Monsieur Muffler et Grandolfo |
2014 QCCLP 3772 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 6 août 2012, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révocation à l’encontre d’une décision rendue par cette instance le 26 juin 2012.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles entérine un accord intervenu entre Monsieur Muffler et monsieur Mario Grandolfo (le travailleur), accueille la requête de Monsieur Muffler et déclare que le travailleur a subi des lésions professionnelles les 9 avril, 14 juillet et 5 novembre 2010 sous la forme de récidive, rechute ou aggravation d’une lésion initiale du 13 septembre 2005.
[3] À l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles à Montréal le 6 juin 2013, le travailleur était présent et Monsieur Muffler et la CSST étaient représentés.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de révoquer la décision qu’elle a rendue le 26 juin 2012 pour le motif qu’elle est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider au sens de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). La CSST demande au tribunal de reconvoquer les parties sur le fond du litige.
LES FAITS
[5] Le 13 septembre 2005, le travailleur est victime d’un accident du travail alors qu’il travaille pour Station de service Pan & Fils inc. La lésion professionnelle est acceptée par la CSST. Le diagnostic de la lésion est une entorse lombaire.
[6] En septembre 2006, le travailleur débute un nouvel emploi de mécanicien chez Monsieur Muffler.
[7] En 2009, le travailleur est victime d’un accident du travail qui entraîne des douleurs lombaires avec une sciatalgie droite. Un arrêt de travail de deux semaines est prescrit. La lésion est consolidée sans séquelle permanente.
[8] Le 9 avril 2010, le travailleur subit à nouveau un accident du travail. Il s’inflige une entorse lombaire. La CSST accepte la lésion professionnelle sous l’angle d’un accident du travail. Cette lésion est consolidée, deux mois plus tard, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[9] Le 14 juillet 2010, le travailleur se blesse à nouveau chez le même employeur. Le diagnostic est une entorse lombaire. La CSST accepte la réclamation du travailleur pour un accident du travail. La lésion est consolidée le 12 octobre 2010 sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[10] Le 5 novembre 2010, le travailleur est victime d’un accident du travail. Le diagnostic est une entorse lombaire consolidée en avril 2011 avec une atteinte permanente de 2 % et des limitations fonctionnelles.
[11] Monsieur Muffler conteste à la Commission des lésions professionnelles les décisions de la CSST acceptant les réclamations du travailleur pour les événements survenus en avril, juillet et novembre 2010.
[12] Le 19 juin 2012, Monsieur Muffler et le travailleur concluent un accord dans le cadre de la conciliation. Cet accord prévoit que le travailleur a subi les 9 avril, 14 juillet et 5 novembre 2010, des lésions professionnelles sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation d’un événement initial du 15 septembre 2005.
[13] Le 26 juin 2012, la Commission des lésions professionnelles entérine cet accord, accueille les requêtes de l’employeur et déclare que le travailleur a subi les 9 avril, 14 juillet et 5 novembre 2010 des lésions fonctionnelles sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation d’une lésion professionnelle initiale du 13 septembre 2005.
[14] Au moment où l’accord est intervenu, Station de service Pan et Fils inc. était fermé.
L’AVIS DES MEMBRES
[15] Tant le membre issu des associations syndicales que celui issu des associations d’employeurs sont d’avis que la requête en révocation doit être accueillie puisque la décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Ils estiment que Monsieur Muffler n’avait pas l’intérêt suffisant pour conclure un tel accord puisqu’il n’était pas l’employeur du travailleur au moment de la lésion professionnelle initiale à laquelle on veut rattacher les récidives, rechutes ou aggravations de 2010. En concluant un tel accord, Monsieur Muffler a transigé pour des tiers, ce qu’il ne peut pas faire.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[16] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif permettant la révocation de la décision rendue par cette instance le 26 juin 2012.
[17] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Toutefois, le législateur a prévu, dans les cas énumérés à l’article 429.56 de la loi, que le tribunal peut réviser ou révoquer une décision qu’il a rendue :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[18] Au soutien de sa requête en révision, la CSST soumet que la décision du 26 juin 2012 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[19] La jurisprudence[2] a établi qu’on entend, entre autres, par la notion « vice de fond ... de nature à invalider la décision », une erreur manifeste de droit ou de faits qui est déterminante sur l’issue du litige. La Cour d’appel, dans Bourassa c. C.L.P.[3] rappelle ainsi la notion de « vice de fond » :
[21] La notion [vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs du Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508; Jean-Pierre Villagi. « La Justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[20] Plus précisément, la CSST soutient que l’accord entériné par le tribunal n’était pas conforme à la loi parce que Monsieur Muffler ne pouvait pas donner son consentement sur une question qui implique un autre employeur car cela équivaut à faire une admission pour autrui. Il se réfère à la décision rendue dans l’affaire Bujold et 90202383 Québec inc. (F)[4] dans laquelle il a été décidée qu’un accord qui conclut à une récidive, rechute ou aggravation n’est pas conforme à la loi s’il n’est pas signé par l’employeur chez qui est survenu la lésion initiale.
[21] La CSST se réfère également à la décision rendue dans Farhat et Provigo div. Loblaws Québec[5]. Dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles se réfère aux dispositions 1440 et 1443 du Code civil du Québec[6] qui prévoit qu’un contrat ne peut pas produire des effets ou générer des obligations à l’égard d’un tiers qui n’est pas partie à ce contrat.
[22] Selon la CSST, en donnant son consentement à l’accord, alors qu’il n’était pas l’employeur du travailleur lors de la lésion professionnelle initiale, Monsieur Muffler a transigé pour le compte d’autrui contrairement aux dispositions du Code civil du Québec.
[23] Pour sa part, Monsieur Muffler s’appuie sur une autre décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Sanscartier et Logidec inc.[7].
[24] Les dispositions pertinentes de la loi sont les suivantes :
429.44. Si les parties à une contestation y consentent, la Commission des lésions professionnelles peut charger un conciliateur de les rencontrer et de tenter d'en arriver à un accord.
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1997, c. 27, a. 24.
429.46. Tout accord est constaté par écrit et les documents auxquels il réfère y sont annexés, le cas échéant. Il est signé par le conciliateur et les parties et lie ces dernières.
Cet accord est entériné par un commissaire dans la mesure où il est conforme à la loi. Si tel est le cas, celui-ci constitue alors la décision de la Commission des lésions professionnelles et il met fin à l'instance.
Cette décision a un caractère obligatoire et lie les parties.
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1997, c. 27, a. 24.
[25] Depuis 2009, la Commission des lésions professionnelles a rendu trois décisions dans des affaires similaires à la présente[8].
[26] Dans l’affaire Bujold[9], le tribunal mentionne ce qui suit concernant « la conformité à la loi », prévue à l’article 429.46 de la loi :
[43] Un accord intervenu en conciliation est entériné par un commissaire dans la mesure où il est conforme à la loi. Si tel est le cas, cet accord constitue la décision de la Commission des lésions professionnelles et met fin à l’instance. Comme le signale la Commission des lésions professionnelles dans Les Magasins Hart inc. et Déry16, le rôle de la Commission des lésions professionnelles est alors bien différent de celui qu’elle exerce à la suite d’une enquête et audition. Pour entériner un accord, elle doit uniquement s’assurer que l’accord est conforme à la loi.
[44] Dans la décision Perron et Cambior inc.17, la Commission des lésions professionnelles résume bien la jurisprudence sur la notion de conformité à la loi :
[41] Nul doute que si la Commission des lésions professionnelles entérine un accord qui n’est pas conforme à la loi, elle commet une erreur de droit manifeste et déterminante donnant ouverture à la révocation. La question qui se pose, dans le cas présent, est celle de savoir si l’accord entériné par la décision de la Commission des lésions professionnelles du 20 novembre 2003 était effectivement non conforme à la loi comme le prétend la CSST.
[42] La notion de conformité à la loi a été définie par la jurisprudence tant de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) que de la Commission des lésions professionnelles. Il faut rappeler, en effet, qu’avant même l’entrée en vigueur de l’article 429.46 de la loi, le 1er avril 1998, la Commission d’appel avait déjà imposé la notion de conformité à la loi lorsqu’elle entérinait une entente intervenue en conciliation 4. Les critères retenus par la jurisprudence sont les suivants : l’entente résultant d’un exercice de conciliation doit respecter la compétence du tribunal c’est-à-dire qu’elle ne doit pas déborder le cadre de l’objet en litige 5; les conclusions de l’entente ne doivent pas être contraires à l’ordre public 6; l’entente doit respecter la législation et la réglementation pertinentes 7; enfin, l’entente ne doit pas être fondée sur des faits manifestement faux, inexacts ou qui ne sauraient supporter les conclusions recherchées 8.
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4 Vaillancourt et Imprimerie Canada, [1993] C.A.L.P. 1227; Céleste et Cie Gaspésia ltée, [1994] C.A.L.P. 167
5 Voir note 4, Vaillancourt, p. 1231; Élag (1994) inc. et Courcelles, C.L.P. 85600-07-9701, 29 avril 1999, L. Couture; Tremblay et Desroches, [2000] C.L.P. 650
6 Voir note 4, Vaillancourt p. 1236; Voir note 4, Céleste, p. 172; Kohos et Daniel Cuda, C.A.L.P 35651-60-9201, 4 juin 1993, Y. Tardif
7 CSST et Del Grosso et Cie Moruzzi ltée, [1998] C.L.P. 866; Gauthier et Gaétan Proulx et CSST, [2000] C.L.P. 994; Lamontagne et Les Entreprises Denis Boisvert inc., C.L.P. 138943-05-0005, 30 juillet 2002, F. Ranger
8 Mocci Campoli et Lightolier Canada inc. et CSST, C.L.P. 107272-71-9811, 4 décembre 2000, L. Landriault; Antonio et Lagran Canada inc., C.L.P. 157116-72-0103, 29 avril 2003, B. Roy
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16 [2007] C.L.P. 1183.
17 [2003] C.L.P. 1641.
[27] Sur la possibilité pour la CSST de déposer une requête en révision ou révocation d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles alors qu’elle n’était pas intervenue à l’instance initiale, le tribunal écrit :
[45] Signalons que la CSST n’était pas partie au dossier initialement devant la Commission des lésions professionnelles, elle n’était pas intervenue comme le lui permet l’article 429.16 de la loi :
429.16. La Commission peut intervenir devant la Commission des lésions professionnelles à tout moment jusqu'à la fin de l'enquête et de l'audition.
Lorsqu'elle désire intervenir, elle transmet un avis à cet effet à chacune des parties et à la Commission des lésions professionnelles; elle est alors considérée partie à la contestation.
Il en est de même du travailleur concerné par un recours relatif à l'application de l'article 329.
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1997, c. 27, a. 24.
[46] Cependant il est bien établi par la jurisprudence que la CSST peut soumettre une requête en révision même si elle n’était pas intervenue au dossier auparavant et n’était pas partie au litige dans la décision visée par la requête. La Commission des lésions professionnelles l’a rappelé dans Systèmes Polymère Structural Canada et Manseau18 :
[33] La jurisprudence2 du tribunal est à l’effet que même si la CSST n'est pas intervenue au dossier comme le lui permettait l'article 429.16 qu’il ne s'agit pas d'une fin de non-recevoir à sa requête en révision produite selon l'article 429.56.
[34] D’une part, cet article n'indique pas la qualité de la personne qui peut déposer une requête en révision par opposition aux articles 358, 359 et 359.1, qui indiquent clairement que seule la personne qui se croit lésée par une décision peut la contester.
[35] D’autre part, la CSST a un intérêt suffisant, en tant qu'organisme chargé de l'application de la loi et à titre d'administrateur du régime, pour exercer le recours en révision, et ce, afin de s'assurer du respect de la loi.
[36] Plus précisément, il a aussi été décidé que la CSST avait le droit de demander la révision d'une décision de la Commission des lésions professionnelles, même si elle n'est pas intervenue à l'étape de la conciliation 3.
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2 CSST et Restaurants McDonald du Canada ltée, [1998] C.L.P. 1318; Hardoin et Société Asbestos ltée, 116756-03-9905, 00-09-05, G. Tardif, révision rejetée, 02-03-05, M. Beaudoin, (01LP-182).
3 Gauthier et Proulx, [2000] C.L.P. 994
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18 [2007] C.L.P. 1496.
[28] Enfin, toujours dans l’affaire Bujold, la Commission des lésions professionnelles conclut que la notion de partie intéressée repose essentiellement sur la démonstration d’un intérêt et cet intérêt s’apprécie à la lumière de l’objet en litige.
[29] Dans le présent dossier, deux employeurs peuvent potentiellement être parties intéressées dans le litige, sauf que l’un deux est fermé d’où l’impossibilité pour le service de la conciliation d’obtenir son consentement. Un accord pouvait-il être conclu entre les deux autres parties, soient Monsieur Muffler et le travailleur?
[30] Dans l’affaire Bujold, la Commission des lésions professionnelles précise que lorsque les parties veulent convenir d’un accord, ayant pour objet la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation, c’est l’employeur initial qui doit être partie à l’accord et non pas celui chez qui est survenu la récidive, rechute ou aggravation. Ce dernier ne peut pas donner son consentement sur une question qui implique un autre employeur, cela équivaut à faire une admission pour autrui.
[31] Le fait que l’employeur initial ne soit plus actif ne permet pas au nouvel employeur du travailleur de donner son consentement sur l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation dans le cadre d’un accord.
[32] À ce sujet, le tribunal s’exprime comme suit dans l’affaire Bujold[10] :
[68] Le fait que l’employeur initial soit inactif ou le fait qu’en vertu des règles d’imputation et ne soit plus imputé, ne change rien à la situation. Cela ne donne pas le droit à un autre employeur de transiger sur cette question.
[33] Dans cette décision, le tribunal précise qu’un accord implique nécessairement deux parties. Lorsque l’employeur concerné par le litige ne peut pas participer à une conciliation parce qu’il est fermé ou en faillite, l’intervention de la CSST peut être demandée. Cette dernière étant chargée de l’administration de la loi et fiduciaire pour l’ensemble des employeurs peut intervenir dans le cadre de la conciliation et conclure un accord avec le travailleur.
[34] En 2011, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision dans l’affaire Farhat[11]. Le tribunal aborde la question sous l’angle du contrat que constitue l’accord en référant aux articles 1440 et 1443 du Code Civil du Québec. Selon ces dispositions, le contrat ne peut produire d’effet ou générer des obligations qu’entre les parties contractantes. Ces dispositions se lisent comme suit :
1440. Le contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes, il n’en a point aux tiers excepté dans les cas prévus par la loi.
1443. On ne peut, par un contrat en son propre nom, engager d’autres que soi-même et ses héritiers, mais on peut, en son propre nom, promettre qu’un tiers s’engagera à exécuter une obligation, en ce cas, on est tenu envers son cocontractant du préjudice qu’il subit si le tiers ne s’engage pas conformément à la promesse.
[35] En 2010, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision dans l’affaire Sanscartier[12] qui ne va pas dans le même sens que dans les affaires précédentes. Le tribunal a alors conclu que l’employeur du travailleur, au moment de la récidive, rechute ou aggravation, avait un intérêt suffisant pour conclure à un accord, selon lequel le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation chez un autre employeur qui est fermé et n’a pu donner son consentement. La soussignée n’adhère pas à ce raisonnement étant d’avis que l’intérêt de l’employeur, au moment de la récidive, rechute ou aggravation, n’est pas suffisant pour lui donner la capacité de transiger pour autrui.
[36] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision adhère aux raisonnements développés par le tribunal dans les affaires Bujold[13] et Farhat[14], lesquels se complètent. La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d’avis que Monsieur Muffler ne pouvait pas donner son consentement sur une question qui implique Station de service Pan & Fils inc. car cela équivaut à consentir pour autrui.
[37] Le tribunal estime que Monsieur Muffler et le travailleur pouvait faire un accord en autant que celui-ci n’engage qu’eux-mêmes. À partir du moment où ils voulaient faire reconnaître que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation d’un accident du travail survenu antérieurement chez Station de service Pan & Fils inc., ils devaient le faire intervenir à l’accord. Or, comme ce dernier employeur était fermé, ils devaient faire intervenir la CSST car c’est à elle qu’incombe le rôle de représenter l’ensemble des employeurs en vertu de l’article 136.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[15] (la LSST) qui prévoit que la CSST est le fiduciaire du Fond d’indemnisation des lésions professionnelles et qu’elle doit agir dans le meilleur intérêt de celui-ci.
[38] Monsieur Muffler fait valoir que s’il s’était présenté devant le tribunal, dans le cadre d’une audience, il aurait pu faire des admissions de faits et le tribunal aurait pu reconnaître l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation chez l’ancien employeur. Il soumet que dans les faits, cette décision aurait eu le même effet que l’accord.
[39] Il doit être précisé que le rôle de la Commission des lésions professionnelles lorsqu’elle entérine un accord n’est pas le même que lorsqu’elle exerce ses fonctions d’adjudication à la suite d’une enquête et de l’audition. Lorsqu’elle entérine un accord, la Commission des lésions professionnelles n’est tenue qu’à la vérification de la conformité de l’accord avec la loi. Elle est tenue uniquement de s’assurer que l’accord est dûment signé par les parties intéressées et qu’il ne déborde pas du cadre de l’objet du litige; que les conclusions de l’entente ne sont pas contraires à l’ordre publique; que l’accord respecte la législation et la réglementation pertinente et, enfin, qu’il ne soit pas fondé sur des faits manifestement faux, inexacts ou qui ne seraient supportés par les conclusions recherchées[16]. Son rôle n’est pas de procéder à sa propre analyse de la preuve.
[40] Quant aux admissions de faits formulées par les parties à l’audience, le tribunal rappelle qu’il n’est jamais lié par ces admissions. Il lui revient d’analyser l’ensemble de la preuve pour fonder ses conclusions.
[41] Ainsi, le fait que la Commission des lésions professionnelles puisse modifier la nature de la lésion professionnelle lorsqu’elle rend une décision sur le fond du litige ne permet pas à un employeur, qui n’est pas la partie intéressée, de modifier la nature de la lésion professionnelle dans le cadre d’un accord. Cela a pour effet de transiger pour des tiers et est contraire à la loi.
[42] Considérant ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles estime que l’accord intervenu entre Monsieur Muffler et le travailleur n’est pas conforme à la loi et la décision qui l’entérine est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Il y a donc lieu de révoquer cette décision.
[43] Compte tenu de cette conclusion, la Commission des lésions professionnelles estime qu’elle n’a pas à statuer sur le deuxième moyen invoqué par la CSST au soutien de sa requête en révocation.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révocation de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVOQUE la décision rendue le 26 juin 2012 par la Commission des lésions professionnelles;
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AVISE les parties qu’elles seront convoquées à nouveau, à une audience, sur le fond des litiges.
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MICHÈLE CARIGNAN |
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Me Julie Samson |
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LANGLOIS, KRONSTRÖM, DESJARDINS |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Brigitte Ducas |
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F.A.T.A. |
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Représentante de la partie intéressée |
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Me Andréa Rusu |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue et Villeneuve [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783.
[3] CAM500-09-011-014-016, 28 août 2003.
[4] 2009 QCCLP 2286.
[5] 2012 QCCLP 3186.
[6] RLRQ, 1991, c. 64.
[7] 2010 QCCLP 1477.
[8] Précitées, notes 5, 6 et 8.
[9] Précitée, note 5.
[10] Précitée, note 5.
[11] Précitée, note 8.
[12] Précitée, note 6.
[13] Précitée, note 5.
[14] Précitée, note 6.
[15] RLRQ, c. S-2.1.
[16] Perron et Cambior inc., [2003] C.L.P. 1641.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.