Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Habitations Immofive inc. c. Delaunais

2025 QCTAL 1691

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Shawinigan

 

No dossier :

808428 14 20240712 G

No demande :

4399524

 

 

Date :

22 janvier 2025

Devant la juge administrative :

Brigitte Morin

 

Les Habitations Immofive Inc.

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Marcel Delaunais

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          La locatrice demande qu’il soit ordonné au locataire de se débarrasser de son chien.
  2.          Elle allègue que le bail intervenu entre les parties donne le droit de posséder un chat, mais spécifie l’interdiction de garder un chien. Malgré l’envoi d’une mise en demeure, le locataire refuse de se départir de l’animal.
  3.          Le locataire habite le logement depuis le 30 juin 2015. La locatrice est devenue propriétaire de l’immeuble le 7 décembre 2021. Le bail de 12 mois se terminant le 30 juin 2025 prévoit un loyer mensuel de 502 $.
  4.          Madame Audrey Gervais (madame Gervais) est la représentante légale de la locatrice. Quelques semaines après l’acquisition de l’immeuble par la locatrice, une rencontre a lieu entre madame Gervais et le locataire Marcel Delaunais (monsieur Delaunais).
  5.          Des changements aux règlements de l’immeuble sont présentés à monsieur Delaunais. Les documents sont lus et signés par le locataire et remis immédiatement à madame Gervais. Une clause prévoyant la présence de chiens est raturée. La représentante de la locatrice exprime que le locataire n’a pas contesté la clause du règlement relative aux chiens.
  6.          Le 27 juin 2022, une rencontre a lieu chez le locataire afin de procéder à la remise des chèques. Le locataire explique alors qu’il pourrait garder le chien d’une amie de façon sporadique. Madame Gervais lui demande de respecter les termes du bail.
  7.          En août 2022, madame Gervais constate une conversation sur le WEB où le locataire offre ses services pour garder un chien. Une mise en demeure est expédiée au locataire le 25 août 2022 lui demandant de se conformer au règlement de l’immeuble.
  8.          Le 19 octobre 2022, une offre de médiation citoyenne est proposée à la locatrice. Le 9 novembre 2022, elle maintient sa position d’interdire la présence du chien dans le logement.

  1.          Le 9 décembre 2022, une demande est introduite devant le Tribunal administratif du logement afin que monsieur Delaunais se départisse du chien dont il a la garde, toutefois, le dossier est fermé faute de notification.
  2.      En février 2023, l’avis de renouvellement de bail est remis au locataire. Ce dernier répond qu’il est prêt à accepter l’augmentation de loyer prévu à l’avis s’il peut garder son chien Cashew. La locatrice refuse à nouveau la présence du chien.
  3.      Le 12 juillet 2024, la locatrice introduit le présent dossier afin que le locataire se départisse du chien.
  4.      Le 21 octobre 2024, un billet médical est transmis par le locataire relatif à la nécessité de posséder un chien.
  5.      Le contre-interrogatoire de madame Gervais permet de préciser que la locatrice possède quatre immeubles et que les règlements permettent la possibilité de garder des animaux sous certaines conditions. Puisque le bail intervenu avec monsieur Delaunais prévoit l’interdiction de garder un chien, le refus est maintenu.

La preuve du locataire :

  1.      Monsieur Claude Melançon habite le même immeuble que le locataire. Il voit le chien de son voisin qui ne dérange pas.
  2.      Monsieur Jérému Viau Rancourt habite aussi l’immeuble, il témoigne que monsieur Delaunais possède un chat et un chien. Les deux animaux sont tranquilles et ne dérangent pas.
  3.      Monsieur Jean-Marc Gauthier témoigne aussi en faveur du locataire, il habite l’immeuble adjacent. Il a vu le petit chien du locataire qui s’en occupe très bien et lui apporte tous les soins nécessaires. Il a entendu le chien japper une fois, monsieur Delaunais s’est empressé à le faire entrer dans son logement afin qu’il ne dérange pas.
  4.      Monsieur Delaunais témoigne demeurer dans le logement depuis bientôt dix ans. Il soutient qu’il a un droit acquis de posséder un chien puisqu’il possédait un chat lorsque la locatrice est devenue propriétaire de l’immeuble.
  5.      Il admet avoir signé les règlements de l’immeuble en février 2022. Il précise qu’il n’est pas habitué à ce genre de document, qu’il n’a aucune connaissance en droit et qu’il est, par surcroît, une personne vulnérable. Il se décrit comme faisant confiance trop facilement.
  6.      Il raconte une journée typique avec ses animaux qui lui aident à avoir une meilleure santé mentale. Il marche tous les jours avec son chien. Il brosse son chat et nourrit bien ses animaux. Il lui arrive à l’occasion de promener d’autres chiens, mais il affirme ne pas les garder chez lui.
  7.      Son médecin traitant lui a signé un papier médical mentionnant que la présence de l’animal constitue un bienfait pour sa santé mentale.[1] Ce chien brise son isolement, il remplit sa vie. S’il doit se départir de l’animal, il considère que sa vie sera détruite.
  8.      Monsieur Delaunais ajoute que madame Gervais lui a proposé de payer 25 $ de plus par mois pour avoir le droit de garder le chien. Ce dernier vit avec lui depuis maintenant deux ans et demi, auparavant, il en avait la garde de façon sporadique.

Les arguments des parties :

  1.      Madame Gervais plaide que le bail est clair et que la possession d’un chien n’est pas acceptée. Le locataire a acquiescé à tous les avis de modifications au bail. Il était par ailleurs au courant qu’il pouvait garder son chat.
  2.      Monsieur Delaunais plaide, quant à lui, s’être fait piéger en signant les règlements de février 2022. Il soutient qu’une clause d’interdiction peut être déclarée valide si elle n’est pas abusive. De son avis la clause d’interdiction doit être déclarée abusive et déraisonnable puisque le chien est nécessaire pour sa santé mentale et qu’il ne dérange pas. 


Analyse :

  1.      Le recours de la locatrice se fonde sur l’article 1863 du Code civil du Québec qui se lit tel que suit :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire, le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

  1.      Un locateur peut inclure dans un bail l’interdiction de posséder un animal de compagnie. Cette interdiction a été déclarée valide et raisonnable par les tribunaux du Québec.[2] Le locateur peut ainsi demander au locataire qu’il se départisse de son animal.
  2.      Il est intéressant de lire l’opinion de Me Léon Turgeon relative aux clauses d’interdiction de posséder des animaux : [3]

« Le problème d'une clause d'interdiction des animaux survient quand il y a une prohibition absolue d'avoir des animaux en tout temps dans un logement, sans aucune distinction, précision ou justification quelconque. L'application de la clause en raison de son caractère absolu peut devenir déraisonnable et excessif, et ce, me si le tribunal accepte l’argument de la validité d'une telle clause. Il est fondamental de faire la distinction entre la validité de la clause et la légalité des circonstances de son application. Même si le tribunal juge la clause valide et raisonnable, il doit refuser de lui donner effet quand l'exercice du droit reconnu par cette clause ne se fait pas de bonne foi, en contravention de l'article 6 C.c.Q. ou d'une manière excessive, déraisonnable ou dans le but de nuire à autrui, en dérogation de l'article 7 C.c.Q. »

« La clause n'a donc pas besoin d'être excessive pour être abusive, mais simplement déraisonnable dans les circonstances. Comme une obligation imposée au locataire doit être raisonnable dans les circonstances, cela indique la nécessité de se placer résolument dans l'axe de la protection des droits du locataire. L'article 1901 C.c.Q. modifie spécifiquement l'examen des circonstances par une personne raisonnable puisque celle-ci se doit de privilégier l'approche du locataire, mais toujours dans une recherche du caractère raisonnable de la situation dans les circonstances soumises.  Un auteur émet l'avis que des décisions relatives aux clauses prohibitives de garder des animaux dans des logements, ne les considèrent généralement pas abusives, mais qu'elles le deviennent quand on les applique à des personnes qui « ressentent un bienfait tout particulier de la présence d'un animal de compagnie »47. »

« Aussi, il peut falloir apprécier la clause dans le contexte de son application et les conséquences qui en découlent, car les circonstances peuvent influencer le caractère abusif de la clause et faire en sorte qu'une clause qui ne semble pas abusive le devienne dans son application. Par exemple, même si on considère qu'une clause interdisant les animaux dans un bail de logement ne serait pas abusive en principe, son application peut le devenir si on en demande le respect contre une personne ressentant un bienfait particulier produit par la présence d'un animal de compagnie. Il faut, bien sûr, respecter le bien-être des autres occupants et ne pas leur causer préjudice, ce qui est la norme du bon sens. D'ailleurs, même en l'absence d'une clause prohibitive, un locataire ne peut avoir un animal qui cause un préjudice aux autres locataires ou aux autres occupants d'un immeuble. »

« Il n'est pas suffisant pour le locateur d'invoquer que le bail prévoit l'interdiction de garder un animal pour lui donner raison. Il faut que ce droit d'exiger le respect de la clause s'exerce de bonne foi, sans intention ou résultat de nuire au locataire et cela, selon la perspective d'une personne raisonnable. L'exercice déraisonnable des droits fait perdre toute légitimité à celui qui veut en forcer l'exécution et le tribunal doit dans ce cas refuser d'accueillir le recours. L'exercice raisonnable des droits est, depuis 1994, une valeur fondamentale du Code civil du Québec qui doit être respectée et appliquée par tous. » (Le Tribunal souligne)

  1.      Il doit donc être évalué si l’application d’une clause d’interdiction de posséder des animaux est déraisonnable dans les circonstances soumises et que son respect s’exerce de bonne foi. Le locataire doit démontrer que l’interdiction qui lui est imposée ne peut lui être opposable. À cet égard, le Tribunal retient les propos de la juge administrative Chantal Boucher dans la décision SOLIDES c. Desjardins[4] :


« [38]   Le Tribunal rappelle que la clause d’interdiction de posséder un animal tel qu’un chien, étant reconnu valide en droit, il appartient à la locataire de démontrer par preuve prépondérante que celle-ci devrait être écartée par le Tribunal afin de lui permettre de garder un chien malgré cette interdiction notamment en présentant des circonstances précises et particulières qui rendent cette clause déraisonnable à son endroit. Aux fins de son analyse, le Tribunal réfère aux propos tenus par l’Honorable Gabriel De Pokomandy statuant sur une demande pour permission d’en appeler en lien avec le caractère raisonnable d’une clause d’interdiction de posséder des animaux[12] :

[73]        Dans l'optique d'une demande d'exécution en nature, le locataire qui demande l'annulation d'une clause ou la réduction de l'obligation devra assumer le fardeau de preuve[24].

[74]        Étant donné que la ligne de démarcation entre l'agrément que procure le simple compagnonnage d'un animal et le besoin thérapeutique d'un locataire de la présence de son animal (zoothérapie) n'est pas toujours facile à tracer, il faut une preuve médicale pour établir qu'on est bien dans la deuxième situation, la seule qui permet de réduire l'obligation découlant d'une clause d'interdiction[25].

[75]        La locataire doit donc se décharger de son fardeau d'établir que la présence de l'animal a une utilité thérapeutique, et que l'application de la clause d'interdiction du bail lui causerait un préjudice affectif ou psychologique qui rendrait cette clause déraisonnable dans les circonstances particulières du dossier.

[76]        La décision dont on demande la permission d'appeler nous apparaît avoir accepté une preuve en deçà de ce qui semble être la règle établie par la jurisprudence et ne semble pas avoir pris en compte les conditions dans lesquelles les tribunaux ont permis la présence d'un animal aux fins d'une zoothérapie.

[39]   Suivant ce raisonnement, le Tribunal estime donc qu’une simple note médicale générale et laconique rapportant les dires de la locataire sur les bienfaits de posséder un chien comme animal de compagnie est insuffisante pour repousser une clause d’interdiction. Le Tribunal estime qu’une évaluation plus approfondie est nécessaire afin de rencontrer le fardeau de preuve requis tel que le conclut la juge administrative Francine Jodoin dans la décision déposée par la locatrice 9183-7062 Québec inc. (Seigneurie Lasalle) c. Pineda[13] :

« [32]   Quoiqu’il en soit, que l’on prenne une position ou l’autre, les clauses d’interdiction de garder un animal au logement ayant été reconnu valide, il appartient aux locataires de prouver le caractère déraisonnable de cette clause à leur égard.

[33]   Ainsi, cette preuve doit aller au-delà, des bienfaits généralement reconnus quant à la présence d’un animal de compagnie. [8] » »

  1.      En l’espèce, la preuve démontre que le locataire a pris connaissance des règlements au moment où ils lui ont été soumis. Il a pu négocier avec la représentante de la locatrice la présence d’un chat. Lors des renouvellements des baux, il a consenti aux modifications proposées. 
  2.      Le Tribunal ne peut considérer que la clause d’interdiction de garder des animaux, prévue au bail, est déraisonnable dans les circonstances puisqu’une permission a été accordée au locataire de garder son chat qu’il possède depuis de nombreuses années.
  3.      Le locataire n’a pas démontré par une preuve prépondérante que sa situation nécessite la présence du chien qu’il a accueilli. Bien que le billet médical indique que cette présence lui apporte bien-être et réconfort, il n’a pas été démontré à la satisfaction du Tribunal que le chien l’aide à résoudre son état psychologique. Il est par ailleurs reconnu du bienfait d’un animal de compagnie auprès des personnes, toutefois, cette reconnaissance générale ne peut être utilisée aux fins de déclarer inopposable une clause d’un contrat librement consenti.
  4.      Au surplus, le recours de la locatrice est exercé en toute bonne foi. Rien dans la preuve ne permet au Tribunal de conclure que la demande introduite l’a été dans le but de nuire au locataire.
  5.      La preuve soumise ne justifie pas l’exécution provisoire de la décision.
  6.      VU ce qui précède :

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ACCUEILLE la demande de la locatrice;

  1.      ORDONNE au locataire de se départir de son chien dans un délai de quatre mois de la signature du présent jugement;
  2.      CONDAMNE le locataire à payer à la locatrice les frais de 113,25 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Brigitte Morin

 

Présence(s) :

la mandataire de la locatrice

le locataire

Date de l’audience : 

28 octobre 2024

 

 

 


 


[1] Billet se lisant tel que suit :

La présente est pour atester que M. Marcel Delaunais présent des problématiques médicales pour lequel la présence de son bien lui apporte non seulement un bien-être et réconfort par sa présence (soutien émitionnel), mais aussi un important bénéfice en le mobilisant afin de maintenir un niveau d’activité physique nécessaire à sa condition. (sic)

[2] Iacobelli c. Bonilla 2023 QCTAL 14746, Gestion Malda inc. c. Larochelle 2023 QCTAL 69, Labarre c. F.A., 2023 qctal 7496.

[3]  La Régie du logement, l’interdiction d’un animal de compagnie et en expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit ou droit d’abus?, Revue du Barreau, Tome 72, 2013.

[4] 2022 QCTAL 30572.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.