Décision

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Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Oury Diallo

2024 QCCDCPA 10

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No :

47-23-00430

 

DATE :

18 juin 2024

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me LYNE LAVERGNE

Présidente

M. ANDRÉ VINCENT, FCPA auditeur

Membre

M. MICHELIN BÉLISLE, CPA auditeur

Membre

______________________________________________________________________

 

CLAUDE MAURER, CPA, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec

Plaignant

c.

 

AMADOU OURY DIALLO, autrefois CPA

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE PRONONCE UNE ORDONNANCE INTERDISANT LA DIVULGATION, LA PUBLICATION ET LA DIFFUSION DU NOM DU CENTRE DE LA PETITE ENFANCE (CPE) VISÉ PAR LA PLAINTE, ET CE, AFIN DE PRÉSERVER LE SECRET PROFESSIONNEL.

EN VERTU DE LA MÊME DISPOSITION, LE CONSEIL ORDONNE LA MISE SOUS SCELLÉS DES PAGES 3 À 6 INCLUSIVEMENT DE LA PIÈCE SP-1, RELATIVEMENT AU DOCUMENT INTITULÉ TRANSACTION ET QUITTANCE, ET CE, AFIN DE RESPECTER LES TERMES DE LA TRANSACTION CONCLUE ENTRE L’INTIMÉ ET LE CPE.

 

INTRODUCTION

[1]               Le Conseil de discipline est saisi d’une plainte portée par M. Claude Maurer, le plaignant, à l’encontre de M. Amadou Oury Diallo, l’intimé, autrefois CPA.

[2]               La plainte disciplinaire, datée du 2 mai 2023, déposée par le plaignant en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’Ordre), comprend huit chefs d’infraction libellés en ces termes :

  1. À Montréal, entre le ou vers le 23 mai 2013 et le ou vers le 17 février 2019, alors qu’il était le directeur général du Centre de la petite enfance [] (ci-après le « CPE »), a adopté des méthodes et attitudes susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession en utilisant des fonds publics à d’autres fins que le financement des services offerts aux enfants, notamment pour :

a)      Payer ses cotisations à l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec;

b)      Payer les frais de scolarité de sa conjointe;

c)      Donner des rétributions aux membres du Conseil d’administration du CPE;

d)      Offrir des cadeaux aux employés et aux membres du Conseil d’administration du CPE;

e)      Rembourser ses frais de déplacement;

contrevenant ainsi à l’article 5 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions;

  1.  À Montréal, le ou vers le 6 février 2014, alors qu’il était le directeur général du Centre de la petite enfance [], a fait défaut de faire preuve d’une disponibilité et d’une diligence raisonnable en produisant tardivement un rapport financier administratif exigé par le ministère de la Famille et attendu au plus tard le 30 juin 2013, ce qui a mené à la suspension temporaire des subventions gouvernementales, contrevenant ainsi à l’article 50 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions;
  2. À Montréal, le ou vers le 19 juillet 2015, alors qu’il était le directeur général du Centre de la petite enfance [], a fait défaut de faire preuve d’une disponibilité et d’une diligence raisonnable en produisant tardivement un rapport financier administratif exigé par le ministère de la Famille et attendu au plus tard le 30 juin 2014, ce qui a mené à la suspension temporaire des subventions gouvernementales, contrevenant ainsi à l’article 50 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions;
  3. À Montréal, le ou vers le 7 janvier 2016, alors qu’il était le directeur général du Centre de la petite enfance [], a fait défaut de faire preuve d’une disponibilité et d’une diligence raisonnable en produisant tardivement un rapport financier administratif exigé par le ministère de la Famille et attendu au plus tard le 30 juin 2015, ce qui a mené à la suspension temporaire des subventions gouvernementales, contrevenant ainsi à l’article 50 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions;
  4. À Montréal, le ou vers le 24 août 2016, alors qu’il était le directeur général du Centre de la petite enfance [], a fait défaut de faire preuve d’une disponibilité et d’une diligence raisonnable en produisant tardivement un rapport financier administratif exigé par le ministère de la Famille et attendu au plus tard le 30 juin 2016, ce qui a mené à la suspension temporaire des subventions gouvernementales, contrevenant ainsi à l’article 50 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions;
  5. À Montréal, le ou vers le 12 mars 2018, alors qu’il était le directeur général du Centre de la petite enfance [] (ci-après le « CPE »), a fait défaut de faire preuve d’une disponibilité et d’une diligence raisonnable en produisant tardivement un rapport financier administratif exigé par le ministère de la Famille et attendu au plus tard le 30 juin 2017, privant ainsi le CPE de subventions gouvernementales totalisant la somme de cinquante et un mille sept cent quatre-vingt-treize dollars et soixante-neuf sous (51793,69 $), contrevenant ainsi à l’article 50 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions;
  6. À Montréal, le ou vers le 4 décembre 2015, alors qu’il était le directeur général du Centre de la petite enfance [], s’est placé en situation de conflit d’intérêts et où sa loyauté envers son employeur pouvait être entachée en omettant de révéler à son employeur que l’employée nommée au poste de commis-comptable était alors sa conjointe, contrevenant ainsi aux articles 36.12 et 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions;
  7. À Montréal, entre le ou vers le 9 septembre 2014 et le ou vers le 27 juillet 2016, alors qu’il était le directeur général du Centre de la petite enfance [] (ci-après le « CPE »), s’est placé en situation de conflit d’intérêts et où sa loyauté envers son employeur pouvait être entachée en autorisant le remboursement par le CPE des frais de scolarité de sa conjointe, et ce, sans autorisation du Conseil d’administration, contrevenant ainsi aux articles 36.12 et 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions;

Se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

[3]               D’emblée, l’intimé enregistre un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des chefs de la plainte.

[4]               Après s’être assuré du consentement libre et éclairé de l’intimé et de sa compréhension à l’égard de la discrétion du Conseil quant à la recommandation conjointe sur sanction, le Conseil, séance tenante et unanimement, le déclare coupable des chefs de la plainte, comme décrit au dispositif de la présente décision.

RECOMMANDATION CONJOINTE

[5]               Les parties suggèrent au Conseil d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

  • Chef 1 : une période de radiation de quatre ans;
  • Chefs 2 à 6 : une période de radiation de six mois par chef;
  • Chefs 7 et 8 : une période de radiation de deux mois par chef.

[6]               Elles suggèrent que les périodes de radiation temporaire soient purgées concurremment au moment de la réinscription de l’intimé au tableau de l’Ordre, le cas échéant, et qu’un avis de la présente décision soit alors publié, aux frais de celui-ci, dans un journal circulant dans le lieu où il a eu ou aura son domicile professionnel au même moment que la radiation, le cas échéant.

[7]               Elles demandent également que l’intimé soit condamné au paiement des déboursés.

[8]               Enfin, elles demandent au Conseil de prendre acte de l’engagement de l’intimé, signé le 11 juin 2024, lequel se lit comme suit[1] :

  1. Je, soussigné, AMADOU OURY DIALLO, autrefois CPA, m’engage à ne plus jamais travailler, en étant membre de l’Ordre des CPA, à titre de directeur général ou à titre de CPA pour un centre de la petite enfance ou pour tout autre organisme à but non lucratif;

[…]

  1. Je reconnais que cet engagement est permanent et définitif.
  2. J’accepte que le présent engagement soit produit dans le dossier 47-23-00430 du Conseil de discipline et je comprends qu’il pourra être invoqué contre moi en cas de non-respect, ce qui pourrait mener au dépôt d’une nouvelle plainte disciplinaire contre moi;
  3. Je déclare comprendre le contenu et la portée du présent engagement, ce dernier m’ayant été expliqué avant sa signature par mes avocats, Me Papa Adama Ndour et Me Julius H. Grey, du cabinet Grey Casgrain;
  4. Je reconnais que je signe le présent engagement sans contrainte ni pression;
  5. Je déclare avoir la lucidité et la capacité nécessaires pour signer le présent engagement de manière libre et éclairée.

[Transcription textuelle]

QUESTION EN LITIGE

[9]               Le Conseil doit-il donner suite à la recommandation conjointe proposée par les parties?

[10]           Pour les motifs qui suivent, le Conseil entérine la recommandation conjointe sur sanction puisqu’elle ne déconsidère pas l’administration de la justice ni n’est contraire à l’intérêt public.

CONTEXTE

[11]           L’intimé devient membre de l’Ordre le 23 mai 2013 et y est retiré le 2 juin 2020 à la suite de sa radiation pour non-paiement de ses cotisations professionnelles.

[12]           Du 6 mars 2002 au 17 février 2019, l’intimé agit à titre de directeur général (DG) d’un centre de la petite enfance situé à Montréal (le CPE).

[13]           Le 20 mars 2019, le ministère de la Famille (MFA) produit un rapport à la suite d’une enquête sur le CPE relativement à sa gestion des fonds pour la période du 1er mars 2010 au 30 juin 2018 (le rapport du MFA).

[14]           Le rapport du MFA dénote un problème de gouvernance et de saine gestion au sein du CPE. Ainsi, le rapport relève que plusieurs paiements effectués par l’intimé, en tant que DG, vont à l’encontre des pratiques d’une saine gestion des fonds publics, et que de plus ce dernier a autorisé l’utilisation de subventions à d’autres fins que le financement des services offerts aux enfants fréquentant le CPE.

[15]           Par ailleurs, le rapport du MFA conclut que l’intimé, à titre de DG, cumule des fonctions incompatibles, comme son rôle de gestionnaire qui prépare les états financiers, signe les chèques, et assume également la tenue de livres. De plus, il s’ingère dans la nomination de membres du Conseil d’administration du CPE (le C. A.).

[16]           Le 8 avril 2019, un groupe de parents d’enfants ayant fréquenté le CPE dépose à l’encontre de l’intimé une demande d’enquête auprès de l’Ordre.

[17]           L’intimé collabore très peu à l’enquête du plaignant, tant et si bien que ce dernier dépose une plainte d’entrave à son encontre.

[18]           Le 2 mars 2022, l’intimé est déclaré coupable de trois chefs d’entrave par le conseil de discipline de l’Ordre[2].

[19]           Le 15 août 2022, l’intimé se voit imposer une période de radiation de six mois sous chacun des trois chefs d’entrave en plus d’une amende de 2500 $ sous le premier chef d’entrave[3]. L’intimé n’étant plus membre depuis le 2 juin 2020, le conseil de discipline décide que les périodes de radiation temporaire seront purgées concurremment au moment de sa réinscription au tableau de l’Ordre, le cas échéant.

[20]           D’ailleurs, concernant la plainte à l’étude, l’enquête du plaignant démontre notamment que l’intimé a autorisé les paiements des montants suivants entre 2013 et 2018 :

  • 6 490,74 $ pour ses cotisations professionnelles à l’Ordre, incluant la prime d’assurance-responsabilité professionnelle;
  • 4454 $ pour ses frais de déplacement;
  • 2730 $ pour les frais de scolarité de sa conjointe, qui est alors employée au CPE comme éducatrice non qualifiée;
  • 6600 $ aux membres du C. A. pour leurs déplacements et en récompenses pour leur présence aux séances du C. A.;
  • 4600 $ pour des cadeaux offerts à des membres du personnel ou du C. A.

[21]           En agissant ainsi l’intimé se trouve à utiliser les fonds publics reçus par le CPE à d’autres fins que le financement des services offerts aux enfants le fréquentant sans le consentement ou l’approbation du conseil d’administration ou des autorités réglementaires compétentes (chef 1).

[22]           En tant que DG, l’intimé a la responsabilité de produire les rapports financiers annuels (RFA) du CPE dus le 30 juin de chaque année.

[23]           Or, pour les années 2013 à 2018, l’intimé les produit tardivement, cumulant alors des retards de 7 à 13 mois comme le démontrent les dates suivantes (chefs 2 à 6)[4] :

  • RFA 2012-2013 : 6 février 2014 (date limite : 30 juin 2013);
  • RFA 2013-2014 : 19 juillet 2015 (date limite : 30 juin 2014);
  • RFA 2014-2015 : 7 janvier 2016 (date limite : 30 juin 2015);
  • RFA 2015-2016 : 24 août 2016 (date limite : 30 juin 2016);
  • RFA 2016-2017 : 12 mars 2018 (date limite : 30 juin 2017);
  • RFA 2017-2018 : 31 juillet 2018 (date limite : 30 juin 2018).

[Référence omise]

[24]           Pour l’exercice financier 2016-2017, la production tardive du rapport mène à une diminution de 51 793,69 $ des subventions accordées par le MFA au CPE.

[25]           De 2012 à 2016, la conjointe de l’intimé travaille au CPE à titre d’éducatrice non qualifiée jusqu’à l’obtention de son diplôme, et l’intimé autorise le remboursement de ses frais de scolarité de 2730 $ par le CPE, sans aucune résolution du C. A. à cet égard (chef 7).

[26]           De plus, le 4 décembre 2015, cette dernière est nommée au poste de commis-comptable par le C. A., sans que sa relation de couple avec l’intimé soit dévoilée aux membres du C. A. (chef 8).

ANALYSE

  1. Les principes de droit applicables en matière de recommandation conjointe

[27]           Lorsque des sanctions font l’objet d’une recommandation conjointe des parties, il ne revient pas au Conseil de s’interroger sur leur sévérité ou leur clémence comme il doit le faire dans le cadre de la détermination de la sanction appropriée.

[28]           Les tribunaux enseignent que bien que le Conseil ne soit pas lié par une telle recommandation, il ne peut l’écarter à moins qu’elle ne déconsidère l’administration de la justice ou soit contraire à l’intérêt public[5]. Il s’agit du critère de « l’intérêt public » établi par la Cour suprême du Canada (la Cour suprême) en 2016 dans l’arrêt R. c. AnthonyCook[6].

[29]           Dans cette affaire, la Cour suprême rappelle l’importance de reconnaître les nombreux avantages que confèrent au système de justice une recommandation conjointe sur sanction et son corollaire qu’est la nécessité de favoriser un degré de certitude élevé qu’elle sera suivie par les tribunaux.

[30]           Ainsi, il est reconnu qu’une recommandation conjointe jouit d’une force persuasive certaine lorsqu’elle est le fruit d’une négociation sérieuse associée à un plaidoyer de culpabilité[7]. De plus, elle contribue à l’efficacité du système de justice disciplinaire[8].

[31]           Par ailleurs, il revient aux parties d’expliquer au Conseil le fondement de leur recommandation conjointe, afin de lui permettre de s’assurer que celle-ci n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public.

[32]           Il ne s’agit toutefois pas pour le Conseil de commencer l’analyse de la recommandation conjointe en déterminant à priori quelle sanction aurait été appropriée après un procès, puisqu’une telle approche pourrait l’amener à conclure que la recommandation conjointe déconsidère l’administration de la justice ou est contraire à l’intérêt public du seul fait qu’elle s’écarte de cette sanction.

[33]           Le Conseil doit plutôt examiner le fondement de la recommandation conjointe, notamment les avantages importants pour l’administration de la justice[9]. Cela ne signifie pas pour autant que le Conseil doive se prêter à une analyse minutieuse des coûts et avantages obtenus de part et d’autre par les parties[10].

[34]           C’est donc à la lumière de ces principes que le Conseil répond à la question en litige.

  1. Les éléments pris en considération par les parties pour la recommandation conjointe

[35]           Pour les fins de la détermination de la sanction, les parties retiennent les articles suivants du Code de déontologie des comptables professionnels agréés[11] (Code de déontologie), lesquels sont libellés en ces termes :

      Chef 1 :

5. Le membre doit, en tout temps, agir avec dignité et éviter toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession.

      Chefs 2 à 6 :

50. Le membre doit faire preuve, dans l’exercice de sa profession, d’une disponibilité et d’une diligence raisonnables.

      Chefs 7 et 8 :

36.12. Le membre ne doit pas se placer en situation où sa loyauté envers son client ou envers son employeur peut être entachée.

Sous réserve de l’article 36.13, le membre ne doit pas se placer en situation où il y a conflit entre son intérêt personnel ou l’intérêt de la société au sein de laquelle il exerce sa profession et celui de son client ou des clients de la société ou en donner l’apparence.

Le membre doit révéler à son client ou à son employeur tout intérêt ainsi que toute relation ou lien d’affaires dont celui-ci devrait être informé.

[36]           Outre les facteurs relatifs à la protection du public, la dissuasion de l’intimé de récidiver, l’exemplarité à l’égard des membres de la profession et le droit de l’intimé d’exercer sa profession, sans l’empêcher indûment de le faire, les parties ont retenu plusieurs facteurs aggravants et atténuants.

[37]           Voici les facteurs aggravants retenus par les parties :

  • La gravité objective des infractions : les infractions au chef 1 concernent un manque d’intégrité. L’intimé a utilisé des fonds publics, soit près de 25 000 $, sur une période de 5 ans à d’autres fins que le financement des services offerts aux enfants inscrits au CPE;
  • Aux chefs 2 à 6, c’est pendant 5 années consécutives que l’intimé produit systématiquement les RFA avec des retards de 7 à 13 mois;
  • Aux chefs 7 et 8, l’intimé fait fi de ses obligations entourant les règles régissant les conflits d’intérêts;
  • Il ne s’agit pas d’un acte isolé, mais plutôt d’une pluralité d’infractions sur une période de 6 ans;
  • L’expérience professionnelle de l’intimé;
  • Son manque de collaboration au cours de l’enquête du plaignant au point où ce dernier décide de déposer une plainte d’entrave contre l’intimé;
  • Ses antécédents disciplinaires, soit la plainte d’entrave[12]

[38]           Les facteurs atténuants suivants ont également été retenus :

  • Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé;
  • La reconnaissance de ses fautes.

[39]           Toutefois, le Conseil ne peut passer sous silence le comportement et l’attitude de l’intimé, ce qui lui permet de retenir le manque total d’introspection de l’intimé.

[40]           Quant au risque de récidive, les parties le considèrent comme toujours présent, bien que mitigé, puisque l’intimé n’est plus membre de l’Ordre depuis maintenant quatre ans, qu’il a signé un engagement de ne jamais occuper, en étant membre de l’Ordre, un emploi à titre de DG dans un CPE ou un autre organisme à but non lucratif, qu’il a 57 ans et que la durée de la période de radiation globale de quatre ans recommandée conjointement sera purgée seulement à compter du moment où il se réinscrira au tableau de l’Ordre, le cas échéant.

[41]           Enfin, n’ayant pas témoigné, l’intimé n’a pas manifesté de regrets ou de remords. Il s’agit toutefois d’un facteur neutre[13].

  1. La jurisprudence

[42]           Pour étayer leur recommandation conjointe, les parties se réfèrent à quelques décisions qu’elles jugent à propos de comparer avec le dossier à l’étude puisqu’il est reconnu en jurisprudence que les sanctions s’inscrivant dans la fourchette de celles imposées en semblable matière peuvent être considérées comme des outils facilitant leur détermination[14].

[43]           Les parties suggèrent d’imposer à l’intimé une période de radiation de quatre ans sous le chef 1.

[44]           À cet égard, le plaignant cite des décisions dans lesquelles le conseil de discipline impose des périodes de radiation de 18 à 24 mois[15], de 5 ans[16] et de 8 ans[17].

[45]           Pour les chefs 2 à 6, les parties recommandent une période de radiation de six mois par chef.

[46]           Les décisions citées par le plaignant imposent une période de radiation variant entre trois mois[18] et six mois[19].

[47]           Enfin, quant aux chefs 7 et 8 de la plainte, les parties recommandent une période de radiation de deux mois par chef.

[48]           Le plaignant se réfère à des décisions imposant une période de radiation de 30 jours avec une amende de 10 000 $[20], de trois mois[21] et de quatre mois[22].

[49]           Les parties plaident que les sanctions qu’elles suggèrent sous les chefs de la plainte s’harmonisent aux sanctions imposées en semblable matière.

  1. L’application du droit aux faits

      Le Conseil doit-il donner suite à la recommandation conjointe proposée par les parties?

[50]           Après avoir pris connaissance des éléments présentés par les parties relativement aux critères et aux facteurs qu’elles ont retenus pour élaborer leur recommandation conjointe, le Conseil est d’avis que cette dernière ne déconsidère pas l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public.

[51]           De surcroît, le Conseil constate qu’elle est présentée par des avocats expérimentés et au fait de tous les éléments du dossier, qui sont ainsi en mesure de suggérer des sanctions appropriées.

[52]           Considérant l’ensemble des circonstances de la présente affaire, le Conseil juge que la recommandation conjointe des parties doit être retenue.

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 14 JUIN 2024 :

Sous le chef 1 :

[53]           A DÉCLARÉ l’intimé coupable en vertu de l’article 5 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et de l’article 59.2 du Code des professions[23].

[54]           A ORDONNÉ la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 59.2 du Code des professions.

Sous les chefs 2 à 6 :

[55]           A DÉCLARÉ l’intimé coupable en vertu de l’article 50 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et de l’article 59.2 du Code des professions.

[56]           A ORDONNÉ la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 59.2 du Code des professions.

Sous les chefs 7 et 8 :

[57]           A DÉCLARÉ l’intimé coupable en vertu des articles 36.12 et 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et de l’article 59.2 du Code des professions.

[58]           A ORDONNÉ la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et à l’article 59.2 du Code des professions.

ET CE JOUR :

[59]           PREND ACTE de l’engagement écrit de l’intimé, daté du 11 juin 2024, se lisant comme suit[24] :

  1.  Je, soussigné, AMADOU OURY DIALLO, autrefois CPA, m’engage à ne plus jamais travailler, en étant membre de l’Ordre des CPA, à titre de directeur général ou à titre de CPA pour un centre de la petite enfance ou pour tout autre organisme à but non lucratif;

[…]

  1. Je reconnais que cet engagement est permanent et définitif.
  2. J’accepte que le présent engagement soit produit dans le dossier 47-23-00430 du Conseil de discipline et je comprends qu’il pourra être invoqué contre moi en cas de non-respect, ce qui pourrait mener au dépôt d’une nouvelle plainte disciplinaire contre moi;
  3. Je déclare comprendre le contenu et la portée du présent engagement, ce dernier m’ayant été expliqué avant sa signature par mes avocats, Me Papa Adama Ndour et Me Julius H. Grey, du cabinet Grey Casgrain;
  4. Je reconnais que je signe le présent engagement sans contrainte ni pression;
  5. Je déclare avoir la lucidité et la capacité nécessaires pour signer le présent engagement de manière libre et éclairée.

[Transcription textuelle]

[60]           IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

  • Sous le chef 1 : une période de radiation de quatre ans;
  • Sous les chefs 2 à 6 : une période de radiation de six mois par chef;
  • Sous les chefs 7 et 8 : une période de radiation de deux mois par chef.

[61]           ORDONNE que les périodes de radiation temporaire soient purgées concurremment, à compter de la date de la réinscription de l’intimé au tableau de l’Ordre, le cas échéant.

[62]           ORDONNE qu’un avis de la présente décision relatif aux périodes de radiation temporaire soit publié, aux frais de l’intimé, dans un journal circulant dans le lieu où il a eu ou aura son domicile professionnel au moment de sa réinscription, le cas échéant.

[63]           CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions.

 

 

____________________________________

Me LYNE LAVERGNE

Présidente

 

 

 

____________________________________

M. ANDRÉ VINCENT, FCPA auditeur

Membre

 

 

 

____________________________________

M. MICHELIN BÉLISLE, CPA auditeur

Membre

 

 

 

Mes Jean Lanctôt et Abigaëlle Allard-Robitaille

Avocats du plaignant

 

Me Papa Adama Ndour

Avocat de l’intimé

 

Date d’audience :

14 juin 2024

 

 

 


[1]  Pièce SP-16.

[2]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Oury Diallo, 2022 QCCDCPA 10.

[3]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Oury Diallo, 2022 QCCDCPA 31.

[4]  Pièce SP-15.

[5]  Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5; Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 CanLII 82189 (QC TP); Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Ungureanu, 2014 QCTP 20; Gaudy c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2023 QCTP 48.

[6]  R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43. Voir également Baptiste c. R., 2021 QCCA 1064; R. c. Nahanee, 2022 CSC 37.

[7]  Gagné c. R., 2011 QCCA 2387.

[8]  R. c. Anthony-Cook, supra, note 6; Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52; Malouin c. Notaires, 2002 QCTP 15; Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), supra, note 5.

[9]  R. v. Belakziz, 2018 ABCA 370, paragr. 18; Notaires (Ordre professionnel des) c. Génier, 2019 QCTP 79; Pharmaciens (Ordre professionnel de) c. Vincent, 2019 QCTP 116 (CanLII); Duval c. Comptables professionnels agréés (Ordre des), 2022 QCTP 36.

[10]  R. v. Belakziz, supra, note 9, paragr. 23.

[11]  RLRQ, c. C-48.1, r. 6.

[12]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Oury Diallo, 2022 QCCDCPA 10 (culpabilité) et Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Oury Diallo, 2022 QCCDCPA 31 (sanction).

[13]  Lubin c. R, 2019 QCCA 1711; R. c. Paré, 1998 CanLII 12617 (C.A.), p. 5 et 6.

[14]  R. c. Lacasse, 2015 CSC 64; Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Gougeon, 2021 QCTP 84. 

[15]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Chenail, 2022 QCCDCPA 47.

[16]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Boilard, 2017 CanLII 49922 (QC CPA).

[17]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Paquette, 2018 CanLII 107083 (QC CPA).

[18]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Belzile, 2022 QCCDCPA 13. 

[19]  Comptables agréés (Ordre professionnel des) v. Gouliaris, 2005 CanLII 78599 (QC CPA).

[20]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Monger, 2017 CanLII 4123 (QC CPA).

[21]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Marcotte, 2015 CanLII 48063 (QC CPA).

[22]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Chenail, supra, note 15.

[23]  RLRQ, c. C-26.

[24]  Pièce SP-16.

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