Décision

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Via Rail Canada inc. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

2025 QCCA 809

COUR D’APPEL

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE MONTRÉAL

 

No :

500-09-031516-255

      (500-17-133267-255)

 

 

PROCÈS-VERBAL D’AUDIENCE

 

 

DATE : Le 20 juin 2025

 

L’HONORABLE MYRIAM LACHANCE, J.C.A.

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

AVOCATS

 

VIA RAIL CANADA INC.

 

 

Me BOGDAN CATANU

Me JEAN-CHRISTOPHE MARTEL

(Woods)

 

PARTIE INTIMÉE

AVOCATS

 

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER

NATIONAUX DU CANADA

 

 

Me VINCENT ROCHETTE

Me MAYA ANGENOT

Me DOMINIC DUPOY

(Norton Rose Fulbright Canada)

 

 

DESCRIPTION :

Demande de permission d’appeler d’un jugement rendu en cours d’instance le 23 avril 2025 par l’honorable Serge Gaudet de la Cour supérieure, district de Montréal (Art. 31 al. 2 et 357 C.p.c.).

 

Greffière-audiencière : Chloé Côté-Sauvageau

Salle : RC-18

 


AUDIENCE

 

10 h 07

Début de l’audience. Identification du dossier et des avocats.

10 h 08

Remarques préliminaires de la juge.

10 h 09

Argumentation de Me Catanu.

10 h 17

Interventions de la juge et réponses de Me Catanu (2e erreur soulevée -  paragr. 231, 235 et ss. DII).

10 h 26

Argumentation de Me Rochette.

10 h 37

La juge informe les avocats qu’elle sera en mesure de rendre son jugement aujourd’hui, au courant de la journée, lequel sera rendu sur procès-verbal de ce jour et leur sera transmis dès que disponible.

Fin de l’audience.

PAR LA JUGE : Jugement – voir page 3.

 

 

 

 

Chloé Côté-Sauvageau, Greffière-audiencière

 


JUGEMENT

 

 

  1.                La requérante, VIA Rail Canada inc. (« VIA Rail »), demande la permission d’en appeler du jugement rendu par la Cour supérieure le 23 avril 2025 (l’honorable Serge Gaudet)[1] lequel rejette sa demande d’injonction interlocutoire visant à ordonner à l’intimée, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (« CN »), de cesser d’appliquer (1) des restrictions à l’égard de tous les points milliaires de certains passages à niveau[2]; et (2) des instructions spéciales aux termes de l’article 103.1(f) du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada[3].
  2.                Au terme de l’appel, VIA Rail demande à la Cour de rendre ces ordonnances ou de renvoyer l’affaire devant la Cour supérieure.

***

  1.                Le litige entre les parties prend sa source le 11 octobre 2024, quand le CN impose des restrictions aux nouveaux trains de type « Venture » de VIA Rail. Cette dernière dépose ensuite une demande d’injonction interlocutoire afin qu’il soit ordonné au CN de lever ces restrictions en marge d’une demande d’injonction permanente et de dommagesintérêts compensatoires et punitifs.
  2.                La demande est initialement présentée à la Cour fédérale qui décline sa compétence le 19 février 2025 [4] et ensuite devant la Cour supérieure qui la rejette le 23 avril 2025, d’où la présente demande de permission d’appeler.

***

  1.                VIA Rail allègue que le juge s'est mal dirigé en droit ou qu'il n'a pas exercé judiciairement sa discrétion en omettant d’examiner les critères de l’art. 511 C.p.c. avant de refuser d’émettre l’injonction interlocutoire[5].
  2.                Le juge aurait également erré en s’appuyant sur l’existence d’un autre « remède » émanant du pouvoir discrétionnaire de la ministre des Transports[6], alors que le régime administratif de la Loi sur la sécurité ferroviaire[7] ne lui donnerait accès à aucun recours pour obtenir une protection au stade interlocutoire. Le juge aurait donc confondu ce « remède » avec l’existence d’un recours alternatif avantageux, approprié et efficace[8].

***

  1.                La présente demande est régie par l’article 31 al. 2 C.p.c. Le jugement entrepris doit décider en partie du litige ou causer à la partie requérante un préjudice irrémédiable. De surcroît, l’appel envisagé doit être dans l’intérêt de la justice (art. 9 3e al. C.p.c.) « en ce qu’il soulève une question méritant l’attention de la Cour, présente des chances raisonnables de succès et s’accorde aux principes directeurs de la procédure (art. 17 et s. C.p.c.) »[9].
  2.                VIA Rail dit subir un préjudice du refus d’émettre l’injonction interlocutoire et elle réfère aux propos du juge qui se dit « conscient du préjudice important que le maintien de la directive cause aux activités de VIA, et de la possibilité que la directive du CN accroisse les risques d’incidents plutôt que de les diminuer »[10].
  3.                 Cet argument ne convainc pas.
  4.            D’une part, un préjudice important n’est pas un préjudice irréparable et le refus d’ordonner l’injonction interlocutoire ne lie pas le juge du fond. Il n’a donc aucun « effet sur l’issue du litige »[11]. L’objectif de VIA Rail demeure l’obtention d’une injonction permanente et cette voie lui est toujours ouverte. C’est pourquoi les permissions d’appeler d’une injonction interlocutoire ne sont accordées qu’avec parcimonie[12].
  5.            En outre, des démarches sont en cours devant le ministère des Transports. Dans ces circonstances, la démonstration d’un préjudice irrémédiable ou même très grave est absente.
  6.             D’autre part, une lecture attentive de ce jugement soigné et détaillé démontre que le juge n’a pas occulté les critères de l’art. 511 C.p.c. avant de refuser la demande de VIA Rail et c’est pourquoi l’erreur de droit reprochée ne peut être retenue[13].
  7.             Après avoir ciblé les trois critères[14], le juge aborde d’emblée le caractère sérieux de la question en litige avant de conclure qu’au-delà de la légitimité des restrictions imposées, l’enjeu soulevé est « entièrement tributaire » de la notion de sécurité ferroviaire[15]. Il reconnaît par ailleurs le préjudice « important » que subit VIA Rail[16] et en fin d’analyse, il choisit d’exercer sa discrétion étant d’avis qu’il serait inopportun d’interférer « à ce stade des procédures » dans les démarches en cours auprès du ministère des Transports[17].
  8.             Ce refus relève de sa discrétion, d’autant plus que « lorsque le processus administratif en sécurité ferroviaire est mieux placé pour évaluer les enjeux complexes et spécialisés en jeu »[18].
  9.            Qui plus est, bien que le dossier puisse soulever une question d’intérêt sur la doctrine des recours subsidiaires, j’estime, pour les raisons qui suivent, qu’elle a peu de chance de succès dans les circonstances de l’affaire. Il serait donc contraire à l’intérêt de la justice d’accorder la permission demandée (art. 9, 3e al. C.p.c.).
  10.            Premièrement, VIA Rail ne soulève aucune restriction discrétionnaire qui ferait en sorte que le juge devait exercer sa compétence au lieu de laisser le ministère spécialisé en la matière statuer sur l'affaire en l’absence d’une réelle situation d’urgence[19].
  11.            Deuxièmement, je considère que le juge a retenu avec raison que l’enjeu central du litige en est un de sécurité ferroviaire.
  12.            Troisièmement, le dossier est constitué d’une preuve volumineuse[20] et d’analyses techniques complexes[21] qui concernent notamment le processus réglementaire au sein de Transports Canada. Le juge indique[22] :

Tout en étant, il me semblerait inapproprié de jouer ici à l’apprenti sorcier relativement à une question mettant directement en cause la sécurité du public, alors que je n’ai entendu les parties que pendant deux jours, sans entendre aucun expert, avec un dossier technique de plusieurs milliers de pages, et ce, alors qu’un régime administratif adéquat pour traiter la demande de VIA existe et qu’il suit présentement son cours avec des spécialistes en matière de sécurité ferroviaire qui se penchent sur la situation. La mise en balance des avantages respectifs du processus administratif sur le processus judiciaire me semble ici nettement pencher en faveur du premier plutôt que du second.

  1.            En pareil cas, et comme l’indique le CN, il n’est pas dans l’intérêt de la justice et du critère de la proportionnalité que la Cour se saisisse d’un pourvoi basé sur des éléments de preuve techniques, fort nombreux et complexes et qui par ailleurs datent déjà de plus d’un mois, pour permettre l’appel du refus de cette injonction interlocutoire.
  2.            Pour ces raisons, j’estime que les critères requis ne sont pas établis et qu’il y a lieu de refuser la demande de permission d’appeler.

POUR CES MOTIFS, LA SOUSSIGNÉE :

  1.            REJETTE la demande de permission d’appeler du jugement rendu en cours d’instance, avec les frais de justice.

 

 

MYRIAM LACHANCE, J.C.A.

 


[1]  VIA Rail Canada inc. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2025 QCCS 1269 [Jugement entrepris].

[2]  « Équipement Venture VIA Supplément pour passages à niveau Version 3.0 »; « Équipement Venture VIA Supplément pour passages à niveau Version 2.0 »; et « Équipement Venture VIA Supplément passage à niveau version 1.0 »

[3]  Jugement entrepris, par. 102 : « [des restrictions] qui ne viseraient que les trains de passagers comportant moins de 32 essieux et n’étant pas équipés de « shunt enhancer». »

[4]  Ordonnance de la juge adjointe Catharine Moore, Cour fédérale, en date du 19 février 2025.

[5]  En référence à Google Inc. c. Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34, par. 25; Groupe CRH Canada inc. c. Beauregard, 2018 QCCA 1063, par. 85; 9129-3845.

[6]  Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. 1985, ch. 32 (4e suppl.). Jugement entrepris, par. 133 : « […] Bref, les remèdes prévus à la LSF sont tout à fait adéquats pour protéger les intérêts que VIA cherche à protéger par sa demande d’injonction interlocutoire. »

[7]  Loi sur la sécurité ferroviaire, LRC 1985, c 32 (4e suppl).

[8]  En référence à Batshaw Youth And Family Centres c. Hatton, 2002 CanLII 41152 (QC CA), par. 30.

[9]  Gestion Jimmy Gagnon inc. c. Grenier, 2021 QCCA 178, par. 2 (j. unique) renvoyant à Francoeur c. Francoeur, 2020 QCCA 1748, par. 8 (j. unique); 8455716 Canada inc. c. 11078526 Canada inc., 2021 QCCA 1336, par. 3 (j. unique) [références omises].

[10]  Jugement entrepris, par. 147.

[11]  9105-8164 Québec inc. c. Fiducie Basile Boriamos, 2024 QCCA 1024, par. 12 (j. unique) [références omises].

[12]  Ville de Blainville c. Procureur général du Québec, 2025 QCCA 457, par. 10 (j. unique) [références omises]; 8455716 Canada inc. c. 11078526 Canada inc., 2021 QCCA 1336, par. 3 (j. unique); Gestion Jimmy Gagnon inc. c. Grenier, 2021 QCCA 178, par. 2 (j. unique); 9105-8164 Québec inc. c. Fiducie Basile Boriamos, 2024 QCCA 1024, par. 10 (j. unique) [références omises].

[13]  Voir Gestion Jimmy Gagnon inc. c. Grenier, 2021 QCCA 178, par. 4 (j. unique).

[14]  Jugement entrepris, par. 104

[15]  Jugement entrepris, par. 151.

[16]  Jugement entrepris, par. 147.

[17]  Jugement entrepris, par. 154.

[18]  Jugement entrepris, par. 112 renvoyant à Nunatukavut Community Council inc. c. Nalcor Energy, 2014 NLCA 46, par. 65 et.Robert J. Sharpe, « Injunctions and Specific Performance », 2018, édition à feuilles mobiles, § 3:22. Voir au même effet National Organized Workers Union v. Sinai Health System, 2022 ONCA 802, par. 25-26.

[19]  Jugement entrepris, par. 113-123.

[20]  Jugement entrepris, par. 16 : « Je souligne également que la demande introductive de VIA fait quelque 115 pages et que le dossier est extrêmement volumineux (approchant sûrement la dizaine de milliers de pages), notamment en raison du fait que VIA a choisi de déposer comme pièces devant la Cour supérieure l’ensemble de la documentation produite devant la Cour fédérale à l’égard des demandes de pourvoi en contrôle judiciaire et de sursis. »

[21]  Jugement entrepris, par. 17 : « Enfin, on aura déjà compris que le débat soulève des questions de nature très technique et que les parties, de part et d’autre, ont déposé des expertises au soutien de leurs prétentions respectives. Cela dit, je précise que la Cour n’a pas pu bénéficier d’explications viva voce sur le contenu de ces rapports – qui ne sont pas nécessairement d’une lecture aisée – aucun de ces experts n’ayant été appelé à témoigner. »

[22]  Jugement entrepris, par. 112 renvoyant à Nunatukavut Community Council inc. c. Nalcor Energy, 2014 NLCA 46, par. 65 et.Robert J. Sharpe, « Injunctions and Specific Performance », 2018, édition à feuilles mobiles, § 3:22. Voir au même effet National Organized Workers Union v. Sinai Health System, 2022 ONCA 802, par. 25-26.

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