Boivin et Centre communautaire juridique de l'Estrie |
2011 QCCLP 2645 |
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[1] Le 10 juin 2010, madame Nathalie Boivin (la travailleuse) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), rendue le 27 mai 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 18 janvier 2010 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 4 décembre 2009.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jean-sur-Richelieu, le 25 janvier 2011. La travailleuse est présente et représentée et le Centre communautaire juridique de l’Estrie (l’employeur) est présent en la personne de son directeur adjoint.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande de déclarer qu’elle a subi un accident du travail à l’occasion de son travail, le 4 décembre 2009.
LES FAITS
[5] La travailleuse occupe, chez l’employeur, un poste de technicienne en droit depuis l’année 2000.
[6] À l’audience, des documents sont produits par le représentant de la travailleuse et celle-ci témoigne comme suit :
[7] Elle fait partie du comité organisateur du « party de Noël » depuis 2001, à la demande de son supérieur, Me Brodeur.
[8] Une réunion du comité organisateur, pour la préparation de cette fête de Noël, s’est tenue au restaurant et le dîner a été payé par l’employeur. Le Centre communautaire comprend des bureaux « éloignés » et cette activité devient la soirée officielle pour souligner les événements tels que les départs à la retraite, l’arrivée de nouveaux employés, etc. La travailleuse affirme que l’employeur tient beaucoup au succès de cet événement et à la participation du plus grand nombre d’employés. Une marche nordique est d’ailleurs mise en place afin de favoriser la participation des employés et des prix de présence sont offerts. Le souper débute après cette marche.
[9] La travailleuse explique que l’employeur participe au budget et qu’il est responsable de la location de la salle où se déroule l’événement. L’employeur est le titulaire du « Permis de réunion » émis par la Régie des alcools, des courses et des jeux, sur lequel il est inscrit que les heures d’exploitation seront de 8 h à 3 h du matin.
[10] Une lettre, portant l’en-tête de l’employeur et sollicitant des commandites pour financer cette fête de Noël, est signée par son adjoint administratif. L’employeur a également assumé le transport par autobus des employés provenant d’un bureau éloigné de Sherbrooke (Thetford Mines).
[11] Le 4 décembre 2009 est un vendredi. Les employés qui sont membres du comité organisateur arrivent sur les lieux à 8 h 30 afin de préparer et décorer la salle, monter les tables, etc. Ils sont rémunérés pour la portion de la journée qui correspond à leur horaire de travail normal, soit de 8 h 30 à 16 h 30.
[12] La travailleuse explique qu’elle estimait avoir « l’obligation morale » de participer à la soirée étant donné que, comme organisatrice, elle devait voir à son bon déroulement et aider à servir et desservir les tables. Elle estime que l’absence des employés organisateurs aurait été mal interprétée, d’autant plus que le buffet était fourni par la sœur d’un des avocats du bureau, laquelle offre un service de traiteur. Une cinquantaine d’employés étaient présents.
[13] Après le repas, au moment de la danse, une collègue l’attrape pour l’inciter à danser et la propulse sur le plancher. La travailleuse ressent de la douleur au coccyx, au cou et à l’omoplate gauche. Cet événement n’est pas remis en cause.
[14] Le 7 décembre 2009, la travailleuse consulte en physiothérapie et voit un ostéopathe le 9 décembre 2009. Elle rencontre le docteur Colimon le 11 décembre 2009. Celui-ci ne remplit pas de rapport médical « CSST » car la travailleuse aurait fait appel à son assurance collective, mais il lui dit que le dossier pourrait être présenté à la CSST. Il demande une radiographie et prescrit un arrêt de travail jusqu’au 4 janvier 2010. La travailleuse revoit le docteur Colimon le 18 décembre 2009, qui confirme l’absence de fracture et prolonge l’arrêt de travail jusqu’au 13 janvier 2010.
[15] Entre-temps, le 23 décembre 2009, le docteur Farrar, médecin de famille de la travailleuse, remplit une attestation médicale pour la CSST, indiquant une chute durant une soirée organisée pour le travail et un rapport médical sur lequel il inscrit « impact sur coccyx au travail » et pose un diagnostic de contusion dorsale et aggravation d’entorse cervicale.
L’AVIS DES MEMBRES
[16] Le membre issu des associations d’employeurs estime que la participation de la travailleuse à la soirée de danse est une décision personnelle et que l’événement qu’elle décrit n’est pas survenu à l’occasion du travail. Il est d’avis que la requête de la travailleuse devrait être rejetée.
[17] Le membre issu des associations syndicales estime que la connexité avec le travail est démontrée et que l’événement est survenu à l’occasion du travail. Il est d’avis que la requête de la travailleuse devrait être accueillie.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’événement survenu le 4 décembre 2009 constitue un accident du travail tel que défini à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[19] Selon cette définition, il ne fait nul doute que la travailleuse n’était pas à son travail lorsqu’elle assistait au souper de Noël. La prétention de la travailleuse est qu’il s’agissait d’une activité à l’occasion du travail et que, de ce fait, la blessure subie entre dans le cadre d’un accident du travail.
[20] La notion d’accident survenu à l’occasion du travail n’est pas définie dans la loi. Cependant, la jurisprudence en la matière a identifié certains critères permettant de décider si un accident est survenu à l’occasion du travail[2] :
- le lieu de l’événement;
- le moment de l’événement;
- la rémunération de l’activité exercée par le travailleur au moment de l’événement;
- l’existence et le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur lorsque l’événement ne survient ni sur les lieux ni durant les heures de travail;
- la finalité de l’activité exercée au moment de l’événement qu’elle soit incidente, accessoire ou facultative à ses conditions de travail;
- le caractère de connexité ou d’utilité de l’activité en regard de l’accomplissement du travail.
[21] Il n’est pas nécessaire que l’ensemble de ces critères soit respecté. Ils doivent être appréciés suivant les circonstances propres à chaque affaire.[3]
[22] Enfin, la jurisprudence enseigne qu’en matière « d’accident à l’occasion du travail », il faut éviter de chercher dans la jurisprudence des critères qui pourraient s’appliquer à toutes les circonstances puisqu’il s’agit, en définitive, de cas d’espèce dont les faits varient[4].
[23] En l’espèce, il est démontré que l’employeur s’est impliqué dans l’organisation et la préparation de la fête de Noël. Il a permis aux employés faisant partie du comité organisateur de se réunir dans un restaurant et il leur a remboursé le coût du repas. Il a payé le coût de la location de la salle et du transport de certains employés et il a participé au budget. Il a autorisé les employés membres du comité organisateur à utiliser leur journée de travail rémunérée, aux fins de la décoration et de la préparation de la salle. Cette fête de Noël permet de souligner différents événements qui sont arrivés au travail durant l’année, tels que départ à la retraite et arrivée de nouveaux employés.
[24] La Commission des lésions professionnelles retient le témoignage de la travailleuse qui explique qu’en tant qu’organisatrice de cette fête de Noël depuis plusieurs années, elle estimait devoir y participer afin de s’assurer du succès de l’événement et également afin de transmettre aux autres employés la perception qu’il est important pour l’ensemble de l’équipe d’y assister.
[25] La Commission des lésions professionnelles retient également que la majorité des avocats œuvrant pour l’employeur, dont le directeur général, assistait à cette fête. La présence de ces avocats, qui sont en quelque sorte des personnes en autorité par rapport au personnel de bureau, tel que la travailleuse, permet d’inférer que cette fête de Noël est une activité utile à l’accomplissement du travail des membres du groupe et qu’elle n’échappe pas entièrement à la sphère du travail.
[26] Ces éléments amènent la Commission des lésions professionnelles à conclure à une connexité entre cette activité et l’accomplissement du travail. Ils font ressortir que pour l’employeur, la finalité de la fête de Noël est notamment de maintenir la cohésion et le sentiment d’appartenance entre les employés dispersés dans les différents bureaux. Il est indéniable qu’il y trouve un avantage. D’ailleurs, l’employeur, bien que présent à l’audience, n’a offert aucune preuve pour contredire celle de la travailleuse.
[27] Dans des décisions impliquant des faits assez similaires au cas présent, la Commission des lésions professionnelles a reconnu que le fait accidentel était survenu à l’occasion du travail.[5]
[28] D’autre part, le fait accidentel n’est pas remis en cause et il a été reconnu par la CSST. La Commission des lésions professionnelles conclut qu’il est survenu à l’occasion du travail et que la travailleuse a subi, le 4 décembre 2009, un accident du travail à l’occasion du travail.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Nathalie Boivin, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 mai 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a été victime d’un accident du travail le 4 décembre 2009.
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Johanne Landry |
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Monsieur Réjean Potvin |
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C.S.N. (Sherbrooke) |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Plomberie & Chauffage Plombec et Deslongchamps, C.A.L.P. 51232-64-9305, 17 janvier 1995, B. Lemay.
[3] Assurances générales Caisses Desjardins inc. et Lacombe, C.L.P. 383205-03B-0907, 18 juin 2010, A. Tremblay.
[4] O’Farrell et Chemins de fer nationaux, [1997] C.A.L.P. 76.
[5] Battram et Min. de la Justice du Québec, C.L.P. 294730-71-0607, 26 juillet 2007, B. Roy; Assurances générales Caisses Desjardins inc. et Lacombe, précitée, note 3.
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