et n’a jamais eu de problème avec ses toiles de piscine. Il a toujours installé celles-ci lui-même et suit toujours les instructions d’installation fournies avec la toile. C’est ce qu’il a fait pour la toile en cause dans le présent dossier, qu’il a installée en compagnie de son beau-frère qui travaille dans l’installation.
[25] Deuxièmement, la preuve présentée ne permet pas au Tribunal de conclure que les fissures et les déformations de la tôle de la piscine résultent du déplacement de bloc(s) de glace vers le fond de la piscine.
[26] Tout d’abord, la preuve non contredite révèle qu’à l’automne, monsieur Lépine procède à la fermeture de sa piscine en suivant les instructions et les recommandations du vendeur. Il suit également les procédures recommandées pour empêcher les bris de toile, telles que l’installation d’un ballon au centre, avec un cordage, afin d’empêcher les glaces de se déplacer. Sa piscine est également protégée des vents, étant entourée de haies et d’une plate-forme (deck).
[27] Ensuite, les deux (2) représentants de PDJ et Latham qui témoignent à l’audience n’ont pas examiné la toile. Ils fondent leurs arguments sur les photos déposées par monsieur Lépine.
[28] Or, le Tribunal constate de ces mêmes photographies que la toile est fissurée horizontalement et que les fissures se situent toutes au même niveau de la toile, soit dans les quelques pouces de matériel formant le joint entre la partie verticale et la partie horizontale de la toile.
[29] Bien que la situation se soit produite deux (2) ans après l’installation, le Tribunal conclut qu’il est aussi probable que la toile se soit dessoudée, par endroits, plutôt que déchirée par le déplacement de bloc(s) de glace vers le fond de la piscine.
[30] Dans de telles circonstances, devant deux (2) versions toutes aussi probables l’une que l’autre, la partie qui a le fardeau de la preuve, en l’occurrence PDJ et Latham, doit perdre.
[31] Par conséquent, le Tribunal conclut que PDJ et Latham sont toutes les deux responsables envers monsieur Lépine.
[32] Ceci étant dit, conformément aux dispositions de l’article
[33] Monsieur Lépine doit faire la preuve des montants qu’il réclame, soit :
Le remboursement du prix de la toile : 647,29 $
Les frais de remise en état : 5 847,63 $
La perte de jouissance de la piscine : 500 $
[34] Mentionnons également que la compensation accordée ne doit pas être une source d’enrichissement. Par conséquent, les tribunaux déduisent habituellement du coût des travaux une certaine somme pour tenir compte de la plus-value, le cas échéant[6].
(a) Le prix de la toile
[35] Le Tribunal ne peut accorder le plein montant du prix que monsieur Lépine a payé pour la toile considérant que celle-ci a été utilisée pendant deux (2) étés sans aucun problème.
[36] Le Tribunal octroie 485 $ à monsieur Lépine à titre de remboursement du prix de la toile, ladite somme étant calculée à partir d’une durée de vie d’une toile de piscine hors terre de plus ou moins huit (8) ans.
(b) La piscine
[37] La preuve non contredite révèle que la piscine hors terre de monsieur Lépine doit être remplacée comme conséquence directe des fissures survenues dans la toile que PDJ lui a vendue. Aux yeux du Tribunal, monsieur Lépine doit être indemnisé pour cette perte.
[38] Cependant, la compensation à laquelle il a droit doit être évaluée au moment des événements, soit au printemps 2020, et non au moment où monsieur Lépine procédera au remplacement de la piscine de fortune installée au mois de juillet 2020.
[39] De plus, le Tribunal doit tenir compte du fait qu’au moment des événements, la piscine de monsieur Lépine avait sept (7) ans d’utilisation, ayant été achetée deux (2) ans auparavant, usagée[7].
[40] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal octroie 800 $ à monsieur Lépine pour la perte de sa piscine. Cette somme est calculée à partir d’une durée de vie d’une piscine hors terre d’environ quinze (15) ans[8] et d’un prix de remplacement de 1 270 $ plus les taxes applicables, soit 1 460,18 $, tel qu’établi par Trévi dans sa soumission du 25 mai 2020.
[41] Monsieur Lépine a également droit à la somme additionnelle de 410,88 $ pour les items suivants compris à la soumission de Trévi [9] :
Démontage de la piscine : 325 $
2 Gasket de drain de fond : 5,98 $
Sac de sable : 79,90 $
[42] Le Tribunal octroie donc 1 210,88 $ à monsieur Lépine sous ce chef.
(c) La perte de jouissance
[43] La preuve révèle que monsieur Lépine a perdu la jouissance de sa piscine pendant environ six (6) semaines à l’été 2020.
[44] En effet, monsieur Lépine affirme utiliser habituellement sa piscine avec sa famille (enfants et petits-enfants) et ce, à compter du début du mois de juin de chaque année. C’est un point de rassemblement pour sa famille.
[45] La piscine de fortune que monsieur Lépine s’est procurée n’ayant été installée qu’à la mi-juillet 2020, le Tribunal conclut à une perte de jouissance de six (6) semaines.
[46] Par conséquent, le Tribunal est d’avis que le montant de 500 $ réclamé sous ce chef est approprié compte tenu des circonstances.
CONCLUSION
[47] Le Tribunal accueille en partie le recours de monsieur Lépine, pour la somme de 2 195,88 $, en plus des frais de justice et des intérêts à compter de l’expiration du délai de dix (10) jours prévu à la mise en demeure adressée à PDJ et Latham en date du 26 mai 2020.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE en partie la demande modifiée;
CONDAMNE les défenderesses, solidairement, à payer au demandeur la somme de 2 195,88 $ avec les intérêts au taux de 5% l'an ainsi que l'indemnité additionnelle prévue par l'article
CONDAMNE les défenderesses, solidairement, au paiement des frais de justice limités aux droits de greffe payés lors du dépôt de la demande, soit 104 $;
pour valoir entre PISCINE DÉCOR JOLIETTE INC. et LATHAM POOL PRODUCTS INC., LE TRIBUNAL :
CONDAMNE Latham Pool Products inc. à indemniser Piscine Décor Joliette inc. des sommes que celle-ci est tenue de payer en vertu du présent jugement, en capital, intérêts et frais.
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| __________________________________ JOHANNE GAGNON, j.c.q. | |
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Date d’audience : | 14 avril 2022 | |
[1] Articles
[2] Bell Canada c. Promutuel Lanaudière, société mutuelle d’assurances générales,
[3] Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, par. 146.
[4] RLRQ c. P-40.1.
[5] Selon l’article
[6] Voir notamment : Hénault c. Labelle,
[7] La piscine avait cinq (5) ans d’utilisation au moment où monsieur Lépine l’a achetée.
[8] Les parties ne s’entendent pas sur la durée de vie d’une piscine hors terre. Latham avance une durée de vie de dix (10) ans alors que monsieur Lépine parle de vingt-cinq ans considérant la qualité supérieure de sa piscine.
[9] Le Tribunal estime que monsieur Lépine n’a droit pas droit aux frais d’installation considérant qu’il avait installé la piscine lui-même.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.