DÉCISION
[1] Le 29 août 2002, monsieur René Désilets (le travailleur) dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative, le 19 août 2002.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initiale datée du 12 juillet 2002 rendue à la suite d’un avis émis par un membre du Bureau d'évaluation médicale le 4 juillet 2002 voulant qu’il ne résulte de la lésion professionnelle du 28 novembre 1999 aucune limitation fonctionnelle et aucune atteinte permanente à l’intégrité physique de monsieur Désilets. Par conséquent, la CSST considère que celui-ci est capable d’exercer son emploi depuis le 12 février 2001, soit à la date de consolidation de la lésion professionnelle sans limitations fonctionnelles.
[3] Une audience a lieu à Montréal, le 20 juin 2003, à laquelle assiste monsieur René Désilets représenté par Me Isabelle Denis. Le M.S.S.S. Programme d’insertion sociale (l’employeur) est représenté par Me Mélissa Houle.
[4] Une date de fin d’enquête est fixée au 22 août 2003, soit à la date de réception de la réplique de la procureure de monsieur Désilets.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur conteste les deux conclusions médicales retenues par le membre du Bureau d'évaluation médicale, soit : l’absence de limitations fonctionnelles et d’atteinte permanente à son intégrité physique en relation avec sa lésion professionnelle du 28 novembre 1999. Il demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il conserve un déficit anatomo-physiologique de 5 % et des limitations fonctionnelles, conformément au rapport d'évaluation médicale du 12 février 2001 de son médecin qui a charge, le docteur Rock Banville.
[6] Avant d’aborder le fond du dossier, la procureure du travailleur soulève deux arguments ayant trait à l’irrégularité de la procédure d’évaluation médicale ayant amené l'avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale, et demande, par conséquent, l’annulation de la décision de la CSST en révision administrative ayant fait suite à cet avis et présentement en litige.
[7] Le premier argument de la procureure du travailleur consiste à reprocher à la CSST de ne pas avoir désigné un médecin dans un délai «raisonnable» dans le but d’obtenir une expertise médicale conformément à l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi)[1].
[8] Son deuxième argument relève du fait qu’elle considère que la CSST ne pouvait pas contester ses propres décisions quant aux sujets médicaux en demandant un avis au Bureau d'évaluation médicale, puisque la CSST avait déjà rendu une décision le 26 juin 2001 entérinant les conclusions du médecin qui a charge confirmant la présence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles en relation avec la lésion professionnelle.
LES FAITS ET L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[9] Afin de bien situer le contexte factuel et juridique ayant amené la procureure du travailleur à soulever ces moyens, il convient de reproduire certains faits pertinents du dossier, tels que rapportés, à juste titre, par la procureure de l'employeur dans son argumentation écrite[2] :
18 avril 2000 Refus de la réclamation du travailleur par la CSST pour un événement du 28 novembre 1999.
21 juin 2000 : Décision de la révision administrative qui confirme celle du 18 avril 2000.
12 février 2001 : Rapport d’évaluation médicale du Dr Roch Banville établissant le pourcentage d’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
24 avril 2001 : Décision de la CLP qui renverse la CSST et qui déclare que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle.
26 juin 2001 : Décision de la CSST entérinant le REM du Dr Banville.
26 juin 2001 : Réception par l’employeur (par le biais de son médecin désigné) du REM du Dr Banville (voir pièce E-1).
27 juin 2001 : Réception par l’employeur de la décision de la CSST du 26 juin 2001.
3 juillet 2001 : Réception par l’employeur du rapport de son médecin traitant concernant le REM du Dr Banville.
6 juillet 2001 : Demande en vertu de l’article 204 LATMP faite par la CSST.
12 juillet 2001 : Contestation de la décision du 26 juin 2001 par l’employeur.
25 juillet 2001 : La CSST annule la convocation en vertu de l’article 204 LATMP prévue le 30 juillet 2001 car l’employeur a déjà convoqué le travailleur à une expertise le 7 août 2001.
7 août 2001 : Évaluation du Dr Paul-Émile Renaud, expert de l’employeur.
13 novembre 2001 :BEM par le Dr Jacques Duranceau.
4 décembre 2001 : La CSST rend une décision entérinant le BEM relativement à l’APIPP et les limitations fonctionnelles.
14 février 2002 : Décision de la révision administrative annulant la décision du 4 décembre 2001 au motif que le BEM n’est pas conforme (délai de 30 jours non respecté).
14 mars 2002 : La CSST demande une expertise en vertu de l’article 204 (p. 69 du dossier CLP).
5 avril 2002 : Évaluation par le Dr Paul Moïse, médecin désigné par la CSST.
3 juillet 2002 : Évaluation par le Dr Wiltshire, membre du BEM.
12 juillet 2002 : Décision de la CSST entérinant l’avis du BEM (décision contestée par le travailleur).
[10] Quant à son premier argument, la procureure du travailleur fait valoir que la CSST était soumise à un délai «raisonnable» pour désigner un médecin en vertu de l'article 204 de la loi afin de se prévaloir de la procédure d’évaluation médicale, ce qui n’aurait pas été respecté dans le dossier. À l’appui de ses prétentions, elle dépose de la jurisprudence[3].
[11] La procureure de l'employeur réplique que, le législateur n’ayant prévu aucun délai à l’article 204, la CSST pouvait en tout temps désigner un médecin dans le but d’obtenir une expertise. D’ailleurs, elle soumet que lors des modifications législatives[4] touchant l’ancien article 214 le délai de 30 jours, alors prévu, pour désigner un médecin a été aboli. Subsidiairement, elle fait valoir qu’en prenant en considération tous les faits au dossier tant la CSST que l’employeur ont agi avec diligence dans la contestation des conclusions du médecin qui a charge. Elle fait aussi référence à de la jurisprudence[5].
[12] Quant à son deuxième argument, la procureure du travailleur soumet que la CSST était liée par sa décision rendue le 26 juin 2001 relativement à l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. Par conséquent, la CSST ne pouvait pas désigner un médecin en vertu de l'article 204 dans le but de demander un avis auprès d’un Bureau d'évaluation médicale. Elle fait valoir que la CSST était devenue functus officio sur cette question et ne pouvait venir ainsi contester indirectement sa propre décision en demandant à un Bureau d'évaluation médicale afin de se prononcer à nouveau sur ces sujets médicaux. Ce faisant, la CSST a excédé sa compétence. Ainsi, la décision rendue à la suite de ce Bureau d'évaluation médicale est nulle, car le médecin désigné s’est prononcé de façon irrégulière sur deux sujets médicaux alors qu’il y avait chose jugée à cet égard. Elle soumet une décision[6] portant sur la notion d’irrévocabilité des décisions.
[13] L’employeur réfute cette prétention du travailleur en s’appuyant sur de la jurisprudence qui réfère à la théorie de remplacement[7] d’une décision par celle rendue en application de l’article 224.1 de la loi pour conclure que la CSST a rendu une décision régulière et valide à la suite de l'avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale. En effet, dès qu’un avis est rendu par un Bureau d'évaluation médicale, la CSST doit rendre une décision en conséquence tel que requis à l’article 224.1 de la loi. Or, c’est précisément ce que la CSST a fait, de façon régulière, dans le présent dossier.
[14] Par conséquent, la procureure de l’employeur demande de rejeter les prétentions du travailleur.
L'AVIS DES MEMBRES
[15] Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis de rejeter les arguments plaidés par le travailleur puisque non fondés. Il considère que la procédure d’évaluation médicale, ayant amené un avis du Bureau d'évaluation médicale et des décisions subséquentes, est régulière. La décision en révision administrative présentement en litige, rendue conformément à l'article 224.1 de la loi, remplace donc celle émise par la CSST en juin 2001 qui n’a plus d’effet juridique.
[16] Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est d'avis d’accueillir les deux prétentions du travailleur. Premièrement, il considère qu’en vertu de l'article 204 de la loi, la CSST disposait d’un « délai raisonnable » et devait donc être diligente lorsqu’elle a désigné un médecin, ce qui ne fut pas le cas en l’espèce. Deuxièmement, il estime que la CSST ne pouvait pas faire indirectement ce qu’elle ne pouvait faire directement, c’est-à-dire contester sa propre décision rendue en juin 2001 dans laquelle elle reconnaissait l’atteinte permanente de 5,75 % et les limitations fonctionnelles émises par le médecin qui a charge. Comme les arguments soulevés par le travailleur disposent du litige, il ne se prononce pas sur le fond du litige.
[17]
Quant au fond du litige, le membre issu des associations
d'employeurs considère qu’il y a lieu de maintenir la décision de la CSST,
rendue à la suite de la révision administrative le 19 août 2002, puisque la
prépondérance de la preuve médicale lui permet de conclure qu’il ne subsiste de
la lésion professionnelle du 29 novembre 1999, aucune limitation fonctionnelle
ni d’atteinte
permanente.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] La Commission des lésions professionnelles va examiner, en premier lieu, le deuxième argument soulevé par le travailleur puisque celui-ci dispose du présent litige Cette prétention découle du fait que la CSST, ayant déjà statué le 26 juin 2001 sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle du 29 novembre 1999, ne pouvait contester sa propre décision en désignant irrégulièrement un médecin en vertu de l'article 204 dans le but de demander un avis à un membre du Bureau d'évaluation médicale.
[19] Les faits non contestés démontrent que le 24 avril 2001, la Commission des lésions professionnelles statue que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 29 novembre 1999. Le 26 juin 2001, la CSST rend une décision dans laquelle elle accepte les conclusions du médecin qui a charge, que l’on retrouve dans son rapport d'évaluation médicale daté du 12 février 2001, quant à la présence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles découlant de cette lésion professionnelle.
[20] Le 6 juillet 2001, la CSST fait une demande en vertu de l'article 204, qu’elle annule le 25 juillet 2001, puisque l'employeur a déjà convoqué le travailleur pour le faire expertiser. Le dossier est éventuellement dirigé auprès d’un membre du Bureau d'évaluation médicale qui rend son avis, le 13 novembre 2001, sur l’absence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. Le 14 février 2002, la CSST à la suite d’une décision en révision administrative considère la procédure d’évaluation médicale ayant conduit au Bureau d'évaluation médicale non conforme. Cette décision n'est pas contestée.
[21] Le 14 mars 2002, la CSST désigne un médecin selon l’article 204 de la loi qui va éventuellement amener un avis d’un membre du Bureau d'évaluation médicale, le 3 juillet 2002, puis une décision, le 12 juillet 2002, confirmée subséquemment à la suite d’une révision administrative, le 19 août 2002.
[22] La Commission des lésions professionnelles considère qu’il ressort du dossier que la CSST s’estimait liée par l’avis du médecin qui a charge lorsqu’elle a rendu sa décision le 26 juin 2001 sur les questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Une lecture des notes évolutives du dossier administratif de la CSST appuie cette conclusion puisqu’elle démontre, notamment, que le médecin régional de la CSST considérait le rapport d'évaluation médicale du docteur Banville conforme, ce qui a amené une décision par l’agent d’indemnisation sur l’atteinte permanente. Puis, le travailleur a été convoqué dans le but d’évaluer ses besoins en réadaptation. La CSST avait bel et bien l’intention d’appliquer les séquelles fonctionnelles identifiées dans le rapport d'évaluation médicale du docteur Banville.
[23] Par ailleurs, le tribunal constate que l’employeur a contesté cette décision du 26 juin 2001. Toutefois, l’employeur ne pouvait pas contester les conclusions du médecin qui a charge que par une demande auprès d’un Bureau d'évaluation médicale. C’est effectivement ce qu’il a fait. Toutefois, la CSST, à la suite d’une révision administrative, a déclaré non conforme l’avis émis par le Bureau d'évaluation médicale. Or, l’employeur n’a pas contesté cette décision de la CSST qui constituait pourtant le seul mécanisme de contestation de l’avis du médecin qui a charge qui lui était offert.
[24] Quant à la CSST, la Commission des lésions professionnelles considère, par ailleurs, qu’elle ne pouvait pas se prévaloir, le 14 mars 2002, de la procédure d’évaluation médicale prévue à l'article 204 de la loi dans le but d’obtenir une opinion sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles puisqu’elle avait déjà rendu une décision la liant sur ces deux sujets dès le 26 juin 2001. La CSST avait alors retenu les conclusions du médecin qui a charge sur la présence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et, en cette matière, elle avait pleine compétence pour trancher le 26 juin 2001. La CSST considérait qu’elle avait peut - être agit de façon prématurée ou erronément lorsqu’elle a rendu sa décision plus tôt. Néanmoins, en date du 26 juin 2001, force est de constater que la CSST avait aussi épuisé sa compétence pour se prononcer à nouveau subséquemment sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle.
[25] Le seul mécanisme mis à la disposition de la CSST pour revenir sur sa première décision était la reconsidération, prévue à l’article 365, dans le cas où cette décision avait été rendue avant que ne soit connu un fait essentiel ou si cette décision avait été fondée sur une erreur relative à un tel fait. Toutefois, dans le présent dossier, il y a absence des conditions requises pour appliquer cet article, car il n’y a eu aucun fait essentiel décelé depuis la décision du 26 juin 2001.
[26] Ainsi, la CSST ne pouvait demander, le 14 mars 2002, à un médecin d’examiner à nouveau ces questions médicales dans le but de diriger le dossier auprès d'un membre du Bureau d'évaluation médicale puisque cela constituait un moyen détourné de contester sa propre décision du 26 juin 2001. En faisant ainsi, la CSST s’exposait dès lors à voir déclarer irrégulière une telle procédure d’évaluation médicale ainsi que les décisions en découlant.
[27] C’est dans ce contexte, que la Commission des lésions professionnelles retient la prétention du travailleur voulant que la théorie de remplacement, de la décision initiale du 26 juin 2001 par celle rendue à la suite de l'avis du Bureau d'évaluation médicale le 12 juillet 2002, ne s’applique pas dans le présent dossier, puisque la CSST avait, tel que souligné précédemment, épuisé sa compétence de se prononcer sur ces deux sujets médicaux dès le 26 juin 2001.
[28] La Commission des lésions professionnelles conclut que la demande de la CSST, en date du 6 juillet 2001, en vertu de l’article 204 de la loi, est donc irrégulière. Ainsi, tout ce qui en découle soit l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale émis le 13 novembre 2001 et les décisions de la CSST, dont la dernière en révision administrative le 19 août 2002 présentement en litige, sont donc irréguliers.
[29] Par conséquent, la CSST demeure liée par sa décision rendue le 26 juin 2001 voulant qu’il résulte de la lésion professionnelle du 29 novembre 1999 une atteinte permanente à l’intégrité physique de monsieur René Désilets de 5,75 % ainsi que les limitations fonctionnelles octroyées par le médecin qui a charge, le docteur Rock Banville, dans son rapport d'évaluation médicale du 12 février 2001, soit :
«- Le patient ne peut fléchir complètement le coude droit
- Il devrait éviter les activités qui impliquent le geste de visser, de dévisser ou tout mouvement répétitif ou fréquent de flexion-extension du coude droit »
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur René Désilets;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative, le 19 août 2002; et
DÉCLARE qu’il résulte de la lésion professionnelle du 28 novembre 1999 une atteinte permanente à l’intégrité physique de monsieur René Désilets de 5,75 % et des limitations fonctionnelles.
|
|
|
Doris Lévesque, avocate |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
F.A.T.A. (Me Isabelle Denis) |
|
|
|
Représentante de la partie requérante |
|
|
|
|
|
|
|
CREVIER, ROYER (Me Mélissa Houle) |
|
|
|
Représentante de la partie intéressée |
|
|
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Datée du 16 juillet 2003.
[3] St-Yves et Natrel inc., C.L.P. 74084-04-9510, 14 août 1996, J.-G. Roy; Morin et José & Georges inc., C.L.P. 154442-64-0101, 24 septembre 2001, R. Daniel (décision corrigée le 9 octobre 2001).
[4] (1985, c. 6, a. 214) abrogé en (1992, c. 11, a. 16).
[5] Bisceglia et Plimetal inc., C.L.P. 133686-71-0003-R, 3 mai 2002, G. Robichaud.
[6] Ingham et Boulangerie Pom ltée [1998] C.A.L. P. 890.
[7] Bettancour et Win-Sir Textiles inc, C.L.P. 181516-72-0203, 24 octobre 2002, Y. Lemire; Commission scolaire de Laval et Drolet, C.L.P. 125952-61-9911 et autres, 18 juin 2001, G. Morin; C.L.S.C. Lasalle et Félix, C.L.P. 148793-72-0010, 1er novembre 2002, F. Juteau.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.