[1] LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 27 août 2009 par la Cour supérieure, district de Saint-François (l'honorable François Tôth), qui a accueilli la demande de l'intimée en révision judiciaire d'une décision rendue par la Commission des relations du travail, concluant à un manquement du syndicat à son devoir de juste représentation à l'égard de l'appelante Danielle Vallières en vertu des dispositions des articles 47.3 et 47.5 du Code du travail du Québec[1] (C.t.), le tout à la suite d'une sanction disciplinaire prononcée par le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.
[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;
[3] Pour les motifs du juge Brossard, auxquels souscrit le juge Vézina dans des motifs concourants, le juge Cournoyer (ad hoc) étant dissident :
[4] ACCUEILLE l'appel;
[5] CASSE le jugement de la Cour supérieure;
[6] REJETTE la requête en révision judiciaire de l'intimée et CONFIRME la décision du 18 décembre 2008 de la Commission des relations du travail.
[7] Le tout avec les dépens tant en appel qu'en Cour supérieure contre l'intimée.
[8] De son côté, pour d'autres motifs, le juge Cournoyer (ad hoc) aurait quant à lui rejeté l'appel avec dépens.
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MOTIFS DU JUGE BROSSARD |
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[9] L'appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure (l'honorable François Tôth), qui accueillait la demande de l'intimée en révision judiciaire d'une décision rendue par la Commission des relations du travail (CRT), concluant à un manquement du syndicat à son devoir de juste représentation à l'égard de l'appelante Danielle Vallières en vertu des dispositions des articles 47.3 et 47.5 du Code du travail du Québec[2] (C.t.), le tout à la suite d'une sanction disciplinaire prononcée par le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS).
[10] D'entrée de jeu, il y a lieu de souligner que le dossier comporte deux aspects très particuliers et spécifiques qui, jusqu'à un certain point, permettent de le considérer comme cas d'espèce, sinon comme précédent. En premier lieu, les faits à la source du litige au sujet duquel l'appelante demande à l'intimée de déposer un grief impliquant deux salariées du CHUS ne résultaient pas directement à l'origine d'un conflit de travail entre salariée et employeur. En second lieu, la plainte à l'origine du litige en est une de harcèlement psychologique contre l'appelante, mais portée par une cosalariée qui se trouve à être la supérieure immédiate de l'appelante.
[11] Par ailleurs, l'appréciation du mérite du grief possible de l'appelante contre la décision du CHUS s'appuie essentiellement sur les perceptions psychologiques subjectives des différents acteurs et non sur une violation flagrante d'une norme disciplinaire concrète et spécifique.
[12] En ce sens, il s'agit incontestablement d'un cas d'espèce qui, à mon avis, permet de distinguer le présent dossier de celui dont notre Cour était saisie dans l'affaire Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP) c. Francine Gauvin et dans lequel l'arrêt est déposé le même jour que dans la présente affaire. En effet, dans l'affaire Gauvin, où nous intervenons à l'encontre de la décision de la CRT, il s'agissait d'un grief déposé à l'encontre de la décision de l'employeur. Le syndicat était, à tous égards, neutre en regard du grief que l'appelante lui demandait de déposer. La situation diffère dans le présent dossier, en ce que le syndicat peut, jusqu'à un certain point, être considéré comme en conflit d'intérêts dans la mesure où le litige origine d'une plainte de harcèlement psychologique formulée par une de ses membres contre une autre de ses membres. Je suis d'avis que, en de telles circonstances, le syndicat dans l'appréciation du mérite du grief sanctionnant la conduite de l'une des deux se retrouve dans une position beaucoup plus délicate, lui imposant un devoir de prudence et d'objectivité plus considérable dans l'exercice de la discrétion que lui confère l'article 47.2 C.t.
LES FAITS
[13] Comme la question fondamentale que la Cour supérieure avait à décider était de déterminer le caractère raisonnable ou non de la décision de la CRT et si la conclusion de cette dernière constituait rationnellement une issue possible au litige entre l'appelante et l'intimée, et non entre l'appelante et le CHUS, et encore moins entre l'appelante et la cosalariée, je crois opportun de m'en tenir au résumé des faits tel qu'on le retrouve dans la décision du commissaire Cloutier.
[5] La plaignante, qui est infirmière, travaille pour l'Hôpital depuis 1974. Elle a occupé le poste de chef d'équipe à l'atelier de menuiserie, au service de santé mentale, jusqu'en mai 2007.
[6] Avant l'imposition de la mesure dont il sera question plus loin, la plaignante avait, entre autres fonctions, la responsabilité de stagiaires, étudiants au CÉGEP ou à l'Université, notamment en psychoéducation.
[7] Au cours de l'année scolaire 2005-2006, la plaignante a comme stagiaire en psychoéducation Mélanie Lemay. En mai 2006, à la fin du stage de cette dernière, la plaignante écrit une lettre à Josée Mireault, chef du service et sa supérieure, pour lui faire part des qualités exceptionnelles de madame Lemay et insiste auprès de madame Mireault pour que l'Hôpital l'embauche, ce que l'Hôpital fait.
[8] En mai 2007, la plaignante démissionne du poste de chef d'équipe. Madame Lemay est nommée à ce poste et devient la supérieure de la plaignante.
[9] Le 11 février 2008, madame Mireault téléphone à la plaignante, vers 14 h, pour l'aviser qu'elle souhaite la rencontrer à 15 h au sujet d'une plainte de harcèlement psychologique qu'une autre employée a déposée contre elle. Madame Mireault lui recommande de ne pas venir seule à la rencontre et d'être accompagnée d'un représentant syndical.
[10] La plaignante se présente à la rencontre à l'heure prévue accompagnée de madame Bourret, une représentante syndicale. Elle ne voit cette dernière que quelques minutes avant la rencontre. Madame Bourret, qui était au courant de la plainte de harcèlement psychologique, lui suggère d'être la plus transparente possible.
[11] À la rencontre, madame Mireault est accompagnée de Stéphane Migneault, conseiller en relations du travail à l'Hôpital. Ceux-ci informent la plaignante que madame Lemay a déposé une plainte de harcèlement psychologique contre elle. Stéphane Migneault lit la plainte, mais il n'en donne pas de copie à la plaignante. Il lui mentionne qu'elle en aura une copie si l'Hôpital retient la plainte.
[12] La plainte de madame Lemay a 11 pages et réfère à une vingtaine d'incidents qui se seraient produits entre mai 2006 et décembre 2007. Les représentants de l'Hôpital invitent la plaignante à donner ses commentaires au sujet des reproches qui lui sont faits et lui demandent, tout comme madame Bourret, de préciser des dates et des heures. La rencontre se termine vers 17 h 30. La plaignante s'engage à vérifier certaines dates et heures et à transmettre les informations à madame Bourret, ce qu'elle fait deux jours plus tard.
[…]
[14] Le 3 avril 2008, l'Hôpital avise la plaignante qu'elle retient la plainte de madame Lemay pour, entre autres, les motifs suivants :
L'enquête nous a révélé des propos et des perceptions bien différentes quant aux allégations de la plainte en cause. Cependant, nous devons conclure à la présence d'harcèlement psychologique par les effets subis sur Mme Lemay. En effet, les paroles, les gestes en apparence inoffensifs, des insinuations, des sous-entendus, des critiques, des perceptions etc…ont contribué en une conduite vexatoire à l'égard de Mme Lemay. Cet ensemble de comportements répétés et non désirés a manifestement porté atteinte à la dignité et l'intégrité psychologique de Mme Lemay et a entraîné un milieu de travail néfaste.
(Reproduit tel quel.)
[15] Vu cette conclusion, l'Hôpital remet un avis de sensibilisation à la plaignante et lui retire, pour au moins jusqu'à l'automne 2008, la responsabilité du programme de stages, ce qui a pour effet de lui faire perdre une prime.
(soulignement ajouté)
[14] Le commissaire Cloutier suspend alors sa narration des faits pour souligner que dès 1999, le syndicat avait adopté une « Politique visant à contrer le harcèlement et la violence en milieu de travail ». En 2002, soit plusieurs années avant les faits en litige, et en lien avec cette politique, le syndicat avait mis en place un mécanisme d'intervention pour les cas où les personnes impliquées dans une plainte de harcèlement seraient toutes deux membres du syndicat.
[15] Le mécanisme d'intervention du syndicat prévoit que celui-ci doit mener une enquête indépendante de celle de l'employeur. À cette fin, un conseiller syndical doit être nommé auprès de chacun des membres impliqués, dont le rôle consiste à intervenir, à enquêter et à représenter le membre auprès duquel il a été nommé.
[16] Lorsqu'une mesure disciplinaire est imposée par l'employeur, chacun des deux conseillers doit alors faire rapport à un comité aviseur, composé de la coordonnatrice à l'action féministe, de la responsable politique de l'action féministe, de la répondante politique de l'unité de négociation concernée, des deux conseillers qui ont procédé à l'enquête parallèle, et, au besoin, d'une consultante. Dans le présent cas, il semblerait que c'est Isabelle Bourret qui, après s'être fait remplacer par une autre conseillère, Rachel Chartrand, auprès de l'appelante, comme on le verra plus loin, aurait alors été désignée comme la consultante du comité aviseur. En d'autres mots, Isabelle Bourret, de conseillère et représentante qu'elle était de l'appelante, devient consultante « indépendante » du comité aviseur[3].
[17] Le rôle du comité aviseur est donc de conseiller le syndicat quant à l'opportunité, le cas échéant, soit de déposer un grief, soit de ne pas le déposer ou de ne pas le porter à l'arbitrage. Ce dernier processus et le rôle du comité aviseur sont effectivement décrits dans le document de travail sur le mécanisme d'intervention adopté par le syndicat dans le cadre de sa politique visant à contrer le harcèlement et la violence en milieu de travail.
[18] Si la violence, qu'elle soit physique ou verbale, le harcèlement sexuel ou le harcèlement administratif sont bien définis dans le document concernant la politique visant à contrer le harcèlement et la violence en milieu de travail, le harcèlement psychologique ne s'y retrouve quant à lui décrit que dans le cadre d'une caractérisation de violence physique dans les seuls termes suivants :
Propos ou gestes visant la démolition pernicieuse (psychologique ou morale) d'une personne.
[19] Ce qui frappe d'abord et avant tout, cependant, à la seule lecture tant de la politique visant à contrer le harcèlement que du document décrivant le mécanisme d'intervention, est qu'on vise surtout, dans les deux documents, les formes de harcèlement susceptibles d'être manifestées par un employeur ou par un supérieur à l'encontre d'un employé de sexe féminin. La politique a évidemment pour objet, en premier lieu, de protéger cette dernière.
[20] Quant au mécanisme d'intervention, il reflète jusqu'à un certain point la même philosophie :
LA PERSONNE PLAIGNANTE PEUT S'ATTENDRE À :
- pouvoir obtenir les services de relations de travail d'une personne conseillère syndicale de son sexe dans le cas d'une situation de harcèlement sexuel;
- être informée par la personne conseillère syndicale de la politique APTS et des recours existants;
- ce que la personne conseillère recueille tous les renseignements nécessaires au traitement de la plainte et explore avec la personne plaignante ses attentes et les solutions possibles en regard de la situation;
- ce que la personne conseillère lui demande de rédiger une plainte écrite en cours d'intervention si elle le juge nécessaire.
LA PERSONNE MISE EN CAUSE PEUT S'ATTENDRE À :
- être avisée, dans le cas d'une plainte écrite, de l'existence de celle-ci ainsi que de la teneur des allégations;
PROCESSUS D'ENQUÊTE
Après une plainte écrite qui oppose plusieurs membres de l'APTS, la personne conseillère syndicale devra s'assurer du transfert du dossier. Deux personnes conseillères devront alors enquêter, représenter et intervenir auprès de chacune des parties impliquées. Les personnes conseillères syndicales pourront obtenir l'appui du comité d'action féministe tout au long du traitement d'un dossier.
LE COMITÉ AVISEUR
Un dossier de violence doit être porté devant le comité aviseur lorsque des mesures disciplinaires ont été imposées à l'endroit d'un de nos membres. Après évaluation du dossier, le comité aviseur rend une décision par consensus quant au dépôt et/ou au maintien d'un grief pour contester la mesure imposée.
Si les allégations s'avèrent fondées après l'enquête de l'APTS et que la mesure disciplinaire est proportionnelle à la gravité des actes reprochés, le comité aviseur recommandera de ne pas porter de grief à l'arbitrage par rapport aux sanctions.
[21] À la lecture de tous ces documents, je ne peux que ressentir un certain malaise, de la nature de celui exprimé par le commissaire Cloutier dans le ratio decidendi de sa décision et que nous verrons plus loin. Toute cette politique est de toute évidence fondée d'abord et avant tout sur la protection de la plaignante, c'est-à-dire de la victime du harcèlement psychologique, ce qui est légitime. On y évacue jusqu'à un certain point la notion qu'un grief, en vertu du C.t., découle essentiellement des relations employeur-salarié et qu'il vise essentiellement le droit d'un employé discipliné par son employeur de demander l'arbitrage d'un tiers, tel l'arbitre de griefs.
[22] La philosophie sous-jacente à la création du mécanisme parallèle d'enquête, ou à tout le moins l'impression qui s'en dégage, est que le syndicat, en matière de harcèlement psychologique impliquant deux de ses membres, se place au-dessus de toutes les parties impliquées à la recherche de sa propre vérité, indépendamment et quels que soient ou puissent être la décision patronale et ses motifs. La possibilité d'un grief au bénéfice d'un(e) salarié(e) sanctionné(e) par l'employeur devient subordonné à cette vérité dont le syndicat est le seul auteur. Le syndicat devient juge et non plus seulement partie dans le débat employeur-salarié.
[23] Or, la lecture des documents régissant le processus interne du syndicat donne l'impression que, au contraire du droit, le fardeau de la preuve en matière de harcèlement psychologique reposerait sur l'accusé et non sur la plaignante.
[24] Ceci dit, j'en reviens à la narration des faits concernant l'enquête du syndicat menée dans le cadre de son intervention, et telle qu'on la retrouve dans la décision du commissaire Cloutier dont je résumerais de la façon suivante les conclusions relatives au processus suivi en l'espèce par le syndicat :
- Isabelle Bourret, qui avait été désignée comme conseillère de l'appelante, est remplacée dès le début du mois de mars 2008 par Rachel Chartrand. Conseillère syndicale depuis décembre 2006, il s'agit de son premier mandat de cette nature. Elle a été nommée par le syndicat après la première convocation devant le CHUS, mais avant la décision de ce dernier.
- La conseillère Rachel Chartrand explique à la CRT que son mandat était de recueillir la version de l'appelante, d'accompagner celle-ci aux rencontres avec les représentants du CHUS, de rencontrer des témoins pouvant appuyer la version de l'appelante, le cas échéant, et de rapporter le tout au comité aviseur. Une autre conseillère, Noëlaine Allard, jouait le même rôle auprès de la plaignante Mélanie Lemay.
- La preuve est contradictoire quant à la première date de rencontre entre Rachel Chartrand et l'appelante. Lors de cette rencontre, la conseillère a une copie de la plainte en sa possession, mais ne la remet pas à l'appelante. Elle témoigne avoir par la suite rencontré le seul témoin proposé par l'appelante, qui lui aurait affirmé que cette dernière « n'est pas le genre à faire ça », mais sans avoir une connaissance personnelle des faits au soutien de la plainte.
- Elle ajoute, toujours dans son témoignage devant la CRT, avoir expliqué à l'appelante son rôle ainsi que le processus décisionnel du syndicat et l'avoir invitée à lui transmettre le nom de tout autre témoin ou tout document utile. Le même jour, l'appelante lui aurait transmis différents documents, dont deux lettres d'appréciation, le curriculum vitae de la plaignante et un dépliant explicatif sur le programme qui était appliqué dans le département où elles travaillaient.
- Le 3 avril 2008, c'est Rachel Chartrand qui assiste à la rencontre au cours de laquelle les mesures disciplinaires sont imposées à l'appelante. Elle soutient ne pas être intervenue du fait que son rôle se limitait à s'assurer que tout se passe selon les règles. Elle aurait alors tenté de réconforter l'appelante. De son côté, la plaignante témoigne que dès le 18 mars 2008, donc avant la décision du 3 avril 2008, elle avait déjà préparé une lettre, qu'elle n'avait cependant pas remise à Rachel Chartrand, pour lui faire part qu'elle n'était pas satisfaite de ses services. Elle témoigne que ses principaux reproches à l'égard de Rachel Chartrand étaient de ne pas avoir questionné des collègues de travail qui auraient pu témoigner de sa personnalité, de ne pas l'avoir conseillée sur le fait qu'elle aurait pu produire des documents au soutien de sa position ou fournir d'autres témoins.
- Le comité aviseur du syndicat se réunit le 21 avril 2008. À cette date, aucune demande n'a encore été faite au syndicat par l'appelante de déposer un grief à l'encontre de la décision du CHUS et de la sanction imposée par ce dernier. Aux fins de cette rencontre, Rachel Chartrand prépare un document énumérant les incidents mentionnés dans la plainte de harcèlement psychologique de Mélanie Lemay et la version ou réponse de l'appelante pour chaque cas. Après avoir délibéré pendant six heures sur les éléments de la plainte, mais sans entendre ni l'appelante ni la plaignante, le comité décide que la version de cette dernière est plus crédible et que, par voie de conséquence, la plainte de harcèlement psychologique était fondée et la mesure disciplinaire proportionnelle à la faute reprochée.
- Pour en arriver à la conclusion que la plainte était fondée, le comité aviseur se demande si une personne raisonnable, dans les mêmes circonstances, aurait vécu de la même manière ce que la plaignante Mélanie Lemay soutenait avoir vécu.
- Il importe de souligner que la conseillère affectée auprès de Mélanie Lemay, Noëlaine Allard, témoigne devant le comité de la valeur du témoignage de cette dernière qu'elle trouvait crédible. À l'opposé, Rachel Chartrand, présumément représentante et conseillère de l'appelante devant le CHUS, déclare qu'elle ne trouve pas la plaignante crédible. Considérant l'absence de témoins pour la plupart des incidents énumérés à la plainte, le comité se demande alors quelle version des faits était la plus probable! Pour arriver à cette conclusion, le comité prend également en considération deux déclarations écrites de salariés qui étaient annexées à la plainte, mais dont le contenu n'a jamais été porté à la connaissance de l'appelante, ni même leur existence et encore moins l'identité de ces personnes. Ce n'est que lorsqu'on lui fait part de la décision du comité que l'appelante est informée de l'existence de ces deux déclarations. La coordonnatrice du comité témoigne que « ces déclarations auraient eu un certain poids sans pour autant faire pencher la balance en faveur de la plaignante ».
[25] Par ailleurs, il ressort des témoignages entendus par la CRT que, pour conclure à l'absence de crédibilité de la plaignante, le comité, dans l'appréciation de sa version, a accordé une considération déterminante au fait qu'elle n'admettait rien, qu'elle n'avait aucun doute, ce qui était un signe qu'elle voulait se défendre de tout.
[26] Enfin, et le point me paraît d'importance, puisque la crédibilité semble avoir été la considération essentielle de la décision du comité, seule Rachel Chartrand, supposément conseillère de l'appelante, a rencontré celle-ci et seule la conseillère et représentante de la plaignante, Mélanie Lemay, a rencontré celle-là. Rachel Chartrand n'a jamais rencontré la plaignante alors que la conseillère de cette dernière n'a jamais rencontré l'appelante. Aucun des cinq autres membres du comité n'a rencontré soit l'une ou l'autre des deux parties.
[27] Bref, la conclusion concernant l'absence de crédibilité de l'appelante, et donc le fait qu'un grief serait voué à l'échec, ne repose que sur la déclaration de la conseillère Rachel Chartrand, censée représenter l'appelante et, tel que précédemment mentionné, sur le fait que cette dernière voulait se défendre de toutes les accusations.
[28] Le 24 avril 2008, Rachel Chartrand et Élaine Giroux[4] rencontrent l'appelante pour lui faire part des conclusions du comité aviseur et lui résument comment et pourquoi celui-ci en est venu à sa conclusion. L'appelante exprime alors son mécontentement et, à cette occasion, remet à Rachel Chartrand la mise en demeure qu'elle avait déjà rédigée le 18 mars 2008 et qui se terminait par la demande expresse à cette dernière de la représenter dans sa défense contre la plainte, de faire valoir ses droits et de protéger son honneur et sa réputation.
[29] C'est alors que Élaine Giroux l'informe de l'existence du recours en vertu des articles 47.2 et suivants du C.t. et, comme l'appelante était alors en congé de maladie, elle lui conseille d'attendre d'aller mieux avant d'entreprendre de telles démarches, et ce, après lui avoir expliqué de façon formelle que la décision du syndicat était de ne pas la représenter dans l'éventualité où un grief était déposé.
LA DÉCISION DE LA CRT
[30] D'entrée de jeu, après cette longue analyse de la preuve, et référant à l'article 47.2 C.t., le commissaire Cloutier souligne que la seule question à laquelle il doit répondre est la suivante : « La décision du syndicat de ne pas contester la mesure disciplinaire imposée à la plaignante est-elle empreinte d'arbitraire? ».
[31] Il résume alors les principes énoncés par la Cour suprême du Canada, en particulier dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon[5] et Noël c. Société d'énergie de la Baie James[6], concernant le devoir de représentation d'un syndicat relativement à un grief, la discrétion qui est sienne à ce sujet, mais qui doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, tout en tenant compte de l'importance du grief et des conséquences pour le salarié, d'une part, et des intérêts légitimes du syndicat, d'autre part. Il cite également les extraits de l'arrêt Noël qui précisent plus particulièrement les concepts d'arbitraire et de négligence grave, le lien étroit entre les deux, et le fait qu'une faute grossière dans le traitement d'un grief peut être assimilée à de la négligence grave sans la nécessité d'une intention de nuire. Enfin, il souligne que la simple incompétence dans le traitement du dossier ne viole pas l'obligation de représentation puisque l'article 47.2 C.t. n'impose pas une norme de perfection au syndicat.
[32] Bref, sa décision, en autant que l'expression du droit est concernée, est correcte.
[33] Aussitôt son analyse du droit complétée, le commissaire Cloutier énonce alors les motifs au soutien de sa décision d'accueillir la plainte de l'appelante, lesquels relèvent tous de la preuve. Ils constituent l'essentiel de sa décision et les seuls motifs de celle-ci. Leur expression est pesée et je suis d'avis qu'il faut, pour cette raison, les citer à la lettre :
[46] L'enquête que l'Hôpital a faite, avant d'imposer la sanction à la plaignante, « a révélé des propos et des perceptions bien différentes quant aux allégations de la plainte » de madame Lemay. C'est ce qu'on lit dans la lettre remise à la plaignante. L'Hôpital a cependant conclu « à la présence de harcèlement psychologique par les effets subis par cette dernière ». Même si cette conclusion surprend, ce n'est pas à la Commission de décider si elle est bien fondée. Elle démontre cependant que l'appréciation des perceptions des personnes impliquées est, ici, déterminante.
[47] En l'espèce, ce n'est pas l'enquête du Syndicat qui pose problème. Madame Chartrand a d'abord communiqué avec la plaignante par téléphone pour obtenir sa version es faits, puis elle l'a rencontrée. Elle a pris connaissance des documents que la plaignante lui a transmis et elle a rencontré le seul témoin qu'elle lui a indiqué.
[48] Ce qui pose problème, c'est la suite de l'enquête. C'est d'abord que le comité aviseur ait décidé du bien-fondé de la plainte de harcèlement psychologique, alors que son rôle consistait plutôt à soupeser les chances de succès d'un grief contestant la mesure imposée à la plaignante, pour les motifs invoqués par l'Hôpital, et, ce faisant, à soupeser aussi les chances de succès de la plainte de harcèlement psychologique.
[49] Ce qui pose aussi problème, c'est que le comité aviseur a décidé de la crédibilité de la plaignante et de madame Lemay, sans les avoir vues, à partir des « témoignages » des conseillères syndicales qui, chacune, n'a pu que témoigner de la crédibilité de celle qu'elle « représentait » et non de l'autre parce qu'elle ne l'avait pas rencontrée.
[50] Mais, et surtout, ce qui pose problème et s'ajoute à ce qui précède, c'est que le comité aviseur ait pris sa décision en considérant qu'une version était plus crédible ou probable que l'autre et que, pour ce faire, il a pris en compte deux déclarations que la plaignante n'a pas pu contredire, parce qu'on ne les lui a pas soumises.
[51] L'obligation de représentation imposée à l'association de salariés n'en est pas une de la meilleure compétence. Il faut tenir compte du milieu et des individus qui ne sont pas des experts chevronnés, mais aussi de l'importance du grief pour le salarié.
[52] Une plainte de harcèlement psychologique est une affaire sérieuse, importante, tant pour la personne qui se dit victime de harcèlement que pour celle qui est accusée de harceler, à cause des conséquences d'une telle plainte pour l'une et pour l'autre. Dans le cas de la plaignante, l'Hôpital lui a retiré la responsabilité des stagiaires et la prime qui s'y rattachait, en plus de devoir vivre avec l'étiquette de harceleuse.
[53] Le Syndicat ne devait pas décider du bien-fondé de la plainte de harcèlement psychologique et, même si cela avait été son rôle, il ne pouvait pas décider de la crédibilité de la plaignante et de la probabilité que les faits invoqués dans cette plainte se soient produits, en s'appuyant notamment sur des déclarations qu'elle n'a pu contredire.
[54] Le Syndicat n'aurait pas pu, non plus, décider des chances de succès d'un grief contestant la mesure disciplinaire imposée à la plaignante, ce qui était son rôle, en soupesant la crédibilité de cette dernière, sans qu'elle puisse contredire les deux déclarations sur lesquelles le comité aviseur s'est appuyé.
[55] En procédant ou décidant comme il l'a fait, le syndicat a pris une décision arbitraire.
(soulignement ajouté)
[34] Si les cinq premiers paragraphes de ces conclusions relèvent exclusivement de la preuve, il peut être dit que les cinq autres constituent des conclusions mixtes de fait et de droit.
LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE
[35] Le juge procède d'abord à son propre résumé de la preuve, correspondant essentiellement à celui que l'on retrouve dans la décision de la CRT et que j'ai cité antérieurement.
[36] Puis, s'appuyant sur la jurisprudence, et en particulier sur les arrêts précités de la Cour suprême, dont il cite à son tour les extraits pertinents, il rappelle que le rôle de la CRT, saisie d'une plainte pour manquement au devoir syndical de juste représentation en vertu des articles 47.2 et 47.3 C.t., consiste uniquement à s'assurer que, compte tenu de l'ensemble des circonstances, le choix du syndicat de ne pas déposer de grief ou de ne pas le déférer à l'arbitrage n'a pas été fait de manière arbitraire ou discriminatoire ou en faisant preuve de mauvaise foi ou de négligence grave. Il souligne à juste titre qu'il ne s'agit donc pas, pour la CRT, de substituer sa propre opinion à celle du syndicat.
[37] Il procède ensuite à sa propre analyse de la décision du syndicat de ne pas déférer le grief à l'arbitrage ainsi qu'au processus décisionnel suivi par ce dernier. Selon lui, la détermination des chances de succès du grief impliquait nécessairement l'examen de la plainte de harcèlement psychologique. Le syndicat pouvait décider de ne pas contester les mesures disciplinaires imposées à l'appelante s'il en venait à la conclusion qu'il y avait eu harcèlement psychologique, ce qui, évidemment, équivaut à dire qu'un grief n'aurait aucune chance de succès.
[38] Jusque-là, il n'y a rien à redire à sa décision qui reflète correctement les principes énoncés par la jurisprudence.
[39] Mais il va un peu plus loin dans son analyse. Tout en soulignant, en effet, que le comité aviseur disposait de plusieurs versions des faits, à savoir celle de l'appelante, de la plaignante et de témoins[7], et précisant que rien n'obligeait formellement le comité à tenir une audition de type judiciaire, ce sur quoi je reviendrai, il exprime l'avis que le syndicat avait simplement l'obligation de rechercher la vérité de manière juste, équitable et objective. Puis, substituant dans les faits son opinion à celle du commissaire Cloutier, il conclut, quant à lui, que c'est ce que le syndicat a fait en l'espèce.
[40] Même en tenant pour acquis que les reproches de la CRT sont justifiés, le juge conclut que la décision du syndicat ne pouvait être qualifiée d'arbitraire selon l'interprétation jurisprudentielle donnée à ce terme.
[41] Mais il ajoute cette phrase ainsi que le dernier paragraphe de son opinion qui me soulèvent une interrogation sérieuse quant aux normes utilisées par le juge pour conclure comme il devait le faire. Je cite :
[58] Même en tenant pour acquis les reproches de la CRT, la décision du Syndicat ne peut être qualifiée d'arbitraire selon l'interprétation jurisprudentielle donnée à ce terme. La décision du Syndicat est raisonnable eu égard à l'ensemble des circonstances révélées par la preuve.
(soulignement ajouté)
[42] Puis :
[59] Dans le cadre restreint d'une plainte fondée sur l'article 47.2 C.T., la CRT a manifestement erré en concluant comme elle l'a fait. La CRT ne pouvait pas intervenir et substituer son opinion à celle du Syndicat. Ce n'était pas dans la gamme des solutions raisonnablement envisageables eu égard aux faits révélés par la preuve et au droit applicable.
(soulignement ajouté)
[43] Le juge aurait-il confondu les normes d'intervention applicables à chaque pallier respectif ou s'agit-il d'un simple lapsus sans importance?
[44] En effet, ce n'est pas la raisonnabilité de la décision du syndicat qui était en cause dans les conclusions de la CRT. Celle-ci n'avait qu'à décider si la décision du syndicat résultait d'une approche arbitraire ou d'une analyse objective et équitable de la preuve extrinsèque faite devant l'employeur dont la décision était susceptible en droit de faire l'objet d'un grief.
[45] Par ailleurs, la CRT a peut-être erré, et peut-être s'agit-il d'une erreur qui, en matière d'appel, pourrait conférer à un tribunal d'appel proprement dit, sous réserve des distinctions faites à ce sujet dans l'arrêt Dunsmuir, le pouvoir de substituer sa propre analyse et sa propre opinion concernant la preuve à celle du tribunal administratif dont la décision est attaquée. Mais, en l'espèce, nous sommes en révision judiciaire, laquelle implique la nécessité d'une grande déférence à l'égard du tribunal expérimenté qui a vu et entendu Rachel Chartrand, qui est elle-même la seule à avoir représenté que l'appelante n'était pas crédible. Toujours selon l'arrêt Dunsmuir, le pouvoir d'intervention de la Cour siégeant en révision ne doit s'exercer que dans le cas où la décision est déraisonnable et qu'elle ne saurait constituer rationnellement une issue possible acceptable « pouvant se justifier au regard du droit et des faits ».
[46] En d'autres mots, le juge Tôth semble avoir inversé les normes d'intervention en litige tout en le faisant, sans le dire, d'abord et avant tout en fonction de la preuve des faits. Dans ce contexte, et malgré les énoncés du juge au début de ses motifs, la simple apparence qu'il ait appliqué la mauvaise norme de contrôle dans son analyse de la preuve et des circonstances justifie notre Cour, à mon avis, de s'interroger sur l'aspect raisonnable ou non de la décision du commissaire Cloutier.
LA QUESTION EN LITIGE ET L'ANALYSE
[47] La seule question en litige en l'espèce, devant notre Cour comme devant la Cour supérieure, est donc la suivante :
- La décision de la CRT accueillant la plainte de l'appelante en vertu de l'article 47.3 C.t. était-elle raisonnable et constituait-elle rationnellement une issue possible eu égard à l'ensemble des circonstances?
[48] Comme la bonne foi de l'intimée ne saurait être remise en question, non plus que le caractère prima facie objectif du processus général d'enquête établi pour apprécier les chances de succès d'un grief, la question plus pointue dans le présent dossier pourrait être reformulée dans les termes suivants :
- La conclusion de la CRT concernant le caractère arbitraire de la démarche suivie par le syndicat, dans le présent cas, par l'entremise de son comité aviseur, était-elle raisonnable et pouvait-elle constituer une issue possible justifiable eu égard à l'ensemble des circonstances?
[49] J'ai eu l'opportunité de lire l'opinion de mon collègue le juge Cournoyer. À mon avis, et ceci dit avec beaucoup d'égards et de respect, il me paraît commettre la même erreur que le juge de première instance.
[50] Je m'explique. La CRT aurait pu conclure comme mon collègue le fait avec beaucoup d'éloquence, auquel cas il est évident que sa décision n'aurait pu être qualifiée de déraisonnable et eut été inattaquable. Mais il a conclu au contraire. Sa décision en est-elle déraisonnable pour autant? C'est la seule question à laquelle la Cour supérieure non plus que mon collègue ne répondent.
[51] Ceux-ci, toujours avec égards, et s'appuyant sur les motifs du juge LeBel, dans l'arrêt Noël[8], substituent leur propre opinion à celle de la CRT comme si c'était la norme de la décision correcte qui était applicable à la décision de celle-ci. En ce faisant, ils me paraissent mettre de côté les principes énoncés par la même Cour suprême dans l'arrêt Dunsmuir[9].
[52] Avec égards, les motifs exprimés par mon collègue me paraissent évaluer la démarche du syndicat, en fonction uniquement de l'apparence objective de la procédure mise en place, qui ne saurait être qualifiée de « superficielle, inattentive » ou non pertinente, et non en fonction du cas d'espèce soumis et de l'utilisation faite de cette structure dans le présent cas, que la CRT qualifie d'arbitraire, ce sur quoi je suis porté à être d'accord.
[53] C'est la démarche suivie dans le présent dossier qui est en litige, et que la CRT devait qualifier et non la validité théorique de la procédure mise en place pour les seuls cas de harcèlement psychologique. La raisonnabilité théorique de la conclusion du syndicat ne rend pas nécessairement déraisonnable la conclusion de la CRT concernant spécifiquement la procédure suivie dans le cas de l'appelante et la décision à laquelle elle en arrive.
[54] La déférence due à la CRT dans l'analyse de la preuve et des faits ainsi que des inférences qui peuvent en être tirées nous obligent, à mon avis, à considérer la question eu égard à « l'ensemble des circonstances » telles que décrites dans sa décision, et en tenant compte du contexte global du dossier et de ses facettes particulières.
[55] Je suis d'avis qu'il est difficile de se prononcer sur la raisonnabilité de la décision de la CRT, et d'expliquer la réponse de la Cour à ce sujet, sans revoir et expliquer les faits au dossier (c'est-à-dire les circonstances) mis en preuve devant la CRT et sur lesquels celle-ci s'est appuyée.
[56] Le résumé et l'énumération qui suivent de ces circonstances et faits ne se veulent en aucune façon constituer un jugement de valeur de la part de la Cour concernant la rectitude ou la justesse de la décision non plus que de la démarche du syndicat. En effet, ce n'est pas là ce que la Cour a à décider. Cette appréciation relève essentiellement de la compétence exclusive de la CRT, saisie de la demande de révision de la décision syndicale. En d'autres mots, il ne faudrait pas voir dans l'énumération qui suit l'expression d'un blâme à l'égard du syndicat de la part de la Cour.
[57] Ceci dit, je retiens, quant à moi, des extraits de l'analyse et du résumé des faits du commissaire Cloutier, que la plainte de Mélanie Lemay réfère à des incidents reprochés à l'appelante qui auraient commencé dès mai 2006.
[58] Or, c'est en mai 2006 que l'appelante, qui travaille pour le CHUS depuis 32 ans, a elle-même écrit à l'employeur (Josée Mireault) pour lui faire part des qualités exceptionnelles de Mélanie Lemay et pour insister pour que le CHUS l'embauche. Il y a déjà là quelque chose de troublant.
[59] De plus, nommée en mai 2007 pour remplacer l'appelante qui avait volontairement démissionné de son poste de chef d'équipe, Mélanie Lemay devient la supérieure de celle-ci. Les incidents de harcèlement qu'elle énumère auraient, selon la plaignante, continué jusqu'en décembre 2007. Pendant huit mois, la supérieure est harcelée psychologiquement par sa subordonnée, grâce à laquelle elle avait obtenu son emploi à l'hôpital.
[60] Ce n'est que par le téléphone de Josée Mireault, la convoquant à une rencontre dans l'heure suivante, que l'appelante apprend qu'une plainte de harcèlement psychologique a été déposée contre elle. C'est la première nouvelle qu'elle en a.
[61] Avec une heure d'avis, on lui recommande d'être accompagnée d'un représentant syndical, qu'elle ne voit que quelques minutes avant la rencontre et dont le seul conseil était d'être la plus transparente possible.
[62] À cette rencontre, où Josée Mireault est elle-même accompagnée du conseiller en relations de travail de l'hôpital, ce dernier lit à l'appelante la plainte de onze pages, référant à une vingtaine d'incidents remontant à près de deux ans, mais sans lui en remettre copie, à laquelle elle n'aurait droit que si l'hôpital accueille la plainte, et sans aucune mention de témoins allégués. Il invite l'appelante à donner ses commentaires sur place, lui demandant même de préciser les dates et les heures.
[63] La représentante du syndicat qui l'accompagne à cette rencontre du 11 février lui dit qu'il n'y a aucune autre démarche possible auprès du syndicat tant que l'hôpital n'a pas pris de décision. Le 3 avril, la décision de l'hôpital informe l'appelante que la plainte est retenue par un court avis écrit où on note cependant les considérations suivantes :
- L'enquête (de l'hôpital) révèle « des propos et des perceptions bien différentes », donc controversés, sinon contradictoires, des « perceptions » respectives des deux parties quant aux propos échangés;
- La conclusion de harcèlement psychologique repose essentiellement « sur les effets subis sur (sic) Mme Lemay »; est-ce à dire que ce sont les effets qui prouvent la cause, que ceux-ci soient raisonnables ou non?;
- Les paroles et les gestes reprochés à l'appelante sont « en apparence inoffensifs », mais entraînent entre autres « des perceptions, etc. », qu'il y aurait des insinuations, des sous-entendus et des critiques, d'où la qualification de conduite vexatoire de la part de l'appelante;
- Enfin, la décision du CHUS ne réfère en aucune façon aux deux déclarations jointes à la plainte comme si elles étaient sans pertinence aux fins de la décision patronale, seule en litige devant la CRT.
[64] Nous sommes dans le strict domaine du plus pur subjectif. Preuve contradictoire, perceptions subjectives et psychologiques qui, sans mettre en doute qu'elles puissent être fondées, ne peuvent cependant pas être constatées de façon objective et sur la base de faits concrets. Mais qui donc a le fardeau de la preuve?
[65] C'est ce fondement des conclusions du CHUS que le syndicat devait prendre en considération pour déterminer, d'abord et avant tout, si un arbitrage de griefs aurait quelque chance de succès ou serait voué à l'échec. C'est le premier motif que retient le commissaire Cloutier, dans son paragraphe 46, où il soulève que, vu sa motivation, la conclusion du CHUS surprend, même si ce n'est pas à la CRT de juger son bien-fondé. Il exprime et souligne le fait que l'appréciation de perception bien différente des personnes impliquées devient déterminante.
[66] Bien que Isabelle Bourret ait dit à l'appelante qu'elle n'avait aucun droit tant que l'hôpital n'avait pas pris de décision, le syndicat amorce néanmoins dès mars 2008 sa propre enquête parallèle, avant la décision. Le syndicat désigne et mandate une conseillère syndicale auprès de l'appelante, soit Rachel Chartrand.
[67] Il lui confie un double mandat : 1) d'une part, de recueillir la version de l'appelante et, le cas échéant, celle de témoins que l'appelante pourrait lui suggérer; et 2) d'autre part, de l'accompagner et donc de l'assister aux rencontres avec les représentants de l'hôpital; le rôle de cette « conseillère syndicale » est donc plus qu'ambigu; elle a la plainte en main, mais n'en remet pas de copie à l'appelante; l'appelante est obligée d'insister pour qu'elle accepte de rencontrer un témoin qu'elle lui propose; Rachel Chartrand lui explique qu'une autre conseillère joue le même rôle auprès de la plaignante, Mélanie Lemay, et que, par la suite, le syndicat décidera quelle version il retient; elle lui explique son rôle, mais reconnaît que ceci n'était pas très clair pour l'appelante, la procédure qui était suivie « pour déterminer quel membre le syndicat appuierait ».
[68] Bref, on peut s'interroger sur le rôle exact du comité aviseur en regard de la plainte concernant laquelle il n'y a encore aucune décision de l'employeur. Est-ce celui d'arbitre entre les parties? Comme tout ceci se déroule avant même la décision du CHUS, peut-on comprendre que son objet est de décider à l'avance et avant même de connaître la décision du CHUS, s'il serait susceptible d'y avoir un grief? Et si c'est le cas, le syndicat peut-il alors décider objectivement du mérite de la demande de porter un grief à l'encontre de la décision prononcée par le CHUS, sur la base des considérations de cette décision et de la preuve soumise au CHUS, alors qu'il en aurait déjà décidé lui-même sur la base d'autres facteurs?
[69] Bref, quel que puisse être le mérite du syndicat de se pourvoir d'une procédure d'enquête, force est de constater que le mécanisme prévu, du moins dans le présent cas, semble confondre à première vue les rôles de juge et de partie, de « conseillers » auprès des parties et de membres du comité aviseur.
[70] Quant au déroulement de la réunion du comité aviseur du 21 avril 2008, j'en retiens les éléments suivants, sans les juger ni les commenter :
- La majorité des membres du comité aviseur n'ont ni rencontré ni parlé à la plaignante ou à l'appelante; ils n'ont comme seule base de décision que les rapports que peuvent faire les deux conseillers syndicaux attitrés à l'une et à l'autre partie avec un mandat de représentation contradictoire, sinon très ambigu;
- Le comité aviseur aurait délibéré et discuté pendant environ six heures, avant de décider, ce qui semblerait indiquer que les positions respectives des parties étaient non seulement conflictuelles, mais également discutables, et sujettes à des points de vue divergents;
- Le comité aviseur reconnaît effectivement que les versions sont contradictoires et prend sur lui de trancher qui dit vrai et qui dit faux et de se prononcer sur la crédibilité des deux parties en litige, mais sans que ni l'une ni l'autre soit entendue par l'ensemble du comité aviseur, et en s'appuyant entre autres sur les deux déclarations anonymes dont l'appelante ignorait même l'existence;
- Lors de cette réunion, le comité n'a encore devant lui aucune demande de l'appelante, qui n'avait donc aucun fardeau de preuve à rencontrer; elle était accusée et non plaignante; l'appelante n'a jamais eu l'occasion de plaider sa cause devant le syndicat.
[71] Bref, l'appelante n'a jamais eu l'opportunité de plaider avec sérieux et raisonnabilité l'insuffisance des raisons données par le CHUS alors que son seul fardeau, au niveau de sa demande de grief, était d'établir une chance raisonnable de convaincre un arbitre que les motifs invoqués par le CHUS étaient insuffisants pour justifier sa conclusion et la sanction imposée.
[72] Le syndicat a fait une toute autre enquête, parallèle et distincte, sans même connaître la preuve retenue par le CHUS; il invoque un tout autre motif pour conclure « parallèlement » au harcèlement psychologique, sur la base d'une preuve peut-être jamais présentée devant le CHUS, ou non mentionnée comme motif par celui-ci, soit les deux déclarations dont les auteurs et la teneur sont inconnus de l'appelante; il rejette le témoignage de la syndiquée pour motif de crédibilité, laquelle n'est pas questionnée par le CHUS dans sa propre décision.
[73] Bref, le syndicat n'analyse pas le mérite de la décision du CHUS, mais plutôt le mérite de la défense de l'appelante aux accusations portées contre elle par Mélanie Lemay, tout en lui imposant, comme le CHUS l'avait fait, le fardeau de la preuve.
LES CONCLUSIONS
[74] D'emblée, je souligne que tant les remarques et commentaires qui précèdent que les conclusions qui suivent ne se veulent en aucune façon une réflexion critique de la politique adoptée par le syndicat en 1999 « visant à contrer le harcèlement et la violence en milieu de travail » non plus que du mécanisme d'intervention mis en place pour les cas où les personnes impliquées de part et d'autre dans une plainte de harcèlement sont membres du syndicat, au contraire. Dans l'optique où l'un des objectifs et des résultats de cette politique et de ce mécanisme serait de déjudiciariser les conflits de harcèlement psychologique, d'en faciliter la conciliation par un processus interne, ou d'éviter l'intervention de l'employeur, on ne saurait qu'en louanger le syndicat.
[75] Ce qui pose problème dans le cas particulier qui nous concerne, et tel que je le souligne d'entrée de jeu au paragraphe [4] de mes motifs, c'est lorsque le syndicat se retrouve ici dans une situation nouvelle de possibilité d'apparence de conflit d'intérêts entre ceux de deux de ses membres. Je réitère que, à mon avis, dans de telles circonstances, le mécanisme d'intervention prévu devrait alors être utilisé avec la plus grande circonspection et la plus grande prudence afin d'éviter toute apparence de préjugé favorable à l'égard de l'un ou l'autre des protagonistes. En vertu du principe qui veut que non seulement justice soit rendue, mais qu'elle doit visiblement avoir été rendue, la demande de dépôt de grief par la salariée doit être alors décidée avec la plus grande objectivité possible.
[76] Était-il déraisonnable de la part du commissaire Cloutier de souligner que les motifs invoqués par le CHUS au soutien de sa décision disciplinaire et que la conclusion de celle-ci « surprend » (paragr. 46)?
[77] Était-il déraisonnable de la part du commissaire Cloutier de conclure que ce qui posait problème était la suite de l'enquête et en particulier, le fait que le comité aviseur ait décidé du bien-fondé de la plainte de harcèlement psychologique plutôt que de soupeser les chances de succès d'un grief, à la lumière des motifs invoqués par l'hôpital (paragr. 48)?
[78] Était-il déraisonnable de la part du commissaire Cloutier de souligner que ce qui posait aussi problème était « que le comité aviseur a décidé de la crédibilité de la plaignante et de Mélanie Lemay sans les avoir vues, à partir des « témoignages » des conseillères syndicales qui, chacune, n'a pu que témoigner de la crédibilité de celle qu'elle « représentait » et non de l'autre parce qu'elle ne l'avait pas rencontrée » (paragr. 49)?
[79] Était-il déraisonnable de la part du commissaire Cloutier de souligner que ce qui posait surtout problème, en plus de ce qui précède, est que le comité aviseur « ait pris sa décision en considérant qu'une version était plus crédible ou probable que l'autre » et que, pour ce faire, il avait pris en compte « deux déclarations que la plaignante n'a pas pu contredire, parce qu'on ne les lui a pas soumises » (paragr. 50)?
[80] Était-il également déraisonnable de la part du commissaire Cloutier de souligner que l'obligation de représentation imposée au syndicat l'obligeait également à tenir compte « de l'importance du grief pour le salarié » (paragr. 51)?
[81] Enfin, était-il déraisonnable au point d'être injustifiable pour le commissaire Cloutier d'affirmer que le syndicat ne devait pas décider du bien-fondé de la plainte de harcèlement psychologique et que, même si cela avait été son rôle, « il ne pouvait pas décider de la crédibilité de la plaignante et de la probabilité que les faits invoqués dans cette plainte se soient produits en s'appuyant notamment sur des déclarations » inconnues de l'appelante (paragr. 53)?
[82] Enfin, était-il déraisonnable pour le commissaire Cloutier de conclure que, dans les circonstances, le syndicat « a pris une décision arbitraire » (paragr. 55)? Je serais personnellement enclin à ajouter à cette dernière qualification celle du caractère discriminatoire de la décision résultant de l'imposition du fardeau de la preuve à l'appelante, tant dans le cadre de l'enquête de l'employeur que dans le cadre de l'enquête « du comité aviseur ».
[83] Ce sont là les seules questions auxquelles le juge de la Cour supérieure devait répondre dans le contexte de la requête en révision judiciaire qui lui était présentée. Le jugement entrepris escamote entièrement ces questions pour plutôt insister sur une question qui n'en constituait pas l'objet, soit la raisonnabilité de la décision du syndicat. Or, l'objet du litige devant lui était exclusivement la raisonnabilité de la décision du commissaire Cloutier, à la lumière des motifs invoqués par l'employeur, compte tenu du fait que le litige en cette matière en est un entre l'appelante et le CHUS, avant d'en être un entre deux salariés du même syndicat.
[84] À mon avis, suivre le raisonnement de mon collègue le juge Cournoyer équivaut à dire que, sans tenir compte de toutes les facettes du dossier, c'est la norme de la décision correcte qui s'appliquerait à la CRT, non seulement dans le présent dossier, mais dans tous les cas de même nature de harcèlement psychologique.
[85] Je n'ai, quant à moi, aucune hésitation à conclure que la décision du commissaire Cloutier n'était pas déraisonnable et qu'elle pouvait constituer rationnellement une issue acceptable à la demande qui lui était faite, pouvant se justifier au regard des faits mis en preuve et du droit.
[86] Pour l'ensemble de ces motifs, je suis d'avis qu'il y a lieu d'intervenir, d'accueillir l'appel, de casser le jugement de la Cour supérieure, de rejeter la requête en révision judiciaire de l'intimée, et de confirmer la décision du 18 décembre 2008 de la CRT.
[87] Le tout avec les dépens tant en appel qu'en Cour supérieure contre l'intimée.
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ANDRÉ BROSSARD, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE VÉZINA |
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[88] J’au eu l’avantage de prendre connaissance des motifs de mes collègues. Avec égards pour l’autre, je partage l’avis de l’un.
[89] Notons d’abord que le Commissaire retient que « …ce n’est pas l’enquête du syndicat qui pose problème ». Il n’y a eu aucune négligence de la part du Syndicat. On ne saurait lui reprocher d’avoir traité l’affaire de façon superficielle ou inattentive. Au contraire, le Syndicat a déployé beaucoup d’efforts, de temps et de réflexion pour en arriver à dénouer cette situation de harcèlement psychologique impliquant deux de ses membres.
[90] Habituellement ce constat aurait amené le rejet de la plainte de l’Employée à l’égard du Syndicat. Mais c’est plutôt un reproche d’un tout autre ordre que la Crt a retenu. Elle y a vu une erreur de principe qui a eu pour conséquence que l’Employée n’a pas été traitée de façon équitable.
[91] Le Syndicat avec les meilleures intentions du monde, s’est attribué un rôle qu’il n’a pas. Il s’est institué arbitre entre ses deux membres impliquées dans le harcèlement plutôt que de remplir son rôle traditionnel de défenseur de l’Employée visée par une sanction de l’Employeur. Le Commissaire écrit :
[41] Le Syndicat plaide qu’il a fait une enquête sérieuse, objective et honnête qui l’a amenée à conclure que la conduite de la plaignante semblait constituer du harcèlement psychologique. Pour ce faire, il a apprécié certaines contradictions dans la version de la plaignante, en s’appuyant sur les critères développés par les tribunaux. [Le Syndicat plaide que l]a Commission ne doit pas se demander s’il a pris la bonne décision, mais examiner la qualité de son enquête.
[…]
[53] Le Syndicat ne devait pas décider du bien-fondé de la plainte de harcèlement psychologique et, même si cela avait été son rôle […]
[54] Le Syndicat n’aurait pas pu, non plus, décider des chances de succès d’un grief contestant la mesure disciplinaire imposée à la plaignante, ce qui était son rôle […]
[92] On associe presque toujours arbitraire et négligence. Le Commissaire en fournit un exemple en citant la Cour suprême :
[45] Puis, dans l’affaire Noël c. Société d’énergie de la Baie-James, (2001) 2 R.C.S. 207 , elle définit comme suit les concepts d’arbitraire et de négligence grave :
50. Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. […]
[93] Si c’est souvent vrai, ce n’est pas toujours le cas pour autant. Les définitions données par Cornu[10] font voir cette dualité :
Arbitraire
Adj. ou subst. - Lat. arbitrarius : arbitral, volontaire, arbitraire.
· 1 (adj.)
a/ Caractère d’une décision (not. d’une mesure individuelle et spéciale) qui n’est pas le résultat de l’application d’une règle existante mais le produit d’une volonté libre.
Comp. subjectif, souverain, discrétionnaire. V. principe de la légalité.
b/ Péjorativement, caractère injuste d’une décision (ou du pouvoir de la prendre) ou d’une distinction qui n’est pas conforme aux exigences de la raison ou d’une morale et souvent dénuée de pertinence; parfois syn. de illégal (v. Const. 1958, a. 66). V. arrestation arbitraire, discrimination.
· 2 […]
[94] En décidant de délibérer et de statuer sur le bien-fondé de la plainte plutôt que sur les moyens au soutien d’un grief contre l’Employeur, le Syndicat a écarté l’application d’ « une règle existante » pour aboutir à « un produit de sa volonté libre ».
[95] Je m’empresse de réitérer que le Syndicat a agi non seulement sans intention de nuire, mais dans la recherche d’un objectif louable, soit de faire obstacle au harcèlement psychologique de manière à favoriser l’harmonie au travail parmi ses membres.
[96] L’objectif n’est pas facile à atteindre, le harcèlement ne résulte vraisemblablement pas d’une décision patronale. Quel doit être le rôle du Syndicat face à ce nouveau genre de problème?
[97] En tentant de relever ce défi, le Syndicat a oublié son rôle traditionnel - je dirais même son rôle premier - de défense d’une de ses membres visée par une sanction patronale. Et ce, d’autant plus que la situation était grave pour elle. Parfois, le mieux est l’ennemi du bien. Le Commissaire écrit :
[52] Une plainte de harcèlement psychologique est une affaire sérieuse, importante, tant pour la personne qui se dit victime de harcèlement que pour celle qui est accusée de harceler, à cause des conséquences d’une telle plainte pour l’une et pour l’autre. Dans le cas de la plaignante, l’Hôpital lui a retiré la responsabilité des stagiaires et la prime qui s’y rattachait, en plus de devoir vivre avec l’étiquette de harceleuse.
[98] Et c’est précisément le rôle de la Commission des relations du travail de contribuer par ses décisions à l’élaboration des paramètres qui guideront les syndicats pour faire face à ces nouvelles situations. Toute l’expérience de cette instance spécialisée est des plus pertinentes pour l’atteinte de cet objectif. Les tribunaux doivent avoir la sagesse de la laisser jouer son rôle d’interrelation avec les syndicats.
[99] En s’érigeant en arbitre, le Syndicat se devait de traiter équitablement l’ « accusée » de harcèlement. D’où le reproche du Commissaire sur la manière - tout est dans la manière - de procéder du Syndicat :
[49] Ce qui pose aussi problème, c’est que le comité aviseur a décidé de la crédibilité de la plaignante et de madame Lemay, sans les avoir vues, à partir des « témoignages » des conseillères syndicales qui, chacune, n’a pu que témoigner de la crédibilité de celle qu’elle « représentait » et non de l’autre parce qu’elle ne l’avait pas rencontrée.
[50] Mais, et surtout, ce qui pose problème et s’ajoute à ce qui précède, c’est que le comité aviseur ait pris sa décision en considérant qu’une version était plus crédible ou probable que l’autre et que, pour ce faire, il a pris en compte deux déclarations que la plaignante n’a pas pu contredire, parce qu’on ne les lui a pas soumises.
[…]
[53] Le Syndicat ne devait pas décider du bien-fondé de la plainte de harcèlement psychologique et, même si cela avait été son rôle, il ne pouvait pas décider de la crédibilité de la plaignante et de la probabilité que les faits invoqués dans cette plainte se soient produits, en s’appuyant notamment sur des déclarations qu’elle n’a pu contredire.
[54] Le Syndicat n’aurait pas pu, non plus, décider des chances de succès d’un grief contestant la mesure disciplinaire imposée à la plaignante, ce qui était son rôle, en soupesant la crédibilité de cette dernière, sans qu’elle puisse contredire les deux déclarations sur lesquelles le comité aviseur s’est appuyé.
[100] Cette façon de confirmer la faute de l’Employée, sans vraiment lui donner pleinement l’occasion de connaître les faits reprochés et de s’expliquer, a été jugée inacceptable par le Commissaire. Difficile de lui donner tort.
[101] Encore là, le Syndicat semble bien avoir agi de bonne foi, dans le but de protéger la « victime » de harcèlement, si victime il y a eue. Mais ce souci légitime lui a fait perdre de vue le droit fondamental de l’Employée de se défendre en pleine connaissance de cause.
[102] La Crt a jugé le Syndicat fautif non pas pour la qualité de son enquête, mais pour l’orientation qu’il lui a donnée. Voilà une question de principe, de doctrine, qui n’est pas étrangère au rôle confié par le législateur à la Crt. Son avis ne saurait être qualifié de déraisonnable et les tribunaux se doivent de le respecter.
[103] Je suis d’avis que la Cour supérieure n’aurait pas dû réviser la décision du Commissaire.
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PAUL VÉZINA, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE COURNOYER |
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[104] J'ai pris connaissance des motifs du juge Brossard. Avec égards pour son opinion, je partage plutôt celle de la Cour supérieure qui a conclu que la décision de la CRT ne faisait pas partie de l'une des issues possibles acceptables en regard des faits et du droit[11].
[105] J'estime, d'une part, que la CRT n'a pas fait preuve de déférence à l'égard de l'enquête du syndicat et que, d'autre part, cette enquête ne révèle aucune des conduites interdites par l'article 47.2 du Code du travail selon le critère énoncé par la Cour suprême dans Noël c. Société d'énergie de la Baie James[12].
[106] Dans l'arrêt Noël, le juge LeBel constate que le devoir de représentation énoncé à l'article 47.2 du Code du travail[13] « interdit quatre types de conduite : la mauvaise foi, la discrimination, le comportement arbitraire et la négligence grave »[14]. Il définit le comportement arbitraire et la négligence grave en ces termes :
Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible. On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier. (Voir Adams, loc. cit., p. 13-20.1 à 13-20.6).
Le quatrième élément retenu dans l’art. 47.2 C.t. est la négligence grave. Une faute grossière dans le traitement d’un grief peut être assimilée à celle-ci malgré l’absence d’une intention de nuire. Cependant, la simple incompétence dans le traitement du dossier ne violera pas l’obligation de représentation, l’art. 47.2 n’imposant pas une norme de perfection dans la définition de l’obligation de diligence qu’assume le syndicat. L’évaluation du comportement syndical tiendra compte des ressources disponibles, de l’expérience et de la formation des représentants syndicaux, le plus souvent des non juristes, ainsi que des priorités reliées au fonctionnement de l’unité de négociation (voir Gagnon, op. cit., p. 310-313; Veilleux, op. cit., p. 683-687; Adams, op. cit., p. 13-37)[15].
[Je souligne]
[107] La CRT n'a pas conclu que l'enquête du syndicat était superficielle, inattentive ou que le syndicat n'a pas examiné les faits pertinents. La CRT estime plutôt que c'est la suite de l'enquête du syndicat qui pose problème et non l'enquête elle-même[16].
[108] La CRT reproche au comité aviseur mis sur pied par le syndicat d'avoir décidé du bien-fondé de la plainte alors qu'il ne devait qu'en évaluer les chances de succès. Elle critique aussi l'évaluation de la crédibilité des plaignantes par ce comité sans avoir entendu la plaignante et la personne qui faisait l'objet de la plainte.
[109] À mon avis, ces éléments ne permettaient pas à la CRT d'intervenir, car elle devait respecter la discrétion du syndicat quant à la forme et l'intensité de son enquête.
[110] Dans l'arrêt Noël, le juge LeBel souligne que le salarié n'a pas droit à l'enquête la plus poussée. Il ne convient donc pas d'imposer au syndicat une enquête qui respecte les attributs d'un tribunal adjudicatif, car le syndicat n'a qu'une obligation de diligence en cette matière[17].
[111] Dans l'affaire Syndicat national des employées et employés du Centre de soins prolongés Grace Dart (CSN) c. Holligin-Richards[18], le juge Baudouin décrit ainsi le rôle du Tribunal du travail, aujourd'hui celui de la CRT :
Son rôle n'est pas de substituer sa propre opinion à la décision syndicale ou de siéger en appel de celle-ci, mais simplement de s'assurer que, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, le choix par le syndicat de ne pas procéder à l'arbitrage a été le résultat d'un examen sérieux et non d'un acte arbitraire, de mauvaise foi, de discrimination ou de négligence grave. Ce principe a été bien établi par la Cour suprême dans les affaires Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon; Tremblay c. Syndicat des employés et employées professionnels(les) et de bureau, section locale 57; Noël c. Société d'énergie de la Baie James et Centre hospitalier Régina ltée c. Prud'homme, repris par ma collègue, la juge Rousseau-Houle, dans l'arrêt Métras c. Tribunal du travail. Le droit du syndiqué à l'arbitrage n'est donc pas un droit absolu, mais relatif et le syndicat jouit donc, à cet égard, d'une discrétion appréciable basée en définitive sur son évaluation stratégique et son appréciation tactique touchant la gestion du dossier disciplinaire. C'est donc seulement l'exercice du contrôle de cette discrétion que le Tribunal doit évaluer. Il n'a qu'une compétence limitée et ne peut substituer sa propre opinion à celle du syndicat, ce que, en toute déférence, il me semble avoir fait en l'occurrence[19].
[Je souligne. Références omises.]
[112] Dans l'exercice de contrôle de la discrétion du syndicat, la CRT ne pouvait qualifier d'arbitraire l'enquête du syndicat en l'espèce. Elle ne pouvait pas, non plus, substituer son opinion à la discrétion du syndicat, ce qu'elle a fait ici, à mon avis.
[113] La décision de la CRT ne peut donc être considérée comme l'une des issues possibles acceptables en faits et en droit[20], car la décision du syndicat était, elle-même, une issue possible et acceptable en l'espèce.
[114] Pour ces motifs, je propose de rejeter l'appel avec dépens.
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GUY COURNOYER, J.C.A. (AD HOC) |
[1] L.R.Q., c. C-27.
[2] L.R.Q., c. C-27.
[3] Le conflit d'intérêts dans la plainte disciplinaire, à mon avis, ne semble pas très distant.
[4] Celle-ci agissant comme coordonnatrice du comité aviseur à titre de présidente de l'action féministe du syndicat.
[5] [1984] 1 R.C.S. 509 .
[6] [2001] 2 R.C.S. 207 .
[7] Il est à noter que la décision patronale, faisant droit à la plainte pour harcèlement psychologique de Mélanie Lemay, ne référait en aucune façon à des témoignages de tiers tout en reconnaissant le caractère contradictoire des versions des parties.
[8] [2001] 2 R.C.S. 207 .
[9] [2008] 1 R.C.S. 190 .
[10] Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 8e éd. Paris, Universitaires de France, 1998, page 69.
[11] 2009 QCCS 3839 , les paragraphes 42 à 59.
[12] 2001 CSC 39 , [2001] 2 R.C.S. 207 .
[13] L.R.Q., c. C-27.
[14] 2001 CSC 39 , [2001] 2 R.C.S. 207 , paragr. 48.
[15] Ibid., paragr. 50-51.
[16] 2008 QCCRT 544, paragr. 48.
[17] Noël c. Société d'énergie de la Baie James, 2001 CSC 39 , [2001] 2 R.C.S. 207 , paragr. 51; Nancy Martel et Pierre E. Moreau, Le devoir de juste représentation, Montréal, LexisNexis, 2009, p. 103-104.
[18] 2006 QCCA 158 .
[19] Ibid., paragr. 31.
[20] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 , [2008] 1 R.C.S. 190 , paragr. 47.
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