Section des affaires sociales
En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales
Référence neutre : 2016 QCTAQ 04452
Dossier : SAS-Q-212733-1510
CAROLINE GONTHIER
L… L…
c.
[1] Le Tribunal est saisi d’un recours logé par les requérants à l’encontre de la déci-sion rendue en révision par l’intimée, Retraite Québec, le 4 septembre 2015, laquelle main-tient le droit au paiement de Soutien aux enfants pour leur fille X à partir de février 2014.[1]
[2] Les requérants demandent la rétroactivité du paiement depuis la naissance de l’enfant X, en mars 2004.
[3] De l’ensemble de la documentation au dossier et du témoignage du requérant, le Tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[4] Le requérant précise que sa conjointe, d’origine chinoise, est arrivée au Québec en 2003. Elle ne parle que le mandarin. Elle n’a aucune connaissance de la langue française, ni anglaise.
[5] Le (…) mars 2004, elle a accouché de leur fille X à l’hôpital d’Ottawa, en Ontario.
[6] Ils n’ont aucunement été informés qu’ils avaient droit au paiement de Soutien pour enfants pour leur fille, ni aux allocations versées par le gouvernement fédéral.
[7] À la naissance de sa fille, le requérant a toutefois fait la demande d’admissibilité à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) pour cette dernière.
[8] Le requérant soutient que les lois ne sont pas adaptées et qu’ils auraient dû être informés de ce programme, et ce, même si sa conjointe ne s’exprime qu’en mandarin.
[9] Il souligne que la rétroactivité de ce paiement à la naissance de leur fille représente beaucoup d’argent pour eux. Leur fille fréquente l’école à Ville A au Québec et cet argent leur permettra de lui payer des études universitaires, ainsi que les dépenses liées à ses activités sportives et culturelles.
[10] C’est par l’intermédiaire d’une personne de leur entourage qu’ils ont été informés de la possibilité d’obtenir cette allocation.
[11] Le 22 décembre 2014, ils ont complété la demande de paiement de Soutien aux enfants pour l’enfant X.
[12] Cette demande a été reçue par l’intimée le 5 janvier 2015.
[13] Le 23 février suivant, au motif qu’ils ne savaient pas qu’ils pouvaient bénéficier du paiement de Soutien aux enfants, les requérants demandent à l’intimée de rétroagir à la date de naissance de leur fille en mars 2004.
[14] Le 21 mai 2015, l’intimée informe la requérante de son droit au paiement de Soutien aux enfants pour sa fille X à partir de février 2014. Il est précisé que selon la Loi sur les impôts[2], le paiement est versé rétroactivement pour une période maximale de 11 mois à compter de la date de la réception de la demande, soit en janvier 2015. Une somme de 4 496,48 $ leur sera payée.
[15] Le 18 août 2015, la requérante demande la révision de cette décision à l’intimée. Elle invoque sa méconnaissance des langues française et anglaise, ainsi que son ignorance de l’existence des programmes d’allocations de Soutien aux enfants.
[16] Le 4 septembre suivant, sur la base que l’ignorance de la loi ou le retard à produire une demande ne constitue pas pour la Régie des rentes (Retraite Québec) des motifs acceptables pour verser des prestations pour une période rétroactive plus longue, l’agente de révision confirme la décision rendue en première instance.
[17] Le 2 novembre 2015, la requérante conteste cette décision auprès du Tribunal administratif du Québec (TAQ), d’où le présent litige.
[18] Le Tribunal doit donc apprécier le présent litige à la lumière de l’article 1029.8.61.24 de la Loi sur les impôts (la Loi) qui prévoit que :
« 1029.8.61.24. Un particulier ne peut être considéré comme un particulier admissible, à l’égard d’un enfant à charge admissible, au début d’un mois donné que s’il présente une demande, à l’égard de cet enfant à charge admissible, auprès de la Régie au plus tard 11 mois après la fin du mois donné.
La Régie peut, en tout temps, proroger le délai fixé pour présenter une demande visée au premier alinéa. »
[19] Ce qui est en cause ici, c’est le refus de proroger le délai au-delà de 11 mois.
[20] Comme précisé au second alinéa de cet article, l’intimée a le pouvoir, en tout temps, de proroger le délai fixé pour présenter une demande visée au premier alinéa. Ce pouvoir discrétionnaire est encadré par une directive qui énumère les situations permettant à l’intimée d’accorder ou non la prorogation de délai.
[21] Parmi celles qui le permettent, l’intimée retient la présentation d’une preuve probante d’impossibilité en fait d’agir, l’erreur, la négligence, l’incompétence ou l’incurie du procureur ou mandataire, toutes situations exceptionnelles hors du contrôle de la personne, ainsi que le retard pour faire une demande de paiement de Soutien aux enfants attribuable au comportement de la Régie, avec certaines conditions.
[22] Parmi les situations qui ne le permettent pas, l’intimée mentionne l’ignorance de la loi, l’erreur de droit (sauf si elle est introduite par la Régie), l’inaction, la négligence, le manque d’argent ou la dépendance à un parent.
[23] Enfin, en cas de doute, l’intimée prévoit dans sa directive que la prorogation doit être à l’avantage du bénéficiaire.
[24] Il est acquis que le Tribunal n’est pas lié par cette directive. Toutefois, comme elle sert à encadrer le pouvoir discrétionnaire accordé à l’intimée et que cette directive n’est pas déraisonnable, arbitraire ou discriminatoire, le Tribunal juge opportun de s’y référer.
[25] En l’espèce, afin de bénéficier de la prorogation de ce délai, les requérants soulèvent comme excuse que la requérante ne parle ni le français, ni l’anglais, et qu’elle n’a pas été informée de l’existence de ce programme d’allocation de Soutien aux enfants.
[26] Or, bien que la méconnaissance de la langue française ou anglaise puisse constituer un obstacle pour la requérante, le Tribunal constate que le requérant, lui, maîtrise bien l’anglais et le français. D’ailleurs, lors de l’audience, celui-ci s’est très bien exprimé dans les deux langues, précisant même, à maintes reprises, qu’il agissait également pour le compte de sa conjointe qui ne s’exprime qu’en mandarin.
[27] De même, il suffit de consulter la documentation au dossier pour constater que les formulaires, ainsi que les demandes de contestation sont rédigés en langue anglaise avec maintes explications et contresignés par le requérant.
[28] Ainsi, bien que la requérante ne parle ni français ni anglais, cette situation n’empêchait pas le requérant de l’assister ou bien de présenter lui-même une demande à l’intimée, tout comme d’ailleurs il l’a fait dès la naissance de sa fille en 2004 en complétant la demande d’admissibilité à la RAMQ.
[29] Ce faisant, le Tribunal considère qu’il ne s’agit donc pas d’un motif d’impossibilité d’agir plus tôt ou d’une situation exceptionnelle hors du contrôle des requérants permettant de proroger le délai.
[30] Enfin, quant au second motif invoqué qui est celui de l’ignorance de la loi, soulignons que le Tribunal a rendu récemment une décision qui, après une analyse exhaustive de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi », conclut que dans le cadre de l’application d’une loi rémédiatrice et à caractère social, comme en l’espèce, l’ignorance de la loi ne suffit pas, à elle seule, à refuser le droit à des prestations[3].
[31] À cet égard, dans sa décision, le Tribunal précise que l’ignorance doit être justifiée par une preuve contextuelle prépondérante et qu’il y a lieu de tenir compte également du comportement de la personne qui a fait la demande de prestations, notamment en fonction de la nécessité de démontrer une certaine diligence de sa part à l’égard du dépôt de sa demande[4].
[32] Or, après avoir analysé sous cet angle l’ensemble de la preuve au dossier, le Tribunal ne dispose d’aucune autre explication que celle de la barrière linguistique de la requérante qui, de l’avis du Tribunal, n’empêchait pas les requérants d’agir avec une certaine diligence quant au dépôt de la demande.
[33] Par conséquent, le Tribunal conclut au bien-fondé de la décision rendue en révision par l’intimée, le 4 septembre 2015, laquelle maintient le droit au paiement de Soutien aux enfants à partir de février 2014.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
- REJETTE le recours.
Me Philippe Auger-Giroux
Lafond, Robillard & Laniel
Procureur de la partie intimée
/jj
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