Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et Directeur des poursuites criminelles et pénales | 2024 QCCFP 14 | |||
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE | ||||
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CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
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DOSSIER No : | 2000071 | |||
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DATE : | 20 juin 2024 | |||
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | Mathieu Breton | |||
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ASSOCIATION DES PROCUREURS AUX POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||||
Partie demanderesse | ||||
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||||
Partie défenderesse | ||||
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(Article 16, Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective, RLRQ, c. P‑27.1) | ||||
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[1] Le 6 octobre 2023, l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (Association) dépose un avis de mésentente à la Commission de la fonction publique (Commission) en vertu de l’article 16 de la Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective[1] (Loi) et de l’article 9‑1.04 de l’Entente relative aux conditions de travail des procureurs aux poursuites criminelles et pénales 2019‑2023 (Entente).
[2] L’Association conteste la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de ne pas permettre aux procureurs, rétroactivement à partir du 1er avril 2019, d’utiliser des jours de congé de maladie de leur banque à titre de vacances, conformément au deuxième alinéa de l’article 1.1 de la Lettre d’entente numéro 3.
[3] Elle souligne que l’employeur a seulement permis cette utilisation à partir de la date de signature de l’Entente, soit le 16 décembre 2021, alors que l’article 6 de la Lettre d’entente numéro 3 prévoit que cette dernière entre en vigueur le 1er avril 2019. Elle ajoute que le DPCP a pourtant retiré aux procureurs, rétroactivement à partir de cette date, des jours de congé de maladie puisque ceux-ci sont passés, conformément à l’Entente, de 12 à 10 jours cumulés par année financière.
[4] Dans son recours, l’Association indique notamment :
[…]
En effet, alors que l’employeur a appliqué rétroactivement la lettre d’entente numéro 3 concernant l’utilisation et la résorption de la banque de congés de maladie et le rachat de service non contribué à un régime de retraite compte tenu de sa durée spécifiée à l’article 6, le DPCP ne reconnaît pas l’application de l’alinéa 2 de l’article 1.1 en refusant que les procureurs concernés puissent procéder rétroactivement au transfert des journées de maladie en vacances pour ces mêmes années financières visées.
Conséquemment, non seulement une iniquité flagrante résulte de ce refus puisque le DPCP réclame rétroactivement des journées de maladies aux procureurs alors qu’il n’octroie pas rétroactivement à ceux-ci les bénéfices résultant de l’entrée en vigueur de la lettre d’entente numéro 3, mais ce faisant, le DPCP contrevient à l’Entente.
Ainsi, nous estimons que le DPCP fait fi de ses obligations conventionnelles et utilise uniquement à son avantage la portée rétroactive conférée à la lettre d’entente numéro 3.
Nous demandons ainsi à ce que tous les procureurs concernés par l’alinéa 2 de l’article 1.1 puissent rétroactivement bénéficier du transfert pour chaque année financière visée et qu’ils soient pleinement compensés, le tout avec dommages moraux et intérêts.
[…]
[Transcription textuelle]
[5] Il est convenu que la Commission statue d’abord sur l’avis de mésentente au fond et, le cas échéant, réserve sa compétence par rapport aux préjudices, aux mesures de réparation et aux modalités d’application rétroactive, à partir du 1er avril 2019, du deuxième alinéa de l’article 1.1 de la Lettre d’entente numéro 3.
[6] L’Association allègue que l’employeur contrevient à l’Entente en n’appliquant pas cet alinéa rétroactivement à partir de cette date.
[7] Pour sa part, le DPCP prétend qu’il respecte l’Entente. Il souligne notamment que cette dernière ne prévoit pas de « mécanique » afin de mettre en application ce que l’Association demande. Il mentionne que « ce qui est fait est fait » pour les années antérieures à la date de signature de l’Entente.
[8] Le DPCP ajoute qu’un procureur ne peut pas utiliser des jours de congé de maladie à titre de vacances en prenant « une machine à voyager dans le temps » pour présenter une demande qu’il n’avait pas formulée à l’époque ou pour modifier un choix déjà fait. L’employeur allègue que le deuxième alinéa de l’article 1.1 de la Lettre d’entente numéro 3 ne permet pas d’effectuer rétroactivement une telle demande ni une telle modification.
[9] La Commission doit répondre à la question en litige suivante :
[10] La Commission juge que l’employeur contrevient à l’Entente. Par conséquent, elle accueille l’avis de mésentente et réserve sa compétence à divers égards.
CONTEXTE ET ANALYSE
[11] Conformément à l’article 12 de la Loi, le contenu de l’Entente fait l’objet d’une négociation entre l’Association et le DPCP, sauf pour certains sujets énumérés à l’article 19.1 de cette même loi qui sont évalués par le Comité de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (Comité). Ces deux articles prévoient :
12. Sauf pour les sujets énumérés à l’article 19.1, le directeur, au nom du gouvernement et avec l’autorisation du Conseil du trésor, négocie en vue de conclure avec l’association une entente portant sur les conditions de nomination et les conditions de travail applicables aux procureurs que l’association représente. Une telle entente a une durée de quatre ans.
[…]
19.1. Est institué un comité de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales.
Le comité a pour fonction d’évaluer tous les quatre ans si la rémunération, les régimes collectifs, les conditions de travail qui ont des incidences pécuniaires, celles qui concernent les accidents du travail et les maladies professionnelles et l’aménagement du temps de travail sont adéquats. Le comité n’a pas pour fonction d’évaluer les régimes de retraite et les droits parentaux.
[12] Le Comité remet au gouvernement, en vertu de l’article 19.15 de la Loi, un rapport contenant ses recommandations qui concernent notamment les règles applicables aux procureurs relativement aux congés de maladie. Ce rapport est ensuite déposé à l’Assemblée nationale du Québec par le ministre de la Justice :
19.15. Le comité remet au gouvernement un rapport comportant les recommandations qu’il estime appropriées le dernier jour ouvrable précédant le 181e jour suivant l’expiration de l’entente.
Le ministre de la Justice dépose ce rapport à l’Assemblée nationale dans les 10 jours de sa réception ou, si elle ne siège pas, dans les 10 jours de la reprise de ses travaux.
[13] L’article 19.16 de la Loi prévoit que l’Assemblée nationale du Québec « peut par résolution motivée approuver, modifier ou rejeter en tout ou en partie les recommandations du comité » et que les « conditions de travail qui font l’objet de la résolution de l’Assemblée nationale […] sont réputées faire partie de l’entente visée à l’article 12 » :
19.16. L’Assemblée nationale peut par résolution motivée approuver, modifier ou rejeter en tout ou en partie les recommandations du comité. Le gouvernement prend avec diligence les mesures requises pour mettre cette résolution en œuvre et, le cas échéant, rétroactivement à la date d’échéance de l’entente.
Si l’Assemblée nationale n’adopte pas une résolution, au plus tard le 45e jour de séance suivant le dépôt du rapport du comité, le gouvernement prend avec diligence les mesures requises pour mettre ces recommandations en œuvre.
Les conditions de travail qui font l’objet de la résolution de l’Assemblée nationale ou, à défaut, des recommandations du comité sont réputées faire partie de l’entente visée à l’article 12.
[14] Le 10 mars 2020, l’Assemblée nationale du Québec approuve par résolution un texte qui comprend entre autres la section 8‑1.00 de l’Entente et la Lettre d’entente numéro 3. Ce texte, qui a été intégré à l’Entente, prévoit que les procureurs cumulent désormais 10 jours de congé de maladie par année financière, plutôt que 12 jours antérieurement. Le texte mentionne que cette section et cette lettre d’entente entrent en vigueur le 1er avril 2019.
[15] En effet, le préambule de la section 8‑1.00 de l’Entente, intitulée « Régimes d’assurance-vie, maladie et traitement », énonce :
CHAPITRE 8 – RÉGIMES COLLECTIFS
8‑1.00 RÉGIMES D’ASSURANCE-VIE, MALADIE ET TRAITEMENT
LES RÉGIMES D’ASSURANCE VIE, D’ASSURANCE MALADIE ET D’ASSURANCE TRAITEMENT, LA LETTRE D’ENTENTE NUMÉRO 3 CONCERNANT L’UTILISATION ET LA RÉSORPTION DE LA BANQUE DE CONGÉS DE MALADIE ET LE RACHAT DE SERVICE NON CONTRIBUÉES À UN RÉGIME DE RETRAITE PRÉVUE DANS LA PRÉSENTE CONVENTION ENTRENT EN VIGUEUR LE 1er AVRIL 2019.
[16] Cette section comporte des dispositions en matière de congé de maladie, notamment les articles 8‑1.26, 8‑1.27, 8‑1.28, 8‑1.31, 8‑1.32 et 8‑1.33 :
8-1.26 Pour chaque mois civil pendant lequel il a eu droit à son traitement pour la moitié ou plus des heures normales ouvrables calculées à partir des heures normales du procureur à temps plein, l’employeur crédite au procureur dix douzièmes (10/12) de jour de congé de maladie, lequel ne pourra être utilisé avant la fin de ce mois. S’il ne répond pas à la condition exigée, le procureur perd son droit au crédit pour ce mois.
Pour le procureur à temps réduit, la valeur du crédit de congé de maladie prévu à l’alinéa précédent est obtenue en divisant le nombre d’heures de travail rémunérées prévues par l’horaire du procureur au cours de ce mois par le nombre d’heures de travail prévues par l’horaire du procureur à temps plein pour ce même mois. Ce crédit ne sera octroyé que si le procureur a eu droit à son traitement pendant la moitié ou plus des heures de travail rémunérées prévues par son horaire pendant le mois.
8-1.27 Les crédits de congé de maladie qu’acquiert le procureur sont versés à sa réserve. Les jours utilisés sont soustraits de sa réserve.
Pour le procureur à temps réduit, les jours de congé de maladie à sa réserve sont convertis en heures à raison de sept (7) heures par jour. L’utilisation des congés de maladie est faite sur la base du temps prévu à son horaire de travail.
8-1.28 Au 30 septembre, si la réserve du procureur excède vingt (20) jours, cet excédent est retiré et ne peut plus être utilisé.
Une indemnité équivalant au nombre de jours de maladie retirés de la réserve lui est payée. Cette indemnité est calculée sur la base du traitement applicable au procureur au moment du paiement, lequel est effectué au cours du mois de décembre.
Lors du paiement de l’indemnité, l’employeur précise au procureur le nombre de jours et fractions de jours de congé de maladie auquel correspond ce paiement.
8-1.31 Les articles 8-1.32 à 8-1.35 sont des dispositions transitoires applicables au procureur qui est en lien d’emploi au 1er avril 2019.
8-1.32 Au 1er avril 2019, la réserve de congés de maladie du procureur qui n’est pas invalide fait l’objet d’un gel et devient la banque du procureur.
Par la suite, un maximum de vingt (20) jours de congé de maladie est transféré de la banque à une nouvelle réserve, laquelle devient la réserve du procureur.
8-1.33 Aux fins du régime d’assurance traitement, la réserve du procureur est constituée des jours transférés en vertu des articles 8‑1.32 et 8‑1.34 et des crédits de maladie versés en vertu de l’article 8‑1.27.
[17] Pour leur part, les articles 1.1, 2 et 6 de la Lettre d’entente numéro 3 mentionnent :
1. UTILISATION DE LA BANQUE
1.1 Jours de congé de maladie, vacances et congés pour responsabilités familiales et parentales
Le procureur qui a épuisé sa réserve de jours de congé de maladie peut, pour chaque période d’invalidité prévue au paragraphe a) ci-dessous et pour chaque absence prévue au paragraphe b) ci-dessous, choisir d’utiliser les jours de congé de maladie de sa banque aux fins suivantes :
a) à titre de jours de congé de maladie en vertu du paragraphe a) de l’article 8‑1.16 de l’entente 2019‑2023, à la condition d’en faire la demande avant que ne débute le versement de la prestation prévue au paragraphe b) de l’article 8‑1.16. Le cas échéant, le procureur doit épuiser sa banque préalablement au paiement de la prestation prévue au paragraphe b) de l’article 8‑1.16.
Le procureur bénéficie de l’exonération de ses cotisations au régime de retraite auquel il est assujetti, laquelle est prévue au premier alinéa de l’article 8‑1.18 de l’entente, à compter de l’épuisement des jours de congé de maladie à sa banque.
b) à titre de congés pour responsabilités familiales et parentales en vertu de l’article 5‑3.06.
Le procureur qui a épuisé sa réserve de vacances peut également utiliser les jours de congé de maladie de sa banque à titre de vacances conformément à la section 5‑1.00 de l’entente, et ce, jusqu’à un maximum de dix (10) jours par année financière. De plus, le procureur qui utilise les jours de congé de maladie de sa banque à titre de vacances ne doit pas priver un autre procureur de ses droits prévus à la section 5‑1.00.
2. REMBOURSEMENT DE LA BANQUE
Les jours et fractions de jours que comporte la banque du procureur au 31 mars 2025 lui sont payés. Le procureur, le cas échéant, reçoit une indemnité correspondant au nombre de jours à sa banque, laquelle est calculée sur la base de 70 % du taux de traitement applicable au procureur au 31 mars 2025. Cette indemnité est payée dans les soixante (60) jours suivant cette date.
[…]
Lors du paiement de l’indemnité, l’employeur précise au procureur le nombre de jours de congé de maladie auquel correspond le paiement.
6. DURÉE DE LA LETTRE D’ENTENTE
La présente lettre d’entente entre en vigueur le 1er avril 2019 et prend fin le 31 mars 2025.
[18] L’article 11‑1.01 de l’Entente énonce :
11-1.01 La présente entente entre en vigueur, sauf dispositions contraires, à la date de sa signature et demeure en vigueur jusqu’au 31 MARS 2023; cependant, les conditions de travail demeurent en vigueur jusqu’au renouvellement de la présente entente.
[…]
[19] Après cet article, il est indiqué que l’Entente a été signée le 16 décembre 2021.
[20] L’Association explique qu’en raison de l’entrée en vigueur au 1er avril 2019 des dispositions de l’Entente concernant les congés de maladie, l’employeur a retiré aux procureurs, rétroactivement à partir de cette date, les jours cumulés en trop.
[21] En effet, entre le 1er avril 2019 et la date de signature de l’Entente, les procureurs ont cumulé 12 jours de congé de maladie par année financière, plutôt que 10 jours, puisque c’est ce que l’Entente relative aux conditions de travail des procureurs aux poursuites criminelles et pénales 2015‑2019 prévoyait.
[22] L’Association n’a pas déposé d’avis de mésentente pour contester cette décision du DPCP, mais elle demande que, de manière analogue, le deuxième alinéa de l’article 1.1 de la Lettre d’entente numéro 3 s’applique rétroactivement à partir du 1er avril 2019. En vertu de cet alinéa, un « procureur qui a épuisé sa réserve de vacances peut également utiliser les jours de congé de maladie de sa banque à titre de vacances conformément à la section 5‑1.00 de l’entente, et ce, jusqu’à un maximum de dix (10) jours par année financière. »
[23] Selon l’Association, les procureurs, qui remplissent les conditions d’application prévues à cet alinéa, doivent avoir la possibilité d’utiliser des jours de congé de maladie de leur banque à titre de vacances rétroactivement à partir du 1er avril 2019.
[25] Cette dernière disposition établit clairement que cette lettre d’entente entre en vigueur le 1er avril 2019. Ce faisant, le deuxième alinéa de l’article 1.1 doit s’appliquer à partir de cette date.
[26] La Lettre d’entente numéro 3 fait partie intégrante de l’Entente en vertu de l’article 1‑1.04 de celle‑ci :
1-1.04 Toute annexe, lettre d’entente ou lettre d’intention en vigueur entre les parties à la signature des présentes ainsi que toute annexe, lettre d’entente ou lettre d’intention conclues entre les parties postérieurement à la signature de la présente entente fait partie intégrante de l’entente.
[27] L’article 11‑1.01 de l’Entente stipule que cette dernière « entre en vigueur, sauf dispositions contraires, à la date de sa signature ». L’article 6 de la Lettre d’entente numéro 3 constitue une telle disposition contraire qui prescrit une autre date d’entrée en vigueur pour les articles de cette lettre d’entente, soit le 1er avril 2019.
[28] Il en est de même pour la section 8‑1.00 de l’Entente conformément à son préambule. Le DPCP a justement appliqué, rétroactivement à cette date, l’article 8‑1.26 de cette section en retirant aux procureurs les jours de congé de maladie cumulés en trop en raison d’une diminution du nombre de jours attribués par année financière.
[29] Ce préambule prévoit également que la Lettre d’entente numéro 3 entre en vigueur le 1er avril 2019.
[30] Le fait de permettre aux procureurs d’utiliser des jours de congé de maladie de leur banque à titre de vacances pourrait entraîner des démarches administratives compliquées qui prendraient beaucoup de temps. Malgré ces considérations, l’Entente doit être observée, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire.
[31] La portée rétroactive de la Lettre d’entente numéro 3 doit être respectée en dépit des difficultés d’exécution appréhendées. La Commission juge qu’il faut donner plein effet à cette lettre d’entente, notamment quant à sa date d’entrée en vigueur.
[32] L’employeur n’a pas soutenu qu’il est impossible, en raison par exemple d’une situation de force majeure, de permettre aux procureurs, rétroactivement à partir du 1er avril 2019, d’utiliser des jours de congé de maladie de leur banque à titre de vacances.
[33] Dans une décision rendue le 18 octobre 2006[2], l’arbitre Jean‑M. Morency souligne :
[59] Ce refus ne repose, de l’avis du tribunal, sur aucune raison valable puisque, d’une part, aucune condition d’existence n’était prévue et, d’autre part, les raisons données pour justifier tel refus ne sont pas en fait et en droit recevables. Elles ne représentent pas une situation de force majeure rendant l’exécution impossible et permettant à l’employeur d’être libéré de son obligation[[3]], ni ne constituent des raisons pouvant l’empêcher ou l’avoir empêché réellement d’agir.
[34] Le DPCP n’a pas soulevé d’élément permettant de le relever de son obligation de respecter la Lettre d’entente numéro 3. Le fait que des démarches soient compliquées ou longues à mettre en œuvre ne les rend pas impossibles à réaliser. Les droits des procureurs accordés par l’Entente ne peuvent pas être brimés par des considérations administratives.
[35] L’employeur ne peut décider unilatéralement de ne pas donner effet, rétroactivement au 1er avril 2019, à la Lettre d’entente numéro 3.
[36] Dans le même esprit, Me Patrick Michel, directeur des poursuites criminelles et pénales, mentionne, dans un courriel transmis le 4 octobre 2021 à Me Guillaume Michaud, président de l’Association, que « le DPCP n’a pas discrétion pour renoncer à l’application rétroactive des modifications au régime d’assurance traitement » :
[…]
Après vérification, je te confirme que le DPCP n’a pas discrétion pour renoncer à l’application rétroactive des modifications au régime d’assurance traitement. Ainsi, conformément à la correspondance du 8 juillet 2021 qui t’était adressée par la ministre Lebel, à titre de présidente du conseil du Trésor, la mise en vigueur des modifications au régime d’assurance traitement devra se faire au 1er avril 2019.
[…]
[Transcription textuelle]
[37] En outre, le fait que les détails ou la « mécanique », entourant l’utilisation rétroactive à partir du 1er avril 2019 de jours de congé de maladie de la banque d’un procureur à titre de vacances, ne soient pas prévus dans la Lettre d’entente numéro 3 ni ailleurs dans l’Entente ne peut constituer une justification valable pour ne pas respecter cette lettre d’entente. L’absence de détails ou de marche à suivre dans l’Entente quant à la manière de procéder n’a pas empêché le DPCP de retirer aux procureurs les jours de congé de maladie cumulés en trop.
[38] Par ailleurs, la Commission note que le deuxième alinéa de l’article 1.1 de la Lettre d’entente numéro 3 comporte des conditions pour s’appliquer. D’abord, le procureur doit avoir épuisé sa réserve de vacances. De plus, il doit disposer d’au moins un jour de congé de maladie dans sa banque et il ne peut en utiliser plus de dix à titre de vacances par année financière. Aussi, ces jours doivent être utilisés conformément à la section 5‑1.00 de l’Entente intitulée « Vacances annuelles ». Enfin, « le procureur qui utilise les jours de congé de maladie de sa banque à titre de vacances ne doit pas priver un autre procureur de ses droits prévus » à cette même section.
[39] Ce n’est donc pas tous les procureurs qui peuvent bénéficier rétroactivement de cette disposition. Néanmoins, ceux qui remplissent les conditions d’application doivent avoir la possibilité d’en bénéficier. Les en empêcher contrevient à l’Entente et brime leurs droits.
[40] Les jours de congé de maladie que comportera encore la banque d’un procureur au 31 mars 2025 lui seront payés. L’article 2 de la Lettre d’entente numéro 3 prévoit qu’il recevra une « indemnité correspondant au nombre de jours à sa banque, laquelle est calculée sur la base de 70 % du taux de traitement applicable au procureur au 31 mars 2025. »
[41] L’Association soutient qu’un procureur, qui respecte les conditions d’application du deuxième alinéa de l’article 1.1 de la Lettre d’entente numéro 3, pourrait donc préférer utiliser ces jours à titre de vacances pour lesquelles il recevrait 100 % de son traitement applicable au moment de celles-ci.
[42] Par exemple, elle est d’avis que des jours de vacances anticipées ou de congé sans solde qu’un tel procureur a pris, depuis le 1er avril 2019, pourraient être remplacés par des jours de congé de maladie utilisés à titre de vacances.
[43] L’Association estime qu’il faut aussi prendre en considération la situation des procureurs qui remplissent ces mêmes conditions d’application, mais qui n’ont pas pris de congé sans solde ni de vacances anticipées. Elle croit que ces procureurs pourraient notamment avoir droit à des mesures de réparation.
[44] Pour le moment, la Commission n’a pas à se prononcer sur ces questions. Elle doit uniquement statuer sur le fond de l’avis de mésentente.
[45] À cet égard, comme la décision contestée contrevient à l’Entente, le recours de l’Association est accueilli.
[46] La Commission réserve sa compétence quant aux modalités d’application rétroactive du deuxième alinéa de l’article 1.1 de la Lettre d’entente numéro 3. Elle la réserve également par rapport aux préjudices et aux mesures de réparation ainsi qu’afin de rendre toute ordonnance et de trancher toute question ou toute difficulté en lien avec la présente décision.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
ACCUEILLE l’avis de mésentente déposé par l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales;
RÉSERVE sa compétence quant aux modalités d’application rétroactive, à partir du 1er avril 2019, du deuxième alinéa de l’article 1.1 de la Lettre d’entente numéro 3 de l’Entente relative aux conditions de travail des procureurs aux poursuites criminelles et pénales 2019‑2023;
RÉSERVE sa compétence par rapport aux préjudices et aux mesures de réparation;
RÉSERVE sa compétence afin de rendre toute ordonnance et de trancher toute question ou toute difficulté en lien avec la présente décision.
Original signé par : | ||
| __________________________________ Mathieu Breton | |
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Me Marie‑Jo Bouchard | ||
Procureure de l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales | ||
Partie demanderesse | ||
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Me Édith Létourneau | ||
Procureure du Directeur des poursuites criminelles et pénales | ||
Partie défenderesse | ||
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Audience tenue par visioconférence | ||
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Date de l’audience : | 26 janvier 2024 | |
[1] RLRQ, c. P‑27.1.
[2] Syndicat national des travailleurs et travailleuses des pâtes et papiers de Kénogami inc. et Compagnie Abitibi-Consolidated du Canada, division Kénogami (grief syndical), SOQUIJ AZ‑50394840, par. 59.
[3] Article 1693 du Code civil du Québec.
AVIS :
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