Décision

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Option Consommateurs c. Société des loteries du Québec (Loto-Québec)

2021 QCCS 4954

 

 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

No :

500-06-000822-169

 

 

DATE :

29 novembre 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE johanne mainville, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

OPTION CONSOMMATEURS

Demanderesse

et

 

DENIS DAGENAIS

 Personne désignée

c.

 

SOCIÉTÉ DES LOTERIES DU QUÉBEC (LOTO-QUÉBEC)

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(ORDONNANCE DE CONFIDENTIALITÉ ET DE MISE SOUS SCELLÉS

______________________________________________________________________

 

[1]                La défenderesse, Société des loteries du Québec (« Loto-Québec ») recherche l’obtention d’une ordonnance de confidentialité et de mise sous scellés à l’égard des informations communiquées en réponse à la demande de préengagement E-6 et à la demande d’engagement RM-3, souscrites lors des interrogatoires préalables de ses représentants, soit :

a)     E-6 : le nombre d’animations conçues pour chaque lot possible et selon la mise initiale du joueur;

 

b)     RM-3 : fournir un compendium de chaque résultat final de chaque animation possible, par lot, dans le jeu Big Money Slingo Slingo »).

 

(ci-après, collectivement, les « Réponses aux engagements »)

[2]                Selon Loto-Québec, la divulgation de ces Réponses aux engagements porterait atteinte à ses intérêts commerciaux ainsi qu’à ceux d’Instant Win Gaming (« IWG »), un tiers qui n’est pas partie au litige. Plus spécifiquement, Loto Québec soulève les motifs suivants au soutien de sa demande :

i)                    les informations visées par les Réponses aux engagements appartiennent à un tiers qui n’est pas partie au litige;

 

ii)                  ces informations sont hautement confidentielles et leur divulgation porterait atteinte aux intérêts commerciaux d’IWG et de Loto-Québec;

 

iii)                les Réponses aux engagements E-6 et RM-3 sont couvertes par l’entente de confidentialité visant notamment la communication de préengagements en vue des interrogatoires préalables des représentants de Loto-Québec (l’ « Entente R-1 ») et partant, l’information doit être tenue confidentielle.

[3]                Loto-Québec demande donc la mise sous scellés de ces informations ou de toute référence à celle-ci ainsi que l’émission d’une ordonnance de confidentialité afin que les Réponses aux engagements soient traitées de façon confidentielle, uniquement aux fins de la présente action collective, et que seuls Loto-Québec, Me Sylvie De Bellefeuille et Me Élise Thériault, avocates à l’interne de la demanderesse Option Consommateurs (« Option »), de même que les avocats et les experts des parties puissent y avoir accès et ce, à l’exclusion de tout autre personne incluant la personne désignée et les membres du groupe.

[4]                Option s’oppose à la demande de confidentialité et mise sous scellés. Elle soutient que :

i)        Loto-Québec n’a pas satisfait son fardeau de preuve tel qu’énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan[1];

 

ii)      l’engagement RM-3 n’est pas couvert par l’Entente R-1 et la communication de celui-ci par ordonnance du Tribunal a eu l’effet de déclassifier contractuellement l’information contenue dans le préengagement E-6;

 

iii)    la communication de l’engagement RM-3 par ordonnance, sans condition de confidentialité, empêche Loto-Québec de demander ultérieurement la mise sous scellés de ces documents.

 

1.                 Historique

[5]                Dans le cadre d’une action collective, Option, au nom de ses membres, poursuit Loto-Québec au motif que le jeu Slingo laisse croire faussement aux consommateurs que le hasard intervient tout le long du jeu, alors qu’en fait, il s’agit d’un jeu dont le résultat est prédéterminé dès que le joueur reçoit sa carte de jeu et l’active. Selon elle, le résultat du jeu est un choix de conception et non le fruit du hasard.

[6]                Dans le cadre de l’instance, les parties ont conclu une entente de confidentialité (l’ « Entente R-1 ») visant notamment la communication de préengagements en vue des interrogatoires préalables des représentants de Loto-Québec[2].

[7]                Le 8 mai 2020, les avocats de Loto-Québec font parvenir aux avocats d’Option les réponses aux demandes de préengagements, lesquelles incluent le préengagement E6. Ce document est communiqué sous une base confidentielle conformément aux clauses de l’Entente R-1.

[8]                Le 28 juillet 2020, lors de son interrogatoire, M. Réal Montgrain, directeur corporatif de la conformité des appareils et des systèmes de jeux chez Loto-Québec, souscrit, sous objection, l’engagement RM-3. Le 19 janvier 2021, le Tribunal rejette l’objection au motif que l’information demandée est pertinente, ayant un rapport avec les faits en litige.

[9]                À la suite de la décision du Tribunal, le 10 mars 2021, Loto-Québec communique à Option la réponse à la demande d’engagement RM-3, mais l’avise que cet engagement, est couvert par l’entente R-1, tout comme le préengagement E-6; ce que conteste Option.

[10]           Les diverses tentatives entre les parties pour trouver une solution à leur différend sur la question s’avèrent infructueuses.

[11]           Le 21 juin 2021, Option avise Loto-Québec de son intention d’utiliser les Réponses aux engagements aux fins de l’instance et dans le cadre de ses communications avec la Cour, sans égard à l’Entente R-1, d’où la présente demande.

2.                 Le Droit

[12]           En droit canadien, la règle est celle du caractère public des débats judiciaires. Le principe de la publicité des débats judiciaires est lié aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés[3], plus particulièrement l’article 2 b) qui consacre la liberté d’expression. 

[13]           L’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[4] reconnait le droit de toute personne à une audition publique de sa cause :

Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.

Le tribunal peut ordonner le huis clos dans l’intérêt moral ou de l’ordre public.

[14]           Enfin, l’article 12 du Code de procédure civile CPC ») réitère ces principes et prévoit que le Tribunal peut faire exception au principe de la publicité des débats dans certains cas :

12. Le tribunal peut faire exception au principe de la publicité s’il considère que l’ordre public, notamment la protection de la dignité des personnes concernées par une demande, ou la protection d’intérêts légitimes importants exige que l’audience se tienne à huis clos, que soit interdit ou restreint l’accès à un document ou la divulgation ou la diffusion des renseignements et des documents qu’il indique ou que soit assuré l’anonymat des personnes concernées. 

[15]           Les juges détiennent un pouvoir discrétionnaire de rendre des ordonnances de confidentialité dans certaines circonstances[5], lequel ne doit pas être exercé de façon arbitraire.

[16]           La Cour suprême du Canada a, à maintes reprises, affirmé le principe de la publicité des débats judiciaires et établi notamment les conditions de validité de demandes de non-publication dans les décisions Dagenais c. Société Radio-Canada[6], R. c. Mentuck[7], Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général)[8] et précisé celles-ci dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances)[9].

[17]           Dans Sherman, le juge Kasirer, écrivant pour la majorité, reprend la jurisprudence en matière de limitation de la publicité des débats judiciaires et reformule le test qui doit être appliqué lorsqu’un tribunal a mission de trancher une demande de cette nature[10]:

[38] Le test des limites discrétionnaires à la publicité présumée des débats judiciaires a été décrit comme une analyse en deux étapes, soit l’étape de la nécessité et celle de la proportionnalité de l’ordonnance proposée (Sierra Club, par. 53). Après un examen, cependant, je constate que ce test repose sur trois conditions préalables fondamentales dont une personne cherchant à faire établir une telle limite doit démontrer le respect. La reformulation du test autour de ces trois conditions préalables, sans en modifier l’essence, aide à clarifier le fardeau auquel doit satisfaire la personne qui sollicite une exception au principe de la publicité des débats judiciaires. Pour obtenir gain de cause, la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que :

1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

Ce n’est que lorsque ces trois conditions préalables sont remplies qu’une ordonnance discrétionnaire ayant pour effet de limiter la publicité des débats judiciaires  par exemple une ordonnance de mise sous scellés, une interdiction de publication, une ordonnance excluant le public d’une audience ou une ordonnance de caviardage —pourra dûment être rendue. Ce test s’applique à toutes les limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires, sous réserve uniquement d’une loi valide (Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, [2005] 2 R.C.S. 188, par. 7 et 22).[11]

[18]           Ces conditions sont cumulatives.

[19]           C’est à Loto-Québec qu’incombe le fardeau de démontrer que les Réponses aux engagements visés par sa demande relèvent d’un intérêt public important qui se voit sérieusement menacé au regard des trois volets du test reformulé par la Cour suprême[12].

[20]           Contrairement à ce que Loto-Québec avance, soit qu’il faille se distancer de la décision rendue par le juge Immer, j.c.s., dans Raymond Chabot Grant Thornton c. Bourgeois sur l’application de l’arrêt Sherman en matière commerciale, le Tribunal partage ses propos lorsqu’il écrit :

[32] Sherman n’est pas parfaitement transposable à un litige commercial comme celui en l’instance où il est question de renseignements commerciaux plutôt que de la vie privée d’individus. Le Tribunal tire néanmoins les constats suivants :

32.1   Les renseignements commerciaux sensibles peuvent constituer un intérêt important au sens du premier critère de Sherman, mais l’interprétation restrictive qui prévalait avant Sherman demeure clairement d’actualité.

32.2    Puisque l’atteinte à la vie privée de l’individu ne suffit pas pour constituer un « intérêt légitime important » et qu’une atteinte à la dignité est requise pour justifier des ordonnances, à titre de corollaire, ce ne sont pas toutes données financières ou renseignements commerciaux qui constituent un intérêt public important, mais bien seulement les renseignements de grande valeur.

32.3 Pour paraphraser Sherman, le caractère sensible des renseignements doit toucher la partie la plus névralgique de l’entreprise, tout comme pour l’individu, les renseignements sur sa vie privée doivent toucher « l’aspect le plus intime » de cet individu.

32.4   Les renseignements « révélant peu » sur l’entreprise ne peuvent pas être protégés.

32.5  Les intérêts commerciaux qui sont à protéger doivent intéresser la société dans son ensemble et non seulement la partie qui cherche des mesures de protection.

3.                 ANALYSE

[21]           Une ordonnance de mise sous scellés implique que les tierces parties ne peuvent avoir accès aux documents produits au dossier de la Cour. Une ordonnance de non-divulgation ou de non-communication a pour objet de permettre la production d’une information pertinente au dossier de la cour afin qu’elle soit discutée par les parties et considérée par le Tribunal à l’exclusion du public[13] et parfois d’une des parties à l’exception de ses procureurs.

[22]           L’ordonnance sollicitée par Loto-Québec, soit une ordonnance sous scellés et de confidentialité, aurait pour effet de limiter l’accès de la personne désignée, des membres du groupe et du public aux documents confidentiels et leur examen public. Il y aurait donc atteinte à la garantie de la liberté d’expression du public.

[23]           Ayant conclu que les documents faisant l’objet de l’engagement RM-3 sont pertinents au litige, alors que les parties ont convenu entre elles que le préengagement E-6 était visé par l’Entente R-1, ce qui est maintenant remis en question par Option, le Tribunal doit décider si, dans les circonstances, il y a lieu de restreindre le droit à la liberté d’expression.

[24]           Au soutien de la demande modifiée, Loto-Québec produit deux déclarations assermentées. L’une d’elles est celle de Rhydian Fisher, Chef de direction chez Instant Win Gaming (« IWG »), laquelle a développé le jeu Slingo. Elle contient 27 paragraphes.

[25]           IWG est une société britannique dont le siège social est à Londres. Fondée en  2011, elle conçoit et fournit des jeux de loteries en ligne. M. Fisher travaille au sein de IWG depuis novembre 2011 et a une vingtaine d’années de connaissance et d’expertise dans « the regulated operation of online instant win lottery games ».

[26]           La seconde, qui contient 37 paragraphes, est celle de Clément Aubin, chef d’équipe-produits chez Loto-Québec, laquelle commercialise le jeu Slingo.

[27]           Sont également produites l’Entente R-1 caviardée[14] ainsi que l’Entente-Cadre conclue entre Loto-Québec et IWG signée les 8 et 30 septembre 2015 destinée à régir et encadrer la fourniture de jeux par IWG à Loto-Québec  Entente-Cadre »)[15].

[28]           Il convient de reproduire certaines affirmations de la déclaration assermentée de M. Fisher, lequel déclare ce qui suit:

[…]

4. IWG specializes in “instant-win games”, which are quick, relatively simple lottery games that reveal the result instantly, or within a short period of time. Instant win games can be distinguished from more traditional “draw” lotteries, in which a player buys a ticket and then waits days, or even weeks, for the result of the lottery to be revealed.

5. IWG has supplied more than 250 instant-win games to lotteries domestically in the United Kingdom, as well as internationally.

 […]

6.  Big Money Slingo (hereafter, “Slingo”) was developed by IWG in 2015, under license from Blastworks Ltd. (hereafter, “Blastworks”).

7. Blastworks licences to IWG the visual, superficial aspects of the Slingo game such as the use of the Slingo name and logo, and the general front-end workings of the game, including, for example, the notion of a game with a numbered checkerboard in which numbers are drawn by pulling a lever or pressing a button, and then matched thereto.

8.  IWG, as the developer of Slingo, created the code behind it and other   back-end, more technical elements. This includes the number of game scenarios per prize level, and content of each scenario, including the final results of each scenario.

9.  IWG has licenced Slingo to more than seven clients in Europe and North America, some of which are publicly run, others of which are run through privately owned gaming websites.

10.  IWG licenced Slingo to Loto-Quebec in 2016.

[…]

11. The licensing of games from IWG to Loto-Québec is governed by a licencing agreement (hereafter, the “Entente”). This Entente has been communicated as Exhibit R-2 to Loto- Québec’s Demande pour l’obtention d'une ordonnance de confidentialité et de mise sous scellés (hereafter, the “Demande”).

12. This Entente applies to every game licenced, including Slingo.

13.  One of the principal objectives of the Entente is to protect IWG’s proprietary information and intellectual property in the game (as well as those of Blastworks). This is especially important in the case of Slingo, given the game’s global reach.

14. Several provisions of the Entente reflect this objective of protecting IWG’s proprietary information. For instance, sections 2, 10.2, and 20 provide the following, respectively:

2. OBJET

Par la présente entente la Société [soit Loto-Québec] peut demander a IWG un ou des Jeu(x) conformes aux exigences et aux spécifications prévues à cette Entente, et que !a Société pourra ou non décider d'offrir et d'exploiter sous licence sur le Site Web [soit Espacejeux], en conformité avec les modalités et conditions des présentes [...].

10.2 Propriété d’lWG

Sous réserve de I'article 10.1, la Société convient par les présentes que les droits d’auteur, les marques de commerce (y compris les noms (titres) français et anglais des Jeux) el tous les autres droits de propriété intellectuelle se rapportant au Jeu et au Logiciel de jeu demeurent la propriété d’IWG et/ou du tiers propriétaire ou du (des) donneur(s) de licence d’IWG et que ces droits de propriété intellectuelle ne sont aucunement cédés par la présente à la Société sauf pour ce qui est des droits de licence prévus dans cette Entente.

20. CONFIDENTIALITÉ ET PROTECTION DE L’INFORMATION

[...] La Partie réceptrice s’engage à faire toutes choses nécessaires ou utiles pour garder les informations confidentielles et à voir à ce que son personnel fasse de même, y inclus les mesures prévues a l’article 20.2 ci-dessous.

[…]

La Partie réceptrice doit informer la Partie divulgatrice dans les plus brefs délais de toute violation ou tentative de violation des exigences de confidentialité prévues aux présentes, comme par exemple, une tentative d’accès non autorisé à l’égard de la Partie divulgatrice.

La Partie réceptrice sera responsable de tout dommage résultant d’un accès non-autorisé aux informations appartenant a la partie divulgatrice, dû à un manquement de sa part de respecter les dispositions du présent article.

[…]

15. As can be seen from these provisions, Loto-Québec is obligated to protect the confidential information that will be divulged to it by IWG, which obviously includes, but of course is not limited to, IWG’s intellectual property.

16. Moreover, the Entente imposes specific modalities for that protection. Loto-Québec must ensure that anyone who accesses IWG’s confidential information must obtain  prior authorization before doing so.

V. THE INFORMATION SOUGHT IS CONFIDENTIAL INFORMATION

[…]

18.  IWG considers the answers to both undertakings [E-6 ET RM-3] to be:

  1. Highly confidential; and
  2. Information that falls under the ambit of the Entente between IWG and Loto-Québec.

19.  The reason is obvious: these two undertakings involve the core mechanics of the Slingo game.

20.  Public disclosure of how many game scenarios exist for each possible prize level, combined with public disclosure of the final result of each of those game scenarios, would give IWG and Loto-Québec’s competitors into how the game is designed, thereby facilitating the development of similar games, or even the copying of the Slingo game.

21. IWG has always treated this information as confidential, notably by restricting access to it. Moreover, in the gaming industry, information of this nature is treated as confidential.

22.  Public disclosure would necessarily cause significant harm to IWG’s commercial interests. The game scenarios not only reveal every possible outcome of Slingo, but also reveal IWG’s method and strategy for designing instant-win games in general, which IWG uses on all other instant-win games.

23.  Through the Entente, and through a confidentiality agreement signed in the context of the present litigation (communicated as Exhibit R-l to the Demande), IWG and Loto-Québec have done all they can to protect the confidentiality of IWG’s proprietary information.

[…]

26. Moreover, allowing the public to consult, without prior authorization, each of the final results of the Slingo game would most probably result in a loss of interest for the game, the enjoyment of which is derived from the element of surprise.

27.  Such a loss of interest would lead to fewer players, which obviously represents a serious threat to Loto-Québec’s ability to derive winnings from the game, interests in its licencing value.

[29]           Pour sa part, M. Aubin est à l’emploi de Loto-Québec depuis 2001. Il affirme que dans le cadre de ses fonctions, il a acquis des connaissances et de l’expertise approfondie en matière de commercialisation et marketing des jeux de loterie et de casino et avoir une connaissance intime du marché du jeu québécois et international ainsi que de l’étendue de la concurrence apportée à Loto-Québec par des sociétés étrangères opérant des sites internet de jeu.

[30]           M. Aubin affirme notamment qu’en vertu de l’Entente-Cadre, Loto-Québec doit protéger les informations confidentielles qui lui sont divulguées par IWG, incluant la propriété intellectuelle de celle-ci, de façon à ce que toute personne qui y accède soit préalablement autorisée à le faire.

[31]           Il précise que Loto-Québec a toujours traité les informations visées par les deux engagements en litige comme confidentielles et que de telles informations sont généralement considérées comme confidentielles dans l’industrie du jeu.

[32]           Il ajoute que le nombre d’animations conçues (E-6) et le compendium des résultats finaux du jeu (RM-3) sont des éléments fondamentaux de la conception du jeu Slingo et leur caractère confidentiel découle de leur lien avec celle-ci.

[33]           M. Aubin corrobore les affirmations de M. Fisher voulant que l’obtention des informations en litige pourrait faciliter le développement d’un jeu similaire par un compétiteur d’IWG ou la création d’une copie du jeu et menacer ses intérêts commerciaux, en plus de constituer un « accès non autorisé » aux informations appartenant à la partie divulgatrice, tel que le prévoit l’Entente-Cadre.

[34]           Il affirme également que l’accès aux informations en litige pourrait menacer sérieusement les intérêts commerciaux que Loto-Québec a dans le jeu Slingo, car il pourrait avoir un impact négatif sur l’intérêt des joueurs ou du public pour le jeu, d’autant plus que le marché du jeu en ligne est un marché global hautement compétitif et que Loto-Québec et IWG concurrencent d’autres sites de jeu en ligne et d’autres développeurs provenant de partout dans le monde.

[35]           De son côté, Option ne produit aucune déclaration assermentée en réponse à celles de messieurs Fisher et Aubin. Elle n’a pas non plus interrogé ces derniers sur leurs déclarations assermentées.

[36]           Examinons maintenant les conditions pouvant donner ouverture à la demande, telles qu’énoncées par la Cour suprême dans Sherman.

36.1.       La publicité des débats judiciaires pose-t-elle un risque sérieux pour un intérêt public important?

[37]           Selon les déclarations assermentées de M. Fisher et M. Aubin, les informations se retrouvant dans E-6 et RM-3 sont des informations confidentielles qui, une fois révélées, permettront de connaître le processus de conception du jeu Slingo.

[38]           Option rétorque qu’il ne suffit pas d’affirmer dans une déclaration assermentée comme le fait M. Fisher que les informations en litige « involve the core mechanics of the Slingo game », « would give IWG and Loto-Québec’s competitors into how the game is designed » et « reveal IWG’s method and strategy for designing instant-win games in general, which IWG uses on all other instant-win games ». Loto-Québec devait le démontrer.

[39]           Or, ce sont précisément ces informations que Loto-Québec cherche à garder confidentielles.

[40]           Option explique quelle ne demande pas à obtenir la programmation, le code ou la formule du jeu. Ce qu’elle veut utiliser aux fins du procès et de sa préparation ne sont que des scénarios de dévoilement.

[41]           À cet égard, Option soutient que dès qu’un joueur reçoit une carte, il reçoit un scénario de dévoilement. Ainsi, n’importe quel compétiteur ou joueur chevronné naurait qu’à investir du temps pour générer l’ensemble des scénarios possibles et pourrait aisément se faire une idée de ce que le jeu propose. Selon Option, l’opération relève de la connaissance judiciaire, tout comme l’est l’addition 1+1 = 2. On peut donc en déduire que les résultats des scénarios sont significativement accessibles au public. Selon Option, un secret bien gardé ne se révèle pas, alors qu’ici, les résultats sont largement diffusés.

[42]           D’abord, le Tribunal considère qu’il n’est pas de connaissance judiciaire que le dévoilement du nombre d’animations conçues pour chaque lot possible selon la mise initiale du joueur jumelé au résultat final de chaque animation possible par lot ne permet pas à un compétiteur de connaître la mécanique ou la conception même du jeu. Ensuite, le Tribunal ne peut déduire de la pièce D-4, comme l’invite le procureur d’Option à le faire, qu’il est facile pour un compétiteur ou un joueur chevronné d’obtenir les informations en litige simplement en jouant au jeu Slingo pendant un certain temps.

[43]           Option soutient que la détermination du nombre de scénarios ne requiert pas une expertise, que n’importe qui peut comprendre que cette scénarisation est possible.

[44]           En réalité, le procureur d’Option avance des faits non appuyés par une déclaration assermentée d’un témoin, fût-il chevronné, lesquels sont contredits par deux témoins de Loto-Québec qu’Option a choisi de ne pas contre-interroger.

[45]           Or, les déclarations assermentées de M. Fisher et M. Aubin sont des éléments de preuve dont le Tribunal doit tenir compte aux fins du présent jugement. À cet égard, le Tribunal ne retient pas l’argument d’Option lorsqu’elle avance lesdites déclarations ne doivent pas être prises pour avérées ni non plus les allégations qu’elles contiennent, car elles n’ont pas été « testées ».

[46]           La preuve non contredite démontre qu’IWG et Loto-Québec ont toujours traité de façon confidentielle les informations qui font l’objet de la présente demande et que ce genre d’information est généralement considéré comme confidentiel dans l’industrie du jeu.

[47]           De plus, il appert de la déclaration de M. Fisher qu’IWG est spécialisé dans les « instant-win gaming », qu’elle a fourni plus de 250 de ces jeux à des loteries au Royaume-Uni et au niveau international, qu’elle signe des ententes de confidentialité de la nature de l’Entente-Cadre pour tous ses jeux sous licence, incluant Slingo, et qu’elle a octroyé des licences de Slingo à plus de sept clients en Europe et en Amérique du Nord.  

[48]           Ainsi, l’intérêt en question ne se rapporte pas uniquement et spécifiquement à l’intérêt purement commercial des parties au litige, ici plus spécifiquement à Loto-Québec. Comme l’indique la Cour suprême dans Sierra Club : « [s]i [] la divulgation de renseignements doit entraîner un manquement à une entente de non-divulgation, on peut alors parler plus largement de lintérêt commercial général dans la protection des renseignements confidentiels »[16].

[49]           En l’espèce, à l’instar de la décision Sierra Club, l’intérêt commercial important en jeu a trait à la préservation d’obligations contractuelles de confidentialité. Selon la Cour suprême, le fait que la divulgation entraînera un manquement à une entente de non-divulgation constitue un intérêt commercial suffisamment important pour satisfaire un des volets de l’analyse, si certaines conditions relatives aux renseignements sont réunies[17].

[50]           Ici, sans l’ordonnance, il y a un risque sérieux que Loto-Québec enfreigne l’Entente-Cadre.

[51]           De plus, la preuve établit de façon prépondérante que la divulgation des Réponses aux engagements pourrait porter atteinte aux intérêts commerciaux d’IWG qui conçoit et vend les licences d’exploitation du jeu Slingo et à la défenderesse qui les commercialise.

[52]           En effet, il appert de la preuve que ces informations sont gardées confidentielles car : i) si publiées, elles dévoileraient la mécanique du jeu et des jeux en ligne instantanés (instant win games); ii) le domaine du jeu en ligne est un domaine hautement compétitif; iii) lesdites informations présentent un intérêt pour les concurrents; iv) leur divulgation pourrait avoir un impact négatif sur l’intérêt porté envers ce jeu par les participants.

[53]           Le fait de dévoiler la mécanique du jeu Slingo, qui est un jeu de loterie instantané (instant win game) touche à une partie névralgique de l’entreprise IWG puisque cette dernière se spécialise dans ce genre de jeu.

[54]           Ainsi, l’intérêt est important non seulement pour préserver la confidentialité des informations au cœur même de la conception du jeu mais aussi pour la société, car une saine administration de la justice encourage les parties dans le milieu des affaires à s’entendre entre elles.

[55]           Enfin, les parties ont présenté de part et d’autre des arguments quant à l’Entente de confidentialité R-1 convenue entre elles. Or, une telle entente ne lie pas le Tribunal quant au caractère confidentiel qui mérite d’être protégé[18]. Cependant, elle constitue un élément pertinent pour prouver le caractère subjectivement confidentiel de l’information.

[56]           Ainsi, l’Entente R-1 prévoit notamment que les parties s’engagent à ne pas déposer les documents confidentiels à la Cour supérieure, sauf après l’émission d’une ordonnance de la Cour autorisant leur dépôt sous scellés. Ici, les parties ont convenu que le préengagement E-6 constituait une information confidentielle visée par l’Entente R-1 et ont traité celle-ci de façon confidentielle. Or, il est en preuve que la réponse à l’engagement RM-3 dévoile nécessairement la réponse au préengagement E-6.

[57]           Par ailleurs, le fait que le Tribunal ait reconnu la pertinence de la demande d’engagement MR-3 et rejeté l’objection de Loto-Québec dans sa décision de janvier 2021 est sans lien avec l’Entente R1. Les critères pour décider d’une objection relative à la pertinence ne sont pas les mêmes que ceux applicables à la confidentialité d’un document.

[58]           Loto-Québec a donc démontré l’existence d’une atteinte à la confidentialité à la fois subjectivement et objectivement. Cette atteinte est raisonnable. Elle a pour finalité de faire respecter l’entente de confidentialité intervenue entre elle et IWG dans le cours des affaires.

[59]           La preuve établit de façon prépondérante que la communication des Réponses aux engagements, tant E-6 que RM-3, entraînera un manquement de la part de Loto-Québec à l’Entente-Cadre avec IWG en ce que le nombre d’animations conçues pour chaque lot (E-6) et le résultat de chaque animation (RM-3) qui composent le Big Money Slingo constituent des éléments confidentiels qui appartiennent à IWG. Ce n’est pas que la divulgation publique d’un scénario de dévoilement qui est en cause, mais les résultats finaux de l’ensemble des scénarios. C’est le fonctionnement interne même du jeu qui sera dévoilé.

[60]           Bref, Loto-Québec a démontré l’existence d’un intérêt commercial important. Le risque en cause est réel et important. Il est étayé par la preuve et il a été démontré que la communication de l’information recherchée menace de façon sérieuse l’intérêt commercial en question.

[61]           En conclusion, le premier critère est satisfait.

3.1   L’ordonnance sollicitée est-elle nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque?

[62]           Selon Loto-Québec, il n’existe aucune mesure de rechange raisonnable et efficace. Pour sa part, Option n’en suggère aucune. En outre, le caviardage n’est pas une option envisageable considérant la nature des informations en litige.

[63]           Le deuxième critère est satisfait.

3.2   Les avantages de l’ordonnance l’emportent-ils sur ses effets négatifs?

[64]           À la lumière de la preuve dont il dispose, le Tribunal estime que l’ordonnance demandée a une portée limitée dans les circonstances puisque les procureurs des parties, incluant les procureurs internes d’Option, ainsi que leurs experts, auront accès à l’information. Il y a ainsi une proportionnalité entre la mesure et l’intérêt important à protéger.

[65]           Le troisième critère est satisfait.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[66]           ACCUEILLE la Demande pour l’obtention d’une ordonnance de confidentialité et de mise sous scellés modifiée;

[67]           ÉMET une ordonnance de confidentialité à l’égard des réponses à la demande de préengagement E-6 et à la demande d’engagement RM-3 souscrites lors des interrogatoires des représentants de la défenderesse;

[68]           DÉCLARE que les réponses à la demande de préengagement E-6 et à la demande d’engagement RM-3 doivent être traitées de manière confidentielle, uniquement aux fins de la présente action collective, et que seuls la défenderesse, Me Sylvie De Bellefeuille et Me Élise Thériault, avocates à l’interne de la demanderesse, ainsi que les avocats et les experts des parties pourront y avoir accès et ce, à l’exclusion de tout autre personne incluant les membres du groupe;

[69]           AUTORISE le dépôt sous scellés des réponses à la demande de préengagement E-6 et à la demande d’engagement RM-3;

[70]           ORDONNE que toute référence aux informations contenues à la réponse à la demande de préengagement E-6 et à la demande d’engagement RM-3 contenue à un document, procédure, aide juridique, plan d’argumentation, rapport d’expertise ou quelque autre communication que ce soit avec la Cour supérieure soit déposée sous scellés;

[71]           Avec frais de justice.

 

 

 

 

__________________________________JOHANNE MAINVILLE, J.C.S.

 

Me Normand Painchaud

Me Clarence Gauthier-Bertrand

Sylvestre Painchaud et associés

Procureurs de la partie demanderesse

 

Me Christopher Maughan

Woods s.e.n.c.r.l.

Procureur de la partie défenderesse

 

Date d’audience :

1er novembre 2021

 

 

 


[1]  Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25.

[2]  Pièce R-1.

[3]  Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[4]  RLRQ, c. C-12.

[5]  Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, par. 80.

[6]  [1994] 3 R.C.S. 835.

[7]  [2001] 3 R.C.S. 442.

[8]  [1996] 3 R.C.S. 480.

[9]  [2002] 2 R.C.S. 522.

[10]  Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25; L.B. c. J.S. 2021 QCCA 1593, par. 8.

 

[11]  Id., par. 38.

[12]  L.B. c. J.S. 2021 QCCA 1593, par. 11.

[13]  Pelchat c. Astral Média inc., 2012 QCCS 4295, par. 25.

[14]  Pièce R-1.

[15]  Pièce R-2.

[16]  Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522, par. 55.

[17]  Id., par. 59.

[18]  Marcotte c. Banque de Montréal, 2008 QCCS 3225, par. 143.

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