Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Awad | 2025 QCCDCPA 18 |
CONSEIL DE DISCIPLINE |
ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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No : | 47-24-00469 |
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DATE : | 27 juin 2025 |
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LE CONSEIL : | Me ISABELLE DUBUC | Présidente |
Mme CLAIRE GAUTHIER, CPA | Membre |
M. DANIEL CHAREST, CPA AUDITEUR | Membre |
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CHANTAL LE ROSSIGNOL, CPA AUDITRICE, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec |
Plaignante |
c. |
NESSIM AWAD, CPA AUDITEUR |
Intimé |
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE PRONONCE UNE ORDONNANCE INTERDISANT LA DIVULGATION, LA PUBLICATION ET LA DIFFUSION DU NOM DE LA SOCIÉTÉ CLIENTE DONT IL EST QUESTION DANS LA PLAINTE AINSI QUE DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE L’IDENTIFIER, ET CE, AFIN D’ASSURER LE RESPECT DU SECRET PROFESSIONNEL. |
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INTRODUCTION
- M. Nessim Awad, l’intimé, entrave le travail de la surveillante chargée de faire respecter le stage de perfectionnement que lui a imposé le Comité exécutif de l’Ordre des comptables professionnels agréés (l’Ordre), manque de courtoisie envers elle, fait de fausses déclarations à la directrice adjointe de l’inspection professionnelle et entrave le travail de la plaignante.
- Le 26 novembre 2024, la plaignante, Mme Chantal Le Rossignol, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre, dépose une plainte disciplinaire contre l’intimé.
- Les parties annoncent qu’à la suite de sérieuses discussions, elles ont conclu une entente consistant en la modification de la plainte, l’enregistrement par l’intimé d’un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des chefs de la plainte modifiée et la présentation d’une recommandation conjointe sur sanction.
- Les parties demandent d’un commun accord de modifier la première ligne du chef 4 afin d’y lire « À Montréal, depuis le ou vers le 2 août 2024… », ce que le Conseil autorise séance tenante.
PLAINTE MODIFIÉE
- La plainte disciplinaire modifiée portée contre l’intimé est ainsi libellée :
- À Montréal, entre le ou vers 26 juin 2023 et le ou vers le 18 mars 2024, a entravé le travail de la surveillante chargée de faire respecter le stage de perfectionnement imposé par le Comité exécutif de l’Ordre des CPA;
- en signant et remettant à sa cliente Société A, des états financiers pour l’exercice se terminant le 31 mars 2023 audités alors que ceux-ci n’avaient pas été préalablement révisés et approuvés par la surveillante, conformément aux conditions dudit stage,
- en lui transmettant une facture et un rapport d’audit relativement aux états financiers pour l’exercice se terminant le 31 mars 2023 de sa cliente Société A comportant respectivement une date d’émission et une date de signature inexactes laissant ainsi croire que ces documents ont été confectionnés, émis et/ou signés à une date différente,
contrevenant ainsi aux articles 23, 60 et 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés (RLRQ, c. C-48.1, r.6), alors en vigueur et à l’article 114 du Code des professions (RLRQ, c.C -26);
- À Montréal, entre le ou vers 26 juin 2023 et le ou vers le 18 mars 2024, a manqué de courtoisie et de respect dans ses communications avec la surveillante chargée de faire respecter le stage de perfectionnement imposé par le Comité exécutif de l’Ordre des CPA, contrevenant ainsi aux articles 5 et 60 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés (RLRQ, c. C-48.1, r.6), alors en vigueur et à l’article 59.2 du Code des professions (RLRQ, c.C-26);
- À Montréal, le ou vers le 13 février 2024, lors d’une conversation téléphonique, a déclaré à la directrice adjointe – Inspection professionnelle, que sa cliente Société A utilisait les états financiers pour l’exercice se terminant le 31 mars 2023 à titre de « projet », alors qu’il a signé et remis à sa cliente Société A, des états financiers pour l’exercice se terminant le 31 mars 2023 audités au mois de juillet 2023, contrevenant ainsi aux articles 23, 60 et 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés (RLRQ, c. C-48.1, r.6), alors en vigueur et à l’article 114 du Code des professions (RLRQ, c.C-26);
- À Montréal, depuis le ou vers 2 août 2024, dans le cadre de l’enquête menée par la syndique adjointe Chantal Le Rossignol, CPA auditrice, a entravé en faisant défaut de répondre aux questions contenues à la correspondance de la syndique adjointe datée du 23 juillet 2024, contrevenant ainsi à l’article 77 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés (RLRQ, c. C-48.1, r.6.1), et aux articles 114 et 122 du Code des professions (RLRQ, c.C-26);
Se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).
[Transcription textuelle, sauf anonymisation]
CULPABILITÉ
- Après s’être assuré auprès de l’intimé qu’il comprend ce qui lui est reproché, que son plaidoyer est libre et volontaire et qu’il est informé que le Conseil n’est pas lié par la recommandation conjointe sur sanction, le Conseil le déclare coupable, séance tenante, sur chacun des chefs de la plainte modifiée comme plus amplement détaillé aux conclusions de la décision.
RECOMMANDATION CONJOINTE SUR SANCTION
- Les parties recommandent au Conseil d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :
Sur le chef 1, une période de radiation de trois mois.
Sur le chef 2, une période de radiation de 15 jours.
Sur le chef 3, une période de radiation de trois mois.
Sur le chef 4, une période de radiation de deux mois.
- Elles demandent également au Conseil d’ordonner la publication d’un avis de la présente décision, aux frais de l’intimé, dans un journal circulant dans le lieu de son domicile professionnel et de le condamner au paiement des déboursés.
- Par ailleurs, elles demandent au Conseil de prendre acte de l’engagement signé par l’intimé le 22 mai 2025.
QUESTION EN LITIGE
- La recommandation conjointe des parties est-elle contraire à l’intérêt public ou susceptible de déconsidérer l’administration de la justice?
- Pour les motifs qui suivent, le Conseil, après avoir délibéré, répond par la négative à la question en litige et donne suite à la recommandation conjointe sur sanction.
CONTEXTE
- Les parties déposent d’un commun accord une preuve documentaire, dont un Exposé conjoint des faits, et les deux parties rendent témoignage.
- L’Exposé conjoint des faits énonce la trame factuelle du présent dossier. Le Conseil le reproduit à l’exception de la référence aux pièces déposées :
Présentation de l’Intimé
- Nessim Awad, CPA auditeur (ci-après l’« Intimé ») est inscrit pour la première fois au tableau de l’Ordre des comptables agréés du Québec le 20 mars 1972 et le demeure jusqu’au 16 mai 2012, date à laquelle il devient automatiquement membre de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (ci-après l’« Ordre »), et ce, jusqu’à ce jour, […].
- À cette même date, l’Intimé devient également titulaire d’un permis de comptabilité publique délivré par l’Ordre […].
- L’Intimé exerce sa profession au cabinet P.A. services conseils Inc., situé au 3901, Jean-Talon Ouest, bureau 201A, à Montréal, province de Québec, H3R 2G4.
Faits
- Le 6 octobre 2022, l’Intimé fait l’objet d’une inspection professionnelle révélant plusieurs lacunes dans ses dossiers d’audit, ce qui entraîne l’imposition d’un stade de perfectionnement comprenant une supervision d’une durée de douze mois par Monique Papineau, CPA (ci-après la « Surveillante ») aux frais de l’Intimé.
- Dans le cadre de cette supervision, la Surveillante devait s’assurer que les dossiers à l’appui de toute opinion qui allait être émise sur des états financiers à l’égard des mandats de certification durant cette période allaient être constitués de façon à justifier une opinion.
- Pendant la durée de la supervision, l’Intimé n’était pas autorisé à délivrer ses rapports à l’égard des mandats de certification tant que les dossiers n’auront pas été révisés et approuvés, au préalable, par la Surveillante.
- Le stage débute le 26 juin 2023.
- Le 29 août 2023, l’Intimé informe la Surveillante n’avoir qu’un seul dossier d’audit à venir soit celui relatif à sa cliente, la Société A, pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2023. Il précise qu’il entamera la préparation de ce mandat à la suite de son congé de maladie.
- Entre novembre et décembre 2023, la Surveillante communique à plusieurs reprises avec l’Intimé, l’informant qu’aucun rapport ne peut être émis à sa cliente sans validation préalable par celle-ci, […].
- Le 19 décembre 2023, la Surveillante rencontre l’Intimé à son cabinet et procède à une première révision du dossier d’audit de la Société A pour l’exercice se terminant au 31 mars 2023 et découvre :
- Un rapport d’audit préparé par l’Intimé, daté du 4 octobre 2023, accompagné des états financiers non signés, préparés par celui-ci, […];
- Une lettre d’affirmation de la Société A datée du 17 juillet 2023, […];
- Une facture du cabinet de l’Intimé pour les honoraires professionnels relatifs à l’émission d’un rapport d’audit pour les états financiers du 31 mars 2023, datée du 4 octobre 2023, […];
- L’Intimé a délivré, à sa cliente la Société A, des états financiers audités pour l’exercice se terminant le 31 mars 2023, alors que ceux-ci n’avaient pas été préalablement révisés et approuvés par la Surveillante, contrairement aux exigences du stage de perfectionnement imposé.
- Le 20 décembre 2023, la Surveillante contacte l’Intimé pour demander une nouvelle copie des états financiers et des factures du cabinet pour l’audit de la Société A […]
- Le même jour, en réponse à ce courriel, l’Intimé exprime son insatisfaction à l’égard des commentaires formulés par la Surveillante. Dans cette communication, l’Intimé adopte un ton irrespectueux, remet en question la compétence de la Surveillante et fait certains commentaires à son égard. Il transmet en outre une nouvelle version des états financiers, toujours datée du 4 octobre 2023, comportant cette fois un filigrane indiquant qu’il s’agit d’un projet. […]
- Le 21 décembre 2023, la surveillante envoie une première liste de déficiences constatées dans le dossier d’audit de l’Intimé et exige des modifications au dossier et aux états financiers. […]
- Entre le 22 décembre 2023 et le 9 janvier 2024, plusieurs échanges ont lieu entre la Surveillante et l’Intimé. Celle-ci lui demande des documents supplémentaires ainsi que des explications afin de pouvoir effectuer une révision conforme du dossier. L’Intimé répond aux communications. Par contre, il utilise parfois un vocabulaire et des mots qui peuvent être interprétés comme manquant de courtoisie et de respect. Au cours de cette période, il transmet certains documents, dont une première version partiellement corrigée des états financiers portant la mention « projet 1 » en filigrane ainsi qu’une lettre-mandat datée du 20 juin 2023 confirmant que sa mission d’audit débute à cette date […]
- Le 15 janvier 2024, la surveillante transmet ses commentaires sur la dernière version des états financiers sans donner d’autorisation. […]
- Les échanges entre l’Intimé et la Surveillante quant au dossier se poursuivent en janvier et février 2024. Lors de ces échanges, l’Intimé transmet une nouvelle version des états financiers, datée du 24 janvier 2024 avec la mention « projet 4 » en filigrane. […]
- Le 8 février 2024, la Surveillante rappelle à l’Intimé les termes de son mandat et mentionne que les correctifs demandés depuis décembre 2023 sont toujours attendus. Le même jour, l’Intimé lui écrit ce qui suit : « Changer de langage et d’attitude. Le mandat, je le comprends, mais ne fait pas de vous l’associé et moi le stagiaire...!!!! ». […]
- Le 13 février 2024, France Lemieux, directrice adjointe de l’inspection professionnelle, contacte l’Intimé par téléphone pour lui rappeler ses obligations professionnelles et l’invite à collaborer tant avec elle qu’avec la Surveillante. Elle lui demande la transmission de certains documents, que l’Intimé fait parvenir par courriel par la suite. Au cours de cette conversation, ils ont discuté du ton des échanges de courriels (majuscules utilisées) et Madame Lemieux lui a expliqué de collaborer et de demeurer professionnel et poli. Lors de cet appel, l’Intimé mentionne à Madame Lemieux que la Société A utilise actuellement les états financiers du 31 mars 2023 en version « projet » pour ses besoins actuels.
- Le 14 février 2024, Madame Lemieux apprend du président de la Société A que les états financiers signés pour l’exercice se terminant le 31 mars 2023 ont été reçus et approuvés par le conseil d’administration de la société le 22 juillet 2023.
- Le 28 février 2024, la surveillante reçoit des documents additionnels de l’Intimé liés au dossier d’audit. Après en avoir pris connaissance, la surveillante constate que le dossier n’a fait l’objet d’aucune amélioration significative. Elle effectue alors une troisième revue et rédige un mémo détaillant les constats formulés dans le cadre de la supervision, notamment les lacunes relevées qui demeurent non corrigées.
- Elle transmet ses observations à l’Intimé le 14 mars 2024, et l’Intimé lui répond le 18 mars 2024, […].
- À la suite de ces événements liés au stage de perfectionnement, une demande d’enquête est transmise au bureau du syndic par le CIP en date du 13 mai 2024. Chantal Le Rossignol, CPA auditrice, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre (ci-après la « Plaignante ») est chargée du dossier.
- Le 16 mai 2024, la Plaignante informe par écrit l’Intimé de la réception de la demande d’enquête et s’ensuit plusieurs échanges en lien avec la demande d’enquête, […].
- Le 23 juillet 2024, après avoir obtenu des délais pour répondre, l’Intimé transmet ses réponses à la Plaignante ainsi que les documents demandés, […]
- Il transmet notamment à la Plaignante les états financiers au 31 mars 2023, remis à Société A en juillet 2023, lesquels sont signés par lui en date du 25 juillet 2023, accompagnés d’un sommaire des informations financières daté et préparé par lui le 20 juillet 2023. […]
- Le 23 juillet 2024, la Plaignante adresse deux questions additionnelles à l’Intimé, lui demandant d’y répondre avant le 2 août 2024. Ce dernier l’informe qu’il sera en vacances à cette date et ne pourra répondre. La Plaignante maintient néanmoins l’échéance, considérant qu’il ne s’agit que de deux questions, […].
- Depuis le 2 août 2024, l’Intimé ne donne pas suite à cette demande.
- Dans le cadre de son enquête, la Plaignante obtient de la Société A plusieurs documents contredisant les affirmations faites par l’Intimé à la surveillante, notamment :
- Une facture pour l’audit, datée du 21 juillet 2023, envoyée à la Société A, alors que celle remise à la surveillante dans le cadre de la supervision portait la date du 4 octobre 2023, […].
- Des états financiers et un rapport d’audit finaux, signés et datés du 21 juillet 2023, alors que les versions transmises par l’Intimé à la surveillante étaient datées du 4 octobre 2023, […].
- L’approbation du rapport et des états financiers par le conseil d’administration de la Société A lors de sa séance du 22 juillet 2023, […]
[…]
[Transcription textuelle]
ANALYSE
- Les principes applicables en matière de recommandation conjointe
- La recommandation conjointe sur sanction issue d’une négociation rigoureuse constitue un outil important pour le système de justice pénale contribuant à son efficacité[1] et nécessaire à une saine administration de la justice[2]. Elle dispose d’une force persuasive certaine de nature à assurer qu’elle sera respectée en échange du plaidoyer de culpabilité[3]. La Cour suprême du Canada (la Cour suprême) rappelle d’ailleurs, dans l’arrêt Nahanee[4], qu’une recommandation conjointe « procure aux parties une certitude raisonnable que la position dont elles ont convenu constituera la décision[5] ».
- En présence d’une recommandation conjointe, le Conseil l’entérine s’il en arrive à la conclusion que la sanction suggérée ne déconsidère pas l’administration de la justice ou n’est pas contraire à l’intérêt public, comme l’enseigne la Cour suprême dans l’arrêt Anthony-Cook[6]. Il en arrivera à la conclusion contraire si la sanction proposée est « à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé[7] ».
- Ainsi, le Conseil n’a pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction proposée et encore moins de sa justesse ni, par conséquent, décider d’imposer la sanction qu’il juge la plus appropriée[8].
- L’approche préconisée en présence d’une recommandation conjointe sur sanction consiste à procéder à l’analyse de son fondement présenté par les parties, incluant les effets bénéfiques pour l’administration de la justice, et ce, afin de déterminer s’il y a un élément susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public[9].
- C’est à la lumière de ces principes que le Conseil répond à la question en litige.
- Le fondement de la recommandation conjointe
- La recommandation conjointe présentée par les parties est le fruit de négociations sérieuses et de nombreux échanges entre elles prenant en compte l’ensemble des faits du dossier. Elles expliquent avoir travaillé de concert afin de déterminer les sanctions individualisées et proportionnelles à l’intimé.
- Dans l’élaboration de leur recommandation conjointe, les parties mentionnent avoir pris en considération la nécessité de protéger le public dont la perception du public est l’une de ses composantes, la dissuasion de l’intimé et de ses pairs, son droit d’exercer la profession ainsi que les facteurs objectifs reliés à l’infraction et subjectifs propres à l’intimé, comme l’enseigne la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault[10]. De plus, elles mentionnent avoir analysé les précédents jurisprudentiels afin d’établir la fourchette de sanctions en semblables matières.
- Facteurs objectifs
Chefs 1 et 3
- Pour les fins de la sanction, et en prenant en considération la suspension conditionnelle des procédures prononcée par le Conseil, l’intimé reconnaît par son plaidoyer de culpabilité sur les chefs 1 et 3 avoir contrevenu à l’article 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés[11], alors en vigueur, ainsi libellé :
61. Le membre doit s’assurer de l’exactitude et de l’intégrité des renseignements qu’il fournit à l’Ordre. Il doit en tout temps respecter ses engagements envers l’Ordre liés au contrôle de l’exercice de la profession.
- Le professionnel a l’obligation de collaborer avec les instances de son ordre professionnel, d’autant plus lorsqu’il est soumis à un stage de perfectionnement imposé par le Comité exécutif de l’Ordre. Il s’agit en l’espèce d’une obligation de résultat[12].
- Cette collaboration est essentielle au fonctionnement du système professionnel et disciplinaire. Elle implique aussi de communiquer aux instances de l’Ordre des informations véridiques, franches, honnêtes, exactes et intègres afin que ces dernières puissent mener à bien leur mission.
- Le rôle de l’inspection professionnelle est de surveiller l’exercice de la profession, notamment par l’inspection des compétences des membres de l’Ordre, puis, en cas de lacunes observées, par l’imposition notamment d’un stage de perfectionnement, le tout afin d’assurer un service de qualité au public[13]. Il est donc primordial pour un professionnel de collaborer et de respecter les conditions d’un stage imposé par le comité exécutif de l’Ordre.
- Le défaut de collaborer en ne respectant pas les exigences du stage de perfectionnement ainsi imposé, et l’entrave au travail du syndic sont donc des infractions objectivement graves qui mettent en péril la protection du public.
- Les infractions commises par l’intimé sont d’autant plus graves, puisqu’elles s’inscrivent dans le contexte de l’encadrement de la comptabilité publique, qui constitue une activité réservée aux membres de l’Ordre détenant un permis à cet effet et qui se situe au cœur de l’exercice de la profession. En effet, seuls les CPA titulaires d’un permis de comptabilité publique peuvent produire des rapports de mission d’audit. Ainsi, le stage de perfectionnement constitue un mécanisme important pour assurer la compétence professionnelle et la qualité des services rendus, et l’intimé, par son comportement, fait fi de ses obligations.
- En l’espèce, le stage de perfectionnement imposé à l’intimé débute le 26 juin 2023.
- Dès cette date, il est prévu que l’intimé ne puisse remettre à sa cliente les états financiers et le rapport de mission d’audit avant qu’ils ne soient révisés et approuvés par la surveillante, et ce, afin d’assurer qu’ils sont exempts de toutes déficiences, dans un but de protection du public.
- Or, l’intimé remet à sa cliente, la société A, les états financiers et un rapport d’audit finaux pour l’année se terminant le 31 mars 2023, signés et datés le 21 juillet 2023 sans que ses dossiers à l’appui de ses opinions n’aient été préalablement révisés et approuvés par la surveillante, le tout, contrairement aux conditions de son stage de perfectionnement, entravant ainsi le travail de cette dernière.
- Mais au surplus, l’intimé transmet de fausses informations à la surveillante et à la directrice adjointe de l’inspection professionnelle et les induit en erreur.
- En effet, le 29 août 2023, il indique à la surveillante n’avoir qu’un seul dossier d’audit en cours. Le 19 décembre 2023, il lui remet une facture datée du 4 octobre 2023 et un rapport d’audit de la Société A portant la même date, accompagnés des états financiers non signés, tout en lui laissant croire qu’il n’a rien remis à sa cliente.
- Pourtant, dès le 21 juillet 2023, il remet les états financiers et le rapport d’audit pour l’année se terminant le 31 mars 2023 à la Société A, alors qu’il mentionne à la directrice adjointe de l’inspection professionnelle le 13 février 2024 lui avoir remis seulement un « projet » de ces documents, ce qui s’avère donc être une fausse information.
- Les infractions commises par l’intimé à l’égard de deux intervenantes de l’Ordre perdurent plusieurs mois, ce qui milite pour une sanction dissuasive et exemplaire.
Chef 2
- Pour les fins de la sanction, et en prenant en considération la suspension conditionnelle des procédures prononcée par le Conseil, l’intimé reconnaît par son plaidoyer de culpabilité avoir contrevenu à l’article 5 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, alors en vigueur, ainsi libellé :
5. Le membre doit, en tout temps, agir avec dignité et éviter toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession.
- Il s’agit d’une obligation impérative visant le savoir-être des membres de la profession.
- Manquer de courtoisie et de respect dans ses communications avec la surveillante chargée de faire respecter le stage de perfectionnement imposé par le Comité exécutif n’a pas sa raison d’être.
- Lors de ses échanges avec la surveillante, l’intimé démontre une attitude susceptible de nuire à la bonne réputation de la profession. Dans ces courriels du 20 décembre 2023 et 8 février 2024, il utilise des propos inappropriés, et ce, en raison de son insatisfaction à l’égard de ses demandes, pourtant légitimes dans le contexte d’une supervision professionnelle.
- L’infraction commise par l’intimé à plusieurs reprises est en lien avec l’exercice de la profession et est objectivement grave.
Chef 4
- Pour les fins de la sanction, et en prenant en considération la suspension conditionnelle des procédures prononcée par le Conseil, l’intimé reconnaît par son plaidoyer de culpabilité avoir contrevenu à l’article 77 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés[14] ainsi libellé :
77. Le comptable professionnel agréé doit s’abstenir d’entraver, de harceler, d’intimider, de menacer ou de dénigrer l’Ordre de quelque façon que ce soit.
Il doit collaborer avec l’Ordre et répondre, personnellement et dans les plus brefs délais, à toute communication provenant de l’Ordre, selon le mode de communication que ce dernier détermine.
- Lorsqu’un membre de l’Ordre fait l’objet d’une enquête de la part de la syndique adjointe, il doit collaborer avec cette dernière et lui fournir tous les renseignements et tous les documents qu’elle requiert. Il ne peut refuser de lui fournir l’information demandée. Il s’agit en l’espèce d’une obligation de résultat.
- Le 23 juillet 2024, la plaignante transmet une lettre à l’intimé lui demandant de répondre à deux questions pour le 2 août 2024.
- Or, l’intimé ne lui répond pas, entravant le bon déroulement de son enquête.
- Enfin, c'est en communiquant avec la Société A, dans le cadre de son enquête, que la plaignante est informée que cette dernière a reçu de l’intimé le 21 juillet 2023 la facture et le rapport d’audit accompagnés des états financiers pour l’année se terminant le 31 mars 2023, et non par la collaboration franche et honnête de l’intimé.
- L’infraction commise par l’intimé est grave, se situe au cœur de l’exercice de la profession, met en péril la protection du public en freinant la plaignante dans son enquête et mine la confiance du public envers les membres de la profession.
- Facteurs subjectifs
- À titre de facteurs subjectifs aggravants, les parties mentionnent qu’au moment des évènements, l’intimé possède plus de 50 ans d’expérience professionnelle et ne peut donc pas ignorer ses obligations déontologiques.
- Il contourne sciemment le processus de surveillance mis en place par le Comité exécutif de l’Ordre et laisse perdurer les fausses informations transmises à la surveillante pendant plusieurs mois.
- Plusieurs personnes sont ainsi affectées par les infractions commises par l’intimé.
- En revanche, à titre de facteurs subjectifs atténuants, les parties soulignent la reconnaissance des faits reprochés par l’intimé et son plaidoyer de culpabilité.
- À l’audition, l’intimé exprime des regrets sincères directement à la plaignante.
- Au moment des infractions, l’intimé vit des moments angoissants en lien avec des problèmes de santé personnels.
- Il n’a aucun antécédent disciplinaire au cours de sa longue carrière.
- Il aime sa profession et est fier de son parcours professionnel.
- En date du 22 mai 2025, il signe un engagement par lequel il renonce de façon permanente à son permis de comptabilité publique à partir de la date de la présente décision, et dans l’attente de celle-ci, il s’engage à respecter le stage de perfectionnement en cours et comprend qu’il ne pourra délivrer ses rapports à l’égard des mandats de certification en cours que lorsqu’ils seront révisés et approuvés au préalable par le surveillant qui sera nommé en remplacement de la surveillante.
Le risque de récidive
- Le risque de récidive[15] de l’intimé est également un élément pris en considération par les parties. Il a toute son importance au stade de la sanction.
- Les parties soutiennent que l’engagement souscrit par l’intimé est rassurant, ce qui leur permet d’estimer que son risque de récidive est faible.
- Après avoir entendu les représentations des parties, le Conseil est en accord avec l’estimation des parties et juge que le risque de récidive de l’intimé est faible.
Jurisprudence
- Faisant partie du fondement de la recommandation conjointe, les parties mentionnent avoir pris en considération des précédents jurisprudentiels[16] provenant du conseil de discipline de l’Ordre.
- Ces décisions concernent des comptables professionnels agréés d’expérience, sans antécédents disciplinaires, plaidant coupable, reconnaissant leurs fautes et dont le risque de récidive est faible, comme en l’espèce. Les fourchettes des sanctions imposées sont les suivantes :
- Pour une infraction à l’article 61 du Code de déontologie : des périodes de radiation variant entre un et six mois;
- Pour une infraction à l’article 5 du Code de déontologie : des périodes de radiation variant entre 15 et 60 jours;
- Pour une infraction à l’article 77 du Code de déontologie : des périodes de radiation variant entre un et six mois.
- Les parties soutiennent que les sanctions suggérées ne déconsidèrent pas l’administration de la justice et ne sont pas contraires à l’intérêt public, elles demandent donc au Conseil d’entériner leur recommandation conjointe.
La recommandation conjointe des parties est-elle contraire à l’intérêt public ou susceptible de déconsidérer l’administration de la justice?
- Les parties soulignent que la recommandation conjointe est le fruit de discussions prenant en compte l’ensemble des faits du dossier. Elles ajoutent que les sanctions recommandées sont conformes à la jurisprudence en semblable matière et qu’elles sont individualisées au cas de l’intimé. Ce faisant, elles arguent que les sanctions ne déconsidèrent pas l’administration de la justice ni ne sont contraires à l’intérêt public.
- Considérant l’ensemble des circonstances de la présente affaire, et tout autant les facteurs objectifs des infractions que subjectifs propres à l’intimé ainsi que son faible risque de récidive, le Conseil est d’avis que la recommandation conjointe des parties ne déconsidère pas l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public, et en conséquence, l’entérine.
- Une personne raisonnable et au fait de toutes les circonstances ne serait certainement pas choquée par cette recommandation conjointe.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 22 MAI 2025 :
Chef 1
- A DÉCLARÉ l’intimé coupable de l’infraction fondée sur les articles 23, 60 et 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, alors en vigueur, et sur l’article 114 du Code des professions.
- A PRONONCÉ la suspension conditionnelle des procédures à l’égard des articles 23 et 60 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, alors en vigueur, et sur l’article 114 du Code des professions.
Chef 2
- A DÉCLARÉ l’intimé coupable de l’infraction fondée sur les articles 5 et 60 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, alors en vigueur, et sur l’article 59.2 du Code des professions.
- A PRONONCÉ la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 60 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, alors en vigueur, et de l’article 59.2 du Code des professions.
Chef 3
- A DÉCLARÉ l’intimé coupable de l’infraction fondée sur les articles 23, 60 et 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, alors en vigueur, et sur l’article 114 du Code des professions.
- A PRONONCÉ la suspension conditionnelle des procédures à l’égard des articles 23 et 60 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, alors en vigueur, et de l’article 114 du Code des professions
Chef 4
- A DÉCLARÉ l’intimé coupable de l’infraction fondée sur l’article 77 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, et sur les articles 114 et 122 du Code des professions.
- A PRONONCÉ la suspension conditionnelle des procédures à l’égard des articles 114 et 122 du Code des professions.
ET CE JOUR :
- PREND ACTE de l’engagement souscrit par l’intimé le 22 mai 2025 à l’égard de la plaignante :
ENGAGEMENT
Je, soussigné, Nessim Awad, CPA auditeur (A101891), m’engage, à partir de la date de la décision qui sera rendue dans le dossier de plainte disciplinaire 47-24-00469, à renoncer de façon permanente à mon permis de comptabilité publique.
Dans l’intervalle, je m’engage à respecter le stage de perfectionnement en cours et je comprends que je ne serais autorisé à délivrer mes rapports à l’égard des mandats de certification que lorsque mes dossiers auront été révisés et approuvés au préalable par le nouveau superviseur qui sera désigné.
[…]
- IMPOSE à l’intimé, sur le chef 1, une période de radiation de trois mois.
- IMPOSE à l’intimé, sur le chef 2, une période de radiation de 15 jours.
- IMPOSE à l’intimé, sur le chef 3, une période de radiation de trois mois.
- IMPOSE à l’intimé, sur le chef 4, une période de radiation de deux mois.
- ORDONNE que les périodes de radiation temporaire soient purgées de façon concurrente.
- ORDONNE à la secrétaire du Conseil de discipline de publier un avis de la présente décision, aux frais de l’intimé, dans un journal circulant dans le lieu de son domicile professionnel, conformément à l’article 156 du Code des professions.
- CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés.
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| __________________________________ Me ISABELLE DUBUC Présidente __________________________________ Mme CLAIRE GAUTHIER, CPA Membre __________________________________ M. DANIEL CHAREST, CPA AUDITEUR Membre |
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Me Jessica Bond |
Avocate de la plaignante |
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Me Valérie Lafond |
Avocate de l’intimé |
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Date d’audience : | 22 mai 2025 |
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