R. c. Venne |
2021 QCCQ 5236 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE QUÉBEC |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
200-01-219805-185 |
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DATE : |
23 juin 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE STÉPHANE POULIN, J.C.Q. |
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LA REINE |
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Poursuivante |
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c.
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MICHEL VENNE |
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Accusé |
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JUGEMENT |
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ORDONNANCE
DE NON-PUBLICATION EN VERTU DE L’ARTICLE
[NDLE : L’ordonnance de non-publication rendue dans ce dossier est maintenant levée.]
I. L’INTRODUCTION
[1] Michel Venne subit son procès sur les accusations d’avoir, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de L. C.-D., une adolescente vis-à-vis de laquelle il était en situation d’autorité, et de l’avoir agressée sexuellement. Les faits en cause seraient survenus en 2008.
[2] Au moment des actes reprochés, l’accusé était Directeur général de l’Institut du Nouveau Monde (INM). La plaignante, alors âgée de 17 ans, était une employée de cet organisme.
[3] La poursuite reproche à l’accusé de s’être livré à des actes à caractère sexuel sur la plaignante, à deux reprises, lors d’activités liées à un évènement de l’INM. L’accusé nie avoir commis les actes reprochés.
[4] Le Tribunal, qui est confronté à des versions contradictoires, doit donc apprécier la crédibilité de l’ensemble des témoignages et, plus particulièrement, ceux de la plaignante et de l’accusé et ce, eu égard à l’ensemble de la preuve et déterminer si celle-ci convainc, hors de tout doute raisonnable, de la culpabilité de l’accusé en regard des actes reprochés.
II. LE CONTEXTE
[5] En 2008, la plaignante est embauchée pour un emploi d’été par l’INM. Elle débute son emploi au mois de juillet, à la place d’affaires de l’organisme située à Montréal.
[6] L’INM est décrit par l’accusé comme étant un organisme à but non lucratif, qui a pour mission d’inciter les citoyens à participer à la vie démocratique en organisant des conférences, des débats publics, des consultations, en publiant des livres et en organisant des activités, en particulier pour les jeunes.
[7] L’lNM organise un évènement annuel, nommé « l’école d’été », qui se déroule au mois d’août, sur une période de 3 à 4 jours et qui réunit entre 400 et 500 jeunes personnes.
[8] « L’école d’été » 2008 s’est déroulée à la mi-août, à Québec, et plusieurs employés de l’INM, dont la plaignante, ont séjourné à Québec pendant toute la durée de cet évènement qui concordait avec les fêtes du 400ème anniversaire de la fondation de la Ville de Québec.
III. LA VERSION DE LA PLAIGNANTE
[9] Avant son embauche, la plaignante connaît l’accusé comme personnalité publique et pour son implication au sein de l’INM. Elle est impressionnée par celui-ci.
[10] Elle apprécie son travail et est très heureuse d’avoir décroché cet emploi. Elle précise qu’elle avait l’impression de « Faire partie de la gang ». Elle qualifie l’ambiance de travail de sympathique et ajoute que les employés sont proches les uns des autres.
[11] Initialement, elle effectue des tâches administratives et de soutien que l’on peut qualifier de travail de bureau.
[12] Par la suite, elle est désignée comme assistante de l’accusé, lors de sa présence à Québec, aux fins des activités auxquelles il participe, dans le cadre de « l’école d’été ».
[13] Elle est très enthousiaste et honorée d’agir à titre d’assistante de l’accusé et considère cette tâche comme une marque d’appréciation et de reconnaissance de la qualité de son travail.
[14] Elle effectue des tâches liées aux relations de presse, ce qui l’amène à suivre l’accusé dans ses déplacements et lors des rassemblements.
[15] La plaignante indique que l’accusé est cordial, respectueux et très gentil avec elle, abstraction faite des actes reprochés.
L’évènement du taxi
[16] À la mi-parcours de « l’école d’été », la plaignante se rend en taxi à un évènement dans le Vieux-Québec, en compagnie de l’accusé et de sa conjointe. Les trois passagers sont assis sur la banquette arrière de la voiture.
[17] La conjointe de l’accusé est assise derrière le chauffeur, l’accusé est assis au centre de la voiture, à côté de la plaignante, assise à sa droite.
[18] L’accusé pose sa main sur la cuisse de la plaignante, près des parties génitales, pendant quelques secondes.
[19] Elle est inconfortable, elle est sidérée et elle ne réagit pas. Il ne la regarde pas en commettant cet attouchement.
[20] À ce moment, la plaignante est perplexe quant aux réelles intentions de l’accusé.
[21] Lui accordant le bénéfice du doute en regard de cet acte, elle ne lui en parle pas et elle ne constate aucun changement d’attitude de sa part, à tout le moins, jusqu’à ce qu’un deuxième évènement vienne ternir leur bonne relation.
L’évènement devant l’établissement d’hébergement
[22] À la fin de la dernière journée de « l’école d’été », une rencontre visant à faire une évaluation post-évènement est organisée au complexe Méduse, situé dans la Côte d’Abraham.
[23] L’équipe de travail dont la plaignante fait partie au sein de l’INM et l’accusé participent à cette rencontre. On y consomme de l’alcool sur place et l’ambiance est festive.
[24] La plaignante prend une seule consommation au cours de la soirée et quitte la réunion vers 21h.
[25] L’accusé la rejoint à l’extérieur de l’établissement et l’accompagne en marchant vers son hôtel tout en descendant la Côte d’Abraham.
[26] À ce moment, la plaignante a une certaine appréhension vis-à-vis l’accusé, en raison de « l’évènement du taxi », mais elle est néanmoins à l’aise avec lui.
[27] Ils marchent quelques minutes en discutant de sujets sans importance jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent devant l’hôtel où elle loge.
[28] Elle remarque un changement soudain de l’expression faciale de l’accusé.
[29] Au moment où elle est sur le point de se diriger vers son hôtel et qu’elle est face à l’accusé, il lui dit « Ça va rester entre nous » en lui mettant la main sur la hanche. Elle perçoit une odeur d’alcool provenant de son haleine.
[30] Il lui touche les parties génitales, par-dessus les vêtements et tente par la suite de les toucher à l’intérieur de ses vêtements, en y introduisant une main près du pubis.
[31] Elle est alors dégoûtée et envahie d’un sentiment de colère. Elle fige sur le coup, mais se ressaisit et se retire de l’emprise et de la proximité de l’accusé et lui dit « Non, va-t’en ». Elle s’éloigne aussitôt en se dirigeant vers l’hôtel.
[32] L’évènement laisse l’accusé sans réaction, si ce n’est qu’il semblait abasourdi.
[33] Elle ne reconnaît pas l’accusé par son attitude et ses agissements à son égard. Elle a l’impression d’avoir eu devant elle une personne différente que celle qu’elle connaît.
[34] À la suite des évènements, la plaignante est sous le choc, elle est dévastée, dégoûtée et un sentiment de peur l’envahit.
[35] Elle voit l’accusé le lendemain, l’ambiance est froide, il y a une absence d’interaction et une distance s’est installée entre eux.
[36] Cette même journée, elle se confie à monsieur C., qui est un collègue de travail, et lui raconte ce qu’elle a vécu avec l’accusé la veille.
[37] Dans les jours qui suivent les évènements, elle révèle également à sa mère ce qu’elle a vécu avec l’accusé.
[38] À cette époque, porter une plainte criminelle contre l’accusé n’est pas envisageable, pour la plaignante. Non seulement elle avait des incertitudes en regard du processus entourant une plainte criminelle dans un tel contexte, mais n’était pas convaincue que les actes qu’elle avait subis constituaient une agression sexuelle, croyant plutôt qu’il s’agissait d’harcèlement sexuel.
[39] À l’automne 2008, l’accusé communique avec elle par courriel et lui propose une rencontre dans un café au Marché Jean-Talon, à Montréal.
[40] Croyant qu’il voulait s’excuser pour les actes commis, allant même jusqu’à penser qu’il avait droit à l’erreur, elle accepte la rencontre.
[41] Celle-ci est de courte durée et l’accusé lui suggère que ce qui s’est passé le soir après la réunion au complexe Méduse est un évènement malheureux à oublier et qu’il serait préférable de passer à autre chose.
[42] La plaignante précise qu’elle est intimidée par l’accusé, qu’elle est plutôt préoccupée par le début de ses études collégiales et qu’elle éprouve un sentiment de honte lié à cet évènement.
[43] Préférant à ce moment ne pas ébruiter l’affaire, elle convient avec lui de tourner la page relativement à cet évènement.
[44] Quelques années plus tard, soit en 2010 ou 2011, elle apprend que l’accusé participe à une conférence de presse d’un regroupement d’organismes dont la mission est d’aider les victimes d’agression sexuelle.
[45] Elle lui écrit pour l’informer qu’elle considère que sa démarche est hypocrite. L’accusé lui répondra en lui demandant à quoi elle fait référence.
[46] En 2014, l’accusé tente de communiquer avec la plaignante par l’entremise du réseau professionnel LinkedIn en lui transmettant le message : « J’aimerais que l’on se parle ». Elle ne répond pas à cette demande.
[47] Dans la foulée de la vague de dénonciations publiques de victimes d’agression sexuelle et au mouvement « agression non dénoncée », la plaignante écrit, le 6 novembre 2014, un blogue sur Sympatico Actualités, à l’époque où elle était chroniqueuse rattachée à ce média, dans lequel elle relate l’évènement qu’elle a vécu, sans donner de détails et sans nommer personne.
[48] De façon concomitante, elle fait une publication sur son compte Twitter, dont le contenu est suivi par environ 10 000 abonnés à l’époque, dans laquelle elle fait la mention « Moi aussi », désirant alors dévoiler publiquement avoir été victime de violence sexuelle et la supprime rapidement après l’avoir publiée.
[49] La même journée, la plaignante se présente à titre d’invitée à l’émission 24/60, animée par Anne-Marie Dussault, journaliste et animatrice à Radio-Canada, pour partager ce qu’elle a vécu.
[50] Sur le plateau de l’émission 24/60, elle décrit le contexte dans lequel elle a été victime d’agression sexuelle, ce qu’elle qualifie à ce moment d’harcèlement sexuel, sans nommer la personne visée par ces allégations et en précisant ne pas avoir porté plainte, croyant que son seul témoignage n’était pas suffisant pour justifier une telle accusation. Une avocate rencontrée à Radio-Canada lors de cette émission l’incite à porter plainte.
[51] En novembre 2015, madame Lise Payette, par l’entremise de sa petite-fille et amie de la plaignante à l’époque, invite cette dernière chez elle pour la rencontrer.
[52] Elle ignore le but de la rencontre, mais elle est heureuse d’aller la rencontrer et est grandement honorée par l’invitation en raison de l’admiration sans bornes qu’elle voue à madame Payette.
[53] Pour la plaignante, madame Payette a été extrêmement importante pour le Québec, en plus d’avoir été une figure marquante pour elle.
[54] La plaignante, qui se dit féministe, est grandement impressionnée d’aller rencontrer celle qui a notamment été la première à occuper le poste de ministre déléguée à la Condition féminine.
[55] Quelques jours plus tard, les deux femmes se rencontrent au domicile de madame Payette. Elles entament une discussion sur différents sujets d’intérêt commun.
[56] La plaignante apprécie grandement ce moment d’échange privilégié jusqu’à ce qu’il y ait un changement de ton de la part de son hôte, qui est devenu radicalement grave, sérieux et cassant.
[57] De fait, la rencontre prend une autre tournure lorsque madame Payette lui fait savoir qu’elle a fait du tort à un de ses amis avant de lui demander si elle a reçu un appel d’une journaliste de La Presse, en regard d’une affaire concernant Michel Venne.
[58] Elle ajoute qu’il est au bord de la dépression, qu’il a des pensées suicidaires et que ce qu’elle a fait est grave.
[59] Elle l’invite à privilégier sa carrière et oublier cette affaire. Elle lui fait part des risques de poursuite en diffamation liés à ces rumeurs découlant de l’enquête de la journaliste.
[60] Elle l’incite à écrire une lettre à la famille de l’accusé affirmant se distancier des rumeurs la concernant au sujet de celui-ci et en s’excusant du tort qu’elle lui a fait et qui a été causé à sa famille.
[61] La plaignante est à ce moment à la fois désorientée, intimidée et a l’impression de revivre les évènements avec l’accusé. Elle accepte néanmoins d’écrire une lettre destinée à ce dernier et à sa famille visant à faire taire la rumeur le concernant.
[62] Dans une lettre datée du 3 décembre 2015, dictée par Madame Payette, la plaignante affirme que les rumeurs liées à Michel Venne la concernant ne sont pas fondées.
[63] Le contenu de la lettre est ci-après reproduit :
Montréal, le 3 décembre 2015
Bonjour,
J’ai eu vent qu’une rumeur circule à l’endroit de Michel Venne. Je suis extrêmement navrée d’apprendre que celle-ci ait pu vous porter préjudice. Je sais que ce ragot me concerne. C’est pourquoi il me semble important de rectifier les faits dès maintenant avant d’engendrer quelques dommages collatéraux irréparables.
Je vous donne ma parole. Cette histoire n’est pas fondée.
Je tenais à vous écrire ces quelques mots, car je ne voudrais pas détruire une famille inutilement.
Veuillez prendre note que cette missive est écrite sans aucune contrainte.
L. C.-D.
Lise Payette, témoin
(Signature Lise Payette)
(Signature L. C.-D.)
[64] Cette lettre est signée par la plaignante et par madame Payette à titre de témoin.
[65] Secouée et sous le choc, elle met rapidement fin à la rencontre après avoir remis la lettre à madame Payette, sans garder de copie.
[66] Le 19 octobre 2017, la plaignante communique avec madame Payette et enregistre à son insu la conversation téléphonique au cours de laquelle elle lui fait part de son malaise en ce qui a trait au contenu de la lettre qu’elle lui a fait signer plusieurs mois auparavant. Elle ajoute que cette lettre a été signée contre son gré.
[67] Or, l’objectif inavoué lors de l’entretien est d’obtenir une confirmation de la demande qui lui a été adressée par madame Payette et de connaître quelle était l’intention de cette dernière.
[68] Elle explique que l’utilité de l’enregistrement était liée à sa prise de parole sur les médias sociaux, qui est concomitante avec sa dénonciation au service de police et qui a eu lieu quelques jours après l’enregistrement, soit le 26 octobre 2017.
[69] À ce moment, la plaignante craint que sa parole soit mise en doute lorsqu’elle rapportera ses échanges avec madame Payette dans sa déclaration publique publiée sur sa page Facebook et, plus particulièrement, lorsqu’elle révèlera qu’elle l’a incitée à ne pas porter plainte contre l’accusé.
[70] Quelques jours après cette communication téléphonique, la plaignante effectue une modification de l’enregistrement à partir d’un logiciel de montage audio, dans le but d’y extraire uniquement les propos qu’elle considérait importants.
[71] Par cette modification, l’enregistrement intégral d’une durée de plus de 22 minutes est réduit approximativement de moitié et est reproduit comme un enregistrement continu et intégral, malgré ses nombreuses modifications.
[72] Elle explique au Tribunal avoir effectué des altérations à l’enregistrement pour y enlever les extraits non pertinents et pour l’écourter, puisqu’elle le considérait longuet.
[73] Les passages où Madame Payette se montre bienveillante à son égard ou lorsque cette dernière tente de la convaincre que l’idée de la lettre et son contenu n’émanent pas d’elle, au même titre que les propos permettant de croire qu’elle se distancie de l’accusé, sont également effacés.
[74] Elle indique, lors de son témoignage, qu’à la suite de sa sortie publique contre l’accusé, elle aurait pu remettre cet enregistrement aux journalistes qui auraient voulu s’assurer de la véracité de ses propos en ce qui a trait à ses échanges avec madame Payette.
[75] Le 25 octobre 2017, la plaignante porte plainte au service de police contre l’accusé.
[76] Le 26 octobre 2017, elle dénonce publiquement l’accusé pour les actes reprochés en publiant une déclaration sur sa page Facebook. La sortie publique sur cette plate-forme inclut la rencontre avec madame Payette et la lettre que celle-ci l’a incitée à écrire pour l’accusé.
[77] Le 13 février 2018, elle remet l’enregistrement modifié de sa conversation intervenue le 19 octobre 2017 avec madame Payette aux policiers qu’elle rencontre pour la première fois, sans les aviser de cette modification.
[78] Suivant la tenue de l’enquête préliminaire et des demandes de divulgation de complément de preuve de la part des procureurs de l’accusé, la plaignante remet la version non modifiée de l’enregistrement aux enquêteurs le 19 octobre 2019, après l’avoir récupérée en installant de nouveau l’application « tape a call », utilisée pour procéder à cet enregistrement.
IV. LA VERSION DE L’ACCUSÉ
[79] À l’époque des actes reprochés, l’accusé était Directeur général de l’INM.
[80] Il rapporte avoir donné son accord à l’embauche de la plaignante, pour un emploi d’étudiante à l’INM, d’une durée de six à huit semaines à compter de juillet 2008.
[81] Il la connaît depuis 2006 pour sa participation à des activités de « l’école d’été », pour différentes réalisations, pour ses participations à des conférences, pour ses prises de parole en public et pour son implication dans un comité du Conseil du statut de la femme.
[82] Dans le cadre de son emploi en 2008, la plaignante se voit initialement confier le rôle de responsable de l’inscription, en plus de s’occuper du parrainage de participants de « l’école d’été ».
[83] Par la suite, on lui attribue la tâche d’agir à titre d’assistante de l’accusé. Cela l’amène à l’accompagner un peu partout dans les évènements et sur les différents sites où des activités sont organisées par l’INM et à travailler ensemble tous les jours.
[84] L’accusé n’a pas de souvenir de reproche qui aurait pu être adressé à la plaignante en regard de la qualité de son travail. Il n’a également aucun souvenir d’incident impliquant cette dernière qui aurait pu ternir sa dernière journée de travail à « l’école d’été ».
[85] Il explique que « l’école d’été » 2008 est tenue à Québec, en collaboration avec la Société du 400ème anniversaire de Québec. Pour l’occasion, des conférences et des spectacles présentés dans le cadre de « l’école d’été » ont lieu au Vieux-Port de Québec.
[86] Exceptionnellement, « l’école d’été » 2008 s’est déroulée sur une période de cinq jours.
[87] Il précise qu’il arrive à Québec le 10 août et retourne à Montréal le 18 ou 19 août. Sa conjointe et ses enfants séjournent avec lui à Québec et participent à l’activité estivale de l’INM.
[88] L’accusé décrit la plaignante comme étant une personne très à l’aise, très enjouée, très enthousiaste, qui prenait sa place dans l’équipe, qui était chaleureuse et heureuse au travail.
[89] Il reconnaît par ailleurs que les implications et les expériences de la plaignante concordaient parfaitement avec la mission de l’INM qui est de favoriser l’implication citoyenne, en particulier chez les jeunes.
[90] Au moment où il lui souhaite la bienvenue lors de son arrivée à l’INM, la plaignante le prend dans ses bras et lui fait la bise. Il convient que l’on peut qualifier ce geste de la part de la plaignante de familier.
[91] Il indique qu’elle fait la même chose lorsqu’ils se revoient pour la première fois, après leur arrivée à Québec, pour « l’école d’été ». Elle met alors ses mains sur ses épaules, autour de son cou et le serre contre elle. À d’autres occasions où ils se font la bise, il précise que l’approche était plutôt mutuelle, aucun initiant la marque de politesse plus que l’autre.
[92] Avant les actes reprochés, il n’a jamais ressenti de malaise entre lui et la plaignante.
[93] L’accusé confirme avoir pris un taxi avec sa conjointe et la plaignante pour se rendre à une activité de l’INM à Québec, vers la 4e ou 5e journée de « l’école d’été », soit le jeudi ou le vendredi. Il précise qu’ils se sont déplacés de l’Université Laval au Musée de la civilisation. Il n’a aucun souvenir d’avoir pris un taxi avec la plaignante à une autre occasion.
[94] Il n’a pas de souvenir de discussions ou de paroles échangées pendant la course en taxi en compagnie de sa conjointe et de la plaignante, pas plus qu’il n’a de souvenir de l’endroit dans la voiture où chacun des passagers a pris place.
[95] L’accusé nie avoir mis sa main sur la cuisse de la plaignante à la hauteur du pubis et qualifie le déplacement de banal.
[96] Il ne remarque aucun changement de comportement ou d’attitude de la part de la plaignante dans les heures ou les jours suivant la course en taxi.
[97] Il confirme sa participation à une rencontre visant à faire une évaluation post-évènement au complexe Méduse, qu’il situe au dernier jour de « l’école d’été ».
[98] L’équipe s’était donné rendez-vous en début de soirée pour échanger sur l’évènement qui venait de se terminer. Une vingtaine de personnes sont alors présentes.
[99] Il ne se souvient pas d’avoir eu de conversation particulière avec la plaignante lors de cette réunion.
[100] L’accusé quitte le complexe Méduse en même temps que la plaignante, entre 21h et 22h. Il marche en compagnie de celle-ci qui se dirige vers l’établissement d’hébergement Les Résidences de l’Université du Québec, où elle loge et qui est situé à quelques pas.
[101] Il n’a pas de souvenir particulier du trajet et des échanges durant celui-ci jusqu’à leur arrivée devant la porte de l’établissement.
[102] Au moment de se dire au revoir, ils sont côte-à-côte. Il s’approche de la plaignante pour lui faire la bise et se tourne vers elle. Il précise qu’il se retourne vers la droite, étant à la gauche de la plaignante et qu’il approche sa main droite de son épaule.
[103] De façon concomitante, elle attire son attention vers quelque chose au loin en lui parlant, tout en regardant vers l’avant. Il se redresse aussitôt pour regarder en avant, soit la direction qu’elle lui indique. Il pose alors sa main droite sur son épaule droite et son bras se retrouve autour de ses épaules.
[104] L’évènement que l’accusé décrit comme étant un moment de confusion, se déroule en quelques secondes.
[105] Dès que le bras de l’accusé se retrouve sur les épaules de la plaignante, cette dernière tente de s’en dégager. Il sent qu’elle n’apprécie pas ce geste et il enlève aussitôt son bras. Il précise que le geste n’était pas réfléchi et qu’il s’agit d’un acte plutôt spontané.
[106] Il se place alors devant elle pour voir son visage et constate qu’elle est visiblement mal à l’aise.
[107] Croyant à ce moment qu’il lui avait possiblement fait peur, il tente de la rassurer.
[108] Il lui indique qu’il n’avait aucune intention particulière, qu’il ne voulait pas lui faire des avances.
[109] L’accusé dit avoir compris ses craintes en raison du fait qu’ils étaient seuls sur la rue, le soir. Il précise qu’il n’avait pas réfléchi.
[110] La plaignante lève son bras, la paume de la main ouverte à la fois pour lui indiquer de rester à distance et pour le saluer, avant de se tourner et de se diriger vers l’entrée des résidences où elle logeait.
[111] Le lendemain, l’accusé tente de communiquer avec la plaignante pour désamorcer le malentendu, mais ne réussit pas à lui parler.
[112] Il ne participe pas à la rencontre au restaurant avec les autres membres de l’équipe cette même journée.
[113] L’accusé nie avoir touché les parties génitales de la plaignante et lui avoir proposé d’avoir des relations sexuelles.
[114] Quelques semaines après les évènements, il lui propose une rencontre qu’elle accepte, dans un café à Montréal, cherchant toujours à dissiper le malaise qui s’est installé entre eux.
[115] Lors de cette rencontre d’une durée approximative de 45 minutes, l’accusé s’enquiert de ce qu’elle a retenu de la soirée, après la rencontre au complexe Méduse, et comment elle s’est sentie considérant que, pour sa part, il avait ressenti un malaise.
[116] Elle lui explique alors qu’elle a cru qu’il voulait lui faire des avances et que, venant de lui, ce comportement l’avait surprise, déçue et même choquée.
[117] L’accusé lui réitère qu’il n’avait aucune pensée malveillante et qu’il n’avait aucune intention de lui faire de proposition. Il ajoute que la situation est un malentendu et que mettre son bras sur son épaule est un geste auquel il n’avait pas réfléchi, qui se voulait amical, mais qui visiblement n’était pas le meilleur geste qu’il avait fait dans sa vie puisqu’il l’avait mise mal à l’aise et qu’il était désolé.
[118] Il affirme que la plaignante n’a pas évoqué les gestes aujourd’hui reprochés devant le Tribunal et soutient ne pas l’avoir incitée à passer sous silence les évènements et qu’ils ont plutôt convenu qu’il s’agissait d’un malentendu. Lors de cette rencontre, elle lui parle d’un projet de documentaire et sollicite la collaboration de l’INM pour entrer en contact avec un artiste ayant participé à « l’école d’été ».
[119] Il indique avoir revu la plaignante dans les bureaux de l’INM et avoir eu des échanges avec elle en lien avec son projet de documentaire.
[120] L’accusé rencontre la plaignante pour la dernière fois lors d’une activité organisée dans le cadre de « l’école d’hiver » de l’INM qui de déroulait en janvier 2009, où ils échangent quelques mots et la plaignante lui fait la bise.
[121] Le 25 novembre 2009, il participe à une conférence de presse avec la Fédération des femmes du Québec au cours de laquelle il a fait une intervention publique dénonçant et condamnant les violences faites aux femmes.
[122] Il n’a aucun souvenir d’avoir reçu un courriel provenant de la plaignante le qualifiant d’hypocrite, tel qu’elle l’affirme.
[123] À l’automne 2014, l’accusé regarde l’entrevue à laquelle participe la plaignante à l’émission 24/60 de Radio-Canada, au cours de laquelle elle révèle qu’elle a été agressée sexuellement par un homme, sans mentionner son nom, mais précise qu’il était âgé de 50 ans alors qu’elle était âgée de 17 ans et que les actes ont été commis en milieu de travail, dans un contexte politique. L’accusé s’est senti visé après avoir visionné cette entrevue.
[124] Il prend également connaissance du contenu d’un blogue publié à une époque concomitante par la plaignante qui, selon son souvenir, fait état d’harcèlement sexuel de la part de l’homme en question qui lui touchait les cuisses à plusieurs occasions, lors de courses en taxi et que les actes se seraient terminés lorsque cet homme aurait glissé sa main dans sa culotte, devant l’hôtel où logeait ce dernier.
[125] L’accusé, se disant alors confus par les révélations de la plaignante qu’il qualifie de mensonges, tente de communiquer avec elle par l’entremise du réseau professionnel LinkedIn en lui transmettant le message « L., si tu as quelque chose à me dire, tu sais où me joindre », sans plus. Il n’y a pas eu de réponse à cette communication.
[126] Quelques mois plus tard, il est informé par une conseillère en communications de l’INM, qu’une journaliste du journal La Presse avait questionné certaines anciennes employées de l’INM pour savoir s’il était l’homme visé par les allégations de la plaignante, l’informant ainsi que des rumeurs circulaient à son sujet.
[127] En novembre 2015, l’accusé était candidat pour le poste de Directeur du journal Le Devoir et, selon ses informations, l’approbation de sa nomination par le Conseil d’administration était imminente.
[128] Or, entre le moment où il apprend qu’il est le candidat favori et le moment prévu de sa nomination, il a vent qu’une rumeur le concernant circule au sein de l’entreprise du journal Le Devoir, selon laquelle le journal La Presse allait publier un article traitant d’allégations d’harcèlement et d’abus sexuel sur la personne de la plaignante.
[129] En raison de ces rumeurs, le Comité de sélection a fait volte-face en regard de sa nomination et, dès lors, il n’était plus question qu’il puisse accéder à ce poste. Un nouveau processus de sélection de candidats sera entrepris par la suite.
[130] Anéanti par la décision du Comité de sélection et par les propos véhiculés le concernant, il consulte des gens autour de lui dans le but de trouver une solution pour faire taire cette rumeur qui le hantait. C’est dans ce contexte qu’une personne de son entourage lui suggère de faire appel à madame Lise Payette, à titre de personne objective pouvant lui fournir de judicieux conseils.
[131] Il connaît madame Payette pour l’avoir rencontrée lors d’une conférence à laquelle elle avait participé dans le cadre d’activités de l’INM, lors de « l’école d’été » de l’année 2015, sans plus. Par contre, elle ne connaît pas les membres de sa famille.
[132] Le choix de la conseillère s’est arrêté sur cette dame qui, selon ses informations, était une personne d’expérience, féministe, qui connaissait le monde politique, les mouvements féministes et qui connaissait le milieu entourant le journal Le Devoir pour y avoir été chroniqueuse pendant longtemps.
[133] Le 22 novembre 2015, il sollicite une rencontre avec madame Payette, qui accepte de le rencontrer quelques jours plus tard. La rencontre a lieu chez elle, le 25 novembre 2015.
[134] Au cours de la rencontre, l’accusé fait part à madame Payette de la rumeur qui circule au sein de l’entreprise où il travaille, soit le journal Le Devoir, et des conséquences engendrées par de telles rumeurs pour lui et sa conjointe.
[135] Il l’informe notamment que ces rumeurs affectent sa réputation et qu’il est sur le point de perdre un poste qu’il convoitait.
[136] Madame Payette propose de rencontrer la plaignante, cette dernière ayant dans le passé manifesté à sa petite-fille l’intérêt de la rencontrer pour échanger sur une matière sans lien avec la présente affaire.
[137] Elle suggère d’utiliser cette manifestation d’intérêt pour lui proposer une rencontre, pour discuter à la fois du sujet invoqué par la plaignante et pour essayer de connaître ses motivations derrière les allégations et de comprendre la distorsion entre ce qui s’est passé en 2008 et les gestes évoqués dans le blogue publié à son sujet.
[138] Il indique qu’il n’a jamais demandé à madame Payette d’obtenir une lettre de la part de la plaignante comme celle qu’elle a obtenue de cette dernière, pas plus qu’il lui a demandé de parler en son nom.
[139] Il ajoute que son seul objectif était de comprendre pourquoi de telles faussetés avaient été écrites à son sujet en 2014 et qu’elles refaisaient surface à ce moment. Il nie par ailleurs avoir voulu faire pression sur la plaignante.
[140] Le 30 novembre 2015, madame Payette informe l’accusé qu’une rencontre a été convenue avec la plaignante quelques jours plus tard, soit le 3 décembre suivant.
[141] Dans l’intervalle, madame Payette reçoit de l’accusé un courriel comprenant un résumé des déclarations publiques de la plaignante concernant ses allégations ou les références pour pouvoir les consulter. Dans cette correspondance, il précise que l’élément déclencheur de l’enquête d’une journaliste du journal La Presse est l’entrevue à l’émission 24/60 de Radio-Canada, diffusée le 6 novembre 2014.
[142] Le 4 décembre 2015, madame Payette communique avec l’accusé et l’informe qu’elle a obtenu une lettre de la plaignante dans laquelle elle confirme que la rumeur qui circule n’est pas fondée et lui suggère de venir la récupérer chez elle.
[143] Il est surpris de la confection d’une telle lettre, mais il est également rassuré par la reconnaissance de la plaignante que la rumeur qui circulait était fausse.
[144] Madame Payette lui remet un des trois exemplaires de la lettre signée par la plaignante, qu’il remet à son avocat pour qu’il la conserve et pour éventuellement l’utiliser pour favoriser sa nomination au poste convoité de Directeur du journal Le Devoir.
[145] Après le 4 décembre 2015, l’accusé et madame Payette ne se sont jamais rencontrés et n’ont jamais discuté à nouveau de la plaignante ou de ses allégations.
V. L’ENREGISTREMENT DE LA COMMUNICATION TÉLÉPHONIQUE INTERVENUE LE 19 OCTOBRE 2017 ENTRE LA PLAIGNANTE ET MADAME LISE PAYETTE
[146] Le Tribunal a tenu un voir-dire visant à déterminer si la version intégrale de l’enregistrement audio de la conversation intervenue entre la plaignante et madame Payette était admissible à titre d’exception à la règle interdisant le ouï-dire et pouvait faire preuve de son contenu et ainsi valoir témoignage, cette dernière étant décédée.
[147] L’intégrité et l’authenticité de cette preuve n’est pas en cause, ces éléments ayant été admis au cours du voir-dire.
[148] Avant que la poursuite ne déclare sa preuve close, la défense a reconnu l’admissibilité de l’enregistrement et a consenti à sa production ainsi qu’au versement de l’entièreté de la preuve administrée dans le cadre du voir-dire.
[149] Au cours de cet entretien avec la plaignante, madame Payette tient les propos suivants :
- Elle considère que la lettre lui a rendu service et lui signale que son intention était de la protéger;
- Elle soutient que cette démarche lui a permis de se sortir de cette situation qui aurait nui à sa carrière;
- Elle affirme n’avoir jamais revu l’accusé;
- Elle ajoute que cette démarche a été effectuée à son initiative et qu’elle a assumé cette démarche;
- Elle a agi au bénéfice de la conjointe de l’accusé et de ses enfants et non pas au bénéfice de ce dernier. Elle dit avoir simplement tenté d’aider un couple en difficulté;
- Elle a été rencontrée par le Conseil d’administration du journal Le Devoir au sujet de la lettre;
- Elle a perdu son emploi au journal Le Devoir en raison de cette démarche;
- Elle dit ne pas connaître la conjointe de l’accusé, ni ses enfants, et avoir agi parce qu’elle sentait que c’était la bonne chose à faire après qu’il lui ait parlé des difficultés qu’il vivait à la maison;
- Elle ajoute ne pas connaître réellement Michel Venne, pas plus que les membres de sa famille;
- Elle soutient que l’accusé n’a jamais été son ami, qu’elle le connaissait uniquement parce qu’elle a participé à une conférence à l’INM;
- Elle dit avoir agi dans l’intérêt de la plaignante, précisant qu’elle n’aurait peut-être pas travaillé par la suite;
- Elle affirme que sa première préoccupation qui a mené à cette démarche était la plaignante qui lui avait demandé de l’aider;
- Pour elle, la meilleure solution pour l’aider était de « Se dégager de l’accusé »;
- Elle révèle que l’accusé voulait se servir de cette lettre pour se défendre et il l’a utilisée pour tenter d’obtenir le poste de Directeur au journal Le Devoir;
- Elle dit ne pas avoir gardé de copie de la lettre;
- Elle affirme que la demande d’aide ainsi que le contenu de la lettre proviennent de la plaignante, au même titre que l’initiative de celle-ci. Elle admet néanmoins avoir invité la plaignante chez elle et lui avoir fait part de son plan de rétractation d’allégations;
- Elle précise ne pas avoir agi pour son intérêt personnel.
[150] Au cours des échanges alimentés par des compliments et des flatteries, madame Payette tente de convaincre la plaignante que de taire ce qu’elle reprochait à l’accusé était la meilleure avenue, à l’époque.
VI. LES TÉMOIGNAGES DE MADAME S. C. ET DE MONSIEUR C.
[151] La plaignante confie le lendemain des évènements à monsieur C. avoir vécu un évènement de nature sexuelle impliquant l’accusé. Quelques jours plus tard, elle révèle à sa mère avoir été victime d’agression sexuelle de la part de ce dernier.
[152] En outre, madame S. C. constate qu’au moment du dévoilement des actes de l’accusé par sa fille, cette dernière est complètement démoralisée, dégoûtée et désillusionnée.
[153] Quant à monsieur C., il remarque lors d’une réunion d’employés de l’INM au restaurant, le lendemain des évènements, que la plaignante est très changée par rapport à ce qu’il avait constaté auparavant.
[154] Elle est silencieuse et semble être dans un état de détresse et de mal-être alors qu’habituellement elle est énergique, sociale et enthousiaste.
[155] Il constate également son regard vide, qu’elle a l’air perturbée comme si quelque chose l’a fortement choquée. Il la questionne alors pour connaître la cause de son état, mais elle demeure silencieuse se refusant de répondre à l’invitation de partager avec lui les causes de son malheur.
[156] Voyant qu’elle semblait retenir quelque chose, il insiste et c’est à ce moment qu’il reçoit les verbalisations de la plaignante concernant l’accusé.
VII. LA POSITION DES PARTIES
[157] La poursuite soutient que le témoignage de l’accusé n’est pas crédible et n’est pas de nature à susciter un doute raisonnable. Elle soutient, en outre, avoir administré une preuve hors de tout doute raisonnable de tous les éléments essentiels des infractions et que les témoignages de la plaignante, de monsieur C. et de la mère de cette dernière sont crédibles et fiables.
[158] Pour sa part, le défendeur nie les actes reprochés et prétend que le deuxième évènement est un accident qui a été incorrectement interprété.
[159] Selon lui, son témoignage devrait être cru et est de nature à susciter un doute raisonnable.
[160] Il soutient, en outre, que le témoignage de la plaignante n’est pas crédible et qu’il est non fiable, notamment en raison de la manipulation de l’enregistrement de l’entretien intervenu avec madame Payette.
[161] Il ajoute que son témoignage révèle de multiples contradictions, qu’elle est incapable d’admettre qu’elle est en défaut ou qu’elle a menti dans le passé et que son récit de l’évènement qui se serait déroulé dans le taxi est invraisemblable.
[162] Il lui reproche également la minimisation du contenu de la lettre de rétractation d’allégations de nature sexuelle ainsi que les exagérations dans son témoignage et, qu’en conséquence, il devrait être acquitté des deux chefs d’accusation.
[163] Ainsi, il s’agit principalement d’une question d’appréciation de la crédibilité de l’accusé et des témoins.
VIII. L’ANALYSE
a) Les principes de droit applicables
[164] Tout accusé est présumé innocent, ce qui se traduit dans le fardeau de preuve que doit assumer le poursuivant. Il lui revient de démontrer, hors de tout doute raisonnable, que l'accusé a véritablement commis l'infraction reprochée[1].
[165] Ainsi, il appartient toujours à l’État de prouver la culpabilité de tout accusé hors de tout doute raisonnable[2].
[166] La Cour suprême dans l’arrêt R. c. Lifchus[3] a statué qu’un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas reposer sur la sympathie ou sur un préjugé. Il doit plutôt reposer sur la raison et le bon sens. Il doit logiquement découler de la preuve ou de l’absence de preuve.
[167] Dans ce même arrêt, il a été édicté que, si l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans un tel cas, on doit lui accorder le bénéfice du doute et l’acquitter, parce que le ministère public n’a pas réussi à convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[168] Le degré de preuve hors de tout doute raisonnable n’exige par contre pas une preuve correspondant à la certitude absolue[4]. De plus, il n’existe pas de présomption qu’une présumée victime dit la vérité[5].
[169] Il n’existe aucune présomption qu’un témoin est honnête. Il revient au juge de déterminer le degré de crédibilité et de fiabilité qu’il accorde à chacun des témoignages rendus au cours du procès[6].
[170] Étant donné les versions contradictoires, le Tribunal suivra la démarche en trois étapes de l’arrêt W. (D.)[7] pour déterminer ultimement si la preuve, dans son ensemble, établit la culpabilité de l’accusé selon la norme requise en matière criminelle.
[171] Dans le cadre de son analyse, le Tribunal n’a pas à choisir entre deux versions, pas plus qu’il n’a à se demander laquelle des deux versions il croit le plus ou laquelle est plus probable[8], le procès criminel n’étant pas un concours de crédibilité[9].
[172] Un accusé bénéficie du doute raisonnable et pas uniquement si les deux versions sont également concordantes et valables[10].
[173] Par ailleurs, il a droit au bénéfice du doute raisonnable tant sur son témoignage que dans l’évaluation de sa crédibilité, dans l’appréciation de sa défense et dans l’analyse de l’ensemble de la preuve présentée au procès.
[174] Le témoignage de l’accusé ne doit pas être considéré isolément, mais doit être analysé dans l’ensemble de la preuve[11].
[175] Le Tribunal peut accepter une déposition d’un témoin en totalité ou en partie ou l’écarter entièrement[12].
[176] Aussi, « [L]orsqu'un témoignage renferme des contradictions ou des incohérences, le juge ne doit pas se limiter à déterminer s'il doit être complètement écarté, mais il doit aussi considérer s'il laisse subsister un doute raisonnable dont l'accusé doit bénéficier »[13].
[177] De plus, il n’a pas à rejeter un témoignage parce que certains faits sont manquants dans le récit d’un témoin sur des détails ou des faits périphériques qui n’affectent pas outre mesure sa crédibilité quant aux gestes reprochés à un accusé[14].
[178] Il peut aussi accorder un poids différent à certaines parties d’un témoignage qu’il accepte[15].
[179] Par ailleurs, l’accusé n’a pas à démontrer qu’une présumée victime a menti[16] ni qu’elle a un motif de fabriquer de la preuve[17] et le Tribunal n’a pas à décider entre qui dit la vérité et qui ne la dit pas.[18]
[180] En outre de ce qui précède, la preuve retenue ainsi que les inférences pouvant en être tirées par le Tribunal doivent être exemptes de toutes formes de mythes, stéréotypes ou préjugés[19].
b) Est-ce que le Tribunal croit l’accusé?
[181] Le Tribunal ne croit pas l’accusé. Même si, à première vue, son témoignage est constant et structuré, il est invraisemblable pour les motifs ci-après exposés.
L’explication apportée par l’accusé pour justifier que son bras se retrouve autour des épaules de la plaignante est déraisonnable
[182] Le récit des évènements de l’accusé en regard de celui qui s’est déroulé devant Les Résidences de l’Université du Québec, où logeait la plaignante, confirme généralement la version de celle-ci, sous réserve des faits dont il n’a pas de souvenir et des actes à caractère sexuel reprochés.
[183] L’accusé fournit une longue explication d’une extrême précision pour décrire le geste qui se déroule en quelques secondes et qui a pu mener, selon lui, à un malentendu.
[184] Selon ce qu’il affirme, c’est au moment de se dire au revoir qu’il s’approche de la plaignante et se tourne vers elle pour lui faire la bise, qu’elle pivote soudainement son corps dans un autre sens, tout en attirant son attention droit devant, que le rapprochement non souhaité se produit.
[185] Essentiellement, il soutient avoir posé sa main droite sur l’épaule droite de la plaignante, avant que son bras se retrouve autour des épaules de cette dernière, dans un instant de confusion.
[186] Le Tribunal ne croit pas au caractère accidentel du geste qui s’apparente à une étreinte selon la description de l’accusé.
L’accusé soutient à la fois qu’il s’agit d’un acte accidentel et un acte irréfléchi qui se voulait amical
[187] Le geste est initialement présenté par l’accusé comme un geste involontaire qui pourrait être qualifié de banal, si on retient sa version des faits.
[188] Il reconnaît toutefois que le malaise qui s’est installé entre eux était de nature sexuelle, tout en maintenant le caractère accidentel et superficiel du contact.
[189] Or, lorsqu’il rencontre la plaignante quelques semaines après les évènements dans un café du Marché Jean-Talon, il se dit désolé d’avoir mis son bras sur son épaule et de l’avoir mise mal à l’aise, précisant qu’il n’avait pas réfléchi et que le geste se voulait amical. Il concède par ailleurs que « Cet acte n’était pas le meilleur qu’il avait fait dans sa vie ».
[190] Dans le même sens et toujours en référence à ce même évènement, l’accusé dit avoir compris les craintes de la plaignante en raison du fait qu’ils étaient seuls sur la rue, le soir. Il précise qu’il n’avait pas réfléchi.
[191] Par ces propos, l’accusé admet non seulement le caractère volontaire de l’acte, mais également son caractère inconvenant alors qu’il soutient du même coup, sans équivoque, que l’acte est involontaire.
Le malaise décrit par l’accusé créé par un simple contact superficiel est disproportionné et non crédible
[192] L’importance qu’il accorde à l’évènement et les démarches relativement insistantes pour neutraliser le malaise avec la plaignante et l’ampleur de celui-ci ne concordent pas avec son récit des évènements et affectent sa crédibilité.
[193] De fait, les motifs avancés pour justifier la tentative de communication avec la plaignante, le lendemain des évènements, et la rencontre ayant eu lieu quelques semaines après, sont déraisonnables et ne sont pas crédibles eu égard à « l’évènement » décrit par l’accusé.
[194] En outre, le souhait soudain et radical d’éloignement de la plaignante envers l’accusé, le soir des évènements, est incompatible avec les faits présentés par l’accusé et leur bonne relation, la plaignante ayant toujours été à l’aise avec ce dernier, se permettant même parfois de lui faire la bise en se blottissant contre lui.
[195] L’hésitation de l’accusé à qualifier de familier le geste de la plaignante lorsqu’elle lui fait la bise, lors de son arrivée à l’INM, est fort révélatrice de l’effort de ce dernier de rendre plus vraisemblable le malaise occasionné par une simple accolade accidentelle.
[196] Ces incohérences ne sont pas sans conséquence aux fins de l’analyse de la crédibilité de l’accusé puisque qu’elles réfutent les éléments déterminants de la défense de l’accusé.
[197] En effet, l’existence d’un malaise entre l’accusé et la plaignante, sa nature, sa gravité ou son ampleur ainsi que les circonstances l’entourant, sont des éléments déterminants dans l’évaluation de la vraisemblance du récit.
L’incapacité de préciser un élément important faisant partie de son récit
[198] Il est fort surprenant que l’accusé, qui donne moult détails pour expliquer le geste à la base du « malentendu », n’ait aucun souvenir vers quoi leur attention a été attirée et ainsi occasionné leur changement inopiné de position, alors que cet élément fait partie de la séquence des évènements.
Une version des faits calculée et ajustée
[199] La version des faits de l’accusé laisse une impression qu’elle est présentée de façon ajustée et calculée.
[200] Alors qu’il s’est écoulé plus de 12 années depuis les évènements, il se souvient de détails surprenants. À ce titre, il dit se souvenir que la plaignante lui a fait la bise lorsqu’ils se sont rencontrés à l’occasion de « l’école d’hiver » en 2009.
[201] Il est en mesure de donner beaucoup de précisions en regard des faits reprochés mais son souvenir est parfois nul en regard de certains faits collatéraux se déroulant pourtant à une période concomitante.
[202] Il indique s’être senti visé après l’entrevue de la plaignante à l’émission 24/60, mais pas après avoir lu le blogue, en raison de reproches qu’il ne reconnaissait pas, alors que les faits reprochés lors de l’entrevue et dans le blogue sont inter reliés.
[203] Il soutient qu’avant de se tourner et de se diriger vers l’entrée des résidences où elle logeait, la plaignante lui a fait un signe de la main, à la fois pour lui indiquer de rester à distance et pour le saluer.
[204] Cette situation présentée de façon alternative n’est pas crédible et vise simplement à atténuer l’ampleur de la mésentente et de la distance que la plaignante désirait prendre à son égard. L’accusé admettra d’ailleurs, en contre-interrogatoire, que le geste signifiait plutôt « un stop » qu’un « salut », après qu’il se soit fait rappeler l’ambiance qui régnait à ce moment.
[205] De façon générale, on retrouve peu d’indices de sincérité dans le témoignage de l’accusé.
Le manque de franchise et de transparence dans la présentation des circonstances entourant la demande formulée par l’accusé à madame Lise Payette ainsi que les réelles motivations derrière cette démarche
[206] La description des circonstances entourant la demande formulée à madame Payette par l’accusé ainsi que ses réelles motivations sont présentées au Tribunal avec des réticences et un manque de transparence de la part de celui-ci.
[207] De fait, il prétend que son seul objectif en ce qui a trait à l’intervention de madame Payette était de comprendre pourquoi des faussetés avaient été écrites à son sujet en 2014 et qu’elles refaisaient surface à ce moment. Or, il affirme parallèlement qu’il cherchait un moyen de laver sa réputation, dissiper la rumeur qui le hantait et trouver une solution pour que le Comité de sélection du journal Le Devoir reconsidère sa candidature pour le poste convoité.
[208] Les démarches effectuées auprès de madame Payette, de la Direction du Devoir, de son Conseil d’administration, ainsi qu’auprès du Comité de sélection, sont fort révélatrices de l’objectif réel poursuivi par l’accusé.
[209] Ainsi, dans les derniers jours du mois d’octobre 2015, pour éviter de nuire au journal, monsieur Bernard Descôteaux, Directeur du journal Le Devoir, demande à l’accusé de retirer sa candidature en raison des allégations de la plaignante.
[210] Dans les jours qui suivent, l’accusé se questionne sur l’opportunité de présenter à nouveau sa candidature et consulte le président du Conseil d’administration du journal Le Devoir en poste à ce moment, monsieur Jean Lamarre, pour avoir son assentiment relativement à cette démarche. Ce dernier lui confirme son accord à aller en ce sens.
[211] C’est à cette occasion que monsieur Lamarre lui suggère de consulter des personnes à l’extérieur de son cercle de connaissances proches pour trouver une façon de se libérer du poids de cette rumeur. Monsieur Lamarre suggère alors à l’accusé de consulter madame Payette.
[212] Dans les jours qui suivent son entretien avec le président du Conseil d’administration du journal Le Devoir, il soumet à nouveau sa candidature.
[213] Ainsi, la démarche auprès de madame Payette se fait dans le contexte où l’accusé croit toujours possible sa nomination au poste convoité.
[214] De surcroît, au moment de sa rencontre avec madame Payette, il a déjà en main une quantité importante d’informations qu’il lui transmet en prévision de sa rencontre avec la plaignante.
[215] L’objectif déclaré de la démarche visant uniquement à obtenir de l’information permettant de comprendre la distorsion entre ce qui s’est passé en 2008 et les gestes évoqués dans le blogue publié à son sujet ou simplement obtenir des clarifications, s’apparente à un prétexte pour justifier l’intervention auprès de la plaignante et n’est pas crédible.
[216] Sous le couvert de la quête d’informations, l’accusé cherche manifestement à faire taire la rumeur et laver sa réputation afin de pouvoir accéder à la Direction du journal Le Devoir.
[217] D’ailleurs, l’intervention de madame Payette dans un contexte où l’accusé a toujours espoir d’avoir le poste était utile uniquement si l’accusé était en mesure de laver sa réputation rapidement par l’obtention d’une preuve crédible établissant la fausseté des allégations ou en faisant taire cette rumeur. Autrement, le mal était fait en ce qui concerne la candidature de l’accusé au poste convoité.
[218] L’accusé affirme ne pas avoir demandé à madame Payette d’intercéder auprès de la plaignante en son nom. Or, après l’avoir conviée sous un faux prétexte, elle obtient une lettre signée de la plaignante dans laquelle elle affirme que les rumeurs ne sont pas fondées.
[219] Elle lui remet cette lettre qu’il utilise pour tenter d’obtenir le poste convoité au journal Le Devoir en la présentant à trois dirigeants, à savoir messieurs Descôteaux et Lamarre ainsi qu’à la présidente du Comité de sélection, madame Diane Wilhelmy.
[220] Si l’accusé n’a pas formulé une telle demande à madame Payette comme il l’affirme, le résultat en est tout autre et la lettre est néanmoins utilisée auprès des dirigeants du journal et de la présidente du Comité de sélection pour les convaincre de la fausseté de la rumeur et, ultimement, obtenir le poste qu’il désirait.
[221] Les éléments précédemment énoncés sont déterminants dans l’évaluation de la crédibilité de l’accusé et de la fiabilité de son témoignage.
[222] Après considération de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut qu’il ne croit pas l’accusé lorsque ce dernier affirme ne pas avoir commis les actes reprochés.
[223] Par ailleurs, le Tribunal ne retient pas son témoignage en ce qui concerne l’objectif poursuivi par ses démarches effectuées auprès de la plaignante après les évènements et celles opérées par l’entremise de madame Payette, qui visaient toutes à étouffer l’affaire.
c) Est-ce que le témoignage de l’accusé est susceptible de soulever un doute raisonnable même si le Tribunal ne le croit pas?
[224] Pour les motifs précédemment énoncés, le témoignage de l’accusé n’est pas plus susceptible de susciter un doute raisonnable, eu égard à l’ensemble de la preuve.
d) Même si le Tribunal n’a pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, est-ce qu’il est convaincu hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité en regard de l’ensemble de la preuve?
[225] Ainsi, en évaluant l’ensemble de la preuve, incluant le témoignage de la plaignante, le Tribunal doit déterminer si la poursuite a rencontré son fardeau d’établir hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé.
[226] Le Tribunal retient que le témoignage de la plaignante couvre tous les éléments essentiels des infractions.
[227] La preuve de la poursuite repose essentiellement sur le témoignage de la plaignante et l’analyse de la crédibilité de son témoignage est déterminante en l’espèce.
[228] Le Tribunal croit la plaignante en ce qui a trait aux actes reprochés à l’accusé et sur les démarches entreprises pour l’inciter à taire l’affaire malgré qu’il entretienne une certaine réserve sur son témoignage en raison d’éléments susceptible d’affecter la fiabilité et la crédibilité de son témoignage pour les motifs ci-après exposés.
Les éléments susceptibles d’affecter la fiabilité et la valeur probante du témoignage de la plaignante
[229] Le Tribunal considère à titre d’éléments qui sont susceptibles d’affecter la fiabilité et la valeur probante du témoignage de la plaignante les éléments suivants :
- Elle a initialement affirmé connaître l’accusé seulement de réputation avant 2008 et l’avoir connu personnellement uniquement lors de « l’école d’été », alors qu’elle a eu des échanges avec lui en 2006 dans lesquels elle sollicite de l’aide de l’INM pour la réalisation d’un spectacle;
- Elle a admis que sa mémoire des évènements était plus fiable à l’époque concomitante aux faits reprochés relativement à certains faits collatéraux et que, parfois, son souvenir est imparfait en regard de certains faits;
- Elle a affirmé que la lettre signée en présence de madame Payette contenait uniquement une mention qu’elle se distanciait des rumeurs alors qu’en réalité elle affirmait que l’histoire n’est pas fondée;
- Elle n’a pas de souvenir des discussions intervenues entre l’accusé et sa conjointe lors de la course en taxi au cours de laquelle le premier évènement a eu lieu alors que dans une déclaration écrite remise aux enquêteurs, elle a affirmé qu’ils discutaient de sujets liés à leur travail;
- Elle a mentionné dans une déclaration antérieure avoir pris place dans ce taxi à un endroit autre que derrière le siège du côté passager, malgré qu’elle soit toujours sur le siège arrière, à côté de l’accusé.
[230] Or, il ne faut pas perdre de vue, dans le cadre de cette analyse, qu’au moment des évènements la plaignante était âgée de 17 ans et que plus de 12 années se sont écoulées entre les évènements et le procès.
[231] En ce qui concerne ses réponses liées au contenu de la lettre, elle n’a pas conservé de copie et l’a révisée uniquement six ans plus tard, lorsqu’elle a été confrontée avec celle-ci en réouverture d’enquête, après qu’une copie fut transmise à la poursuite, pendant le procès, par des membres de la famille de madame Payette, alors que la défense était en possession de cette lettre.
[232] Le Tribunal considère que ces éléments ne sont pas déterminants et affectent tout au plus la valeur probante de son témoignage sur certains faits, pour la plupart collatéraux, et n’affectent en rien sa crédibilité.
Les éléments susceptibles d’affecter la crédibilité du témoignage de la plaignante
[233] Le Tribunal considère à titre d’éléments qui sont susceptibles d’affecter la crédibilité du témoignage de la plaignante les éléments suivants :
- Les modifications de l’enregistrement de l’entretien intervenu avec madame Payette le 19 octobre 2017 et sa remise aux enquêteurs, sans qu’ils soient avisés que l’enregistrement avait été modifié;
- Initialement elle n’admet pas clairement avoir coupé des extraits autrement qu’au début et à la fin de l’enregistrement;
- Elle affirme qu’au moment de l’enquête préliminaire, tenue en juillet 2019, elle n’avait pas de souvenir des modifications de l’enregistrement.
[234] Elle explique que l’utilité première de cet enregistrement était en prévision de sa sortie publique contre l’accusé. Elle affirme également qu’elle aurait pu remettre cet enregistrement aux journalistes qui auraient voulu s’assurer de la véracité de ses propos en ce qui a trait à ses échanges avec madame Payette.
[235] La plaignante justifie ces modifications de l’enregistrement en indiquant initialement qu’elle désirait y enlever les extraits non pertinents et pour l’écourter, puisqu’elle le considérait longuet.
[236] Or, les passages où Madame Payette se montre bienveillante à son égard ou lorsque cette dernière tente de la convaincre que l’idée de la lettre et son contenu n’émanent pas d’elle, au même titre que les propos permettant de croire qu’elle se distancie de l’accusé, sont également effacés. N’adhérant pas à la prétention de madame Payette qu’elle n’a pas agi pour l’accusé, elle fait également disparaître les propos en ce sens.
[237] On comprend qu’elle veut contrôler le message sur les médias sociaux advenant le cas où sa parole serait mise en doute relativement à l’intervention de madame Payette, qu’elle désapprouve, et ne veut surtout pas laisser croire qu’elle a librement consenti au contenu de la lettre signée en présence de cette dernière.
[238] On constate également que certains passages sont retirés, sans objectifs apparents, ou simplement pour limiter la diffusion d’éléments relevant de sa vie privée.
[239] Les passages où elle réitère toute son admiration à madame Payette sont également retirés.
[240] Selon la défense, ces altérations de l’enregistrement démontrent « une capacité de la plaignante de modifier les faits pour les rendre conformes à sa propre perception de la vérité » et de « présenter le message qu’elle veut bien tout en retranchant toute portion la contredisant ».
[241] Le Tribunal constate que la plaignante voulait contrôler, sur les médias sociaux, l’information portant sur les propos de madame Payette afin d’éviter qu’un message contradictoire soit véhiculé sur les circonstances entourant la signature de la lettre de rétractation.
[242] Il est par ailleurs surprenant que la plaignante n’ait pas eu de souvenir d’avoir effectué des modifications à l’enregistrement, au moment de l’enquête préliminaire, au même titre qu’elle n’ait pas eu de souvenir d’avoir effectué des modifications autres qu’au début et à la fin de celui-ci, lors du procès.
[243] Le Tribunal retient toutefois les éléments suivants :
- L’original de l’enregistrement de l’entretien a été produit en preuve dans le cadre du procès;
- La plaignante n’a pas tenté d’induire la Cour en erreur au procès avec l’enregistrement de la conversation modifié et n’a pas nié l’avoir modifié;
- La plaignante a admis, sans réticence, que la remise de l’enregistrement modifié était susceptible d’induire en erreur et qu’elle aurait dû remettre la version intégrale dès le départ;
- La version intégrale de l’enregistrement de l’entretien avec madame Payette est parfaitement compatible avec son témoignage;
- L’enregistrement modifié a été transmis aux enquêteurs uniquement en juin 2018, selon les admissions de la défense et de la poursuite, soit près de huit mois après les altérations.
[244] Le Tribunal croit la plaignante lorsqu’elle affirme ne pas avoir eu l’intention d’induire en erreur les enquêteurs ou de mentir à la Cour.
[245] Elle paraît par ailleurs sincère lorsqu’elle affirme avoir commis une erreur en effectuant les modifications à l’enregistrement comme il lui arrive de le faire dans le cadre de son travail de réalisatrice.
[246] Les modifications de l’enregistrement n’ont aucunement dénaturé la réalité en lien avec les faits reprochés à l’accusé et présentés devant le Tribunal.
[247] Pour ce qui est d’avoir affirmé faussement à l’émission 24/60 de Radio-Canada ne pas avoir informé ses proches des actes reprochés à l’accusé, alors que sa mère a été informée quelques jours après les évènements, le Tribunal retient qu’il s’agit d’une déclaration irréfléchie qui a été faite dans le feu de l’action et qui n’est pas déterminante dans le cadre de l’évaluation de la crédibilité de la plaignante. Le Tribunal a néanmoins remarqué une certaine réticence à admettre que l’affirmation qu’elle a faite est inexacte.
L’évènement du taxi
[248] En ce qui concerne l’acte reproché lors de la course en taxi, le Tribunal considère qu’il y a trop d’incertitudes pour conclure qu’une preuve hors de tout doute raisonnable a été administrée en ce que :
- La plaignante a indiqué dans une déclaration antérieure qu’elle croyait que l’acte était involontaire;
- La plaignante, qui n’a pas de souvenir de cette mention, reconnaît avec transparence que, si elle a fait cette déclaration à une période plus contemporaine aux évènements, il est fort probable que ce soit conforme à la vérité.
Le Tribunal retient le témoignage de la plaignante quant aux questions fondamentales
[249] Malgré les éléments pouvant affecter la valeur probante et la crédibilité de son témoignage précédemment énoncés, le Tribunal croit la plaignante lorsqu’elle affirme avoir été agressée sexuellement par l’accusé ainsi que sur les circonstances entourant les évènements.
[250] Son témoignage en regard des pressions exercées pour qu’elle taise l’affaire, tant par l’accusé que par madame Payette, est également retenu.
[251] Sous réserve de ce qui précède, le Tribunal constate que la plaignante a rendu un témoignage qui a paru franc, sincère et transparent.
[252] Dans le cadre de l’évaluation de sa crédibilité, le Tribunal retient ce qui suit :
- Son témoignage est structuré, précis, cohérent et ne laisse place à aucune ambiguïté;
- Elle s’efforce de répondre le plus précisément possible aux questions permettant d’éclairer le Tribunal sans ajouts de faits collatéraux superflus;
- Elle s’assure de bien comprendre les questions avant de répondre;
- Elle apporte régulièrement les précisions ou nuances nécessaires pour s’assurer de répondre le plus exactement possible et n’hésite pas à corriger son témoignage si elle réalise des imprécisions dans celui-ci;
- Sa version des faits est demeurée constante malgré les questions pointilleuses posées en contre-interrogatoire, sous les différents angles possibles;
- Elle admet sans réticence que son souvenir était meilleur à une époque plus contemporaine aux évènements;
- Elle n’hésite pas à reconnaître les imperfections de son témoignage ou parfois le caractère incertain de son souvenir en regard de certains faits collatéraux;
- Elle ne tente pas de combler faussement les vides causés par les questions demeurées sans réponses par l’absence de souvenirs calculés et volontaires;
- Elle est en mesure de donner des détails et des précisions tant sur les éléments périphériques que sur les éléments principaux du dossier;
- Elle est demeurée inébranlable malgré un contre-interrogatoire serré, habilement mené;
- Il n’y a aucune contradiction importante ou déterminante dans son témoignage;
- Son témoignage est sobre en regard de l’accusé qu’elle ne tente pas de dénigrer, malgré les faits reprochés;
- Même si elle a vécu une déception manifeste en ce qui a trait à l’intervention de madame Payette, elle présente les faits de façon objective en demeurant respectueuse de la personne qu’elle a tant admirée dans le passé.
[253] D’autre part, plusieurs indices révélateurs de la sincérité de la plaignante ont été constatés par le Tribunal lorsque, par moment, elle a laissé paraître une certaine émotivité, notamment en relatant les actes précis qui constituent l’agression sexuelle reprochée.
[254] Elle a, de plus, paru sincèrement préoccupée par les conséquences de sa dénonciation sur la famille de l’accusé, précisant qu’elle ne voulait pas faire de tort aux membres de celle-ci.
[255] Le Tribunal arrive à la conclusion que « les faiblesses ou imperfections » dans le témoignage de la plaignante ne minent pas « sa crédibilité quant aux questions fondamentales » et son témoignage demeure une preuve crédible établissant la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable[20].
[256] Sans lui prêter de mauvaises intentions, le Tribunal ne peut retenir les propos de madame Payette lorsqu’elle affirme, au cours de l’entretien enregistré, avoir agi dans l’intérêt de la plaignante et à sa demande, que le contenu de la lettre de rétractation d’allégations provient de cette dernière, qu’elle a agi au bénéfice de la famille de l’accusé et non pas pour ce dernier et qu’elle n’a pas conservé de copie de la lettre signée par elle et la plaignante.
[257] Quant aux témoignages de la mère de la plaignante, madame S. C., et celui de son collègue de travail de l’époque, monsieur C., le Tribunal considère leurs témoignages crédibles, objectifs, fiables et sans failles.
[258] Leurs témoignages sont sans équivoques quant au dévoilement rapide des actes de l’accusé.
[259] Conformément à l’arrêt R. c. Dinardo[21], le dévoilement de ces actes ainsi que les circonstances entourant celui-ci par la plaignante à sa mère et à son collègue de travail de l’époque, monsieur C., permettent au Tribunal de comprendre le cadre logique du déroulement des évènements et ainsi apprécier la sincérité de la plaignante, sans toutefois utiliser ces propos pour confirmer son témoignage.
[260] Les constatations relativement au comportement de la plaignante, les jours suivants les évènements, sont également des éléments à considérer dans l’ensemble de la preuve[22].
IX. CONCLUSIONS
[261] Le Tribunal ne croit pas l’accusé et sa défense n’est pas susceptible de susciter un doute raisonnable.
[262] En considérant l’ensemble de la preuve incluant le témoignage de la plaignante qu’il retient, celui de madame S. C., celui de monsieur C., l’enregistrement de l’entretien avec madame Payette ainsi que le témoignage de l’accusé qu'il rejette, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité.
[263] Ainsi, le Tribunal arrive à la conclusion que la poursuite s’est déchargée de son fardeau d’établir la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable.
[264] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[265] DÉCLARE L’ACCUSÉ COUPABLE des deux chefs d’accusation.
[266] PRONONCE la suspension conditionnelle sur le deuxième chef d’accusation considérant la règle interdisant les condamnations multiples en application de l’arrêt Kienapple de la Cour suprême.
|
_____________________________ STÉPHANE POULIN, J.C.Q. |
Me Michel Bérubé |
|
Procureur aux poursuites criminelles et pénales |
|
|
|
Me Lida Sara Nouraie et Me Nicolas St-Jacques |
|
Procureurs de l'accusé |
[1]
Lalonde c. La Reine,
[2]
R. c. Oakes,
[3]
R. c. Lifchus,
[4]
R. c. Villaroman,
[5]
R. v. Denis Guindon, 2020 ONSC 1449, par. 141; R. c.
St-Jacques,
[6]
R. c. Rozon,
[7]
R. c. W. (D.),
[8]
Nadeau c. La Reine,
[9]
R. c. Avetysan,
[10] Nadeau c. La Reine, préc., note 8.
[11]
R. c. Atif,
[12]
R. c. François,
[13]
R. c. Cloutier,
[14]
St-Denis c. R.,
[15] R. v. Wylie, 2012 ONSC 1077, par. 80; R. v. Howe, 2005 CanLII 253 (ON CA), par. 44.
[16]
R. c. S. J.,
[17]
R. v. Denis Guindon, préc., note 5, par. 140; R. v. L.
L.,
[18] R. c. Viau, 1989 CanLII 896 (QC CA); R. c. Bitemo Kifoueti, préc., note 16, par. 36; R. c. Jones, 1992 CanLII 2971 (QC CA), p. 4.
[19]
Gélinas c. R.,
[20]
R. c. H.S.B.,
[21]
R. c. Dinardo,
[22]
R. c. Kishayinew,
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