Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit EDJ

Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Perreault

2021 QCCDTSTCF 7

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

 

ORDRE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX ET DES THÉRAPEUTES
CONJUGAUX ET FAMILIAUX DU QUÉBEC

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

NO :

37-20-083

 

 

 

DATE :

Le 18 janvier 2021.

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE CONSEIL :

Me MARIE-FRANCE PERRAS

Présidente

Mme BRIGITTE COTÉ, t.s.

Membre

Mme JOSÉE LAURENDEAU, t.s.

Membre

______________________________________________________________________

 

 

 

MÉLANIE PIN, travailleuse sociale, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre des   travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec

 

Plaignante

 

c.

 

MARIE-PIER PERREAULT, travailleuse sociale

 

Intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

______________________________________________________________________

 

 

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE PRONONCE UNE ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION DE L’IDENTITÉ DES CLIENTS DONT IL EST QUESTION DANS LA PLAINTE ET QUI SONT MENTIONNÉS DANS LA PREUVE, DANS LES DOCUMENTS DÉPOSÉS EN PREUVE ET DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE LES IDENTIFIER. LES PIÈCES SP1 ET SP2 SONT MISES SOUS SCELLÉES, LE TOUT AFIN D’ASSURER LE RESPECT DU SECRET PROFESSIONNEL ET DE LA VIE PRIVÉE DE CES CLIENTS.

APERÇU

[1]           La plaignante reproche à l’intimée d’avoir consulté à des fins personnelles des dossiers d’usagers, et ce, sans leur consentement et sans justification.

[2]           Lors de l’audition, l’intimée enregistre un plaidoyer de culpabilité sous l’unique chef de la plainte modifiée. Considérant le plaidoyer de culpabilité et après s’être assuré du caractère libre et volontaire, le Conseil déclare, séance tenante, l’intimée coupable de l’unique chef de la plainte modifiée, tel qu’il sera plus amplement décrit au dispositif de la présente décision.

[3]           Les parties procèdent par la suite sur sanction et suggèrent au Conseil d’entériner la recommandation conjointe imposant à l’intimée une période de radiation temporaire de quatre semaines sous l’unique chef de la plainte modifiée.

[4]           De plus, les parties demandent à ce que l’intimée soit condamnée aux déboursés incluant les frais de publication de la présente décision avec un délai de six mois pour les acquitter.

QUESTION EN LITIGE

[5]           Le Conseil doit-il entériner la recommandation conjointe des parties?

[6]           Pour les motifs ci-après exposés, le Conseil juge que la recommandation conjointe n’est pas contraire à l’intérêt public ni déraisonnable au point d’être contraire à une saine administration de la justice, par conséquent, le Conseil y donne suite.

PLAINTE MODIFIÉE

[7]           La plainte en date du 23 juillet 2020 est libellée ainsi :

1.    À Malartic, entre le ou vers le 3 janvier 2017 et le ou vers le 24 septembre 2019, l’intimée a posé un acte dérogatoire à l’honneur et la dignité de sa profession en consultant à plusieurs reprises, sans justification suffisante, des informations de nature confidentielle contenues aux dossiers des usagers X et Y sur le système d’information I-CLSC.

En agissant ainsi, l’intimée a contrevenu aux dispositions de l’article 59.2 du Code des professions, chapitre C-26.

[Transcription textuelle]

CONTEXTE

[8]           L’intimée est travailleuse sociale au CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue depuis 2008.

[9]           Dans le cadre de ses fonctions, elle a accès aux dossiers des usagers du CISSS lui permettant ainsi d’accéder à des informations personnelles et confidentielles sur les différentes démarches effectuées par les usagers ainsi que leur prise en charge par les intervenants.

[10]        Au mois de janvier 2017, l’intimée consulte le dossier de X à des fins personnelles, et ce, sans y être autorisée.

[11]        Elle consulte ce dossier à six reprises.

[12]        Elle cherche à obtenir des informations sur X qui est une personne significative dans sa vie afin de connaître sa nouvelle adresse ainsi que l’évolution de son dossier.

[13]        L’intimée explique son geste par le fait que la relation était de plus en plus difficile avec X et qu’elle voulait s’assurer de sa prise en charge.

[14]        Au cours de l’été 2019, l’intimée consulte cette fois-ci le dossier de Y avec qui elle a développé une relation intime, mais qui s’est terminée de façon inattendue.

[15]        Elle consulte ce dossier à plus de 40 reprises, et ce, sans aucune autorisation.

[16]        L’intimée explique son geste en indiquant au Conseil qu’elle cherchait à obtenir des réponses à ses questions sur les raisons du départ de Y.

[17]        L’intimée explique au Conseil qu’elle connaissait très bien ses obligations déontologiques en cette matière, mais elle était incapable de réfléchir adéquatement durant cette période.

ARGUMENTATION DES PARTIES

[18]        La plaignante souligne qu’il y a eu bris de confidentialité sur les informations personnelles des usagers X et Y.

[19]        L’intimée a eu accès à des informations hautement confidentielles en lien direct avec la vie privée de gens qu’elle connaissait personnellement.

[20]        Elle savait que c’était hautement répréhensible et qu’elle outrepassait ses pouvoirs.

[21]        La confidentialité constitue la pierre d’assise d’une relation de confiance qui doit s’établir entre un usager et son intervenant.

[22]        Les usagers d’un CISSS doivent pouvoir compter sur le respect de cette confidentialité.

[23]        L’intimée indique au Conseil que c’était des périodes difficiles sur le plan personnel et qu’elle était très émotive.

[24]        Elle souffre de problèmes d’anxiété et reconnaît qu’à ces périodes elle n’était pas rationnelle.

[25]        À la suite de ces évènements, elle a été sanctionnée par son employeur et suspendue pendant un mois sans solde.

[26]        Elle indique que depuis ces évènements, elle s’est reprise en mains et est allée chercher l’aide nécessaire.

[27]        Elle consulte et est capable maintenant de reconnaître les éléments déclencheurs.

[28]        Elle est mieux outillée pour faire face aux périodes stressantes et a un meilleur contrôle sur son anxiété.

[29]        Elle mentionne avoir posé des gestes concrets afin de s’amender.

[30]        De plus, elle indique avoir regagné la confiance de sa gestionnaire.

ANALYSE

[31]        Étant en présence d’une recommandation conjointe sur sanction, le Conseil doit déterminer s’il y donne suite.

Les principes devant guider le Conseil pour accepter ou refuser une recommandation conjointe

[32]        Le Tribunal des professions enseigne qu’une suggestion conjointe ne doit pas être écartée « afin de ne pas discréditer un important outil contribuant à l'efficacité du système de justice, tant criminel que disciplinaire[1] ».

[33]        Ainsi, en présence d’une recommandation conjointe, le Conseil n’a pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction proposée, « mais à déterminer si elle s’avère déraisonnable au point d’être contraire à l’intérêt public et de nature à déconsidérer l’administration de la justice[2]. Dans l’arrêt Anthony-Cook[3], la Cour suprême a précisé « qu’en présence d’une recommandation conjointe, ce n’est pas le critère de la “justesse de la peineʺ qui s’applique, mais celui plus rigoureux de savoir si la peine serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, ou serait, par ailleurs, contraire à l’intérêt public ».

[34]        Conséquemment, il est utile de se référer aux enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Binet[4], indiquant que les principes devant guider le juge pour accepter ou refuser une suggestion commune sont différents de ceux applicables à la détermination d’une sanction.

[35]        La Cour d’appel du Québec, faisant siens les propos de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Belakziz[5], ajoute qu’en présence d’une recommandation conjointe, il est inapproprié de déterminer d’abord la sanction qui pourrait être imposée pour ensuite la comparer avec celle suggérée[6]. L’analyse doit plutôt porter sur les fondements de la recommandation conjointe, incluant les avantages importants pour l’administration de la justice, afin de déterminer si cette recommandation est contraire à l’intérêt public ou déconsidère l’administration de la justice.

[36]        C’est donc à la lumière de ces principes que le Conseil doit analyser la sanction proposée L’intimée a posé des gestes graves qui vont à l’encontre des valeurs intrinsèques de la profession de travailleuse sociale.

[37]        L’intimée a plaidé coupable à l’article 59.2 du Code des professions[7] qui se libelle ainsi :

59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.

[38]        De par son plaidoyer de culpabilité, l’intimée reconnaît avoir fait fi de ses obligations en matière de confidentialité.

[39]        Les informations auxquelles l’intimée a eu accès sont des informations sensibles et très personnelles.

[40]        Étant membre de l’Ordre depuis plus de dix ans, l’intimée aurait dû faire preuve d’un meilleur jugement.

[41]        L’intimée a posé des gestes graves et a ainsi miné la confiance que le public est en droit de s’attendre.

[42]        Cependant, les parties ont souligné à juste titre plusieurs facteurs atténuants.

·        Un plaidoyer de culpabilité à la première occasion;

·        Une reconnaissance complète des faits sans tenter de se disculper;

·        Une collaboration exemplaire. Bien que ce soit un facteur neutre, le Conseil retient que la plaignante tient à qualifier le degré de collaboration de l’intimée tout au long du processus disciplinaire;

·        Les remords et regrets sincères offerts lors de l’enquête et également au moment de l’audition;

·        L’intimée n’a aucun antécédent disciplinaire;

·        Le risque de récidive est qualifié de très faible;

·        La suspension sans solde de la part de son employeur.

[43]        De plus, le Conseil a été interpellé par les démarches faites par l’intimée après la commission des infractions.

[44]        L’intimée a fait des excuses auprès de Y.

[45]        L’intimée a fait également une démarche auprès de ses collègues après son retour au travail. Elle a tenu à rencontrer ses collègues afin de leur expliquer son absence et les dangers de consulter des dossiers à des fins personnelles.

[46]        Les parties ont soumis quelques décisions afin d’appuyer leur recommandation conjointe et le Conseil retient l’affaire Vincent[8], où la sanction fut une période de radiation de 30 jours, l’affaire Gaudreault[9], une période de radiation de 3 semaines et l’affaire Rochette[10], une période de radiation de 30 jours ainsi qu’une amende de 1 500 $.

[47]        La recommandation conjointe proposée par les parties s’inscrit donc dans la fourchette des sanctions pour des infractions de même nature.

[48]        Ainsi après avoir pris connaissance des éléments présentés par les parties relativement aux facteurs qu’elles ont considérés pour l’élaboration de leur recommandation conjointe, le Conseil est d’avis que cette dernière ne déconsidère pas l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public.

[49]        Par conséquent, le Conseil est d’avis que la recommandation conjointe des parties doit être retenue.

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 2 DÉCEMBRE 2020 :

Sous l’unique chef d’infraction :

[50]        DÉCLARE l’intimée coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.

ET CE JOUR :

[51]        IMPOSE à l’intimée une période de radiation de quatre semaines.

[52]        ORDONNE à la secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec de publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée a son domicile professionnel conformément à l’article 156 du Code des professions.

[53]        CONDAMNE l’intimée au paiement de l’ensemble des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions ainsi que les frais de publication de l’avis mentionné ci-haut.

[54]        ACCORDE à l’intimée un délai de six mois à compter de la date d’exécution de la présente décision pour acquitter les déboursés ainsi que les frais de publication.

 

__________________________________

Me MARIE-FRANCE PERRAS

Présidente

 

 

 

__________________________________

Mme BRIGITTE CÔTÉ, t.s.

Membre

 

 

 

__________________________________

Mme JOSÉE LAURENDEAU, t.s.

Membre

 

Me Elise Moras

Avocate de la plaignante

 

Me Sophie Brochu

Avocate de l’intimée

 

Date d’audience :

2 décembre 2020

 



[1]     Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52.

[2]     Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5.

[3]     R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

[4]     R. c. Binet, 2019 QCCA 669, paragr. 19.

[5]     R. v. Belakziz, 2018 ABCA 370, paragr. 17 et 18.

[6]     R. c. Binet, supra, note 4.

[7]     RLRQ, c. C-26.

[8]     Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Vincent, 2019 CanLII 144818 (QC OTSTCFQ).

[9]     Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Gaudreault, 2018 CanLII 95928 (QC OTSTCFQ).

[10]    Travailleurs sociaux (Ordre professionnel des) c. Rochette, 2012 CanLII 99569 (QC OTSTCFQ).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.