Décision

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Placements Gervasi enr. c. Citadelle (La), compagnie d'assurances générales

2006 QCCS 3694

  JD 2315

 
COUR SUPÉRIEURE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-016630-033

 

 

DATE :

11 juillet 2006

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHEL DÉZIEL, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

PLACEMENTS GERVASI ENR.

 

et

 

FIDUCIE LANGELIER

 

Demanderesses

c.

 

LA CITADELLE COMPAGNIE D'ASSURANCES GÉNÉRALES

 

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Les demanderesses, Placements Gervasi Enr. (Gervasi) et Fiducie Langelier (Langelier) sont propriétaires d'un immeuble situé au 8500 boulevard Langelier, à St - Léonard, ville de Montréal. Le matin du 27 janvier 2003, le représentant des demanderesses constate des dommages causés à l'immeuble par un bris de tuyauterie.

[2]                La défenderesse, La Citadelle Compagnie d'assurances Générales (La Citadelle) nie couverture en invoquant l'application de la clause d'exclusion pour vacance prévue à la police. Dans sa défense, elle invoque un deuxième motif : le défaut d'aviser de cette vacance constitue une aggravation du risque.

I.          Les faits

[3]                Il s'agit d'un immeuble commercial de deux étages d'une superficie d'environ 5,742 pieds carrés au rez-de-chaussée et de 5,677 pieds carrés à l'étage pour un total de 11 419 pieds carrés.

[4]                Le 18 janvier 1978, la Banque Royale du Canada loue l'immeuble au complet.

[5]                En 2000, la Banque Royale du Canada sous-loue les lieux à un courtier d'assurances, Joseph D'Onofrio et Associés inc. (D'Onofrio) pour la période du 1er juillet 2000 au 31 octobre 2002 à l'exception d'une superficie de 372 pieds carrés.

[6]                La Banque Royale du Canada ferme sa succursale mais conserve un espace où est emménagé un guichet automatique auquel les clients ont accès en tout temps. Un petit local fermé à clef est emménagé à l'arrière du guichet pour l'entretenir et l'alimenter.

[7]                En effet, le 1er octobre 2002, la Banque Royale du Canada dépose une offre de location pour ce local de 372 pieds carrés, acceptée par Gervasi le 21 novembre 2002[1]. Le bail expire le 31 octobre 2006.

[8]                À la fin de son bail, le 31 octobre 2002, D'Onofrio quitte les lieux loués.

[9]                Les demanderesses mettent une pancarte au devant de l'immeuble sur laquelle il est écrit « À vendre ou à louer » et ce, dès septembre 2002.

[10]            Madame Franca Gervasi, administratrice principale des demanderesses, a la charge de transiger avec le courtier d'assurances pour assurer les immeubles qu'elles possèdent.

[11]            Elle n'avise pas le courtier d'assurances du départ de D'Onofrio puisqu'il s'agit d'une situation temporaire et que son gendre, Salvatore Zambito (Zambito) effectue des visites régulières de l'immeuble.

[12]            À compter du départ de D'Onofrio, Zambito visite à chaque matin les deux étages de l'immeuble et inspecte les lieux. Ces visites durent de 20, 25 ou 30 minutes.

[13]            Zambito dit avoir effectué une soixantaine de visites avec des clients potentiels ou des gens envoyés par ceux-ci pour examiner le bâtiment et les lieux et ce, en plus de ses visites quotidiennes.

[14]            Le 27 novembre 2002, madame Gervasi mandate un courtier et signe un contrat exclusif de courtage immobilier pour la vente de l'immeuble expirant le 31 mai 2002. Le courtier effectue deux visites avec des clients les 13 et 14 janvier 2003. La pancarte des demanderesses est enlevée pendant la durée du mandat.

[15]            Malgré le départ de D'Onofrio, l'immeuble est chauffé, à 21ºC. ou 22ºC., et partiellement éclairé à l'intérieur pendant la nuit. À l'extérieur, l'immeuble est toujours éclairé la nuit.

[16]            Le stationnement qui s'étend sur les côtés et l'arrière du bâtiment est déneigé. Des stores verticaux sont installés dans les fenêtres.

[17]            En somme, l'immeuble ne démontre pas d'indices d'abandon.

[18]            Lors de la visite du vendredi 24 janvier 2003, rien d'anormal n'est constaté par Zambito.

[19]            Lors de sa visite matinale du lundi 27 janvier 2003, il constate la présence d'eau sur le plancher du rez-de-chaussée. Cette eau coule du plafond. Il ferme la valve d'alimentation de l'eau.

[20]            Zambito contacte un plombier qui, vient réparer, dans l'après-midi du 27 janvier 2003, deux tuyaux fendus par le gel. Ceux-ci sont situés dans le mur extérieur du bâtiment, à l'étage.

[21]            Madame Gervasi avise son courtier d'assurances, Mathieu Lachance, le 27 janvier 2003. Elle mandate par la suite un expert en sinistre.

[22]            Les dommages sont admis à la somme de 109 344 $.

II.         Prétention des parties

[23]            La Citadelle reproche aux demanderesses de ne pas avoir avisé le courtier ni l'assureur du départ du locataire et du fait que l'immeuble était vacant.

[24]            La Citadelle invoque l'application de la clause d'exclusion 5.A. b) qui prévoit que la police ne couvre pas les dommages « to property at locations which, to the knowledge of the Insured, are vacant, unoccupied or shut down for more than thirty (30) consecutive days ».

[25]            La Citadelle invoque aussi l'application des clauses 1.2 et 1.3 des conditions générales de la police qui traitent de l'obligation de l'assuré d'aviser l'assureur des facteurs d'aggravation du risque assuré ainsi que des fausses représentations et/ou réticences de l'assuré. Ces dispositions reproduisent en fait celles que l'on retrouvent aux articles 2410, 2411, 2466 et 2467 du Code civil du Québec.

[26]            Malgré l'exploitation du guichet automatique dans le local de 372 pieds carrés, La Citadelle prétend que l'immeuble est vacant puisqu'il n'y a pas de présence physique dans l'immeuble.

[27]            Les demanderesses réfutent ces arguments et soutiennent que l'immeuble n'était pas vacant, vu l'exploitation du guichet automatique 24 heures sur 24 et les visites régulières de Zambito. Ils soutiennent qu'il n'y a pas aggravation du risque.

[28]            De plus, elles plaident que l'assureur est forclos d'invoquer la clause d'aggravation du risque, ne l'ayant pas invoqué dans son refus d'indemnité.

III.        Analyse

A.         L'immeuble est-il vacant ?

[29]            Le risque assuré est décrit comme suit dans la police d'assurance émise pour la période du 18 mars 2002 au 18 mars 2003 :

Building owner (By others: office and bank)

[30]            Lors de l'émission de cette police, les lieux sont occupés par D'Onofrio sauf la partie où est situé le guichet exploité par la Banque Royale du Canada.

[31]            Lors du sinistre, 372 pieds carrés sont occupés.

[32]            La preuve établit que l'immeuble n'était pas totalement vacant, inoccupé ou fermé lors du sinistre. La clause invoquée par La Citadelle utilise les mots « vacant, unoccupied or shut down ».

[33]            En effet, même si la Banque Royale du Canada n'occupe qu'un espace restreint par rapport à la superficie totale, des activités s'exercent au guichet.

[34]            Le local de 372 pieds carrés est complètement fermé par un mur intérieur qui n'a aucun accès au reste de l'immeuble. Seule une porte extérieure située sur le côté gauche de l'édifice permet au public d'accéder au guichet. Une deuxième porte extérieure permet l'accès à l'arrière du guichet.

[35]            La preuve démontre que ce guichet attire un achalandage important puisqu'il s'agit du seul guichet de la Banque Royale du Canada en fonction dans le secteur. Suite à la fermeture de la succursale, les clients ont continué de fréquenter ce guichet.

[36]            Les employés de la banque et de Securicor viennent régulièrement entretenir et alimenter le guichet.

[37]            Même si aucun employé de la Banque n'y travaille en permanence, l'exploitation de ce guichet amène un va-et-vient fréquent 24 heures sur 24. D'ailleurs, telle était l'activité qui s'exerçait lors de l'émission de la police d'assurance le 18 mars 2002.

[38]            La photo de l'immeuble[2] démontre l'existence d'une pancarte bien en vue sur la devanture de l'immeuble et de deux plus petites sur le côté gauche de l'immeuble indiquant la présence du guichet automatique de la Banque Royale du Canada.

[39]            Une pancarte du courtier immobilier Élan est installée sur la devanture droite de l'immeuble à la droite de l'entrée principale de l'immeuble. La nuit, tout le tour de l'édifice est éclairé.

[40]            Les photos prises à l'intérieur démontrent l'absence de mobilier à l'exception d'un meuble à la réception[3]. Cependant, cette situation n'est pas visible de l'extérieur vu la présence de stores dans les fenêtres.

[41]            Le mot « vacant » n'est pas défini dans le contrat. Le doute doit bénéficier à l'assuré lorsqu'il faut interpréter les termes utilisés. C'est ce que nous dit le juge Bernier de la Cour d'appel dans l'arrêt Paquet c. Aetna Casualty du Canada, Cie d'Assurance :

Le mot « vacant » n'est pas défini dans le contrat; aussi doit-il être pris dans son sens usuel, compte tenu du contexte où on le retrouve.

Il s'agit ici d'un contrat d'assurance où le doute doit bénéficier à l'assuré, l'interprétation des termes employés devant être contra proferentem, soit contre l'assureur.

La définition tirée du dictionnaire Robert[4], citée par le juge, montre bien l'ambivalence de ce terme lorsque pris hors contexte : « Vacant … Qui n'est pas rempli, qui est libre. V. Disponible, libre, inoccupé. Logement vacant, Lit vacant. »

[42]            La clause invoquée n'utilise pas les termes

totally vacant

totally unoccupied

totally shut down

[43]            La présence du guichet automatique exploité par la Banque Royale du Canada empêche l'application de la clause 5.A. b) invoquée par La Citadelle. Il faut retenir l'interprétation favorable à l'assuré.

[44]            Il ne s'agit pas d'un immeuble abandonné. Le juge Bernier, dans l'arrêt Paquet c. Aetna Casualty du Canada, Cie d'Assurance précité écrit que « le concept de maison vacante comporte un élément d'abandon[5] » :

Par ailleurs, « vacant », par rapport à une maison d'habitation, à mon avis veut dire vide d'occupants au sens physique en ce que personne ne l'habite et, au sens juridique, en ce qu'elle n'est le lieu de résidence de quiconque; vide du côté usage en ce qu'on ne l'utilise pas comme maison d'habitation ou en vue de l'habiter; et vide de son contenu matériel, n'offrant même plus les signes extérieurs d'habitation. Elle ne sera qu'inoccupée mais non vacante si cet état n'est que temporaire et directement relié à son occupation ou son usage par la personne à qui elle sert ou servira de résidence. Le concept de maison vacante comporte un élément d'abandon.

[45]            Le juge Mayrand, dans ce même arrêt[6] lorsqu'il parle d'une maison vacante écrit :

Dans la citation il y avait ceci d'écrit avant : La maison vacante est celle qui est disponible, n'étant pas réservée pour une personne ou une famille prête à l'occuper prochainement.

Tel est le cas de la maison quittée par un locataire, où personne n'habite et que le propriétaire cherche à louer.

[46]            L'arrêt Paquet a trait à une maison d'habitation. Cependant, les principes émis peuvent s'appliquer à un immeuble commercial en les adaptant.

[47]            Quant à la partie inoccupée, il s'agit d'une inoccupation temporaire. Les demanderesses voulaient relouer ou vendre les lieux dès que possible puisqu'ils installent dès septembre 2002 une pancarte à cet effet. Ils confient aussi un mandat à un courtier immobilier le 27 novembre 2002.

[48]            Dans les circonstances, le Tribunal est d'avis que l'immeuble n'était pas vacant, inoccupé ou fermé.

[49]            Le juge Dufresne[7], alors à la Cour supérieure, écrivait ce qui suit sur l'occupation partielle :

La preuve établit que les propriétaires ont occupé de façon temporaire l'immeuble pour des fins de rénovations rendues nécessaires. Dans les circonstances, l'immeuble n'était pas inoccupé. L'inoccupation temporaire, en l'espèce, est insuffisante pour donner application à la clause d'exclusion ou, dit autrement, l'occupation partielle des propriétaires pendant la période des travaux est suffisante, dans les circonstances de la présente affaire, pour écarter l'application de la clause d'exclusion de la police d'assurance. Le Tribunal est d'avis qu'en l'espèce, la clause d'exclusion ne s'applique pas.

[50]            L'inoccupation partielle ou la vacance partielle est insuffisante pour donner application à la clause d'exclusion. L'exploitation du guichet automatique est suffisante, dans les circonstances de la présente affaire, pour écarter la clause d'exclusion de la police d'assurance :

B.        L'assuré a-t-il fait défaut de respecter les clauses 1.2 et 1.3 de la police d'assurance ?

[51]            Les clauses 1.2 et 1.3 prévoient spécifiquement le droit de l'assureur de résilier la police d'assurance :

1.2        Material change in risk (Articles 2466 and 2467)

The Insured shall promptly notify the Insurer of any change that increases the risks stipulated in the policy and that results from events within his control if it is likely to materially influence an insurer in setting the rate of the premium, appraising the risk or deciding to continue to insure it.

On being notified of any material change in the risk, the Insurer may cancel the contract or propose, in writing, a new rate of premium. Unless the new premium is accepted and paid by the Insured within thirty days of the proposal, the policy ceases to be in force."

1.3        Misrepresentations or concealment (Articles 2410, 2411 and 2466)

Any misrepresentation or concealment of relevant facts mentioned in section 1.1 and in the first paragraph of section 1.2 by the client or the Insured nullifies the contract at the instance of the Insurer, even in respect of losses not connected with the risk so misrepresented or concealed.

Unless the bad faith of the client or of the Insured is established or unless it is established that the Insurer would not have covered the risk if he had known the true facts, the Insurer remains liable towards the Insured for such proportion of the indemnity as the premium he collected bears to the premium he should have collected."

[52]            Les 2466 et 2467 du Code civil se lisent comme suit :

Art. 2466. L'assuré est tenu de déclarer à l'assureur, promptement, les circonstances qui aggravent les risques stipulés dans la police et qui résultent de ses faits et gestes si elles sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l'établissement du taux de la prime, l'appréciation du risque ou de la décision de maintenir l'assurance.

Lorsque l'assuré ne remplit pas cette obligation, les dispositions de l'article 2411 s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires.

Art. 2467. L'assureur qui est informé des nouvelles circonstances peut résilier le contrat ou proposer, par écrit, un nouveau taux de prime, auquel cas l'assuré est tenu d'accepter et d'acquitter la prime ainsi fixée, dans les trente jours de la proposition qui lui est faite, à défaut de quoi la police cesse d'être en vigueur.

Toutefois, s'il continue d'accepter les primes ou s'il paie une indemnité après un sinistre, il est réputé avoir acquiescé au changement qui lui a été déclaré.

[53]            Comme nous l'avons vu, l'objet de l'assurance est d'assurer « office and bank ».

[54]            D'Onofrio a quitté les lieux depuis le 31 octobre 2002. À première vue, il s'agit d'une aggravation importante du risque comme l'ont affirmé les représentants de La Citadelle, Robert Laflamme et Francine Bluteau.

[55]            La preuve démontre que La Citadelle ne couvre pas le genre de risque qui existait lors de ce sinistre.

[56]            Pour La Citadelle, l'opération d'un guichet implique l'absence d'employés sur place. L'immeuble selon les critères de souscription de La Citadelle était donc vacant et non assurable.

[57]            La Citadelle a fait entendre monsieur Jean Moisan de l'Union Canadienne qui couvre des risques semblables à ceux couverts par La Citadelle.

[58]            Jean Moisan décrit le risque couvert à l'émission de la police comme excellent. Le jour du sinistre, l'immeuble se situe dans une classe de risque « piètre ».

[59]            Comme La Citadelle, l'Union Canadienne n'aurait pas assuré le risque après le départ de D'Onofrio. L'Union Canadienne aurait aussi résilié le contrat d'assurance comme l'a fait La Citadelle le 12 février 2003 par sa lettre signifiée le 17 février 2003.

[60]            La Citadelle a cité deux jugements pour appuyer sa position de refuser de payer l'indemnité réclamée lorsqu'il y a aggravation d'un risque contrôlé par l'assuré.

[61]            Le premier a été rendu par la Cour d'appel. Celle-ci confirme, dans un arrêt du 25 février 2002[8], un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une action en réclamation d'une indemnité d'assurance à la suite de vandalisme et d'un incendie. On y lit ce qui suit :

À compter du moment où le créancier hypothécaire prend possession de l'immeuble pour fins de gestion et qu'il est informé de son état de vacance, c'est lui et non plus le débiteur hypothécaire qui contrôle le risque. En d'autres termes, c'est le créancier hypothécaire qui est responsable ou qui contrôle l'état de vacance de l'immeuble. Or, cet état, s'il se perpétue pendant plus de 30 jours, donne lieu à l'application de la clause d'exclusion du contrat d'assurance.

Le premier alinéa de la clause hypothécaire prévoit le maintien en vigueur du contrat d'assurance même dans le cas où l'assuré a contribué à une augmentation du risque. Le deuxième alinéa apporte un tempérament à cet énoncé en exigeant que le créancier hypothécaire avise l'assureur d'une telle situation, lorsque celle-ci est à sa connaissance.

Il s'ensuit que, dans la mesure où le créancier hypothécaire n'avise pas l'assureur de l'aggravation d'un risque qu'il contrôle, la protection offerte par la clause hypothécaire ne sera pas maintenue en vigueur.

[62]            Le deuxième jugement a été rendu par le juge Nolin. Celui-ci rejette une action en remboursement d'une indemnité suite à un incendie[9]. Dans cette affaire, l'immeuble assuré abrite un commerce d'épicerie et de dépanneur de même qu'une aire de logement à l'étage. Le juge Nolin analyse la réclamation sous l'aspect d'une assurance commerciale puisqu'il s'agit d'une assurance commerciale avant d'être résidentielle.

[63]            Il écrit ce qui suit :

Un changement de risque d'assurance implique une aggravation de risque en soi, ce que sanctionne l'article 2566 C.C., alors que la couverture d'assurance déjà consentie n'est plus applicable tel que convenu, soit à compter de l'époque de l'introduction du changement entrepris. C'est ainsi que se conçoit la garantie d'assurance.

L'appréciation du risque par un assureur raisonnable, soit à la lumière du changement que l'assuré entreprend à son insu, ne comporte alors qu'une simple démonstration d'un assureur prudent, compétent et prévoyant. L'assuré se doit de repousser l'affirmation de l'assureur que le changement entrepris est cause d'aggravation du risque assuré parce qu'alors « l'objet du contrat est en quelque sorte modifié[10] ».

[64]            Malgré les mesures prises par les demanderesses - les visites quotidiennes sur semaine - il y a aggravation du risque pour La Citadelle.

[65]            Les visites quotidiennes confirment l'aggravation du risque. C'est ainsi que s'exprime la Cour d'appel dans l'arrêt Quart c. Royal Insurance Co.[11] :

… Le fait de la visiter régulièrement et de la faire surveiller, ne change pas la stipulation, au contraire la confirme; on redouble de surveillance à cause du danger inhérent que comporte cet état.

[66]            Comme l'a mentionné Robert Laflamme, il aurait d'abord exigé de couper l'alimentation de l'eau, s'il avait été avisé, dès le 1er novembre 2002, du départ de D'Onofrio.

C.        La Citadelle est-elle forclose de plaider l'aggravation du risque ?

[67]            L'aggravation du risque n'entraîne pas l'annulation automatique d'une police d'assurance.

[68]            La clause 1.2 permet à l'assureur d'annuler la police ou de proposer un nouveau taux de prime.

[69]            La clause 1.3 prévoit une indemnisation proportionnelle à la prime reçue en cas de mauvaise foi de l'assuré ou si l'assureur fait la preuve qu'il n'aurait pas assuré le risque.

[70]            Le juge Gonthier, dans l'arrêt Cumis édicte que :

Il faut d'autre part, de l'aggravation de risque, distinguer l'exclusion de risque ou non-assurance. La distinction repose, en réalité, sur une question de nature entre l'aggravation et l'exclusion de risque : dans l'un et l'autre cas, on est en présence d'un risque qui, d'après le contrat, n'a pas été pris en charge par l'assureur. Mais, au regard de ces deux situations, la volonté des parties, spécialement de l'assureur, n'est pas la même et ne produit pas les mêmes effets. Lorsqu'il y a exclusion de risque, l'assureur manifeste explicitement sa volonté de ne jamais couvrir le risque exclu : à l'avance, il déclare ne pas le prendre en charge, de sorte que, si ce risque exclu se réalise ou si, ce qui revient au même, un sinistre se produit en dehors des conditions précises posées par la police, l'assuré n'a droit à aucune garantie : il y a en ce cas purement et simplement non-assurance […] Au contraire l'aggravation de risque est un risque qui, non pris en charge dans le contrat, est susceptible de l'être par la suite. Certes l'assureur ne s'engage pas, de façon ferme, à garantir les risques aggravés. Mais il ne refuse pas catégoriquement de les couvrir, se réservant d'apprécier ultérieurement la situation et, suivant les cas, d'exiger une surprime ou de résilier …[12]

[71]            Les demanderesses ont raison de plaider que La Citadelle ne peut soulever d'autres motifs que ceux invoqués dans le refus d'indemnité.

[72]            Elles invoquent un arrêt de la Cour d'appel[13] qui édicte que le défaut de l'assureur d'invoquer un motif de refus constitue une renonciation tacite à l'invoquer.

[73]            Dans cet arrêt, l'assureur avait refusé de verser l'indemnité d'assurance suite au décès de l'assuré en invoquant son défaut de divulguer son ischémie cérébrale. Dans sa défense, l'assureur a invoqué un deuxième motif, l'alcoolisme. Le juge Robert conclut comme suit :

Je conclus en précisant qu'en l'espèce l'assureur a fait son lit en toute connaissance de cause et délibérément choisi de ne pas invoquer l'alcoolisme comme motif de refus de couverture. La situation serait différente si l'assureur avait découvert ce motif après son enquête initiale et après sa lettre du 13 mars 1989. Le comportement de l'assureur équivaut à une renonciation tacite à invoquer ce moyen. La bonne foi étant le fondement même du contrat d'assurance, l'assuré était justifié de conclure que le seul motif de refus de couverture était l'absence de mention de l'ischémie cérébrale.

Le juge de première instance a eu raison de décider que l'intimée était forclose de plaider l'alcoolisme du proposant.

[74]            La Citadelle n'invoque que l'inoccupation de plus de 30 jours dans sa lettre du 10 février 2003[14]. Elle le confirme dans sa lettre adressée au courtier d'assurances dans une lettre datée du 6 mars 2003[15]. Robert Laflamme réfère seulement à la clause d'exclusion 5A. b). Il ne fait aucune référence aux clauses 1.2 et 1.3.

[75]            La Citadelle cite en réplique un jugement de la Cour supérieure[16] qui ne peut recevoir application puisqu'il s'agissait d'un cas de changement d'affectation exclu de la couverture.

[76]            Dans cette affaire, la Lloyd's assurait une habitation résidentielle et excluait spécifiquement un usage commercial.

[77]            L'assuré ayant loué une partie de l'immeuble en « resto pub », la juge Gaudreau a conclu qu'il s'agissait d'un risque exclu.

D.        Ré-ouverture d'enquête

[78]            Pendant le délibéré, le Tribunal a accepté de ré-ouvrir l'enquête aux seules fins de produire la police d'assurance complète en vigueur pour les périodes du 18 mars 2003 au 18 septembre 2003 et du 24 décembre 2003 au 24 juin 2004. De plus, chaque partie a eu l'autorisation de produire une argumentation écrite additionnelle.

[79]            La police d'assurance émise[17] pour la période du 18 mars 2003 au 18 septembre 2003 décrit l'occupation « vacant building ».

[80]            Cette police fait l'objet d'un avenant[18] pour décrire comme suit l'occupation : « vacant offices and Royal Bank ATM machine ». La franchise passe de 1 000 $ à 10 000 $.

[81]            Les parties ont aussi produit copie de la police d'assurance émise pour la période du 18 septembre 2003 au 18 mars 2004 qui établit la prime à 8 488 $ pour 6 mois.

[82]            Vu la location d'un local, l'assureur annule cette police le 24 décembre 2003 donne un crédit de 3 939 $, émet une nouvelle police d'une durée de 6 mois expirant le 24 juin 2004 et établit la prime au montant de 8 488 $. L'occupation est décrite comme suit : « Royal Bank ATM machine, Islamic Cultural Exchange Hall & vacant ».

[83]            La prime est demeurée la même malgré la présence du Centre Islamique.

[84]            On peut comprendre l'augmentation de la prime et de la franchise dans le contexte du sinistre survenu en janvier 2003 et du refus d'indemnité par La Citadelle.

[85]            Les documents additionnels font référence à la période postérieure au sinistre. La situation factuelle a changé.

[86]            La Citadelle ne peut les invoquer pour appuyer ses prétentions sur la question en litige de la vacance de plus de 30 jours.

[87]            Le tribunal a déjà décidé que l'immeuble n'était pas vacant lors du sinistre, selon les termes de la police d'assurance. Cette conclusion demeure la même.

E.        Conclusion

[88]            Les demanderesses ont donc droit à l'indemnité d'assurance, soit le montant de 109 334 $, tel qu'admis par les parties.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie la requête introductive d'instance;

CONDAMNE la défenderesse à payer aux demanderesses la somme de 109 334 $ avec les intérêts depuis l'assignation majorés de l'indemnité additionnelle;

LE TOUT AVEC DÉPENS.

 

__________________________________

MICHEL DÉZIEL, j.c.s.

 

Me Carole Beaucage

Procureur des demanderesses

 

Me Nathalie Cantin

LAVERY, DE BILLY

Procureur de la défenderesse

Dates d’audience :

30 et 31 mai 2006

 



[1] P-8

[2] D-1

[3] P-10

[4] P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, t. 6, Paris, Société du Nouveau Littré, 1969, p. 733.

[5] Paquet c. Aetna Casualty du Canada, Cie d'Assurance, [1984] C.A. p. 166, j. Bernier

[6] Paquet c. Aetna Casualty du Canada, Cie d'Assurance, [1984] C.A. p. 167, j. Bernier

[7] Luc Brodeur et Gaétan Cyr c. Mark J. Oppenheim, 7 décembre 1999, C.S., p. 3, al. 21, j. Dufresne

[8] American Home Insurance Co. c. Axa Assurances Inc., [2002], C.A., R.R.A. 20, jj. Baudouin, Nuss et Thibault;

[9] Filteau c. Compagnie d'assurances Guardian du Canada, [1997], C.S., R.R.A. 823, j. Nolin

[10] Jean-Guy Bergeron. Les contrats d'assurance (terrestre) : lignes et entre-lignes. Tome 2. Sherbrooke : S.E.M., 1992, p. 285

[11] Quart c. Royal Insurance Co., (1973) C.A., p. 912, jj. Beetz, Kaufman

[12] Cumis Insurance Society Inc. c. Lejeune, [1989] 2 R.C.S. 1048 , p. 9

[13] Micheline Lapointe-Boucher c. La Mutuelle-vie des fonctionnaires, C.A., (1996) R.R.A. 957 , pages 960 à 964

[14] P-3

[15] D-5

[16] Milad c. Lloyd's of London, C.S. [2005] R.R.A. 137 , j. M. Gaudreau

[17] D-5

[18] D-6

AVIS :
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