|
COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Syndicat des professeurs et des professeures de l’Université du Québec à Trois-Rivières c. Université du Québec à Trois-Rivières, 2010 CSC 30, [2010] 2 R.C.S. 132 |
Date : 20100729 Dossier : 32776 |
Entre :
Syndicat des professeurs et des professeures de
l’Université du Québec à Trois-Rivières
Appelant
et
Université du Québec à Trois-Rivières
Intimée
- et -
Confédération des syndicats nationaux
Intervenante
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement : (par. 1 à 2)
Motifs concordants : (par. 3 à 18) |
Le juge LeBel (avec l’accord des juges Fish, Abella, Charron et Cromwell)
La juge Deschamps (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie et Rothstein) |
______________________________
Syndicat des professeurs et des professeures de l’Université du Québec à Trois-Rivières c. Université du Québec à Trois-Rivières, 2010 CSC 30, [2010] 2 R.C.S. 132
Syndicat des professeurs et des professeures de l’Université du
Québec à Trois-Rivières Appelant
c.
Université du Québec à Trois-Rivières Intimée
et
Confédération des syndicats nationaux Intervenante
Répertorié : Syndicat des professeurs et des professeures de l’Université du Québec à Trois-Rivières c. Université du Québec à Trois-Rivières
2010 CSC 30
No du greffe : 32776.
2009 : 20 octobre; 2010 : 29 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel du québec
Relations de travail — Congédiement injustifié — Recours — Compétence de l’arbitre ou de la Commission des relations du travail — Loi sur les normes du travail accordant un recours en cas de renvoi sans cause juste et suffisante devant la Commission des relations du travail, sauf s’il existe une procédure de réparation équivalente ailleurs dans une loi ou une convention — Dépôt d’un grief alléguant que le non-renouvellement du contrat de l’employée équivaut à un congédiement sans cause juste et suffisante — La convention collective prévoit-elle un recours équivalent à celui prévu à la loi? — La norme du travail interdisant le congédiement injustifié est-elle incorporée implicitement dans la convention collective? — La plainte relève-t-elle de la compétence de l’arbitre ou de la Commission? — Loi sur les normes du travail, L.R.Q., ch. N-1.1, art. 124.
Le syndicat dépose un grief à l’encontre
du non-renouvellement du contrat d’une professeure de l’Université. Le
syndicat prétend que la décision de l’Université équivaut à un congédiement
effectué sans une cause juste et suffisante, contrairement à la clause 18
de la convention collective et à l’art.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Les juges LeBel, Fish, Abella,
Charron et Cromwell : La convention collective contient des dispositions
suffisamment claires quant au congédiement et leur portée permet à l’arbitre
d’entendre le grief et d’accorder, le cas échéant, les réparations appropriées
sans qu’il soit nécessaire d’examiner l’effet de l’art.
La juge en chef McLachlin et les
juges Binnie, Deschamps et Rothstein : La clause 12.04 de la
convention collective ne permet pas de protéger adéquatement un employé contre
un congédiement effectué sans une cause juste et suffisante. Compte tenu des
limites importantes restreignant les motifs qui peuvent être invoqués pour
contester le non-renouvellement d’un contrat, le recours a une portée
beaucoup plus restreinte que celui qui serait ouvert en vertu de
l’art.
L’arbitre a eu raison de conclure qu’il
n’y avait pas lieu d’incorporer l’art.
Jurisprudence
Citée par le juge LeBel
Arrêt appliqué : Syndicat
de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général),
Citée par la juge Deschamps
Arrêt appliqué : Syndicat
de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général),
Lois et règlements cités
Loi sur les normes du travail, L.R.Q., ch. N-1.1, art. 124.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel
du Québec (les juges Baudouin, Morin et Rochon),
Gabriel Hébert-Tétrault et Richard McManus, pour l’appelant.
Guy C. Dion, Johanne Panneton, André Asselin et Sébastien Gobeil, pour l’intimée.
Gérard Notebaert et Isabelle Lacas, pour l’intervenante.
Le jugement des juges LeBel, Fish, Abella, Charron et Cromwell a été rendu par
[1] Le juge LeBel — J’invite les lecteurs à se reporter à l’exposé des faits figurant
dans l’opinion de ma collègue la juge Deschamps. Dans le présent dossier, la
convention collective contenait des dispositions suffisamment claires quant au
congédiement. Leur portée permettait à l’arbitre d’entendre le grief et
d’accorder, le cas échéant, les réparations appropriées sans qu’il soit
nécessaire d’examiner l’effet de l’art.
[2] Pour ces motifs et sous réserve de mes commentaires dans les
affaires Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur
général),
Les motifs de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Deschamps et Rothstein ont été rendus par
[3] La juge Deschamps — Le présent pourvoi soulève la même question que les affaires Syndicat
de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général),
124. Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l’adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention.
[4] Les principes applicables sont expliqués dans S.F.P.Q. J’y conclus que, bien que cette disposition soit d’ordre public, cela n’emporte pas que, dans le cadre d’un régime de négociation collective, seul un arbitre est compétent pour faire respecter la protection contre les congédiements effectués sans une cause juste et suffisante. En l’absence de procédure adéquate dans la convention collective, le législateur a confié en exclusivité à la Commission des relations du travail (« C.R.T. ») la responsabilité de connaître des plaintes fondées sur ce motif.
[5] En l’espèce, la convention collective applicable accorde une protection adéquate et l’arbitre a compétence pour entendre la plainte de l’employée. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens et de renvoyer le dossier à l’arbitre.
1. Faits
[6] Les faits pertinents sont les suivants. Le 14 décembre 1998, Mme
France Tanguay est engagée comme professeure par l’intimée, l’Université du
Québec à Trois-Rivières. Le 20 décembre 2004, l’employeur ne renouvelle pas le
contrat de travail de Mme Tanguay, la privant ainsi de la
possibilité d’acquérir sa permanence. L’appelant, le Syndicat des professeurs
et des professeures de l’Université du Québec à Trois-Rivières (« Syndicat »),
dépose un grief au motif que le non-renouvellement du contrat de Mme
Tanguay équivaut à un congédiement effectué sans une juste cause, contrairement
à la clause 18 de la convention collective et à l’art.
[7] Devant l’arbitre, l’employeur plaide de façon préliminaire que le
Syndicat ne peut se prévaloir à la fois des règles régissant le
non-renouvellement d’un contrat et de celles prévues en cas de congédiement
sans cause juste, et que le recours fondé sur l’art.
2. Décisions des juridictions inférieures
2.1 Sentence de l’arbitre de griefs
[8] L’arbitre Denis Tremblay souligne que la convention collective
prévoit deux types de recours lors de la fin de l’emploi d’un enseignant. S’il
s’agit d’un non-renouvellement de contrat, l’employé peut se prévaloir
de la clause 12.04, alors que s’il s’agit d’un congédiement, c’est la clause 18
qui s’applique. L’arbitre estime, « prima facie », être en présence d’un
cas de non-renouvellement de contrat par l’employeur et que c’est donc la
clause 12.04 qui s’applique. Il statue cependant qu’il n’y a pas lieu de
s’interroger sur la clause 18, étant donné que les règles particulières de
contestation prévues à la clause 12.04 de la convention collective s’appliquent
et donnent à l’employée concernée la possibilité de démontrer que l’employeur a
abusé de ses droits à son égard. En conséquence, il conclut que la clause
12.04 constitue une procédure de réparation équivalente à celle de l’art.
2.2 Jugement de la Cour supérieure
[9] Siégeant en révision judiciaire de la décision accueillant
l’objection préliminaire de l’employeur, le juge Taschereau de la Cour
supérieure confirme le raisonnement menant à la conclusion que la clause 12.04
de la convention collective constitue un recours équivalent à celui de l’art.
2.3 Arrêt de la Cour d’appel (les juges Baudouin, Morin et Rochon)
[10] Bien
qu’elle infirme la partie de la décision concluant que la clause 12.04 de la
convention collective est une procédure équivalente à celle de l’art.
3. Prétentions des parties
[11] L’employeur soutient qu’il a refusé de renouveler le contrat de l’employée concernée au terme du processus d’évaluation prévu par la convention collective. Il se défend d’avoir congédié cette employée. Il reconnaît que l’arbitre et la Cour d’appel ont divergé d’opinions quant à la question de savoir si la clause 12.04 constitue une procédure de réparation comportant une protection de même nature que l’art. 124. L’employeur plaide cependant que les clauses 18 et 24.11 établissent clairement une telle procédure et que, pour cette raison, le débat sur l’incorporation implicite est inutile. Pour le reste, il fait des observations semblables à celles du procureur général du Québec dans les pourvois connexes.
[12] Le
Syndicat plaide que la seule question que notre Cour est appelée à trancher est
celle de savoir si la norme prévue à l’art.
4. Analyse
[13] Les dispositions suivantes de la convention collective sont pertinentes pour les besoins de l’analyse :
12.04 Par exception, à la suite de l’évaluation faite conformément à l’article 11, lorsqu’il serait recommandé de ne pas renouveler le contrat d’un professeur qui termine un deuxième contrat de deux (2) ans, celui-ci peut soulever un grief sur le non-renouvellement de son contrat si les délais prévus en 11.11, 11.13, 11.16 et 12.07 et si la procédure prévue à l’article 11 n’ont pas été respectés, s’il y a preuve évidente de parti pris ou inconséquence dans les raisons qui ont motivé la décision.
18.01 Le Conseil d’administration, sur recommandation du Vice-recteur à l’enseignement et à la recherche, peut congédier un professeur pour juste cause. La preuve incombe à l’Université. Il doit aviser le professeur par écrit et préciser les motifs justifiant une telle décision. Une copie est transmise au Syndicat.
24.05 Le professeur, seul ou par l’intermédiaire du représentant du Syndicat, ou le Syndicat soumet le grief dûment signé au Vice-recteur aux ressources humaines dans les soixante (60) jours civils qui suivent la connaissance de l’événement qui a donné lieu au grief, mais n’excédant pas un délai de six (6) mois de l’occurrence du fait. Chacun de ces délais est de rigueur.
24.11 . . .
Dans tous les cas, l’arbitre doit juger, conformément à la présente convention, qu’il ne peut modifier d’aucune façon.
. . .
L’arbitre peut maintenir, annuler ou mitiger toute mesure disciplinaire imposée par l’Université.
Si le professeur a été congédié ou suspendu ou s’il y avait révocation, et si son grief est soumis à un arbitre nommé en vertu de la présente convention, cet arbitre peut :
a) maintenir la sanction décrétée;
b) réviser ou rejeter la sanction décrétée avec attribution, s’il y a lieu, d’une compensation partielle ou totale moins les autres gains que le professeur aurait pu accumuler ailleurs;
c) constater toute décision jugée valable pour les deux (2) parties selon les circonstances.
. . .
[14] Comme je
l’ai mentionné précédemment, l’employée fonde son grief sur trois dispositions
: les clauses 12.04 et 18 de la convention collective et l’art.
[15] Il en va
tout autrement du recours fondé sur la clause 18, dans le cadre duquel le
fardeau d’établir le bien-fondé des motifs de congédiement incombe à
l’employeur. De plus, aucune limite ne restreint les motifs qui peuvent être
soulevés par l’employé. La clause 18 précise même que la cause invoquée par
l’employeur pour fonder le congédiement doit être « juste ». Un texte semblable
à celui de la clause 18 a été interprété comme ayant pour effet d’établir une
procédure de réparation équivalente à celle de l’art.
[16] Par
conséquent, je suis d’avis que le recours prévu à la clause 18 de la convention
collective constitue une procédure qui confère à l’arbitre compétence pour se
saisir de la plainte de congédiement. En fait, nous sommes en présence d’un exemple
de convention collective offrant le genre de protection contre les
congédiements effectués sans une cause juste et suffisante qui a inspiré
l’adoption de l’art.
[17] L’arbitre n’a pas ordonné aux parties de procéder devant lui suivant la clause 18. Il a cependant conclu qu’il était, « prima facie », en présence d’un non-renouvellement de contrat. De plus, il n’a pas fermé la porte à la présentation d’une preuve d’abus de droit. Sa décision portait sur une objection préliminaire. En précisant que sa conclusion était tirée à première vue et en indiquant que l’employée pouvait présenter une preuve d’abus, l’arbitre n’a pas écarté la possibilité de vérifier si la décision de l’employeur constituait un congédiement. Cette évaluation se situe au cœur de l’examen de la cause juste et suffisante et se reflète, dans la convention collective applicable en l’espèce, à la clause 18. C’est seulement après l’audition sur le fond qu’il pourra décider s’il s’agit vraiment d’un non-renouvellement visé par la convention collective ou plutôt d’un congédiement effectué sans une cause juste.
[18] Je suis
donc d’avis que l’arbitre a eu raison de conclure qu’il n’y avait pas lieu
d’incorporer l’art.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l’appelant : Richard McManus, Saint-Denis-sur-Richelieu, Québec.
Procureurs de l’intimée : Fasken Martineau DuMoulin, Québec.
Procureurs de l’intervenante : Pepin et Roy Avocats, Montréal.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.