Jérome et Coffrage de la Capitale ltée |
2014 QCCLP 4803 |
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Dossier 483762-61-1210
[1] Le 1er octobre 2012, monsieur Ghislain Jérome (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 septembre 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 31 août 2012 donnant suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale.
[3] Elle déclare que le diagnostic de la lésion professionnelle du 11 juillet 2011 est une contusion au coude gauche, que la lésion est consolidée le 12 juin 2012, que les soins et traitements ne sont plus nécessaires après cette date; que l’atteinte permanente à l’intégrité physique est de 4%, que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles et que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi.
Dossier 486436-61-1211
[4] Le 5 novembre 2012, Coffrage de la Capitale ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre de cette même décision.
[5] À l’audience tenue à Laval le 27 mai 2014, le travailleur est présent et représenté et l’employeur est représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
Dossier 483762-61-1210
[6] Le travailleur prétend que l’avis rendu par le Bureau d'évaluation médicale le 23 août 2012 sur la question du diagnostic est irrégulier. Il demande de déclarer que sa lésion professionnelle a entraîné, outre le diagnostic de contusion au coude gauche retenu par le membre du Bureau d'évaluation médicale, les autres diagnostics déjà déclarés en relation avec l’événement initial par la CSST par des décisions finales et irrévocables, soit de léger épanchement intra-articulaire, de déchirure partielle et de tendinopathie des communs extenseurs.
Dossier 486436-61-1211
[7] L’employeur demande de déclarer que la lésion professionnelle du travailleur a entraîné une contusion au coude gauche consolidée le 12 juin 2012 sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 483762-61-1210
[8] La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête du travailleur.
[9] Ils considèrent que l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale est régulier. Le Bureau d'évaluation médicale était valablement saisi de la question du diagnostic de la lésion. Le docteur Desloges, à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale, avait donc toute la latitude pour poser un diagnostic, ce qu’il fait en ne retenant que le diagnostic de contusion au coude gauche. Les membres sont ainsi d’avis que la CSST n’avait pas à se prononcer de nouveau sur la relation entre ce diagnostic et l’événement initial puisqu’elle l’avait déjà fait en acceptant la réclamation du travailleur.
Dossier 486436-61-1211
[10] La membre issue des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la requête de l’employeur. Elle adhère à l’opinion du docteur Giasson et considère que la lésion du travailleur, une simple contusion, est consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle. L’événement initial est mineur, le délai de consultation de six semaines est important, les amplitudes du coude gauche varient d’un observateur à l’autre et il y a présence de signes importants de discordances lors des examens des docteurs Giasson et Desloges.
[11] Le membre issu des associations syndicales est d’avis de rejeter la requête de l’employeur. Il s’en remet à l’évaluation du docteur Desloges à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale. Or, ce dernier associe la perte de flexion au coude gauche du travailleur à l’accident du travail subi le 11 juillet 2011. Cette perte de flexion doit donc être considérée lors de l’évaluation des séquelles permanentes et entraîne un déficit anatomophysiologique de 4% et des limitations fonctionnelles.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[12] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord établir si l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale est régulier.
[13] Elle doit ensuite préciser le diagnostic de la lésion et établir si cette lésion, consolidée le 12 juin 2012, a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
La procédure d’évaluation médicale
[14] Le législateur a consacré un chapitre complet de la loi à la procédure d’évaluation médicale[1]. Par ces dispositions, le législateur accorde une grande importance à l’opinion du médecin qui a charge du travailleur. Il permet également d’obtenir un éclairage médical neutre en obtenant l’avis d’un membre du Bureau d'évaluation médicale en présence d’un désaccord sur les questions médicales prévues à l’article 212 de la loi.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[15] Le représentant du travailleur prétend que la procédure n’a pas été respectée en l’espèce. Il affirme que le membre du Bureau d'évaluation médicale ne pouvait pas écarter des diagnostics déjà déclarés en relation avec l’événement initial par la CSST.
[16] Pour répondre à cette question, un rappel du suivi médical et des circonstances entourant la survenance de l’événement s’impose.
[17] La lésion survient le 11 juillet 2011. Le travailleur, un apprenti charpentier - menuisier âgé de 50 ans, chute d’une planche sur laquelle il se déplace au premier plancher d’une maison en construction. Suspendu à un harnais de sécurité, son coude gauche frappe le sol quatre à cinq pieds plus bas.
[18] Ce n’est que le 29 août 2011 que le travailleur consulte un médecin, le docteur Kim, dans le cadre d’un suivi pour une condition cardiaque. Le médecin, dans un premier Rapport médical qu’il signe le 7 septembre 2011, diagnostique une contusion au coude gauche. Il ajoute que le travailleur se plaint de douleur persistante avec extension limitée du coude. Il prescrit un examen par échographie afin d’éliminer un possible épanchement articulaire.
[19] Un examen par imagerie simple est aussi pratiqué le jour même. Le radiologiste indique qu’il n’y a « pas d’anomalie significative à signaler ».
[20] C’est sur ce diagnostic de contusion au coude gauche que s’appuie la CSST pour reconnaitre l’existence d’une lésion professionnelle survenue au travail le 11 juillet 2011. Le travailleur et l’employeur s’entendent d’ailleurs sur ce point à l’audience : le travailleur a subi une lésion professionnelle le 11 juillet 2011. Cette lésion a entraîné une contusion au coude gauche consolidée en date du 12 juin 2012.
[21] Or, dans le cadre du suivi médical, plusieurs autres diagnostics sont posés. Le tout débute avec l’échographie demandée à la première consultation médicale par le docteur Kim. Cet examen, pratiqué le 7 novembre 2011, confirme la présence d’un épanchement « significatif » au coude gauche. Le radiologiste conclut à la présence d’une synovite et d’une tendinopathie du tendon des communs des extenseurs sans déchirure. Il suggère un examen par résonance magnétique pour investiguer sur une atteinte intra-articulaire « probable ».
[22] Le docteur Lafleur, consulté par le travailleur le 11 novembre 2011, reprend les conclusions de l’échographie et diagnostique une tendinopathie au coude gauche. Il prescrit un arrêt de travail et un examen par résonance magnétique afin d’éliminer la présence d’une fracture intra-articulaire.
[23] L’examen par résonance magnétique, pratiqué le 23 novembre 2011, permet justement d’éliminer la présence d’une fracture. Par ailleurs, le radiologiste confirme la présence d’un « léger » épanchement au coude, alors qu’il était significatif au moment de l’échographie. Il note aussi la présence d’un œdème médullaire sous-chondral et « possiblement » une « petite déchirure partielle » à l’attache du tendon des communs des extenseurs.
[24] Au rapport médical du 8 décembre 2011, le docteur Kim reprend les observations du radiologiste. Il diagnostique une tendinopathie traumatique, une contusion osseuse au coude gauche, un léger épanchement intra-articulaire et une discrète déchirure partielle du tendon commun des extenseurs. Ces diagnostics sont repris aux rapports médicaux suivants.
[25] Dans une décision du 19 janvier 2012, la CSST déclare les diagnostics de tendinopathie traumatique avec discrète déchirure partielle du tendon commun des extenseurs et de léger épanchement intra-articulaire du coude gauche, en lien avec l’événement du 11 juillet 2011. Cette décision s’appuie sur l’avis du docteur Gagnon, médecin-conseil à la CSST. Le médecin écrit que la tendinopathie et la « minime » déchirure de l’attache tendineuse du tendon extenseur commun apparaissent médicalement acceptables en présence d’une chute avec traumatisme direct au coude.
[26] La décision de la CSST n’a pas été contestée. Elle est donc finale et irrévocable. C’est sur cet argument que s’appuie le représentant du travailleur lorsqu’il prétend que la décision de la CSST se devait d’être appliquée par le membre du Bureau d'évaluation médicale, d’où la question en litige.
[27] Dans un Rapport médical du 1er février 2012, le docteur Kim ajoute le diagnostic de cervicalgie et demande un examen par résonance magnétique à la région cervicale. Au rapport du 6 juin 2012, le médecin n’inscrit aucun diagnostic, si ce n’est des signes de radiculopathie cervicale. Il demande, en plus de l’examen par résonance magnétique, de pratiquer un examen par électromyogramme vu une possible compression radiculaire.
[28] La CSST, dans une décision du 23 février 2012, refuse de reconnaitre la relation entre l’événement initial et la cervicalgie. Cette décision, contestée par le travailleur, est confirmée par la révision administrative le 26 mars 2012. Le travailleur dépose une contestation devant le présent tribunal, mais se désiste par la suite. La décision de la CSST rendue à la suite d’une révision administrative est donc finale et irrévocable.
[29] Dans la même période, l’employeur dirige le travailleur à un expert, le docteur Giasson. Le médecin, dans une expertise du 12 juin 2012, retient un diagnostic de contusion au coude gauche, diagnostic initialement posé par le médecin du travailleur, mais pas ceux de tendinopathie traumatique, de déchirure partielle du tendon commun des extenseurs et d’épanchement intra-articulaire du coude gauche. Il considère la lésion consolidée à la date de son examen sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[30] Le docteur Kim ne partage pas cet avis. Dans un Rapport complémentaire du 5 juillet 2012, il maintient l’ensemble de ces diagnostics, est d’avis que la date de consolidation de la lésion est « indéterminée » et considère qu’il est trop tôt pour évaluer l’atteinte permanente tout en anticipant un déficit anatomophysiologique de 1%.
[31] Comme le prévoit la loi en cas de désaccord sur des aspects médicaux prévus à l’article 212, le dossier est transmis au Bureau d'évaluation médicale. Le travailleur est examiné par le docteur Desloges le 6 août qui confirme l’opinion du docteur Giasson quant au diagnostic de contusion au coude gauche et la date de consolidation du 12 juin 2012. Il reconnaît par ailleurs l’existence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles associées à la perte de flexion du coude gauche, question qui sera traitée par le tribunal au second titre de la présente décision.
[32] À l’audience, le représentant du travailleur affirme que l’avis du Bureau d'évaluation médicale est irrégulier sur la question du diagnostic. Il prétend que la CSST avait déjà rendu des décisions sur la question des diagnostics de tendinopathie traumatique, de discrète déchirure partielle du tendon commun des extenseurs et de léger épanchement intra-articulaire du coude gauche et que le membre du Bureau d'évaluation médicale ne pouvait les écarter.
[33] Le tribunal ne partage pas cet avis.
[34] Le représentant du travailleur confond deux processus distincts prévus à la loi : celui de poser un diagnostic et celui d’établir la relation entre ce diagnostic et l’événement initial.
[35] Le premier processus relève du domaine médical. L’identification du diagnostic de la lésion est spécifiquement prévue à l’article 212 de la loi qui concerne les questions d’ordre médical. Il s’agit pour le médecin du travailleur, pour celui désigné ou pour le membre du Bureau d'évaluation médicale, d’identifier le diagnostic qui correspond le mieux à la condition physique et psychique du travailleur. Cette condition est évidemment susceptible d’évoluer au cours de la période de consolidation; les symptômes peuvent varier, les traitements ne pas donner les résultats escomptés et l’investigation médicale et radiologique se préciser. Des diagnostics distincts et successifs peuvent être posés selon les médecins rencontrés et selon leur domaine d’expertise. Or, à défaut d’un avis rendu par le Bureau d'évaluation médicale sur la question du diagnostic, celui émis par le médecin qui a charge du travailleur ne peut être remis en cause. La seule façon d’y parvenir est par le biais de la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi qui aboutira éventuellement sur un avis rendu par le Bureau d'évaluation médicale sur la question médicale faisant l’objet d’une contestation.
[36] Le second processus est d’ordre juridique[2]. Il consiste à établir si un diagnostic posé par le médecin qui a charge du travailleur ou un membre du Bureau d'évaluation médicale est en relation avec l’événement décrit par le travailleur. L’analyse s’effectuera en fonction de la preuve prépondérante disponible, tant factuelle que médicale.
[37] En l’espèce, la CSST a rendu initialement des décisions qui ne concernent que le processus juridique. Elle s’est prononcée sur la relation entre l’événement initial et plusieurs diagnostics posés par les médecins consultés par le travailleur. En vertu de l’article 224 de la loi et en l’absence d’un avis du Bureau d'évaluation médicale sur la question du diagnostic, la CSST est liée par l’avis du médecin qui a charge du travailleur.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[38] La CSST ne pouvait pas remettre en cause l’existence même de ces diagnostics et ne pouvait qu’établir leur relation avec l’événement initial, ce qu’elle a fait. Ces décisions sont finales et irrévocables sur cet aspect seulement, soit la relation causale.
[39] La décision rendue à la suite du Bureau d'évaluation médicale est différente. En vertu de la l’article 224.1 de la loi, la CSST est liée par l’avis du Bureau d'évaluation médicale et non par l’avis du médecin qui a charge du travailleur.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
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1992, c. 11, a. 27.
[40] Le tribunal le rappelle : le membre du Bureau d'évaluation médicale doit identifier le ou les diagnostics qui correspondent le mieux à la condition du travailleur compte tenu de la preuve médicale disponible et l’examen pratiqué. Sa mission n’est pas d’établir à proprement parler la relation entre ce ou ces diagnostics et l’événement initial, quoique cet aspect est intimement lié à l’identification d’un diagnostic. La décision sur la relation causale relève du processus légal et devra être prise par la CSST si elle ne s’est pas déjà prononcée sur la question.
[41] En l’espèce, le membre du Bureau d'évaluation médicale ne retient que le diagnostic de contusion au coude gauche. Il écarte les autres diagnostics qui avaient été identifiés par le médecin qui a charge du travailleur et sur lesquels la CSST avait déjà rendu jugement sur la relation. La CSST n’avait donc pas à se prononcer de nouveau sur la relation causale à l’égard du diagnostic de contusion au coude gauche.
[42] Contrairement aux prétentions du représentant du travailleur, l’avis du Bureau d'évaluation médicale n’est donc pas irrégulier. Ce dernier ne remet pas en cause les décisions finales et irrévocables rendues par la CSST à l’égard de la relation entre l’événement initial et les diagnostics posés par le médecin qui a charge du travailleur. Il ne fait qu’identifier, tel que le stipule la loi, le diagnostic qui correspond le mieux à la condition du travailleur compte tenu de l’ensemble de la preuve disponible et son examen médical.
[43] Ceci répond à la contestation du travailleur.
[44] Quant à l’employeur, sa contestation ne concerne que l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. Il ne demande aucune conclusion quant au diagnostic et la date de consolidation retenus par le Bureau d'évaluation médicale ni sur la relation entre le diagnostic et l’événement initial.
L’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles
[45] La contestation de l’employeur s’appuie sur l’opinion du docteur Giasson contenue à son expertise du 12 juin 2012 et son témoignage livré à l’audience. Le travailleur ne présente aucune preuve médicale, sauf celle déjà contenue au dossier.
[46] De cette preuve, le tribunal doit s’attarder à celle pertinente à l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, ce qui inclut la précision du diagnostic de la lésion.
[47] Rappelons tout d’abord que la blessure résulte d’un impact direct au coude gauche sans sollicitation des tendons de l’articulation allégués ni impotence immédiate. Ce n’est que dans le cadre d’une évaluation déjà cédulée plus d’un mois après l’événement que le docteur Kim diagnostique une contusion au coude gauche.
[48] Les examens par imagerie demandés par le médecin du travailleur visent à valider la présence d’un épanchement et d’éliminer la présence d’une fracture, ce qu’ils confirment d’ailleurs.
[49] Accessoirement, l’imagerie montre la présence d’une tendinopathie et d’une possible déchirure partielle au tendon des communs extenseurs du coude gauche. C’est en référence à cette imagerie que le docteur Kim pose les diagnostics de tendinopathie et de déchirure au tendon des communs extenseurs. Pourtant, le résultat des examens n’est pas si limpide. L’échographie exclut la présence d’une déchirure. Le radiologiste à l’examen par résonance magnétique précise qu’il existe « possiblement » une « petite » déchirure « partielle ». Les qualificatifs utilisés à répétitions démontrent le caractère incertain ou à tout le moins bénin de la lésion. Aucun signe clinique associé à ces conditions n’est également relevé par les docteurs Giasson et Desloges.
[50] La preuve médicale et radiologique converge ainsi vers la simple présence d’une contusion au coude gauche, ce qui est conforme à une blessure par impact direct.
[51] L’évolution de la condition du travailleur est par la suite atypique pour ce type de blessure. Il développe des symptômes au membre supérieur gauche, à la région cervicale et au trapèze. Le médecin suspecte même, près d’un an après l’événement, une atteinte radiculaire cervicale.
[52] C’est dans ce contexte que le docteur Giasson examine le travailleur le 12 juin 2012. Le médecin confirme le diagnostic de contusion au coude gauche tout en qualifiant l’événement d’anodin. À son examen, il observe une variabilité et une inconstance dans les mouvements et les plaintes du travailleur. Il note tout de même une perte d’extension de 5 degrés du coude gauche. Il conclut à une lésion consolidée à la date de son examen sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[53] Le docteur Kim, dans un Rapport complémentaire du 5 juillet 2012, maintient ses diagnostics de tendinopathie traumatique et de déchirure partielle du tendon des extenseurs du coude gauche en se référant à nouveau au résultat de l’examen par résonance magnétique du 23 novembre 2011. Il maintient les traitements et la référence en physiatrie, est d’avis que la date de consolidation de la lésion est « indéterminée » et considère qu’il est trop tôt pour évaluer l’atteinte permanente tout en anticipant un déficit anatomophysiologique de 1%.
[54] Quant au docteur Desloges, il confirme la plupart des observations du docteur Giasson. Il note les mêmes variations dans les plaintes et les mouvements du travailleur, surtout à la région cervicale. Son examen permet également de confirmer la présence d’une perte d’extension du coude gauche qu’il évalue à 20 degrés. Cependant, le docteur Desloges, contrairement au docteur Giasson, associe la perte d’extension à l’épanchement intra-articulaire à la contusion du coude. Il observe une résorption partielle de celle-ci en comparant le résultat de l’examen par échographie avec celui par résonance magnétique. Il retient enfin une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles en lien avec la perte d’extension.
[55] À l’audience, le docteur Giasson bonifie son raisonnement. Il rappelle que la première consultation médicale, un mois après l’événement, s’effectue dans le cadre d’un suivi pour une condition cardiaque. La lésion concerne un impact direct au coude gauche et une radiographie ne révèle aucune anomalie. Ce n’est qu’à l’échographie, effectuée plusieurs mois après l’événement, qu’un épanchement est constaté, ce qui est à son avis inconciliable avec une tendinite d’origine traumatique. Les observations radiologiques et les symptômes qui suivront à des sites distincts de l’impact d’origine confirment selon lui la thèse d’un phénomène dégénératif de tendinopathie sans lien avec l’événement initial. Il y a aussi des plaintes qui concernent la tête radiale, l’olécrane, l’épicondyle latéral, les biceps gauches, la région paracervicale et les trapèzes. Son examen ne permet d’observer qu’une perte de mouvement au coude gauche qu’il attribue à un geste volontaire du travailleur. L’absence d’atrophie au membre supérieur gauche plus d’un an après l’événement confirme selon lui l’absence de perte de mobilité du coude.
[56] Le tribunal ne partage pas l’avis du docteur Giasson.
[57] Certes, la thèse d’une perte de mobilité liée à un geste volontaire du travailleur est possible compte tenu des observations des médecins tout au long des examens. Le tribunal ne peut cependant exclure un blocage de l’extension du coude gauche associé à un phénomène inflammatoire constaté à l’échographie et à l’examen par résonance magnétique. Même si le docteur Giasson qualifie le traumatisme d’anodin, il s’agit tout de même d’un impact direct sur le coude d’une hauteur de quatre à cinq pieds, ce qui n’est pas banal.
[58] Quant à l’absence d’épanchement et inflammation rapportée à l’examen par imagerie, le tribunal, contrairement au docteur Giasson, ne lui accorde aucune force probante. Cet examen vise à éliminer la présence d’une fracture. Si le docteur Kim, à son premier Rapport médical, avait été satisfait du résultat de cet examen, il n’aurait pas prescrit un examen par échographie au même moment pour justement éliminer la présence d’un épanchement. L’échographie, plus appropriée pour observer une atteinte des tissus mous, confirme d’ailleurs la présence d’un épanchement significatif au site de la lésion.
[59] Le tribunal considère ainsi plus probables et justes les prémisses et conclusions émises par le docteur Desloges à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale. Ce dernier considère que la perte d’extension de 20 degrés observée au coude gauche du travailleur résulte du phénomène inflammatoire secondaire à la contusion subie le 11 juillet 2011. Cette conclusion est d’autant plus probable que les examinateurs n’ont observé aucun signe clinique associé à une atteinte des tendons.
[60] Cette atteinte inflammatoire, compte tenu du résultat de l’examen du docteur Desloges, entraine un déficit anatomophysiologique de 2% pour une atteinte des tissus mous avec séquelles fonctionnelles (code 102383 du barème) et de 2% pour une perte d’extension du coude gauche de 20 degrés (code 105 371 du barème).
[61] Il y a également lieu de reconnaitre des limitations fonctionnelles associées à la perte de mobilité et dans le but d’éviter une récidive et aggravation de la condition du travailleur. Dans ce contexte et en l’absence de suggestion plus précise, le tribunal adhère aux limitations fonctionnelles suggérées par le docteur Desloges. Le travailleur doit donc :
· Éviter les gestes répétitifs ou fréquents d’extension et de flexion avec le coude gauche;
· Éviter les gestes demandant une extension complète du coude gauche.
[62] La CSST devra maintenant évaluer si le travailleur est capable d’exercer son emploi compte tenu des limitations fonctionnelles identifiées par le docteur Desloges. Dans l’intervalle, le travailleur conserve son droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossiers 483762-61-1210 et 486436-61-1211
REJETTE la requête de monsieur Ghislain Jérome, le travailleur, et la requête de Coffrage de la Capitale ltée, l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 septembre 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’événement du 11 juillet 2011 a entraîné une contusion au coude gauche;
DÉCLARE que la lésion est consolidée le 12 juin 2012 et que les soins et traitements ne sont plus nécessaires après cette date;
DÉCLARE que le travailleur conserve une atteinte permanente correspondant à un déficit anatomophysiologique de 4%;
DÉCLARE que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :
· Éviter les gestes répétitifs ou fréquents d’extension et de flexion avec le coude gauche;
· Éviter les gestes demandant une extension complète du coude gauche.
DÉCLARE que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité d’exercer son emploi.
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Daniel Therrien |
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Me Antoine Berthelot |
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F.N.C.M. (local 9) |
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Représentant de monsieur Ghislain Jérome, le travailleur |
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Me Sylvain Lamontagne |
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LEBLANC LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS |
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Représentant de Coffrage de la Capitale ltée, l’employeur |
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Me Guillaume Lavoie |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.