Décision

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Labranche c. Moto JMF inc.

2021 QCCQ 1214

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE FRONTENAC

LOCALITÉ DE

THETFORD MINES

« Chambre civile »

N° :

235-32-005052-191

 

 

 

DATE 

22 février 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

 DOMINIC ROUX, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

CAMILLE LABRANCHE

[...]

Thetford Mines (Québec)  [...]

Partie demanderesse

c.

MOTO JMF INC.

842, boulevard Frontenac Ouest

Thetford Mines (Québec)  G6G 6K3

et

YAMAHA MOTEUR DU CANADA LTD

480, rue du Gordon Baker

Toronto (Ontario)  M2H 3B4

Parties défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 16 avril 2015, Camille Labranche achète de Moto JMF inc. (« Moto JMF ») un véhicule neuf motorisé hors route « côte à côte » (« VTT ») de marque Yamaha, au prix de 18 300 $. La durée de la garantie du manufacturer offerte par Yamaha Moteur du Canada LTD (« Yamaha ») est d’une année.

[2]           Le 8 mai 2015, monsieur Labranche prend possession de son VTT.

[3]           Le 18 janvier 2019, monsieur Labranche se rend chez le garagiste Valcourt VTT motoneige pour réparer le tube d’échappement de son VTT. Il lui en coûte la somme de 312,72 $ pour cette réparation.

[4]           Plus tard, au cours de la journée, le moteur du VTT cesse de fonctionner. Monsieur Labranche se rend immédiatement chez Moto JMF qui constate que le moteur doit être remplacé, un piston ayant éclaté. À ce moment, l’odomètre indique 6 868 km et le VTT, acheté au printemps 2015, justifie de moins de quatre années d’utilisation.  

[5]           Monsieur Labranche demande à Moto JMF de défrayer les coûts de remplacement du moteur. Moto JMF communique alors avec Yamaha qui, après enquête, conclut que le bris de moteur est attribuable à un mauvais entretien. Elle refuse donc d’honorer la garantie de qualité.

[6]           Le 27 février 2019, une facture de 7 424,21 $ est émise par Moto JMF pour le replacement du moteur sur le VTT. Le lendemain, monsieur Labranche acquitte la facture, mais indique sur le chèque que ce paiement est fait « sous protêt ».

[7]           Le 15 mars 2019, monsieur Labranche met en demeure Moto JMF et Yamaha.  

[8]           Dans une demande en justice introduite le 19 septembre 2019, monsieur Labranche réclame la somme de 9 236,93 $ à Moto JMF et Yamaha. Cette somme se détaille comme suit :

-       7 424,21 $ (réparation du moteur);

-       312,72 $ (réparation du tuyau d’échappement);

-       1 500 $ (troubles, ennuis et inconvénients).

[9]           Moto JMF et Yamaha contestent toutes deux la demande.

ANALYSE

[10]        Le contrat conclu entre monsieur Labranche et Moto JMF est assujetti à la Loi sur la protection du consommateur (« L.p.c. »)[1]. Il s’agit également d’un contrat de consommation en vertu de l’article 1384 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »)[2].

[11]        Le recours entrepris par monsieur Labranche repose donc sur les articles 37, 38, 53 et 54 L.p.c. :

37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.

38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

53. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur un vice caché du bien qui a fait l’objet du contrat, sauf si le consommateur pouvait déceler ce vice par un examen ordinaire.

Il en est ainsi pour le défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte.

Ni le commerçant ni le fabricant ne peuvent alléguer le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut.

Le recours contre le fabricant peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.

54. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur une obligation résultant de l’article 37, 38 ou 39.

Un recours contre le fabricant fondé sur une obligation résultant de l’article 37 ou 38 peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.

[12]        La garantie offerte par ces dispositions n’est « qu’une application particulière de la notion de vice caché »[3], vecteur de la garantie de qualité énoncée à l’article 1726 C.c.Q.  Le consommateur devrait donc en principe établir les quatre composantes du vice caché, soit : « 1) avoir une cause occulte, 2) être suffisamment grave, 3) être inconnu de l’acheteur et finalement 4) être antérieur à la vente »[4].

[13]        Toutefois, les articles 37, 38 et 53 L.p.c. allègent le fardeau du consommateur en établissant des présomptions qui le dispensent de prouver le vice affligeant son bien[5].

[14]        Ainsi, d’un part, suivant la garantie d’usage offerte par l’article 37 L.p.c., l’antériorité du vice n’a pas à être démontrée par le consommateur lorsque celui-ci prouve que le bien acheté « n’est pas apte à servir « à l’usage auquel il est normalement destiné »»[6], c’est-à-dire l’usage « auquel [il] peut raisonnablement s’attendre »[7]. À cette fin, le Tribunal doit « s’attarder aux circonstances de l’utilisation du bien (usage normal) analysées sous l’éclairage des attentes légitimes du consommateur »[8].

[15]        Toujours selon l’article 37 L.p.c., le consommateur n’a pas à prouver le caractère occulte du vice, s’il démontre l’absence de résultat attendu ou encore l’insuffisance de ce résultat[9].

[16]        D’autre part, la garantie de durabilité reconnue à l’article 38 L.p.c. fait présumer l’antériorité et le caractère occulte du vice si le consommateur démontre que le bien n’a pu « servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien ». Ces critères doivent s’apprécier en fonction des « attentes raisonnables et normales du consommateur »[10].  

[17]        Dans tous les cas, le consommateur doit évidemment s’être « livré à un examen ordinaire du bien avant l’achat »[11].

[18]        Ainsi, pour bénéficier de la garantie légale de qualité prévue à la L.p.c., le consommateur doit fournir « la preuve d’un déficit d’usage sérieux et celle de l'ignorance de cette condition au moment de la vente »[12].

[19]        À ce sujet, la Cour d’appel explique :

[71] La gravité du déficit d’usage réside dans la diminution importante de l’utilité du bien au point où le consommateur ne l’aurait pas acheté ou n’aurait pas consenti à donner un si haut prix s’il avait connu l’usage réduit qu’il pouvait obtenir de ce bien. […]

[72] Il n’est cependant pas nécessaire que le déficit enlève toute utilité au bien ou rende son usage impossible. Seule la preuve d’une gravité suffisante au point de jouer un rôle déterminant sur la décision du consommateur s’avère nécessaire. Bref, le fabricant doit concevoir le bien en conservant à l’esprit les besoins et les objectifs de sa clientèle. Telle est la norme.

[73] Le consommateur doit également démontrer que le défaut lui était inconnu au moment de l’achat. Cette preuve n’est habituellement pas très exigeante, d’autant qu’en pratique il arrive souvent que ce soit le vendeur lui-même qui se charge de faire la démonstration contraire.[13]

[Références omises]

[20]        Si ces deux conditions sont établies par le consommateur, il reviendra alors au commerçant et, s’il y a lieu, au fabricant de prouver qu’il y a absence de vice, c’est-à-dire « qu’au moins l’un des quatre critères de détermination d’un vice caché au sens de l’article 1726 C.c.Q. n’est pas présent »[14].  

[21]        Pour repousser la présomption de vice qui pèse contre eux, le commerçant et le fabricant peuvent également démontrer, par preuve prépondérante, « (a) que le consommateur avait connaissance, lors de la conclusion du contrat, du déficit d’usage qu’il allègue […] (b) que le consommateur a fait une mauvaise utilisation du bien, ne s’en est pas servi pour l’usage destiné »[15] ou encore (c) que le vice est attribuable à « une usure normale compte tenu du prix du bien »[16].

[22]        Par ailleurs, un « évènement extrinsèque, comme l’intervention d’un tiers ou une force majeure, peut aussi constituer un moyen de renverser la présomption de vice »[17].

[23]        Qu’est-ce à dire en l’espèce ?

[24]        D’abord, le Tribunal est d’avis qu’en achetant son VTT au printemps 2015, monsieur Labranche pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la durée de vie utile du moteur dépasse les quarante-quatre mois et les 8 700 km. De fait, la gravité du vice allégué doit être considérée comme établie, tant il est clair que monsieur Labranche n’aurait pas acheté le VTT ou payé ce prix s’il avait été préalablement informé de la situation.

[25]        En outre, rien ne permet de douter que monsieur Labranche ignorait l’existence du vice lors de l’achat du VTT.

[26]        Monsieur Labranche doit donc bénéficier de la présomption d’existence du vice affligeant son VTT, tel que le prévoient les articles 37 et 38 L.p.c.

[27]        Par conséquent, il revenait à Moto JMF et à Yamaha de repousser cette présomption au moyen d’une preuve prépondérante[18].

[28]        Or, après analyse, le Tribunal estime que cette preuve a été faite.

[29]        D’emblée, le Tribunal précise qu’il est confronté à une preuve contradictoire sur la cause du bris du moteur survenu le 18 janvier 2019.

[30]        Pour Moto JMF et Yamaha, l’entretien du moteur n’a pas été fait selon les normes exigées par le fabricant, et c’est ce qui a causé l’éclatement du piston.

[31]        Pour le Tribunal, cette allégation est soutenue par une preuve convaincante.

[32]        En effet, monsieur Labranche n’a pas respecté la périodicité d’entretien décrite dans le manuel du propriétaire qui lui a été communiqué[19]. Ainsi, pour la période de rodage initial, l’huile devait être remplacée après un mois ou 320 km d’utilisation, et ensuite tous les six mois ou les 2 400 km, selon la première éventualité. Après le rodage initial, une vidange d’huile devait avoir lieu tous les six mois ou les 2 400 km, selon la première éventualité.

[33]        Or, sans prendre le temps de s’enquérir auprès de Moto JMF ou de Yamaha, monsieur Labranche choisit de faire une seule vidange d’huile par année, à l’automne, au motif qu’il n’utilise pas son VTT durant la période estivale.

[34]        Qui plus est, la première vidange d’huile effectuée par monsieur Labranche a eu lieu le 3 septembre 2015, soit près de quatre mois suivant la prise de possession, alors que l’odomètre indique 854 km.

[35]        En somme, lorsque le moteur cesse de fonctionner à l’hiver 2019, l’historique d’entretien du VTT devrait compter huit vidanges d’huile et non quatre comme en l’espèce.

[36]        Pour Yamaha, il est plus que probable que cet entretien non conforme aux exigences du fabricant ait accéléré l’usure normale du moteur. Elle explique que le remisage du VTT pendant une longue période de temps cause de l’humidité dans le moteur, d’où la nécessité de changer l’huile au minimum deux fois l’an.

[37]        Mais il y a plus.

[38]        Lors de chaque vidange d’huile, monsieur Labranche fait appel à son ami, Claude tardif, un mécanicien d’expérience. Le mécanicien, qui connait les exigences du fabricant, décide d’installer des filtres à l’huile que ne recommande pas Yamaha, estimant qu’ils sont de qualité supérieure et, de fait, plus dispendieux. 

[39]        Or, explique Yamaha, photos et témoignage à l’appui, le filtre installé le 29 novembre 2018 présente des dissimilitudes non négligeables par rapport à celui recommandé par le fabricant. L’hypothèse la plus probable, selon Yamaha, est que le bris du moteur a été causé par un manque de lubrification, le débit d’huile transmis par le filtre de rechange posé en novembre 2018 étant insuffisant pour alimenter convenablement le piston.

[40]        Pour sa part, Monsieur Labranche allègue que le bris du moteur est attribuable à un défaut de fabrication. Avec égard, son témoignage et la facture émise par le garagiste Mercier Marine en date du 26 mars 2019 sont insuffisants pour convaincre le Tribunal du bien-fondé de cette prétention.

[41]        En définitive, les indices que révèlent les éléments de preuve fournis par Yamaha sont suffisamment graves, précis et concordants[20] pour établir, « par induction puissante »[21], que la cause la plus probable du bris de moteur du VTT est son entretien déficient et la pose d’un filtre à l’huile non recommandé par le fabricant.

[42]        Le Tribunal ne croit pas qu’une conclusion contraire pourrait raisonnablement être tirée de ces indices[22].

[43]        Le Tribunal juge donc que Moto JMF et Yamaha ont réussi à renverser la présomption de vice dont bénéfice monsieur Labranche en vertu des articles 37 et 38 L.p.c.

[44]        Par ailleurs, monsieur Labranche souhaite obtenir le remboursement du tube d’échappement qu’il a dû remplacer à l’hiver 2019.

[45]        Or, plutôt que de se rendre chez Moto JMF monsieur Labranche a fait appel à Valcourt VTT Motoneige pour effectuer ce travail.

[46]        Il est vrai que la pièce de remplacement achetée de Moto JMF est bien celle du manufacturier. Toutefois, Moto JMF et Yamaha n’ont pas eu l’occasion d’examiner le VTT avant la réparation du bien.

[47]        Faute d’urgence, l’absence de dénonciation préalable du vice par monsieur Labranche, exigée par l’article 1739 C.c.Q. applicable à la garantie de qualité offerte par la L.p.c.[23], constitue une fin de non-recevoir pour cette réclamation[24].

[48]        Vu l’absence de tout manquement par Moto JMF ou Yamaha Moteur aux dispositions de la L.p.c., monsieur Labranche n’a pas droit aux remèdes prévus par cette loi, y compris aux dommages-intérêts qu’il réclame pour les troubles, ennuis et inconvénients subis[25].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la demande ;

LE TOUT avec frais de justice de la contestation, fixés à 256 $ pour Moto JMF inc. et à 256 $ pour Yamaha Moteur Canada LTD.

 

 

 

 

__________________________________

DOMINIC ROUX, J.C.Q.

 

 

 

 

Date d’audience :

8 février 2021

 

 



[1]     Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P -40.1, art. 1 d) et e) et 2.

[2]     Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64 (« C.c.Q. »).

[3]     Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, par. 58.

[4]     Id., par. 60.

[5]     Id., par. 61.

[6]     Luc THIBAUDEAU, Guide pratique de la société de consommation. Tome 2 - Les garanties, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2017, par. 657.

[7]     Fortin c. Mazda Canada inc., précité, note 3, par. 62.

[8]     Id., par. 78. Voir aussi ABB inc. c. Domtar inc., [2007] 3 R.C.S. 461, par. 49.

[9]     Fortin c. Mazda Canada inc., précité, note 3, par. 63.

[10]    L. THIBAUDEAU, précité, note 6, par. 706 et 708.

[11]    Fortin c. Mazda Canada inc., précité, note 3, par. 63; art. 53 L.p.c.  

[12]    Fortin c. Mazda Canada inc., précité, note 3, par. 70.

[13]    Id.

[14]    L. THIBAUDEAU, précité, note 6, par. 712. Voir aussi les par. 694 et 696 du même ouvrage.

[15]    Id., par. 662.

[16]    Id., par. 711.

[17]    Id.

[18]    Art. 2803 et 2804 C.c.Q.

[19]    Art. 1435 C.c.Q.

[20]    Art. 2846 et 2849 C.c.Q.

[21]    Barrette c. Union canadienne (L'), compagnie d'assurances, 2013 QCCA 1687, par. 35; Duchesneau c. Valeurs mobilières Banque Laurentienne (BLC Valeurs mobilières), 2019 QCCA 791, par. 56 et 57.

[22]    Id.

[23]    L. THIBAUDEAU, précité, note 6, par. 1216 et suiv.

[24]    Id., par. 121, 124L. THIBAUDEAU, précité, note 6, par. 1216 et suiv.

[25]    Art. 272 L.p.c.

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