Décision

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Coach c. Federal Express Canada

2023 QCCQ 5641

 COUR DU QUÉBEC

«Division des petites créances»

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D'

IBERVILLE

LOCALITÉ DE SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU

« Chambre civile »

 

 :

755-32-701482-228

 

DATE :

 Le 18 août 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

 

Galina Karageorgieva, greffière spéciale

______________________________________________________________________

 

 

PIERRE COACH

Partie demanderesse

c.

FEDERAL EXPRESS CANADA

Partie défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]          LE TRIBUNAL est saisi d’une demande de la partie demanderesse qui réclame à la partie défenderesse[1] la somme de 4 000,00 dollars américains à titre de dommages causés durant le transport de ses biens, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec (C.c.Q.), ainsi que les frais de justice.

 

[2]          La demande a été notifiée à la partie défenderesse le 27 juillet 2022[2]. Aucune contestation n’a été déposée et le dossier a procédé par défaut le 19 mai 2023 devant la soussignée.

 

CONTEXTE:

 

[3]               À la lumière de la preuve écrite et testimoniale présentée, le Tribunal retient les faits pertinents suivants :

 

[4]               Le ou vers le 22 décembre 2021, la partie demanderesse retient les services de la partie défenderesse, opérant sous le nom de FedEx, pour l’expédition d’une paire de haut-parleurs haut de gamme de la marque KEF, modèle LS50 wireless, à l’adresse de leur manufacturier pour un service de réparation au niveau du logiciel[3].

 

[5]               En ce moment, la partie demanderesse se trouve aux États-Unis où elle passe l’hiver et s’adresse au bureau de FedEx situé à Largo (FL). L’adresse du destinataire est aussi aux États-Unis, mais à Marlboro (NJ).

 

[6]               Lors des échanges préliminaires, le client souligne au transporteur l’importance d’envelopper bien les haut-parleurs afin de les protéger des bris accidentels puisqu’il s’agit de produits de qualité dont la valeur s’élève à environ 2 000,00 USD[4]. Le client est d’ailleurs un audiophile.

 

[7]               Les représentants de la partie défenderesse le rassurent à ce niveau, affirmant que la compagnie transporte de tels biens de façon régulière et ils savent comment les emballer.

 

[8]               Ainsi, le contrat conclu entre les parties indique effectivement une valeur déclarée de 2 000,00 USD, un poids de 50 lbs et la mention « fragile »[5].

 

[9]               À la suggestion du manufacturier KEF, le client prend plusieurs photos des enceintes de différents angles avant l’envoi et exige du transporteur de lui envoyer des photos une fois les articles emballés. Les photos prises sont déposées sous P-1 en liasse[6].

 

[10]           Le lendemain, il constate des photos reçues que l’emballage ne semble pas adéquat, mais c’est trop tard, le paquet étant parti. Quoique les enceintes soient effectivement enveloppées d’un papier à bulles avec du papier brun autour pour combler le vide dans la boîte, la compagnie n’a pas utilisé un double emballage comme suggéré par le client. Donc, les deux enceintes ont été placées dans la même boîte l’une par-dessus l’autre.

 

[11]           Le paquet est livré le 27 décembre 2021[7]. Le 29 décembre 2021, le manufacturier KEF avise monsieur Coach de la réception des speakers, malheureusement avec des multiples dommages apparents[8].

 

[12]           Une série de photos prise par le manufacturier est déposée sous P-1 en liasse[9]. Elle met en évidence le fait que le paquet n’a pas été manipulé prudemment ainsi que la présence d’égratignures, des côtés abîmés et de petits morceaux brisés des haut-parleurs. Il s’agit de défauts esthétiques, n’ayant pas d’impact sur leur fonctionnement, mais non réparables selon le manufacturier[10].

 

[13]           Le client fait sans délai une réclamation à FedEx en joignant les photos[11] (numéro de confirmation C-51941739)[12].

 

[14]           Or, n’ayant pas de réponse à sa réclamation pendant plusieurs jours, le 24 janvier 2022 monsieur Coach transmet une lettre de mise en demeure au transporteur, en faisant référence à la réclamation et demandant un dédommagement équivalent à la valeur déclarée de 2 000,00 USD.

 

[15]           Quelque temps après, il reçoit un appel de FedEx l’informant que sa réclamation est transférée au bureau canadien, puisqu’il est résident canadien.

 

[16]           Au mois de mai 2022, le client envoie de nouveau une mise en demeure au bureau central canadien de FedEx (à la même adresse à laquelle est notifiée la demande introductive d’instance), par laquelle il réclame également des dommages punitifs[13].

 

[17]           Au mois de juin 2022, il a plusieurs échanges verbaux et par courriel avec monsieur Corey Carpanzano, directeur au sein de FedEx, supposément d’une succursale à Montréal (sa signature professionnelle du courriel ne précise pas ni le bureau ni l’adresse) qui lui confirme la réception de la lettre de mise en demeure, exige certains documents pour étudier la réclamation et finalement informe le client qu’après enquête FedEx décline responsabilité du montant total. Parmi les motifs énumérés figurent l’âge des haut-parleurs (trois ans et demi au moment des événements), le fait qu’ils étaient envoyés pour des réparations et que les dommages internes ne sont pas causés par le service de transport[14].

 

[18]           Le 22 juillet 2022, monsieur Coach introduit sa demande à la division des petites créances, réclamant 4 000,00 USD dont 2 000,00 USD à titre de dommages punitifs et moraux.

 

ANALYSE:

[19]           Le fardeau de la preuve en matière civile est établi par les articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, selon lesquelles il appartient à la partie qui veut faire valoir un droit de prouver, de façon prépondérante, les faits sur lesquels reposent ses prétentions.

[20]           La preuve prépondérante consiste en celle qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence.

[21]           Le fait que le dossier procède par défaut ne module pas l’obligation de la partie demanderesse d’établir, par l’entremise d’une preuve prépondérante, non seulement le bien-fondé de sa réclamation, mais aussi le quantum des dommages subis. La simple hypothèse ou possibilité demeure insuffisante.

[22]           D’entrée de jeu, il faut préciser que tribunaux québécois sont compétents pour décider du présent dossier parce qu’il s’agit d’une action fondée sur un contrat de consommation et le client est résident québécois, le tout en vertu de l’article 3149 du C.c.Q. Aussi, les lois québécoises sont applicables aux obligations des parties en l’absence d’une clause d’élection par les parties[15]. 

[23]           Ainsi, en l’espèce, nous sommes en présence d’un contrat de transport, régi par la Loi sur la protection du consommateur (L.p.c.), laquelle est d’ordre public[16] et le C.c.Q.[17].

[24]           Le Code civil du Québec prévoit :

«Art. 2030: Le contrat de transport est celui par lequel une personne, le transporteur, s'oblige principalement à effectuer le déplacement d'une personne ou d'un bien, moyennant un prix qu'une autre personne, le passager, l'expéditeur ou le destinataire du bien, s'engage à lui payer, au temps convenu.»

[25]           À cet égard, l'article 2049 du C.c.Q. impose au transporteur une obligation de résultat, laquelle implique la livraison effective du ou des biens à leur destinataire, et ce, dans le même état et la même quantité qu'il les a reçus.

[26]           Le paragraphe 2 précise que : « Il est tenu de réparer le préjudice résultant du transport, à moins qu’il ne prouve que la perte résulte d’une force majeure, du vice propre du bien ou d’une freinte normale. »

[27]           L’absence du résultat fait donc présumer sa faute. Théoriquement, il n’y aurait que la force majeure qui puisse l’exonérer, et ce, s’il avait contesté la demande.

[28]           Par ailleurs, l’action en dommages-intérêts contre un transporteur doit être précédée d’un avis écrit dans les 60 jours de la livraison[18], obligation à laquelle monsieur Coach s’est conformé par sa réclamation en ligne produite le 10 janvier 2022 auprès de FedEx[19].

[29]           L'article 1458 C.c.Q. établit le principe selon lequel toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés, et que tout manquement à ce devoir la rend responsable du préjudice causé à son contractant en raison de cette faute contractuelle.

[30]           En l’occurrence, la preuve non contredite démontre une exécution partielle de l’obligation de la partie défenderesse, notamment la livraison effective du bien à son lieu de destination, mais dans un état endommagé apparent (il ne s’agit pas de dommages au niveau fonctionnel), en raison de laquelle elle est responsable des dommages causés à son client.

[31]           En principe, FedEx aurait été responsable de la valeur des réparations nécessaires. Or, en l’occurrence, comme confirmé par le manufacturier, les dommages esthétiques sont irréparables (pièce P-5) en raison de la méthode de production du modèle.

[32]           Le Tribunal ne peut toutefois ne pas tenir compte du fait que la partie demanderesse s’est débarrassée des enceintes sans contrepartie alors qu’elles étaient fonctionnelles. Il ne faut pas oublier qu’elle avait l’obligation légale de minimiser ses dommages selon l’article 1479 C.c.Q. Elle aurait pu les vendre avec les défauts esthétiques pour un prix de 400,00$[20], probablement même plus.

[33]           Ainsi, dans les circonstances, le transporteur sera tenu d’indemniser partiellement le client en fonction de la valeur des haut-parleurs de 2 000,00 USD, déclarée par le client et acceptée par la partie défenderesse lors de la conclusion du contrat[21], déduction faite du prix de réalisation possible des haut-parleurs usagés avec défauts cosmétiques.

[34]           De plus, ladite valeur étant en dollars américains, elle doit être convertie en devise canadienne, puisque la Loi sur la monnaie[22] dans l'interprétation qu'on lui a donnée habituellement, interdit de prononcer un jugement en monnaie étrangère. Le Tribunal retient donc le taux de conversion en date du 21 décembre 2021, date à partir de laquelle le transporteur assume la responsabilité des biens, notamment USD/ CAD 1,2845[23].

[35]           En ce qui concerne les dommages punitifs pouvant être réclamés en vertu de l’article 272 de la L.p.c., quelques commentaires s’imposent.

[36]           Selon l’arrêt Time de la Cour Suprême[24], ces dommages sont octroyés :

«… dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables, et conformément aux objectifs de la L.p.c., qui sont de rétablir l’équilibre dans les relations contractuelles entre commerçants et consommateurs et d’éliminer les pratiques déloyales et trompeuses.  Les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner l’octroi de dommagesintérêts punitifs. »

(nos soulignements)

 

[37]           Dans les circonstances du dossier, vu le comportement insouciant ou négligeant de FedEx[25] et à la lumière de l’article 1621 du C.c.Q., le tribunal considère que la somme globale de 600,00$ est raisonnable et justifiée pour le volet dommages punitifs et moraux et suffit pour assurer la fonction préventive des dommages punitifs, soit de dissuader la partie défenderesse qu’une situation similaire se reproduise. En effet, en s’adressant vers un professionnel dans le domaine, une compagnie spécialisée en transport de marchandises, le client s’attend à un service de qualité, sans tracas. Dans le cas qui nous préoccupe, malgré l’insistance du client par rapport à la valeur des biens transportés et l’importance de leur emballage, le commerçant n’a pas agi de façon prudente et diligente. La communication avec lui était déficiente et compliquée. La situation a causé de l’anxiété au consommateur. Toutefois, la preuve n’est pas concluante quant à l’abus ou le comportement répétitif de la part de FedEx pour justifier l’octroi du montant réclamé. Par ailleurs, l’indemnité additionnelle n’est pas due sur cette partie de la condamnation[26].

 

[38]           Vu tout ce qui précède et en l’absence d’une version contraire, le Tribunal conclut que monsieur Pierre Coach a prouvé les allégations essentielles de sa réclamation en partie, pour le montant de 2 769$;

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

 

[39]           ACCUEILLE la demande en partie;

 

[40]           CONDAMNE FEDERAL EXPRESS CANADA à payer à PIERRE COACH la somme de 2169,00$, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 10 janvier 2022, date d’envoi de la réclamation;

 

[41]           CONDAMNE FEDERAL EXPRESS CANADA à payer à PIERRE COACH la somme de 600,00$ à titre de dommages punitifs, avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2022, date de notification de la demande introductive d’instance;

 

[42]           CONDAMNE FEDERAL EXPRESS CANADA à payer à PIERRE COACH les frais de justice au montant de 108,00$.

 

 

__________________________________

Galina Karageorgieva, G.S.C.Q.


[1] La partie défenderesse opère plutôt sous le nom de FedEx

[2] La notification est faite à l’adresse de son établissement principal en Ontario (selon la recherche d’adresse, déposée en complément par courriel du 19 juin 2023), laquelle correspond au domicile élu de FedEx, inscrit au Registre des entreprises (conformément à l’article 128 du C.p.c.)

[3] Pièce P-1 : Reçu d’envoi

[4] Pièce P-6 : Preuve d’achat au montant de 2 700,00 CAD en 2018; Preuve du prix actuel sous P-5 et P-1 en liasse

[5] Précité, note 1

[6] Elles ont également été envoyées par courriel pour fins de meilleure visualisation

[7] Pièce P-9

[8] Pièce P-8 : Échanges après l’envoi

[9] Aussi transmise par courriel pour une meilleure visualisation

[10] Pièce P-5 : Lettre datée du 20 janvier 2022

[11] Pièce P-1

[12] Pièce P-3

[13] Pièce P-12 et compléments

[14] Pièce P-11

[15] C.c.Q., art. 3117(3) et L.p.c., art.19

[16] Idem, art. 261-262

[17] C.c.Q., art.2030 et ss

[18] C.c.Q., art.2052 (2)

[19] Pièces P-1 et P-3

[20] Selon l’admission de monsieur Coach de la meilleure offre reçue suite à ses tentatives de vendre les haut-parleurs. Cependant il a décidé de les donner à un copain.

[21] Correspondant d’ailleurs à 80% de leur prix actuel selon les pièces P-1 et P-5

[22] Loi sur la monnaie (L.R.C. (1985), ch. C-52)

[23] Taux de conversion de la Banque du Canada en date du 21 décembre 2021 sur son site Internet au https://www.banqueducanada.ca/taux/taux-de-change/convertisseur-de-devises/

[24]  Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8

[25] Idem

[26] Radiomutuel inc. c. Carpentier, (C.A., 1995-05-09), SOQUIJ AZ-95011553, J.E. 95-1068, [1995] R.R.A. 315, EYB 1995-56090; Lanctôt c. Giguère, (C.S., 1990-11-01), SOQUIJ AZ-91021013, J.E. 91-39, [1991] R.J.Q. 123, [1991] R.R.A. 80 (rés.), EYB 1990-75774; Giroux c. Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 919, (C.Q., 2000-06-28), SOQUIJ AZ-00036475

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