Autorité des marchés financiers c. Zypto Sp Zoo | 2025 QCTMF 22 | |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DES MARCHÉS FINANCIERS | |
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CANADA | |
PROVINCE DE QUÉBEC | |
MONTRÉAL | |
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DOSSIER N° : | 2024-002 | |
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DÉCISION N°
: | 2024-002-003 | |
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DATE: | 16 avril 2025 | |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | JEAN-PIERRE CRISTEL |
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AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS | |
Partie demanderesse | |
c. | |
ZYPTO SP ZOO et FCF INC. et JEAN NASRALLAH et ALEXANDRE TRUDEAU et JOSEPH ALEXANDER FELIX PARKIN Parties intimées | |
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DÉCISION (Prolongation d’ordonnances de blocage) | |
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- Le 15 février 2024[1], dans le cadre d’une enquête de l’Autorité des marchés financiers (« Autorité »), le Tribunal administratif des marchés financiers (« Tribunal ») rend - dans l’intérêt public - une décision, et ce, à la suite d’une audience ex parte[2] tenue, en urgence, à la demande de l’Autorité. Dans cette décision, le Tribunal conclut que les intimés ont commis de graves manquements apparents aux articles 11 et 148 de la Loi sur les valeurs mobilières[3], et ce, en exerçant des activités de courtier et de conseiller en valeurs mobilières sans détenir les inscriptions requises auprès de l’Autorité, et en ayant procédé au placement de contrats d’investissement sans avoir déposé un prospectus ou une déclaration de placement avec dispense ou bénéficié d’une quelconque dispense d’effectuer un tel dépôt.
- Dans cette décision, le Tribunal prononce notamment des ordonnances de blocage visant les intimés. Ces ordonnances de blocage sont de nature conservatoire et venaient à échéance le 14 février 2025.
- Le 14 janvier 2025, l’Autorité dépose une demande de prolongation de ces ordonnances de blocage pour une période additionnelle de 12 mois. Dans cette demande, l’Autorité allègue, entre autres, que son enquête est toujours en cours.
- Le 6 février 2025, lors d’une audience pro forma, l’avocat des intimés Jean Nasrallah et Alexandre Trudeau informe le Tribunal que ses clients ont l’intention de contester cette demande de prolongation présentée par l’Autorité.
- Le 7 février 2025[4], afin de se donner le temps nécessaire pour tenir une audience portant sur cette demande de prolongation contestée et de subséquemment rendre une décision écrite, le Tribunal décide, dans l’intérêt public, de prolonger de manière intérimaire les ordonnances de blocage susmentionnées jusqu’au 14 mai 2025.
- Le 3 avril 2025 se tient l’audience durant laquelle le Tribunal entend cette demande de prolongation contestée. Durant cette audience les avocats de l’Autorité et ceux des intimés Jean Nasrallah et Alexandre Trudeau sont présents. Les intimés Joseph Alexander Felix Parkin, Zypto SP Zoo et FCF Inc. sont toutefois absents et non représentés par avocats, et ce, bien qu’ils aient été dûment notifiés de la tenue de cette audience.
- Le Tribunal doit donc déterminer si les ordonnances de blocage actuellement en vigueur doivent être prolongées et, le cas échéant, pour quelle durée.
- Après avoir dûment pris connaissance de l’ensemble de la preuve et de l’argumentation que lui ont présenté les parties, le Tribunal a décidé, dans l’intérêt public et pour les motifs ci-après exposés, de prolonger les ordonnances de blocage actuellement en vigueur au présent dossier jusqu’au 15 septembre 2025.
ANALYSE
- L’article 249 de la Loi sur les valeurs mobilières prévoit que l’Autorité peut, en vue ou au cours d’une enquête, demander au Tribunal de prononcer une décision à l’effet d’ordonner à une personne qui fait ou ferait l’objet d’une enquête de ne pas se départir de fonds, titres ou autres biens qu’elle a en sa possession.
- De même, le Tribunal peut rendre une ordonnance à l’encontre d’une personne qui fait ou ferait l’objet d’une enquête afin qu’elle ne puisse pas retirer des fonds, titres ou autres biens des mains d’une autre personne qui les a en dépôt ou qui en a la garde ou le contrôle. Enfin, le Tribunal peut ordonner à toute personne de ne pas se départir des fonds, titres ou autres biens dont elle a le dépôt, la garde ou le contrôle.
- Une telle ordonnance de blocage demeure valide pour une période de 12 mois, « à moins qu’il n’y soit autrement pourvu », et peut être prolongée par le Tribunal « si la personne intéressée ne manifeste pas son intention de se faire entendre ou si elle n’arrive pas à établir que les motifs de l’ordonnance initiale ont cessé d’exister »[5].
- Dans le cadre de la présente affaire, il convient d’abord de rappeler que les intimés Joseph Alexander Felix Parkin, Zypto SP Zoo et FCF Inc. étaient absents et non représentés par avocat lors de l’audience durant laquelle le Tribunal a entendu à son mérite la demande de l’Autorité de prolonger les ordonnances de blocage actuellement en vigueur au présent dossier. Bien que dûment notifiés de la tenue de cette audience, ces intimés ne se sont pas manifestés et n’ont donc pas établi que les motifs ayant justifié le prononcé par le Tribunal des ordonnances de blocage initiales ont cessé d’exister.
- Par ailleurs, le procureur de l’Autorité a affirmé au Tribunal que, dans le cadre de la présente affaire, ces motifs initiaux sont toujours présents. Il a de plus soutenu que l’enquête de l’Autorité à l’égard des intimés se poursuit.
- À cet égard, une enquêteuse de l’Autorité a, dans le cadre de son témoignage, informé le Tribunal d’un certain nombre de démarches effectuées durant l’enquête du régulateur, et ce, depuis le prononcé des ordonnances de blocage initiales. Elle a aussi informé le Tribunal que son rapport d’enquête est maintenant terminé et qu’il sera remis au cours des prochains jours à la Direction du contentieux de l’Autorité, laquelle doit en faire l’analyse pour déterminer l’opportunité de demander un complément d’enquête ou d’entamer une procédure de mise en application de la loi.
- Pour sa part, l’avocat des intimés Jean Nasrallah et Alexandre Trudeau a soutenu que les motifs ayant justifié les ordonnances de blocage initiales dans le présent dossier ont cessé d’exister. À cet égard, il a notamment affirmé que le site Internet Zypto.com n’est pas actuellement accessible au Québec. Il a donc demandé au Tribunal de rejeter la demande de l’Autorité visant à prolonger pour 12 mois les ordonnances de blocage actuellement en vigueur au présent dossier. Subsidiairement, il a demandé au Tribunal de ne les prolonger que pour une période de 60 jours après le 14 mai 2025, date actuellement prévue de leur échéance.
- Le Tribunal rappelle que ce n’est pas parce que les intimés auraient maintenant cessé de commettre des manquements apparents à la Loi sur les valeurs mobilières que les manquements apparents à cette loi — constatés dans la décision qu’il a rendue le 15 février 2024 — ont été effacés de l’Histoire et qu’il est dans l’intérêt public de mettre fin à des ordonnances prononcées par le Tribunal dans le but de protéger le public investisseur, en particulier, contre une récidive potentielle de leur part[6].
- À cet égard, le Tribunal rappelle que les intimés ont décidé de ne pas contester la décision qu’il a rendue le 15 février 2024, conformément aux termes de l’article 115.1 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier, et qu’ils ne lui ont donc présenté aucune preuve contredisant celles qui justifièrent le prononcé de cette décision.
- Le Tribunal souligne qu’une demande de prolongation d’ordonnances de blocage n’est pas une occasion pour les intimés de tenter de contester la décision qu’il a rendue le 15 février 2024, et ce, en questionnant l’enquêteuse de l’Autorité pour tenter d’obtenir maintenant des renseignements précis qu’elle aurait obtenus dans le cadre de l’enquête, laquelle doit se dérouler à huis clos[7].
- Par ailleurs, le Tribunal considère qu’une enquête de l’Autorité ne comprend pas seulement la cueillette d’informations et l’analyse de la preuve recueillie, mais aussi toutes les procédures engagées à la suite de cette cueillette qui visent l’application de la Loi[8].
- Le Tribunal note que, dans la présente affaire, le rapport d’enquête ainsi que l’ensemble de la documentation recueillie en preuve durant celle-ci seront bientôt remis à la Direction du contentieux de l’Autorité.
- Ainsi, dans l’état actuel des choses, il demeure possible que le rapport d’enquête ainsi que l’ensemble de la preuve actuellement recueillie durant l’enquête aboutissent à une décision du régulateur de ne pas intenter quelque procédure juridique additionnelle que ce soit à l’encontre des intimés.
- Il est aussi dans le domaine du possible — qu’à la suite d’une recommandation de sa Direction du contentieux — l’Autorité décide d’initier une procédure juridique de nature pénale ou administrative à l’encontre des intimés.
- Pour l’instant, le Tribunal ne peut que constater que l’enquête de l’Autorité se poursuit avec rigueur, diligence et célérité et qu’il est possible d’évaluer sa progression. De plus, à la lumière du témoignage livré par une enquêteuse au dossier, le Tribunal est d’avis que cette enquête évoluera vraisemblablement significativement au cours des quelque cinq prochains mois.
- Compte tenu de la portée étendue des ordonnances de blocage qu’il a prononcées dans le cadre de la présente affaire et de l’impact que ces ordonnances ont sur les parties intimées, le Tribunal est d’avis qu’il est raisonnable - dans les circonstances et dans l’intérêt public - de prolonger les ordonnances de blocage actuellement en vigueur au présent dossier jusqu’au 15 septembre 2025.
- Cette période additionnelle de prolongation permettra notamment à la Direction du contentieux de l’Autorité de potentiellement présenter des demandes de complément d’enquêtes ou de formuler des recommandations aux décideurs de l’Autorité sur les suites à donner au présent dossier et à ceux-ci de prendre, dans l’intérêt public, une décision à cet égard.
- Le Tribunal indique qu’il est important que des ordonnances de blocage ne se prolongent que durant une période où elles sont absolument nécessaires dans l’intérêt public.
- Le Tribunal réitère que sa décision du 15 février 2024 fait état de graves manquements apparents à la Loi sur les valeurs mobilières de la part des intimés et indique que cette décision contient un ensemble d’ordonnances de nature préventive et conservatoire dont l’objectif est essentiellement de protéger l’intérêt public jusqu’à ce que toutes les procédures juridiques reliées à la présente affaire soient terminées.
- Par conséquent, après avoir considéré l’ensemble de la preuve et de l’argumentation présenté par les parties, le Tribunal est d’avis qu’une preuve prépondérante existe à l’effet que les motifs initiaux ayant justifié le prononcé d’ordonnance de blocages dans le présent dossier existent toujours, que l’enquête de l’Autorité se poursuit et qu’il est dans l’intérêt public de prolonger les ordonnances de blocage actuellement en vigueur au présent dossier jusqu’au 15 septembre 2025.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, dans l’intérêt public et en vertu des articles 93 et 97 al. 2 (7°) de la Loi sur l’encadrement du secteur financier et des articles 249 et 250 de la Loi sur les valeurs mobilières :
PROLONGE les ordonnances de blocage qu’il a prononcées le 15 février 2024 jusqu’au 15 septembre 2025, et ce, de la manière suivante, à moins qu’elles ne soient modifiées ou abrogées avant l’échéance de ce terme :
ORDONNE aux intimés FCF inc., ZYPTO SP ZOO, Jean Nasrallah, Alexandre Trudeau et Joseph Alexander Felix Parkin de ne pas céder, grever, altérer, détruire, aliéner ou autrement se départir, directement ou indirectement, en tout ou en partie, des fonds, titres ou autres biens, y compris des cryptoactifs, qu’ils ont en leur possession ou dont ils ont la garde ou le contrôle ;
ORDONNE aux intimés FCF inc., ZYPTO SP ZOO, Jean Nasrallah, Alexandre Trudeau et Joseph Alexander Felix Parkin, de ne pas céder, grever, aliéner, ou autrement se départir, directement ou indirectement, en tout ou en partie, des cryptoactifs, dont les jetons FCF et les jetons de fournisseurs de liquidité « LP Tokens », déposés dans les portefeuilles de cryptoactifs suivants :
- Portefeuille au nom de FCF Maketing et dont l’adresse est [...] ;
- Portefeuille au nom de FCF Deployer et dont l’adresse est [...] ;
- Portefeuille au nom de FCF Dividends Tracker et dont l’adresse est [...];
ORDONNE à l’Autorité des marchés financiers de notifier la présente décision aux parties ou à leurs avocats, le cas échéant.
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| Jean-Pierre Cristel Juge administratif | |
Me Hamza Abouabdelmajid |
(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers) |
Pour l’Autorité des marchés financiers |
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Me Jean-François Brière |
(Goulet et Brière s.n.) |
Pour les intimés Jean Nasrallah et Alexandre Trudeau |
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Date d’audience : | 3 avril 2025 |
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[6] Autorité des marchés financiers c. Pierre, 2018 QCTMF 1, par 26 et Autorité des marchés financiers c. Pierre, 2018 QCTMF 1, par 31.