Décision

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Syndicat des professeures et professeurs de l'Université du Québec à Trois-Rivières c

Syndicat des professeures et professeurs de l'Université du Québec à Trois-Rivières c. Tremblay

2007 QCCS 569

JT1185

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

 

N° :

400-17-001126-065

 

 

 

DATE :

 8 février 2007

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

GEORGES TASCHEREAU, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

SYNDICAT DES PROFESSEURES ET PROFESSEURS DE L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES, association de salariés au sens du Code de travail (L.R.Q., c. C-27) et personne morale légalement constituée en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels (L.R.Q., c. S-40) dont le siège est situé au 3351, boulevard des Forges, au Pavillon Ringuet dans la cité et le district de Trois-Rivières,

Requérant,

c.

Me DENIS TREMBLAY, ès qualités d'arbitre de griefs au sens du Code du travail, ayant sa place d'affaires au 821, boulevard Pie XII, dans la cité et le district de Québec,

Intimé,

et

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES, personne morale légalement constituée en vertu des lois du Québec et dont le siège est situé au 2500, boulevard de l'Université, dans la cité de Sherbrooke et le district de Saint-François,

Mise en cause.

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Le Syndicat des professeures et professeurs de l'Université du Québec à Trois-Rivières (le Syndicat) demande la révision d'une décision rendue par Me Denis Gagnon, en sa qualité d'arbitre, le 9 décembre 2005, sur un moyen préliminaire soulevé par l'Université du Québec à Trois-Rivières (l'Université) à l'encontre d'un grief de Madame France Tanguay.

LES FAITS

[2]                Madame France Tanguay a été embauchée par l'Université le 14 décembre 1998 à titre de professeure régulière au Département des sciences de la santé pour la période du 5 janvier 1999 au 31 mai 2001.

[3]                Il était prévu que pour bénéficier d'un renouvellement de contrat, Madame Tanguay devrait entreprendre des études doctorales pendant la durée du premier contrat.

[4]                Une évaluation de Madame Tanguay complétée le 6 octobre 2000 a conclu que cette dernière, eu égard à la direction pédagogique, avait contribué de façon remarquable à la direction et au développement des programmes en sciences infirmières et, eu égard à l'enseignement, la recherche et le service à la collectivité, satisfait aux exigences de la tâche. Le comité d'évaluation a recommandé le renouvellement de son contrat tout en lui demandant de poursuivre ses études dans le cadre d'un programme de doctorat et de faire montre de plus de rigueur et de structure dans ses communications orales et écrites.

[5]                Son contrat a été renouvelé pour une période de deux ans, soit du 1er juin 2001 au 31 mai 2003.

[6]                Son évaluation suivante a été reportée jusqu'à l'automne 2004 parce qu'elle avait bénéficié d'un perfectionnement.

[7]                Par résolution adoptée le 20 décembre 2004, le conseil d'administration de l'Université, s'appuyant sur les recommandations du comité d'évaluation du Département des sciences infirmières, de l'assemblée départementale du Département des sciences infirmières et du vice-recteur à l'enseignement et à la recherche, a décidé de ne pas renouveler le contrat de Madame Tanguay «à titre de professeure non permanente au Département des sciences infirmières» au delà du 31 mai 2005.

[8]                Le Syndicat a contesté cette décision par le dépôt d'un grief en date du 20 janvier 2005.

[9]                Le grief se lisait comme suit:

Conformément aux dispositions applicables, je soussignée, France Tanguay, conteste la décision du Conseil d'administration du 20 décembre 2004 (R4903) à l'effet de me congédier au sens de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail et de l'article 18 de ma convention collective, à l'échéance de mon contrat, et ce, alors que ce contrat est réputé renouvelable sauf avis contraire.

Cette décision du Conseil d'administration donne suite à la recommandation arbitraire et non motivée du vice-recteur René-Paul Fournier.

Je crois que cette décision de me congédier est prise sans cause juste et suffisante, au sens de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail, et je souhaite notamment exercer ici le recours alternatif prévu à cette loi.

Je crois en outre que cette décision est viciée parce que certaines dispositions applicables de ma convention collective n'ont pas été respectées intégralement, notamment, mais non limitativement les articles 5 et 11. Ainsi, la recommandation du vice-recteur Fournier était aussi conforme aux recommandations négatives, arbitraires et non motivées du Département et du comité d'évaluation qui venait tout juste de m'évaluer. Or, ce comité d'évaluation et ensuite l'assemblée départementale ont pris comme étant avérées les opinions de certains étudiants sans recourir à l'avis d'un expert, comme la convention leur permettait de le faire (11.06 f), et ont refusé de prendre connaissance de l'avis de l'expert dont les services avaient été requis par moi. Le Vice-recteur, qui a d'abord refusé de prendre connaissance de l'avis de cet expert, l'a transmis aux membres du conseil d'administration en leur recommandant de ne pas en tenir compte. Concernant le cheminement de mon doctorat, le comité d'évaluation, l'assemblée départementale, le vice-recteur Fournier et, enfin, le CA ont fondé leur jugement sur un standard de performance nettement supérieur à celui qui est ou a été appliqué aux autres professeurs de mon département.

La recommandation du Vice-recteur à l'enseignement et à la recherche et la décision du CA est aussi viciée parce qu'elle s'inscrit dans une dynamique où la Direction incite illégalement les comités d'évaluation et leurs membres à prendre en considération un régime d'attente (relatif aux performances) qui est incompatible avec les dispositions de la convention collective, notamment, mais non limitativement, les clauses 10.07, 10.09, 11.04 et 11.06.

[10]            Au début de l'audition sur le grief, l'Université a, d'une part, soulevé l'imprécision de la nature du grief, tel que formulé, et, d'autre part, soutenu que le recours fondé sur l'article 124 de la Loi sur les normes du travail[1] ne pouvait être utilisé parce qu'il n'était pas intégré dans la convention collective.

[11]            Le Syndicat, à l'encontre de ce moyen, a plaidé essentiellement ce qui suit, selon ce que relate la décision de l'arbitre:

·            La professeure Tanguay justifie de plus de 2 ans de services continus auprès de l'UQTR;

·            Le refus de renouveler son contrat constitue pour elle une rupture définitive du lien d'emploi avec l'UQTR: un congédiement;

·            La professeure Tanguay croit que cette rupture définitive de son lien d'emploi, ce congédiement, n'est pas fondé sur une cause juste et suffisante dont la preuve incombe à l'employeur;

·            Le recours prévu au para. 12.04 de la convention collective (S-1) est inférieur quant à sa portée à celui prévu aux article(sic) 124 et 128 de la Loi sur les normes du travail (L.R.Q. c. N-1) (ci-après, la Loi);

·            Or, les normes édictées par cette loi en vertu du 1er alinéa de l'article 93 de la Loi sont d'ordre public et le recours prévu aux articles 124 et 128 constitue une norme;

·            Le deuxième alinéa du même article stipule qu' «u»ne disposition d'une convention (…) qui déroge à une norme du travail est nul(sic) de nullité absolue;

·            Or, la convention collective contient un recours équivalent à celui prévu aux articles 124 et 128 de la Loi. Il s'agit du recours découlant de l'article 18 et de l'article 24 de la convention collective;

·            C'est donc pourquoi le professeur requiert l'exercice du recours équivalant à celui prévu par la Loi que lui offre la convention collective.

[12]            L'arbitre a fait droit au moyen souligné par l'Université concernant l'article 124 de la Loi sur les normes du travail et ordonné aux parties de procéder selon ce qui est prévu à la clause 12.04 de la convention collective dans le cas du non-renouvellement d'un contrat comme suite à l'évaluation négative d'un professeur.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[13]            Selon le Syndicat, le recours prévu au paragraphe 12.04 de la convention collective ne constitue pas une procédure de réparation pouvant donner lieu aux mêmes remèdes que ceux prévus à l'article 124 de la Loi sur les normes du travail. Notamment, il n'offre pas à l'arbitre la possibilité de se prononcer sur l'existence d'une cause juste et suffisante à la rupture du lien d'emploi de Madame Tanguay, que le Syndicat qualifie de congédiement, alors que celle-ci justifiait de plus de deux ans de service continu au moment de la décision de l'Université.

[14]            Il soutient que par le libellé de son grief, il voulait faire constater par l'arbitre l'absence d'équivalence fonctionnelle entre l'article 12.04 de la convention collective et l'article 124 de la Loi sur les normes du travail et obtenir de ce dernier, par l'application de l'article 93 de la même loi, qu'il ouvre à Madame Tanguay le recours prévu aux articles 18 et 24 de la convention collective qui, lui, équivaut à celui prévu à l'article 124 de la Loi.

[15]            Il conclut que l'arbitre, en faisant droit au moyen soulevé par l'Université malgré les représentations dans le même sens devant lui, a erré en droit. Alternativement, ajoute-t-il, sa décision est manifestement déraisonnable parce qu'elle ne peut se justifier à la lecture des textes pertinents à la solution du litige.

[16]            L'Université soutient que le recours prévu au paragraphe 12.04 de la convention collective se qualifie comme «une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts» au sens de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail. Subsidiairement, si le tribunal en venait à la conclusion que ce n'est pas le cas, il plaide que si Madame Tanguay voulait bénéficier du recours prévu à cet article, elle devait soumettre sa plainte à la Commission des normes du travail.

LA NORME DE CONTRÔLE

[17]            Le Syndicat et l'Université ont tous les deux reconnu à l'audience que dans la mesure où la question soumise en est une portant sur la compétence de l'arbitre, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Lorsque cette norme s'applique, une seule décision est possible et le décideur doit l'avoir prise.

[18]            Dans le présent cas, l'arbitre devait déterminer si l'article 12.04 de la convention collective prévoit une procédure de réparation adéquate au sens de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail.

[19]            Le juge Iacobucci, de la Cour suprême du Canada, a écrit dans l'arrêt Parry Sound (Services Sociaux) c. S.E.E.F.P.O.[2]:

La question de savoir si les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle le Conseil a compétence n’est pas, selon moi, une question que le législateur entendait lui confier.  L’expertise du Conseil ne réside pas dans les questions juridiques de portée générale, mais bien dans l’interprétation de conventions collectives et le règlement de conflits factuels y afférents.  Voir, par exemple, Dayco, précité, p. 266, et Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316 , p. 336.  Examiner si les droits et obligations substantiels prévus par une loi non constitutive sont incorporés dans une convention collective est une question de droit de portée générale qui déborde le domaine d’expertise fondamental de l’arbitre.  Bien que le Conseil soit compétent pour décider si les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans la convention collective, la Cour a le droit d’intervenir s’il tranche la question incorrectement.

[20]            La décision de l'arbitre, qui conclut à l'adéquation de la procédure de réparation prévu à l'article 12.04 de la convention collective, soulève donc une question de compétence, et il y a lieu de l'examiner à la lumière de cette norme de la décision correcte.

ANALYSE

[21]            L'article 124 de la Loi sur les normes du travail énonce ce qui suit:

124.  Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l'adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention.

[…]

[22]            Ce recours spécial permet à un salarié qui compte deux ans de service continu dans la même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante de faire contrôler la suffisance du motif de son congédiement et, en l'absence d'une telle suffisance, d'être réintégré dans son emploi et indemnisé dans la mesure prévue à l'article 128 de la même loi:

128.  Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante, elle peut:

1o          ordonner à l'employeur de réintégrer le salarié;

2o          ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

3o          rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire.

[23]            Quoique l'article 124 de la Loi sur les normes du travail se présente sous une forme procédurale, il introduit une règle de droit substantif, qui déroge aux principes traditionnels qui s'appliquaient au contrat individuel de travail. Il restreint le pouvoir discrétionnaire de l'employeur qui lui permettait de mettre fin à son gré aux contrats de travail à durée indéterminée, sous réserve d'un avis suffisant, et admet, lorsque jugé opportun, la possibilité d'une exécution en nature du contrat de travail par l'obligation de reprendre le salarié, tel que prévu au premier alinéa de l'article 128 de la même loi[3].

[24]            L'arrêt de la Cour d'appel dans Produits Pétro-Canada inc. c. Moalli reconnaît formellement le statut de norme du travail à la règle contenue à l'article 124 de la Loi sur les normes du travail. Le juge LeBel s'y exprime comme suit:

La norme de travail se trouve dans cette règle nouvelle que contient maintenant l'article 124 et qui permet le recours à l'arbitrage. Cette règle consiste dans une limite à la discrétion de l'employeur, ainsi que dans le droit à l'exécution en nature du contrat de travail. Elle encadre les rapports entre le salarié et son employeur, au même titre que l'obligation de payer le salaire minimum légal ou d'accorder des indemnités de vacances. En imposant à l'employeur l'obligation de ne congédier que pour cause, après une période d'emploi déterminée, le législateur a institué une règle de droit nouvelle, applicable au travail salarié, comme lorsqu'il a édicté un salaire minimum obligatoire. Dans l'un et l'autre cas, il restreint la liberté contractuelle traditionnelle par l'imposition d'une règle légale prééminente.

La violation de la règle de l'article 124, cependant, donne ouverture à un recours spécial, soit la plainte devant un conseil d'arbitrage. [4]

[…]

[25]            Aujourd'hui, le recours en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail est introduit au moyen d'une plainte à la Commission des normes du travail, et c'est la Commission des relations du travail qui en dispose à l'exclusion de tout tribunal, par application de l'article 126 de la même loi et de l'article 14 du Code du travail. Les principes énoncés dans l'arrêt Produits Pétro-Canada inc. c. Moalli demeurent tout de même indemnes et, à la lumière de ceux-ci, il faut éviter de confondre la norme du travail elle-même, qui est l'obligation de ne congédier que pour cause, après une période d'emploi de deux ans, et les règles de compétence et de procédure qui permettent la mise en œuvre de cette norme.

[26]            L'article 93 de la Loi sur les normes du travail énonce ce qui suit:

93.  Sous réserve d'une dérogation permise par la présente loi, les normes du travail contenues dans la présente loi et les règlements sont d'ordre public.

Une disposition d'une convention ou d'un décret qui déroge à une norme du travail est nulle de nullité absolue.

[27]            Il y a plusieurs dérogations dans la Loi, mais aucune à l'égard de la norme obligeant à ne congédier que pour cause, après une période d'emploi de deux ans, contenue à l'article 124.

[28]            L'article 124 contient cependant une dérogation à l'égard des règles de compétence et de procédure permettant la mise en œuvre de cette norme. La règle de principe voulant que le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante, soumette une plainte à la Commission des normes du travail, afin qu'il en soit éventuellement disposé par la Commission des relations du travail, est écartée «si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention. Le législateur permet donc notamment aux parties à une convention collective de conférer à un arbitre de grief la compétence à l'égard de la mise en œuvre de cette norme.

[29]            Madame Tanguay, rappelons-le, avait été évaluée une première fois à l'automne 2000, dans le cours de la période initiale de son contrat, et elle l'a été de nouveau à l'automne 2004, dans le cours de sa période de renouvellement qui, rappelons-le, a été prolongée au-delà des deux ans prévus initialement parce qu'elle avait bénéficié d'une perfectionnement. Cette deuxième évaluation était très importante pour elle parce que si elle se voyait offrir un troisième contrat par l'Université conformément aux dispositions de l'article 11 de la convention collective, elle acquerrait la permanence dès le début de ce troisième contrat, tel que prévu à son article 12.03. Par la suite, comme le deuxième alinéa de son article 12.05 le stipule, son contrat se renouvellerait automatiquement pour des périodes consécutives de deux ans.

[30]            Les règles afférentes à l'évaluation des professeurs réguliers, qu'ils aient atteint la permanence ou non, sont prévues à l'article 11 de la convention collective. Son article 11.10, notamment, stipule qu'à la suite de l'évaluation du professeur non permanent, la recommandation du comité peut être soit un renouvellement de contrat, soit un non-renouvellement.

[31]            Lorsque le comité d'évaluation recommande de ne pas renouveler le contrat d'un professeur qui termine un deuxième contrat de deux (2) ans, comme cela est arrivé à Madame Tanguay, l'article 12.04 de la convention collective donne ouverture à un recours par voie de grief:

12.04      Par exception, à la suite de l'évaluation faite conformément à l'article 11, lorsqu'il serait recommandé de ne pas renouveler le contrat d'un professeur qui termine un deuxième contrat de deux (2) ans, celui-ci peut soulever un grief sur le non-renouvellement de son contrat si les délais prévus à l'article 11.11, 11.13, 11.16 et 12.07 et si la procédure prévue à l'article 11 n'ont pas été respectés, s'il y a preuve évidente de parti pris ou inconséquence dans les raisons qui ont motivé la décision.

[32]            Dans sa décision, l'arbitre postule d'abord que le système d'évaluation des professeurs à l'Université, très particulier, a pour but de s'assurer que l'enseignant nouvellement embauché rencontre les standards de compétence de l'Université. Il ajoute qu'il sert à mesurer les qualités professionnelles du candidat.

[33]            Après avoir reproduit certaines parties de l'article 11 de la convention collective faisant ressortir l'essence du système d'évaluation, il passe au cœur du ratio decidendi:

[27]               Comme cette mécanique complexe aboutit à la clause 12.04 de la convention collective laquelle permet de contester la décision négative prise à la suite de cette évaluation et obtenir réparation, elle constitue donc un tout complet et autonome. Il n'y a pas de vide en l'espèce.

[28]               Elle permet non seulement de vérifier si la procédure d'évaluation a été suivie mais aussi de s'assurer que tout a été fait de façon impartiale. L'enseignant(e) insatisfait(e) pourra dès lors établir devant l'arbitre de griefs les éléments qui pourraient lui permettre d'obtenir l'annulation de la décision de l'Université.

[29]               C'est évidemment un système très particulier, nécessairement subjectif, mais c'est ainsi que les parties ont voulu que les choses se passent dans les cas d'évaluation. De telles clauses sont permises si elles ne portent pas atteinte à l'ordre public ou aux droits fondamentaux de la personne concernée garantis par la Charte des droits et libertés de la personne.

62. Contenu de la convention. La convention collective peut contenir toute disposition relative aux conditions de travail qui n'est pas contraire à l'ordre public ni prohibée par la loi.

[30]               Si les parties avaient voulu que l'arbitre révise l'évaluation faite successivement par le comité d'évaluation du département des sciences infirmières, puis celui de l'assemblée départementale et la recommandation du vice-recteur à l'enseignement et à la recherche et qu'il y substitue son propre jugement, elles se seraient exprimées autrement. Mais, de toute évidence, ce qu'elles ont voulu, c'est uniquement que ce dernier s'assure que tout a été fait selon la procédure prévue dans la convention collective sans parti pris et de façon cohérente.

[31]               Pour l'arbitre, si cette preuve lui est faite de même que la preuve que l'article 11 a été appliqué dans sa plénitude, la cause du non-renouvellement du contrat de l'enseignant(e) prévu à la convention collective dans le cadre du processus d'évaluation d'un professeur aura alors été valablement établie.

[32]               Pour le soussigné, la clause 12.04 n'est pas qu'un exercice procédural. Non seulement elle permet de vérifier si l'article 11 a été respecté, mais elle permet aussi de s'assurer que le tout a été fait avec objectivité et rationalité. Elle donne aussi à l'arbitre un pouvoir réel de réparations qui se compare aisément à ce qui est prévu aux articles 124 et 128 LNT pour la Commission des relations du travail du Québec.

[34]            Sans égard à la façon dont l'arbitre aborde la question dont il est saisi, son raisonnement menant à sa conclusion que l'arbitre saisi d'un grief fondé sur l'article 12.04 de la convention collective a un pouvoir réel de réparation se comparant aisément à ce qui est prévu aux articles 124 et 128 de la Loi sur les normes du travail est limpide, et cette conclusion est correcte. L'octroi par les parties d'une compétence de contrôle à un arbitre de grief, lorsque le contrat d'un professeur non permanent n'est pas renouvelé une seconde fois, à la suite de son évaluation par ses pairs, et la fixation par elles des conditions d'ouverture de tel grief, ne privent pas a priori et dans tous les cas ce professeur d'un contrôle adéquat de la suffisance des motifs de ce non-renouvellement.

[35]            La décision de l'arbitre d'entendre le grief dans l'exercice de la compétence que l'article 12.04 de la convention collective lui confère expressément dans un tel cas est également correcte.

[36]            Le Syndicat a fait grand cas devant l'arbitre du recours en cas de congédiement prévu à l'article 18 de la convention collective. Comme mentionné plus haut, selon lui, vu l'absence d'équivalence fonctionnelle entre l'article 12.04 de la convention collective et l'article 124 de la Loi sur les normes du travail, le recours prévu à l'article 18 de la convention était ouvert à Madame Tanguay, par l'application de l'article 93 de la même Loi. Pour faciliter l'évaluation de cet argument du Syndicat, il paraît utile de reproduire cet article 18:

Article 18

Congédiement

18.01      Le Conseil d'administration, sur recommandation du Vice-recteur à l'enseignement et à la recherche, peut congédier un professeur pour juste cause. La preuve incombe à l'Université. Il doit aviser le professeur par écrit et préciser les motifs justifiant une telle décision. Une copie est transmise au Syndicat.

18.02      Dans le cas prévu en 18.01, le Conseil d'administration ne peut imposer une telle sanction sans qu'au préalable le Vice-recteur à l'enseignement et à la recherche n'ait signifié par écrit au professeur, avec copie au Syndicat, au moins deux (2) fois dans une période de douze (12) mois consécutifs, les motifs et les faits précis retenus contre lui et justifiant un tel avis. Un délai raisonnable doit s'écouler entre les deux (2) avis.

18.03            Nonobstant 18.01 et 18.02 l'Université peut sans préavis congédier un professeur pour juste cause, si le préjudice causé par ce dernier nécessite, par sa nature et sa gravité, un congédiement sur le champ. Le fardeau de la preuve incombe à l'Université et elle doit transmettre par écrit au professeur et au Syndicat les raisons motivant sa décision.

[37]            Dès que l'arbitre concluait que l'article 12.04 de la convention collective prévoyait une procédure de réparation adéquate au sens de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail, il n'avait pas à pousser son raisonnement plus loin, et toute référence au recours prévu à l'article 18 devenait non pertinente. De toute façon, ce recours prévu à l'article 18 a une tout autre finalité. Il fait davantage suite au congédiement d'un professeur qui, par exemple, a violé une ou plusieurs conditions essentielles de son contrat de travail ou fait preuve d'une conduite répréhensible dans l'exécution de son travail. On est loin du contrôle de la compétence d'un enseignant nouvellement embauché par ses pairs, avant qu'il obtienne sa permanence.

[38]            Si Madame Tanguay était d'avis que dans les circonstances particulières de son cas, le recours prévu à l'article 12.04 de la convention collective n'était pas une procédure de réparation adéquate, au sens de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail, elle devait soumettre une plainte à la Commission des normes du travail, quitte à déposer également son grief et en suspendre le cours jusqu'à ce que le commissaire tranche la question, avant d'exercer sa compétence.

[39]            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[40]            REJETTE la requête du requérant;

[41]            ORDONNE le retour du dossier à l'arbitre, Me Denis Tremblay, afin qu'il dispose du grief conformément à sa décision du 9 décembre 2005;

[42]            AVEC DÉPENS.

                                                                      

 

__________________________________

GEORGES TASCHEREAU, j.c.s.

 

 

 

Me Richard McManus

Procureur du requérant.

 

Me Marc St-Pierre

JOLI-CŒUR LACASSE GEOFFRION JETTÉ ST-PIERRE

Procureurs de la mise en cause.

 

Date d’audience :

24 octobre 2006

 



[1]  L.R.Q., chapitre N-1.1.

[2]  2 R.C.S. 157, à la p. 173, para. 22.

[3]  Produits Pétro-Canada inc. c. Moalli, (1987) R.J.Q. 261 (C.A.), à la p. 269.

[4]  Op. cit., à la p. 270.

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