Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Emery | 2025 QCCDCPA 17 |
CONSEIL DE DISCIPLINE |
ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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No : | 47-25-00472 |
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DATE : | 9 juillet 2025 |
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LE CONSEIL : | Me ISABELLE DUBUC | Présidente |
M. SIMON DERMARKAR, FCPA auditeur | Membre |
M. JOCELYN PATENAUDE, FCPA auditeur | Membre |
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CLAUDE MAURER, CPA, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec |
Plaignant |
c. |
SAMUEL EMERY, CPA |
Intimé |
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DÉCISION EN VERTU DE L’ARTICLE
149.1 DU CODE DES PROFESSIONS |
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL PRONONCE UNE ORDONNANCE DE MISE SOUS SCELLÉS DES PIÈCES 13.1, 13.2, 15.2, 15.3 ET 16.8 AFIN D’ASSURER LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DE L’INTIMÉ ET DE SE CONFORMER À L’ORDONNANCE ÉMISE À CET EFFET PAR LA COUR DU QUÉBEC DANS LE DOSSIER 505-01-183354-238. |
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APERÇU
- Le 29 janvier 2025, M. Claude Maurer, le plaignant, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’Ordre), dépose une plainte disciplinaire contre l’intimé, M. Samuel Emery, après avoir été informé que ce dernier a été déclaré coupable par la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale (la Cour du Québec), de leurre informatique d’une personne de moins de 16 ans.
PLAINTE
- La plainte disciplinaire portée contre l’intimé est ainsi libellée :
- À Longueuil, le ou vers le 4 septembre 2024, l’intimé a fait l’objet, dans le dossier #505-01-183354-238, d’une décision de la Cour du Québec le déclarant coupable d’un chef d’infraction criminelle en lien avec l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé, soit d’avoir, le ou vers le 16 novembre 2022, communiqué par un moyen de télécommunication avec un agent d’infiltration endossant l’identité de Léa, personne, âgée de moins de 16 ans ou qu’il croyait telle, en vue de faciliter la perpétration à son égard d’une infraction visée aux articles 151 ou 152, aux paragraphes 160(3) ou 173(2) ou aux articles 271, 272, 273 ou 280, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue à l’article 172.1 (1)b) (2)b) du Code criminel (chef #2 amendé le 4 septembre 2024), se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, RLRQ c. C -26, le tout comme prévu à l’article 149.1 du Code des professions;
[Transcription textuelle]
- D’emblée, le plaignant affirme être d’avis qu’il existe un lien entre l’infraction criminelle dont l’intimé a été déclaré coupable et l’exercice de la profession, ce que ce dernier admet.
- Par ailleurs, les parties sont d’avis qu’il est à propos d’imposer à l’intimé une sanction, et présentent ainsi une recommandation conjointe sur sanction.
- À ce sujet, les parties suggèrent au Conseil d’imposer à l’intimé une période de radiation de trois mois ainsi qu’une limitation temporaire de son droit d’exercice valide jusqu’au 4 septembre 2026. Elles demandent également d’ordonner la publication d’un avis de la décision, aux frais de l’intimé, dans un journal circulant dans le lieu de son domicile professionnel, et de le condamner au paiement des déboursés.
- Les parties déposent, d’un commun accord, une preuve documentaire. Le plaignant dépose des autorités[1] au soutien de sa position et l’intimé en fait autant[2].
QUESTIONS EN LITIGE
- Existe-t-il un lien entre l’infraction criminelle décrite au chef 1 de la plainte et l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé, et, dans l’affirmative, est-il à propos d’imposer à l’intimé l’une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions?
- Le Conseil doit-il entériner la recommandation conjointe sur sanction?
- Le Conseil, après avoir délibéré, répond par l’affirmative aux deux questions en litige et donne suite à la recommandation conjointe des parties, celle-ci n’étant pas contraire à l’intérêt public ni susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
CONTEXTE
- L’intimé est membre de l’Ordre depuis le 24 septembre 2010.
- Le 16 novembre 2022, l’intimé entre sur un site de clavardage en ligne et échange avec un agent d’infiltration utilisant un pseudonyme d’une adolescente de moins de 16 ans. Il exprime alors des propos à caractère sexuel.
- Le 26 janvier 2023, une dénonciation est émise contre l’intimé, puis il est arrêté.
- Dès le mois de février 2023, il entreprend une thérapie.
- Le 4 septembre 2024, devant la Cour du Québec, le poursuivant modifie la plainte et l’intimé plaide coupable au chef 2 de la plainte modifiée, soit à l’infraction de leurre informatique d’une personne âgée de moins de 16 ans prévue à l’article 172.1(1)b) (2)b) du Code criminel. Par ailleurs, l’arrêt conditionnel des procédures est prononcé sur les chefs 1, 3, 4, et 5.
- La même journée, la Cour du Québec impose à l’intimé une peine d’emprisonnement de 18 mois avec sursis, étant convaincu du fait qu’il « purge sa peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci ». L’ordonnance de sursis prévoit des conditions pour chacun des thèmes suivants : interdiction de communiquer ou d’être en présence de certaines personnes, couvre-feu, surveillance et suivi, thérapie, services communautaires et don et remboursement.
- De plus, la Cour du Québec prononce une ordonnance d’interdiction en matière d’infraction d’ordre sexuel d’une durée de deux ans selon l’article 161 du Code criminel, une ordonnance de prélèvement de substances corporelles pour analyse génétique, et une ordonnance de dédommagement/confiscation prévoyant le versement d’un don de 2 500 $ à CAVAC Montérégie dans un délai de huit mois.
- Le 17 avril 2025, le Comité exécutif de l’Ordre conclut que l’infraction commise par l’intimé a un lien avec l’exercice de la profession de CPA et décide, en vertu de l’article 55.1 du Code des professions[3], de limiter provisoirement son droit d’exercer des activités professionnelles selon les modalités suivantes :
DE LIMITER PROVISOIREMENT, en vertu de l’article 55.1 du Code des professions, le droit d’exercer des activités professionnelles de monsieur Samuel Emery, CPA, en lui interdisant de rendre des services professionnels à des personnes âgées de moins de 16 ans ainsi que de chercher, d’accepter ou de garder un emploi (rémunéré ou non) ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de seize ans.
ANALYSE
- Le chef 1 de la plainte est fondé sur l’article 149.1 du Code des professions[4] ainsi libellé :
149.1. Un syndic peut saisir le conseil de discipline, par voie de plainte :
1° de toute décision d’un tribunal canadien déclarant un professionnel coupable d’une infraction criminelle;
2° de toute décision rendue au Québec le déclarant coupable d’une infraction visée à l’article 188 ou d’une infraction à une disposition d’une loi du Québec ou d’une loi fédérale;
3° de toute décision rendue hors Québec le déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Québec, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale en vertu de l’article 188 ou d’une poursuite pénale en vertu d’une disposition d’une loi du Québec ou d’une loi fédérale.
La décision visée au premier alinéa doit, de l’avis du syndic, avoir un lien avec l’exercice de la profession.
Une copie dûment certifiée de la décision judiciaire fait preuve devant le conseil de discipline de la perpétration de l’infraction et, le cas échéant, des faits qui y sont rapportés. Le conseil de discipline prononce alors contre le professionnel, s’il le juge à propos, une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156.
- Le Tribunal des professions dans l’affaire Thivierge[5] enseigne que cet article comporte un test en deux étapes.
- À la première étape, le Conseil procède à un examen de la nature des infractions dont le professionnel a été reconnu coupable, de leur gravité et des circonstances entourant leur commission, et ce, en relation avec les qualités essentielles à l’exercice de la profession. Il doit alors statuer sur l’existence ou non d’un lien avec l’exercice de la profession. Si le Conseil conclut à l’absence de ce lien, l’exercice s’arrête à cette première étape.
- La deuxième étape du test intervient après la conclusion de l’existence du lien entre la commission des infractions criminelles et l’exercice de la profession visée. Le Conseil doit alors prendre en compte la pratique spécifique du professionnel visé afin de décider s’il est opportun d’imposer des sanctions et, le cas échéant, lesquelles[6].
- Existe-t-il un lien entre l’infraction criminelle décrite au chef 1 de la plainte et l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé, et, dans l’affirmative, est-il à propos d’imposer à l’intimé l’une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions?
- Le 4 septembre 2024, à la suite de son plaidoyer de culpabilité, l’intimé est déclaré coupable par la Cour du Québec de l’infraction prévue à l’article 172.1 (1)b) (2)b) du Code criminel, soit de leurre informatique d’une personne de moins de 16 ans. En effet, le ou vers le 16 décembre 2022, il communique par un moyen de télécommunication avec un agent d’infiltration endossant l’identité de Léa, personne âgée de moins de 16 ans ou qu’il croyait telle, en vue de faciliter la perpétration à son égard d’une infraction de nature sexuelle, soit des propos à caractère sexuel.
- Le plaignant est d’avis qu’il existe un lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession. Pour sa part, l’intimé admet l’existence de ce lien. Cependant, le Conseil n’est pas lié par les positions des parties, il lui appartient de tirer ses propres conclusions[7].
- Le Conseil estime qu’il existe un lien entre l’infraction criminelle reprochée et la profession de comptable professionnel agréé et voici pourquoi.
- La Cour suprême du Canada dans l’affaire Friesen[8] reconnaît qu’il est primordial de protéger les enfants contre l’exploitation illicite et le danger. Elle affirme le caractère répréhensible et nocif des infractions d’ordre sexuel sur les enfants leur causant des préjudices corporels, émotionnels et psychologiques. De telles infractions portent atteinte au droit à l’autonomie personnelle des enfants, à leur intégrité physique et sexuelle, à leur dignité et à leur égalité. Ainsi, de telles infractions portent atteinte à leurs droits fondamentaux et vont à l’encontre des valeurs essentielles de notre société, comme la Cour d’appel le mentionne dans l’affaire R. c. Régnier[9].
- Une infraction de leurre est définie comme étant un moyen d’attirer et de tromper. En l’espèce, il s’agit d’attirer et de tromper une personne de moins de 16 ans pour faciliter la perpétration à son égard d’une infraction d’ordre sexuel, soit en l’espèce, de tenir des propos à caractère sexuel.
- Il s’agit d’une infraction extrêmement grave qui heurte de plein fouet les qualités fondamentales d’honnêteté, d’intégrité, de sincérité et de probité attendues des membres de la profession, comme l’enseigne le Tribunal des professions dans l’affaire Nareau[10].
- L’exercice de la profession se veut un gage de confiance. Le public est en droit de s’attendre à de hauts standards d’intégrité et de probité quand il traite avec des professionnels de la comptabilité pour la protection de ses intérêts patrimoniaux et la conduite légitime de ses affaires[11]. L’objectif de protection du public exige que le Conseil intervienne face au comportement de l’intimé.
- Le lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession étant établi, le dernier alinéa de l’article 149.1 du Code des professions[12] prévoit que le Conseil doit examiner l’opportunité de prononcer contre lui l’une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 du même Code.
- Dans le cadre de l’imposition d’une sanction à la suite de l’application de l’article 149.1 du Code des professions, le Conseil n’a pas à punir l’intimé de nouveau pour les infractions criminelles, mais il doit plutôt déterminer si la protection du public exige qu’une sanction disciplinaire soit imposée en plus de la sentence criminelle déjà prononcée[13].
- Le Tribunal des professions dresse une liste non exhaustive des critères à prendre en considération par le Conseil, lorsqu’il exerce sa discrétion d’imposer ou non une sanction[14][15] :
[…]
L’exercice de sa discrétion sur "…l’à propos d’une sanction…" doit se faire dans le cadre du droit disciplinaire. Les critères d’intervention doivent donc être :
1° Est-ce que l’acte criminel est un acte qui est privé ou s’il porte atteinte à la protection du public?
2° Est-ce que l’acte criminel est un acte qui, par ailleurs, pourrait être l’objet d’une plainte en vertu des dispositions du Code de déontologie?
3° Est-ce un acte qui est en relation directe avec l’exercice de la profession?
4° Globalement, est-ce un acte qui exige l’intervention du Comité de discipline dans son rôle de protecteur du public?
[…]
- Les parties, d’un commun accord, admettent qu’il est à propos d’imposer une sanction disciplinaire à l’intimé.
- Le Conseil est d’avis que l’infraction criminelle commise par l’intimé doit être sanctionnée. Elle contrevient aux qualités essentielles recherchées chez les membres de l’Ordre, à l’obligation déontologique d’agir avec intégrité, honnêteté et probité[16] ainsi qu’à celle d’agir avec dignité et d’éviter d’adopter toute attitude susceptible de nuire à la réputation de la profession ou à la confiance du public. Sans conteste, l’infraction criminelle commise par l’intimé porte atteinte à la dignité de la profession et à la confiance que le public a droit d’avoir envers les comptables professionnels agréés. Considérant la mission de protection du public dont le Conseil est investi et la perception du public qui en est une composante, le Conseil conclut qu’il est à propos d’imposer une sanction disciplinaire à l’intimé.
- Le Conseil doit-il entériner la recommandation conjointe sur sanction?
- Les principes applicables en matière de recommandation conjointe
- En lien avec une plainte formulée en application de l’article 149.1 du Code des professions, le Conseil n’a pas à se prononcer sur la culpabilité de l’intimé à l’égard de l’infraction criminelle, celle-ci ayant déjà été jugée. Il doit, cependant, lui imposer une sanction, si cela est à propos. Cette étape peut faire l’objet d’un débat contradictoire, comme celle de la détermination de la sanction.
- En l’espèce, les parties recommandent conjointement au Conseil d’imposer à l’intimé une période de radiation de trois mois ainsi qu’une limitation temporaire de son droit d’exercice valide jusqu’au 4 septembre 2026 selon les modalités déjà exposées dans l’introduction.
- Dans ce cadre, le Conseil suit les enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire Baptiste c. R.[17] réitérés dans l’affaire Obodzinski c. R.[18] qui établissent que la recommandation conjointe présentée après un verdict doit recevoir le même traitement que celle présentée en échange d’un plaidoyer de culpabilité, à savoir en tenant compte des mêmes principes que ceux décrits dans l’arrêt Anthony-Cook[19] de la Cour suprême du Canada.
- La recommandation conjointe sur sanction constitue un outil important pour le système de justice pénale contribuant à son efficacité[20] et nécessaire à une saine administration de la justice[21]. La Cour suprême du Canada (la Cour suprême) rappelle d’ailleurs, dans l’arrêt Nahanee[22], qu’une recommandation conjointe « procure aux parties une certitude raisonnable que la position dont elles ont convenu constituera la décision[23] ».
- En présence d’une recommandation conjointe, le Conseil l’entérine s’il en arrive à la conclusion que la sanction suggérée ne déconsidère pas l’administration de la justice ou n’est pas contraire à l’intérêt public, comme l’enseigne la Cour suprême dans l’arrêt Anthony-Cook[24]. Il en arrivera à la conclusion contraire si la sanction proposée est « à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé[25] ».
- Ainsi, le Conseil n’a pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction proposée et encore moins de sa justesse ni, par conséquent, décider d’imposer la sanction qu’il juge la plus appropriée[26].
- L’approche préconisée en présence d’une recommandation conjointe sur sanction consiste à procéder à l’analyse de son fondement présenté par les parties, incluant les effets bénéfiques pour l’administration de la justice, et ce, afin de déterminer s’il y a un élément susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public[27].
- C’est à la lumière de ces principes que le Conseil répond à cette question.
- Le fondement de la recommandation conjointe
- Les parties mentionnent avoir pris en considération les objectifs de la sanction, soit la nécessité de protéger le public et la dissuasion de l’intimé ainsi que l’exemplarité à l’égard des pairs comme enseigné par la Cour d’appel dans l’affaire Pigeon c. Daigneault[28].
- De plus, elles expliquent avoir considéré la gravité objective de l’infraction criminelle dont l’intimé a été reconnu coupable, les facteurs subjectifs aggravants et atténuants propres à l’intimé et les précédents jurisprudentiels.
- Facteurs objectifs
- Les parties soulignent la gravité objective de l’infraction criminelle dont l’intimé a été reconnu coupable, soit le leurre d’une mineure, menant à une peine d’emprisonnement de 18 mois avec sursis.
- Elles affirment que le comportement de l’intimé porte atteinte à la protection du public, notamment à l’une de ses composantes, soit la perception du public, et porte ombrage à l’ensemble de la profession.
- Elles retiennent, toutefois, qu’il s’agit d’un acte isolé.
- Facteurs subjectifs
- À titre de facteurs subjectifs aggravants, les parties retiennent l’âge et le nombre d’années d’expérience de l’intimé. En effet, il est âgé de 37 ans au moment de l’infraction et de 39 ans lorsqu’il plaide coupable et il possède entre 12 et 14 années d’expérience aux mêmes moments. À l’audition, il est âgé de 40 ans. Il ne peut donc ignorer ses obligations déontologiques ni le comportement exemplaire auxquels s’attendent l’Ordre et le public.
- À titre de facteurs subjectifs atténuants, les parties exposent ce qui suit.
- L’intimé admet le lien entre l’infraction criminelle commise et l’exercice de la profession.
- Il n’a aucun antécédent disciplinaire.
- Il entreprend des démarches de suivi psychologique qui illustrent une progression quant à sa réhabilitation.
- Les parties soulignent la dissuasion anticipée de l’intimé par l’imposition de la période de radiation de trois mois et la limitation temporaire de son droit d’exercer des activités professionnelles devant se terminer le 4 septembre 2026.
- Elles soulignent, de plus, les conséquences que l’intimé a déjà subies, à savoir sa peine criminelle de 18 mois d’emprisonnement avec sursis et les autres ordonnances rendues à son égard ainsi que la décision du 17 avril 2025 du Comité exécutif de l’Ordre lui imposant une limitation provisoire de son droit d’exercer des activités professionnelles.
- Quant au risque de récidive, les parties arguent que les trois rapports d’évaluation de l’intimé effectués dans le cadre de son dossier devant la Cour du Québec exposent un cheminement personnel, un suivi psychologique composé de nombreuses séances, l’absence de pathologie faisant craindre à une récidive, ce qui démontre un pronostic favorable et un risque de récidive faible.
- Précédents jurisprudentiels
- Faisant partie du fondement de la recommandation conjointe, les parties mentionnent avoir pris en considération les précédents jurisprudentiels suivants. Ceux-ci comportent cependant des circonstances plus graves qu’en l’espèce, en ce qu’en plus de l’infraction de leurre de mineurs de moins de 16 ans, d’autres infractions d’ordre sexuel à l’égard de personnes mineures sont reprochées aux comptables visés :
- Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poulin[29] : M. Poulin communique avec une mineure par un moyen de communication afin de commettre des infractions d’ordre sexuel, il accède à de la pornographie juvénile et transmet à la mineure du matériel sexuellement explicite en vue de commettre des infractions d’ordre sexuel. Il reconnaît les faits, exprime des remords en regard de la victime, entreprend de sérieuses démarches de réhabilitation et purge sa peine d’emprisonnement. De plus, l’acte est isolé, le comptable n’a pas d’antécédents disciplinaires et il collabore avec les policiers et le système judiciaire pénal. Le conseil de discipline entérine la recommandation conjointe présentée par les parties et lui impose une période de radiation de quatre mois;
- Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Fortin[30] : M. Fortin communique avec une mineure de 15 ans en vue de commettre une infraction d’ordre sexuel, il accède et possède de la pornographie juvénile, notamment à partir de son ordinateur professionnel et déclare faussement à l’Ordre ne pas avoir fait l’objet d’une décision criminelle. Il plaide coupable devant la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, et purge une peine d’emprisonnement. Il reconnaît son problème, exprime des remords sincères, démontre une volonté de s’amender et n’a aucun antécédent disciplinaire. Le conseil de discipline entérine la recommandation conjointe présentée par les parties et lui impose une période de radiation de quatre mois;
- Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Baladi[31] : En tout, M. Baladi est reconnu coupable d’avoir commis 27 chefs d’infractions criminelles sur une période de deux ans à l’égard de 11 victimes âgées de 13 à 18 ans. Notamment, à 12 reprises, il communique au moyen d’un ordinateur avec une mineure afin de commettre des infractions d’ordre sexuel. À deux reprises, il invite ou incite une mineure de moins de 16 ans à le toucher à des fins d’ordre sexuel et à deux reprises, il touche une partie du corps d’une mineure de moins de 16 ans à des fins d’ordre sexuel. Il purge une peine d’emprisonnement de cinq ans, il suit une thérapie et, selon les rapports déposés au dossier devant la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, son risque de récidive est faible. Par ailleurs, il n’a pas d’antécédents disciplinaires. Le conseil de discipline entérine la recommandation conjointe et lui impose une limitation permanente du droit d’exercice consistant en une interdiction d’exercer à titre de travailleur autonome ou dans le cadre d’une société dont il serait propriétaire unique ou seul dirigeant, ainsi qu’une limitation permanente du droit d’exercice consistant en une interdiction de rendre des services professionnels liés à l’exercice de sa profession à des personnes âgées de moins de 16 ans.
- Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poitras[32] : M. Poitras est déclaré coupable par la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, de production de pornographie juvénile, et sur 30 chefs d’avoir communiqué au moyen d’un ordinateur avec des personnes âgées de moins de 18 ans ou qu’il croyait telles en vue de perpétrer à leur égard des infractions d’ordre sexuel, ce qu’il ne déclare pas à l’Ordre. Une peine d’emprisonnement de 48 mois lui est imposée ainsi que des ordonnances de ne pas entrer en contact avec des mineures de moins de 16 ans. Pour sa part, le conseil de discipline lui impose une période de radiation de 10 mois et une limitation temporaire de sept ans du droit d’exercice consistant en une interdiction de rendre des services professionnels liés à l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé à des personnes âgées de moins de 18 ans, sauf en présence d’un adulte responsable de l’enfant lors de tout contact relié auxdits services professionnels, et ce, à l’exclusion de ses enfants biologiques.
- Ainsi, le cas en l’espèce ne comporte qu’un chef d’infraction criminelle de leurre de mineure pour lequel l’intimé a été reconnu coupable sans aucune autre accusation de possession ou de production de pornographie juvénile, ce qui milite pour une sanction moindre qu’une période de radiation de quatre mois selon les parties.
Conclusion
- Les parties soulignent que la recommandation conjointe est le fruit de discussions sérieuses et de nombreux échanges prenant en compte l’ensemble des faits du dossier. Elles arguent avoir modulé la sanction recommandée en prenant en considération la situation particulière de l’intimé. Elles estiment donc que la recommandation conjointe ne déconsidère pas l’administration de la justice ni n’est contraire à l’intérêt public.
- En plus de la période de radiation de trois mois suggérée, les parties demandent au Conseil d’imposer à l’intimé une limitation temporaire de son droit d’exercer des activités professionnelles d’environ 15 mois. Cette limitation s’accorde avec l’ordonnance d’interdiction en matière d’infractions d’ordre sexuel rendue à son égard d’une durée de 2 ans prenant effet le 4 septembre 2024 et se terminant donc au 4 septembre 2026. Au moment de la signature de la décision, il reste 14 mois à cette ordonnance d’interdiction. Ainsi, afin de respecter la recommandation conjointe des parties, le Conseil impose à l’intimé une limitation temporaire de son droit d’exercice, laquelle prendra fin le 4 septembre 2026.
- Considérant l’ensemble des circonstances de la présente affaire, les facteurs objectifs des infractions et subjectifs propres à l’intimé ainsi que les précédents jurisprudentiels, le Conseil est d’avis qu’il n’est pas en présence d’une suggestion des parties dissociée des circonstances du cas à l’étude, et considère que la recommandation conjointe présentée par les parties ne déconsidère pas l’administration de la justice ni n’est contraire à l’intérêt public, et en conséquence, il l’entérine.
- Une personne raisonnable et au fait de toutes les circonstances de la présente affaire ne serait certainement pas choquée par cette recommandation conjointe ni ne serait portée à croire que le système de justice a cessé de bien fonctionner.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 27 MAI 2025 :
- CONSTATE la condamnation de l’intimé à l’égard de l’accusation criminelle décrite au chef 1.
- DÉCLARE que la condamnation de l’intimé à l’égard de l’accusation criminelle décrite au chef 1 de la plainte disciplinaire a un lien avec l’exercice de la profession.
- DÉCIDE qu’il est à propos d’imposer à l’intimé, sur le chef 1, l’une des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.
- IMPOSE à l’intimé, sur le chef 1, une période de radiation de 3 mois.
- IMPOSE à l’intimé une limitation temporaire de son droit d’exercice, laquelle prendra fin le 4 septembre 2026 et consistant en une interdiction de rendre des activités professionnelles liées à l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé à des personnes âgées de moins de 16 ans, sauf en présence d’un adulte responsable de l’enfant lors de tout contact relié auxdites activités professionnelles à l’exclusion de ses enfants biologiques.
- ORDONNE, à la secrétaire du Conseil de discipline de publier un avis de la présente décision, aux frais de l’intimé, dans un journal circulant dans le lieu de son domicile professionnel, conformément à l’article 156 du Code des professions.
- CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés prévus à l’article 151 du Code des professions.
| ___________________________________ Me ISABELLE DUBUC Présidente ___________________________________ M. SIMON DERMARKAR, FCPA auditeur Membre ___________________________________ M. JOCELYN PATENAUDE, FCPA auditeur Membre |
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Me Alexandre L. Racine |
Avocat du plaignant |
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Me Jean-Claude Dubé |
Avocat de l’intimé |
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Date d’audience : | 27 mai 2025 |
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[1] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Tosques, 2024 QCCDCPA 18; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, 2018 QCTP 60; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poitras, 2024 QCCDCPA 11; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Larouche, 2020 QCCDCPA 6; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Baladi, 2016 CanLII 24461 (QC CPA); R. c. Régnier, 2018 QCCA 306; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Fortin, 2019 CanLII 107570 (QC CPA); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poulin, 2023 QCCDCPA 28; Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5; R. c. Anthony‑Cook, 2016 CSC 43; Notaires (Ordre professionnel des) c. Génier, 2019 QCTP 79; Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Gougeon, 2021 QCTP 84; Jean-Guy Villeneuve, Nathalie Dubé, Tina Hobday, Précis de droit professionnel, Cowansville, Yvon Blais, 2007, p. 242-259.
[2] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poulin, 2024 QCCDCPA 3; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Fortin, 2019 CanLII 107570 (QC CPA); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Baladi, 2016 CanLII 24461 (QC CPA); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poitras, 2024 QCCDCPA 11.
[5] Avocats (Ordre professionnel des) c. Thivierge, 2018 QCTP 22, paragr. 79 et 80, confirmée par Thivierge c. Tribunal des professions, 2019 QCCS 3809 et par Thivierge c. Bellemare, 2021 QCCA 678.
[7] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 1.
[8] R. c. Friesen, 2020 CSC 9.
[9] R. c. Régnier, 2018 QCCA 306.
[10] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 1; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poitras, supra, note 1.
[11] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 1, paragr. 56 et 57.
[13] Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Gavrilovic, 2016 CanLII 78381 (QC OIIA); Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Côté, 2020 QCCDBQ 8.
[16] Code de déontologie des comptables professionnels agréés, RLRQ, c. C-48.1, r. 6.1, art. 24.
[17] Baptiste c. R., 2021 QCCA 1064.
[18] Obodzinski c. R., 2021 QCCA 1395.
[19] R. c. Anthony‑Cook, 2016 CSC 43.
[20] R. c. Binet, 2019 QCCA 669; Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52.
[21] Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 89.
[22] R. c. Nahanee, 2022 CSC 37, paragr. 32.
[24] R. c. Anthony‑Cook, supra, note 19; R. c. Binet, supra, note 20; Médecins (Ordre professionnel des) c. Mwilambwe, 2020 QCTP 39.
[25] R. c. Anthony‑Cook, supra, note 19.
[26] Notaires (Ordre professionnel des) c. Génier, 2019 QCTP 79; Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Ungureanu, 2014 QCTP 20; Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Vincent, 2019 QCTP 116; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Emrich, 2022 QCTP 55.
[27] R. c. Binet, supra, note 20; R. v. Belakziz, 2018 ABCA 370; Denturologistes (Ordre professionnel des) c. Lauzière, 2020 QCCDDD 2.
[28] Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA).
[29] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poulin, supra, note 2.
[30] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Fortin, supra, note 1.
[31] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Baladi, supra, note 1.
[32] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poitras, supra, note 1.