Scheubel c. SSQ Groupe financier |
2020 QCCQ 1712 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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N° : |
200-22-085287-191 |
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DATE : |
24 avril 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CHRISTIAN BRUNELLE J.C.Q. |
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GÉRARD SCHEUBEL |
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Demandeur |
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c. |
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SSQ GROUPE FINANCIER |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur, Gérard Scheubel, réclame à la défenderesse, SSQ Groupe financier (« SSQ »), la somme de 71 518,80 $. Il soutient qu’en sa qualité d’assureur, SSQ a manqué à son devoir d’information et de conseil à son endroit, ce qui l’a privé d’une indemnité d’assurance à laquelle il prétend avoir droit.
I) CONTEXTE
[2] De 1984 à 2016, monsieur Scheubel est ingénieur chimiste pour le compte de la société beauceronne Texel, une division d’ADS inc. Jusqu’au moment de sa retraite, il était directeur des projets spéciaux au sein de l’entreprise et se consacrait à la recherche et au développement.
L’assurance collective au travail
[3] À compter de 1996, il bénéficie des avantages d’une assurance collective souscrite par son employeur auprès de SSQ. Le régime, dit « familial », comporte notamment une assurance-voyage et une couverture globale de 5 000 000 $ pour l’employé et ses proches.
[4] À partir de 2008-2009, monsieur Scheubel et sa conjointe, madame Denise Lemay, séjournent quelques semaines par année en Floride, où ils louent un appartement.
[5] En février 2013, le couple y acquiert une maison unifamiliale à Naples, sur la côte Ouest. Puis, la durée de leurs séjours floridiens périodiques se prolongent, sans toutefois excéder la période annuelle de 180 jours alors indiquée dans le régime d’assurance collective.
[6] En prévision de sa retraite prévue le 1er mai 2016, monsieur Scheubel se dit prêt à « cotiser » afin de maintenir sa participation au régime d’assurance collective, mais, dit-il, « ce n’était pas possible ».
L’assurance individuelle à la retraite
[7] Monsieur Scheubel est informé de la possibilité de souscrire une assurance-santé individuelle.[1] Comme il ne connaît pas la nature des avantages offerts au personnel retraité, il entreprend des démarches auprès de la SSQ en janvier 2016.
[8] Le 26 janvier 2016, alors qu’il se trouve en Floride, madame Sylvie Royer de la SSQ lui transmet un courriel accompagné d’une « trousse d’information » renfermant quatre documents :
- un dépliant au sujet de la protection dite « Classique »;
- un dépliant au sujet de la protection dite « Enrichie »;
- un tableau comparatif de ces deux protections;
- un dépliant pour les « Soins dentaires ».[2]
[9] La consultation du tableau comparatif lui permet de constater que l’« Assurance voyage (avec assistance) » est la même pour les deux protections, soit : « 180 jours et 5 M $ / voyage / assuré ».
[10] Il y a toutefois une différence notable quant au montant de la prime exigée. La « Protection familiale » (« Classique ») de l’assuré de « 60 à 64 ans » coûte 65,25 $ par mois tandis que la prime mensuelle atteint 163,82 $ pour la « Protection familiale » (« Enrichie »).
[11] Déjà couvert par le régime public de la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ)[3], monsieur Scheubel entend opter pour la protection « Classique » qu’il perçoit, dit-il, « comme une continuation des bénéfices », sans nécessité de subir un examen médical.
Le contrat d’assurance
[12] Le 27 avril 2016, il contacte la SSQ afin de convertir son assurance-collective en assurance individuelle. Il s’entretient alors avec madame Mélissa Noël, conseillère en sécurité financière, et lui signifie qu’il souhaite « la moins chère des deux » options :
J’ai dit : « Je prends… je prends la moins chère des deux (2). »
C’est ça mon souvenir.[4]
[13] Contre-interrogé à ce propos, il n’est cependant pas en mesure d’affirmer qu’il a mentionné « …des deux ».
[14] La conversation est brève[5] : « C’était expéditif », au dire de madame Noël, parce que le client « savait ce qu’il voulait ».
[15] Ni le montant précis de la prime, ni la durée de la couverture, ni les habitudes de voyage ne sont l’objet d’une quelconque discussion, selon monsieur Scheubel.
[16] Madame Noël reconnaît que la discussion porte essentiellement sur l’assurance-santé, l’assurance-voyage étant un produit plutôt accessoire.
[17] Elle dit avoir obtenu les informations pertinentes en complétant le formulaire Analyse de besoins d’assurance maladie individuelle - privilège SSQ[6] au fil de sa discussion avec monsieur Scheubel.
[18] Elle soutient qu’il a demandé le régime « le moins cher, la base ». Elle mentionne avoir parlé de la prime mensuelle de 54,91 $ au moment de recueillir ses informations bancaires et se dit « certaine » de lui avoir précisé le délai maximal de 30 jours pour les voyages à l’étranger, ce que nie monsieur Scheubel.[7]
[19] Madame Noël l’informe qu’il recevra les documents pertinents dans une dizaine de jours.
[20] Le 15 mai 2016, il reçoit une lettre du service à la clientèle de SSQ, accompagnée d’une pochette cartonnée renfermant les documents suivants :
- Un document, intitulé Particularités en vigueur à compter du 30 avril 2016 ;
- Une carte d’identification personnelle comportant notamment les numéros de police et de certificat et cette mention : « Maladie base, protection familiale, chambre d’hôpital, protection familiale, assistance voyage et annulation (voir verso) »;
- Un formulaire intitulé Proposition d’assurance maladie individuelle - Privilège SSQ de base complété par madame Noël le 27 avril 2016;
- Un formulaire intitulé Analyse de besoins d’assurance maladie individuelle - privilège SSQ complété par madame Noël le 27 avril 2016.[8]
[21] « Je prends connaissance de la lettre », reconnaît monsieur Scheubel, mais il met les autres documents de côté :
Et puis, bon, ben, je peux pas dire que je l’ai analysé à fond, je l’ai… je l’ai regardé, mais je ne l’ai pas analysé à fond, j’ai dit : « Tiens, cinquante-quatre (54 $), c’est à peu près les soixante dollars (60 $), c’est correct ! »[9]
[…]
Je n’ai pas lu la police d’assurance, comme je ne lis pas vraiment - qui lit une police d’assurance?
Entre nous, là?
Mettons… euh… j’allais pas commencer à lire - combien, vingt-cinq (25) pages, là?
Ça, c’est… pour moi, là, c’est pas… c’est pas usuel… euh…
Moi, je dirais, les éléments les plus importants avaient déjà été décrits dans le document préalable, donc, je dis : « C’est la même chose! »[10]
[22] « Pour moi, c’était clair », dit-il, eu égard aux informations déjà reçues de SSQ en janvier 2016.
[23] Il expédie ainsi à madame Noël ses coordonnées bancaires et un spécimen de chèque le 16 mai 2016.[11]
L’hospitalisation aux États-Unis
[24] Le 16 décembre 2016, monsieur Scheubel et madame Lemay quittent pour la Floride et entrevoient revenir au Québec seulement à la mi-avril 2017.
[25] Le 25 février 2017, monsieur Scheubel s’adonne à une séance d’entraînement en gymnase. Soudainement, il éprouve un malaise et s’effondre. Sa tête percute un exerciseur. Inconscient, il doit être transporté en ambulance à un « centre de répartition ».[12]
[26] Sa condition nécessite un transport par hélicoptère vers Fort Myers, où il est pris en charge par l’équipe de traumatologie. Il subira une « batterie de tests » avant de pouvoir regagner sa résidence floridienne le lendemain.[13]
[27] Madame Lemay contacte SSQ par téléphone afin de déclarer l’accident que vient de subir son conjoint. La préposée demande à connaître la date du départ vers la Floride.
[28] Elle informe alors madame Lemay que les frais engagés pour traiter monsieur Scheubel ne peuvent être assumés par l’assureur parce que la durée du séjour aux États-Unis excède la période maximale de 30 jours prévue par la police d’assurance.
[29] « J’étais paniqué », « abasourdi », indique monsieur Scheubel, qui vit alors « beaucoup d’incertitudes ».
Le refus d’indemniser
[30] Le 27 février 2017, monsieur Scheubel écrit à madame Noël de la SSQ :
Bonjour Madame Noel
Je suis en voyage aux USA depuis le 17 décembre 2016. J,ai du aller en urgence une journée à l’hôpital aux USA suite à un accident
En contactant le # 1 800 465 2928 pour l’assistance voyage on me mentionne que ma couverture était seulement de 30 jours.
Sur la proposition d’assuranec […] il était mentionné que l’assistance était de 180 jours et 5 M de dollars/voyage/assuré
Il n’était pas mentionné que la durée de couverture était de 30 jours sinon nous aurions bien sur pris une autre assurance
Merci de me confirmer par courriel que nous sommes bien protégés pour une durée de 180 jours de voyage par année et que les frais pourront être pris en charge par l’assurance que nous avons avec la SSQ
[…].[14]
(Reproduction fidèle à l’original)
[31] Moins de trente minutes plus tard, madame Noël lui répond :
Bonjour Monsieur Scheubel,
J’ai fait les vérifications à votre dossier et vous avez bien l’assurance voyage de base, soit 30 jours par voyage.
Si vous regardez dans votre contrat d’assurance sur votre première page où il est inscrit « Particularité » il est bien indiqué que vous avez l’assurance voyage de 30 jours par voyage.
Le document que vous m’indiquez dans le courriel plus bas, est l’assurance-maladie classique et non celle de base que vous aviez choisi.
Nous vous laissons toujours 10 jours de droit d’examen lorsque vous recevez votre contrat afin de vérifier si c’est bel et bien l’assurance que vous désirez et vous n’avez pas contacté SSQ pour faire des changements.
Malheureusement, nous ne pourrons pas vous rembourser vos factures si vous aviez dépassé le nombre de jour autorisé par voyage.
[…].[15]
(Reproduction fidèle à l’original)
[32] Pour monsieur Scheubel, le « plan de base » n’évoque rien puisque l’expression n’apparaît pas dans les documents qui lui avaient été transmis par la SSQ en janvier 2016.
[33] Il y a « divergence de compréhension », déduit-il, « on ne parlait pas de la même chose ».
[34] Sa demande subséquente visant à obtenir l’enregistrement de la conversation téléphonique qu’il a eue avec madame Noël, en avril 2016, ne peut être satisfaite selon l’assureur : « Je suis très dubitatif par rapport à ça », dit-il.
[35] Madame Noël témoigne qu’à cette période, la politique de SSQ était de supprimer ces enregistrements après six mois.[16] « Ça’ a changé depuis », dit-elle, sans pouvoir préciser la durée actuelle de la période de conservation.
[36] Ceci dit, après un « gros travail » de négociation avec le Lee Memorial Hospital de Fort Myers et ses médecins, monsieur Scheubel parvient à obtenir une réduction de 25 % des frais, ce qui rabaisse la facture à la somme de 42 367,44 $.
[37] En mars 2017, il reçoit par courriel un document, daté d’avril 2016, qui présente un nouveau Tableau comparatif des protections d’assurance individuelle offertes par SSQ. Sa consultation révèle qu’il y a désormais trois protections distinctes : « Base » / « Classique » / « Enrichie ».[17]
[38] Le 24 mars 2017, monsieur Scheubel écrit à Monsieur Yves-Dominique Vachon, conseiller en gestion des plaintes chez SSQ, au sujet du Tableau comparatif :
[…]
Si nous l’avions eu en main, il n’y aurait eu aucune ambiguïté quant au choix des polices!!
Lors de notre entretien téléphonique, la conseillère avait probablement ce dernier document en main et pour elle le mot de base était défini alors que pour nous la base correspondait au produit classique. […][18]
[39] Le 6 février 2018, les avocats de monsieur Scheubel mettent SSQ en demeure de payer la somme de 100 413,69 $ pour les préjudices matériel et moral subis par leur client.
[40] Le 24 avril 2018, ils réclament ce même montant par demande en justice devant la Cour supérieure.
[41] Le 8 janvier 2019, le montant de la demande est modifié à la baisse de telle sorte que le litige relève de la compétence de la Cour du Québec.
II) QUESTIONS EN LITIGE
[42] Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :
A) SSQ a-t-elle manqué à son devoir d’information et de conseil au moment où monsieur Scheubel a souscrit sa police d’assurance-maladie individuelle?
B) Le cas échéant, quelle est la réparation contractuelle à laquelle il a droit?
III) ANALYSE
[43] Les parties sont liées par un contrat d’assurance aux termes de l’article 2389 du Code civil du Québec[19] :
2389. Le contrat d’assurance est celui par lequel l’assureur, moyennant une prime ou cotisation, s’oblige à verser au preneur ou à un tiers une prestation dans le cas où un risque couvert par l’assurance se réalise.
[…]
[44] Il s’agit plus précisément d’une assurance individuelle de personnes portant sur la santé de l’assuré.[20]
A) Les devoirs d’information et de conseil
[45] À la manière de tout contrat, « [l]a bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction ».[21]
[46] Cette exigence de la bonne foi emporte des « devoirs de bienveillance »[22] conséquents, dont les devoirs d’information[23] et de conseil :
Les devoirs d’information et de conseil sont théoriquement distincts l’un de l’autre, quoique la frontière qui les sépare soit parfois évanescente. D’abord, le devoir de renseignement est assez aisé de réalisation, puisqu’il consiste simplement à transférer, en cours de contrat, une information importante pour l’autre contractant. Il s’agit sûrement d’une obligation de résultat. Le devoir de conseil, pour sa part, est plus complexe de mise en œuvre, puisqu’il est de type subjectif et demande beaucoup de dextérité et une connaissance des besoins du cocontractant. Affectée d’une « charge juridique plus forte que celle qui découle de l’obligation de renseignement », l’obligation de conseil est vraisemblablement une obligation de moyens.
Ensuite, le devoir de renseignement vise, en principe, chaque contractant. Loin de peser sur les épaules du seul professionnel, le devoir de renseignement peut s’imposer au client, compte tenu de son accès aux éléments factuels que le cocontractant a tout intérêt à connaître. Le devoir de conseil, quant à lui, va généralement ne viser que les professionnels, les fournisseurs de biens ou de services ou les contractants à qui on fait une confiance toute spéciale, comme les mandataires, mais sûrement pas les clients de ces derniers.[24]
1. La « stratégie marketing »
[47] Homme prévoyant, monsieur Scheubel contacte la SSQ, par courriel[25], en janvier 2016 afin d’en savoir plus sur les options qui s’offrent à lui, en matière d’assurance-maladie, compte tenu qu’il entend prendre sa retraite, le 1er mai 2016.
[48] En réponse à cette demande, la représentante de la SSQ en matière d’assurance pour les particuliers, madame Sylvie Royer, lui relaie quatre fichiers de type « Portable Document Format » (pdf) dans un courriel dont l’objet est : « RE : Demande trousse d’information - Retraite ou fin d’emploi ».
[49] La consultation de ces fichiers donne à entendre que seules deux options s’offrent à monsieur Scheubel : la protection dite « Classique » et la protection dite « Enrichie ».
[50] L’une et l’autre comprennent :
[…] une protection d’assurance voyage couvrant les frais engagés en cas de maladie subite et inattendue ou d’accident survenant alors que vous vous trouvez à l’extérieur de votre province de résidence. Jusqu’à 180 jours de protection par voyage, une couverture plus longue et moins coûteuse que celle de tous les produits d’assurance voyage individuels disponibles sur le marché, un service d’assistance voyage qui facilite les démarches en cas de besoin sont autant d’éléments qui font de cette assurance une protection des plus avantageuses.[26]
[51] Selon la « Tarification mensuelle applicable du 1er mai 2014 au 30 avril 2016 », la prime mensuelle de la protection familiale « Classique » était de 65,25 $.
[52] Selon la « Tarification mensuelle applicable du 1er mai 2015 au 30 avril 2016 », la prime mensuelle de la protection familiale « Enrichie » était de 163,82 $.
[53] C’est sur la foi de ces informations que monsieur Scheubel portera son choix, en avril 2016, sur « la moins chère » des deux options.
[54] Aucun des documents qui lui sont transmis en janvier 2016 ne lui permet de savoir qu’une troisième option - encore moins coûteuse - est également disponible, soit la protection dite « de base ».
[55] Comment se fait-il que la SSQ ne lui communique pas la moindre information au sujet de cette troisième option?
[56] La réponse tient dans une « stratégie marketing » de l’assureur qui sera dévoilée, à l’audience, par le témoignage de madame Mélissa Noël.
[57] Celle-ci explique que SSQ avait alors pour pratique de promouvoir seulement deux options auprès des retraités qui, du fait de leur nouveau statut, perdaient désormais le bénéfice de l’assurance collective jusque-là offert par leur employeur. Ainsi, le régime « de base » ne leur était « pas envoyé d’emblée ».
[58] Contre-interrogée par l’avocate de monsieur Scheubel, madame Noël reconnaît que :
- la trousse d’information ne proposait pas la protection « de base » au début 2016;
- le Tableau comparatif[27] est modifié plus tard afin d’ajouter la protection « de base » parmi les options disponibles;
- la protection « Classique » demeure la plus populaire, « ce que les gens conservaient le plus ».
[59] De l’avis du Tribunal, SSQ a manqué à son devoir d’information en omettant, par « stratégie marketing », d’informer monsieur Scheubel des trois options qui s’offraient à lui en matière d’assurance individuelle.
[60] Ce procédé discutable a eu pour effet de l’induire en erreur. Dans son esprit, les deux seules options dont il croyait, à tort, disposer l’assuraient, quel que soit son choix, d’une protection d’assurance adéquate lors de ses séjours prolongés aux États-Unis avec sa conjointe.
[61] Toute la conversation qui va suivre avec madame Noël, en avril 2016, va reposer sur ce malentendu provoqué par l’assureur. La transmission d’une documentation incomplète, en janvier 2016, a ainsi contribué à forger chez l’assuré une conviction que cette brève conversation - « de 4 minutes 10 secondes »[28] - ne permettra pas d’ébranler.
2. Le devoir de conseil de l’assureur
[62] En sa qualité de représentante en assurance de personnes, madame Noël avait l’obligation de « s’enquérir de la situation de son client afin d’identifier ses besoins » de manière à le « conseiller adéquatement » aux fins de lui offrir « un produit qui convient à ses besoins ».[29]
[63] Elle était bien au fait que monsieur Scheubel la contactait, à quelques jours de sa retraite imminente, afin de souscrire une assurance individuelle en remplacement de l’assurance collective dont il bénéficiait jusque-là chez son employeur.
[64] Madame Noël a déclaré qu’il n’était pas dans les pratiques de l’assureur de comparer les assurances collective et individuelle.
[65] Ceci dit, elle insiste sur le fait que « monsieur savait ce qu’il voulait ». Toutefois, ce « savoir » du client reposait sur des informations partielles qui faussaient sa compréhension.
[66] Alors qu’elle référait, en toute bonne foi, à la protection « de base », il confondait celle-ci avec la protection « Classique ». Ainsi, en portant son choix sur « la moins chère »[30], il se trouvait, bien malgré lui, à souscrire un contrat d’assurance qui ne répondait pas à ses besoins véritables, concluant ainsi - selon son expression - « un marché de dupes ! ».[31]
[67] Madame Noël n’a pas manqué de souligner qu’elle n’avait aucun intérêt à lui vendre la protection d’assurance la moins chère. « Je m’explique mal », dit-elle, qu’il ait opté pour cette protection, qui est « la moins généreuse ».
[68] Or, l’apparente assurance démontrée par le client quant à ses besoins ne dispensait pas la SSQ de son obligation de le conseiller adéquatement :
Afin de satisfaire son devoir de conseil, le courtier doit guider, orienter le preneur de l’assurance selon ses besoins et le produit qu’il recherche pour ultimement émettre une opinion sur l’opportunité d’acheter un produit plutôt qu’un autrehttps://soquij.qc.ca/portail/recherchejuridique/Selection/3680841 - _ftn89.
En appliquant ces principes, les tribunaux n’ont pas hésité à sanctionner des courtiers qui n’avaient pas fourni de façon correcte et complète toute l’information requise pour une prise de décision éclairée par le client. De plus, un courtier doit non seulement satisfaire les besoins d’un client, mais aussi les anticiper. Il doit donc être en mesure de prévoir les problèmes les plus communs et de recommander les couvertures d’assurance appropriées.[32]
[69] Dans l’arrêt Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba[33], la Cour suprême du Canada rappelle l’importance du devoir d’information et de conseil en matière d’assurance :
Il est tout à fait légitime, à mon sens, d'imposer aux agents et aux courtiers d'assurances privés une obligation stricte de fournir à leurs clients des renseignements et des conseils. Ils sont, après tout, des professionnels agréés qui se sont spécialisés dans l'évaluation des risques au profit des clients et dans la négociation de polices personnalisées. Ils offrent un service très personnalisé, axé sur les besoins de chaque client. La personne ordinaire a souvent de la difficulté à comprendre les différences subtiles entre les diverses protections offertes. Les agents et les courtiers ont reçu une formation qui les rend aptes à saisir ces différences et à fournir des conseils adaptés à la situation de chaque individu. Il est à la fois raisonnable et opportun de leur imposer l'obligation non seulement de fournir des renseignements, mais encore de conseiller les clients.[34]
[70] Or, quand la « stratégie marketing » d’une société d’assurance a pour effet de confondre la « personne ordinaire » plutôt que de la renseigner adéquatement sur « les différences subtiles entre les diverses protections offertes », cela met en cause le devoir d’information et de conseil de cette société et engage sa responsabilité.
3. Le rejet des arguments de l’assureur
[71] La SSQ plaide que c’est monsieur Scheubel qui aurait manqué à son obligation de se renseigner.[35] La preuve démontre plutôt qu’il a pris ses informations dès janvier 2016, mais que les renseignements qui lui ont été communiqués par l’assureur étaient alors incomplets. Or, nous l’avons vu, il avait droit d’obtenir « de façon correcte et complète toute l’information requise pour une prise de décision éclairée ».[36]
[72] Par ailleurs, madame Noël avance qu’elle a indiqué à monsieur Scheubel que l’option retenue comportait une assurance voyage limitée à un séjour maximal de 30 jours et qu’elle n’a pas obtenu de réaction de sa part.
[73] De son côté, monsieur Scheubel nie que cette information lui ait été communiquée.
[74] Certes, le fardeau de la preuve appartient à la partie demanderesse.[37] Face à une preuve contradictoire, l’impossibilité pour elle d’apporter une preuve prépondérante[38] de ce qu’elle avance joue généralement en sa défaveur.[39]
[75] Toutefois, il apparaît invraisemblable que monsieur Scheubel soit resté silencieux en pareil contexte. À partir de 2008-2009, le mode de vie qu’il mène avec sa conjointe les amène à séjourner de plus en plus fréquemment aux États-Unis, si bien qu’ils y acquièrent une maison, en 2013, et y passent une partie de plus en plus substantielle de leurs hivers par la suite, « au minimum, quatre-vingt-dix jours ».[40] Il considère alors vivre « une sorte de préretraite ».[41]
[76] Il n’est dès lors pas logique qu’il ait pu librement souscrire une assurance-maladie qui les expose, lui et sa conjointe, à tous les risques, chaque fois que leur séjour à l’étranger excède trente jours.
[77] Dans ces conditions, ou bien madame Noël a malencontreusement omis de soulever la question, ou bien elle l’a fait, mais sans s’assurer que monsieur Scheubel en comprenne bien la portée et en mesure pleinement les conséquences. Dans un cas comme dans l’autre, il y a manquement au devoir d’information et de conseil :
Parce que, toujours, dans mon esprit, hein, le… toute… toute cette démarche-là, c’est pas compliqué, j’ai reçu - j’avais une protection cent quatre-vingts (180) jours avant; j’ai reçu une proposition de deux (2) protections de cent quatre-vingts (180) jours; et tout le mental va autour de ça…[42]
[78] La SSQ reproche à monsieur Scheubel de ne pas avoir lu attentivement la documentation reçue en mai 2016. À cet égard, qu’il suffise de rappeler que l’époque où les tribunaux exigeaient de l’assuré qu’il lise « la police d’assurance afin d’être au courant de tous les droits qu’elle confère, mais aussi de ses limitations » semble aujourd’hui révolue[43] :
[…] la loi n’impose pas au preneur de l’assurance le fardeau de lire sa police ni de relever les divergences avec les représentations du courtier. […] Il est en droit de se fier à l’expertise et aux conseils de son courtier. Autrement, le courtier pourrait s’exonérer de sa responsabilité en reprochant au client de ne pas avoir trouvé et corrigé sa propre erreur.[44]
[79] L’assuré s’est surtout attardé à satisfaire son obligation essentielle, celle de payer la prime, obtenant du coup la confirmation qu’il n’avait « rien d’autres à faire » (sic).[45]
[80] Enfin, la SSQ prétend que la prime annoncée de 54,91 $ pour la protection « de base » - par comparaison avec la prime de 65,25 $ pour la protection « Classique » - aurait dû éveiller l’attention de monsieur Scheubel.
[81] À l’audience, celui-ci soutient qu’il y a déjà eu des baisses de primes du temps où il bénéficiait de l’assurance collective en sa qualité d’employé chez Texel.
[82] Même s’il convient qu’il est plutôt rare que les primes d’assurance fluctuent à la baisse, la différence ne lui paraissait pas significative au point de l’alerter : « C’était… c’était juste dans le même ordre… dans le même ordre de grandeur ».[46]
[83] Du reste, il faut bien convenir que dans la perspective du consommateur de produits d’assurance, ce sont plutôt les hausses de prime qui tendent à retenir son attention !
* * *
[84] À la lumière des faits et des principes applicables, le Tribunal juge que la SSQ a commis une faute qui engage sa responsabilité contractuelle en l’espèce.
B) La réparation
1. Le préjudice matériel
[85] En début d’audience, les avocates des parties ont informé le Tribunal qu’il n’y avait pas de mésentente entre elles sur le fait que Monsieur Scheubel a assumé :
- des « frais hospitaliers » aux États-Unis totalisant la somme de 42 159,96 $[47];
- des primes totalisant la somme de 1 130,62 $ afin d’obtenir, pour lui et sa conjointe, une protection d’assurance auprès d’une autre compagnie (Allianz) couvrant la période du 1er mars 2017 au 16 avril 2017.[48]
[86] Ces dépenses se qualifient de « suite immédiate et directe de l’inexécution », par la SSQ, de ses obligations envers l’assuré.[49]
[87] Monsieur Scheubel a ainsi droit à une somme de 43 290,58 $ en réparation du préjudice matériel subi.
2. Le préjudice futur
[88] Au paragraphe 32 de sa demande modifiée, monsieur Scheubel ajoute :
Afin d’être assuré de nouveau, le demandeur n’a eu d’autre choix que de souscrire à une police d’assurance complémentaire auprès d’un autre assureur pour tous voyages subséquents, ayant pour conséquence une augmentation substantielle de ses primes d’assurances et privant dès lors ce dernier des avantages conférés aux assurés anciennement couverts par l’assurance collective de la défenderesse avant leur retraite.
[89] Par un calcul qu’il a lui-même réalisé[50], monsieur Scheubel estime l’augmentation conséquente des primes, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 75 ans, à la somme de 13 228,22 $. Il réclame maintenant cette somme à la SSQ.
[90] Il admet n’être ni comptable, ni actuaire et que ses calculs reposent sur « des hypothèses ».
[91]
L’article
1611. Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu’il subit et le gain dont il est privé.
On tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu’il est certain et qu’il est susceptible d’être évalué.
(Le Tribunal souligne)
[92] Monsieur Scheubel effectue une comparaison entre la protection « Classique » de SSQ - à laquelle il ne peut plus adhérer compte tenu des exigences posées par l’assureur - et l’« assurance externe » offerte par la compagnie Tourmed.
[93] Premièrement, il postule que les primes d’assurance connaissent en moyenne une hausse annuelle de 10 %, ce qui n’est pas certain.
[94] Deuxièmement, la protection offerte par Tourmed inclut une « assurance internationale » et une « assurance-vie en cas de décès accidentel »[51], ce que n’offre pas la protection « Classique » de SSQ. Cet avantage additionnel est de nature à faire hausser la prime - laquelle devient « drôlement plus élevée », au dire de madame Noël - faussant ainsi la comparaison.
[95] Troisièmement, la comparaison effectuée entre les primes ne tient pas compte du fait que Tourmed impose le paiement de deux primes distinctes, l’une pour monsieur Scheubel, l’autre pour sa conjointe.
[96] Or, madame Lemay n’est pas partie à l’instance et monsieur Scheubel ne peut plaider en son nom.[52] Ainsi, si l’on soustrait de ses calculs la prime que doit assumer madame Lemay personnellement, la projection qu’il fait sur une période de onze ans ne permet jamais de conclure qu’il essuie une perte véritable, quelle que soit l’année de référence retenue.
[97] Enfin, nul ne conteste que le coût d’une prime d’assurance peut fluctuer en fonction d’un nombre appréciable de variables, dont l’état de santé de l’assuré, lequel est évidemment susceptible de se dégrader, tantôt en fonction de l’âge, tantôt en fonction des aléas de la vie.
[98] Somme toute, le Tribunal estime que le préjudice futur que monsieur Scheubel aimerait voir compensé est incertain en ce qu’il repose sur une évaluation subjective et ne présente pas, de ce fait, une « probabilité sérieuse ».[53] Aucune somme ne peut lui être octroyée sous ce chef.
3. Les troubles, ennuis et inconvénients
[99] Reste la réclamation de 15 000 $ pour les divers troubles, ennuis et inconvénients subis.
[100] Monsieur Scheubel évoque, à cet égard :
· une fin de vacances ratée, notamment en raison de l’angoisse générée par la difficulté d’obtenir une protection d’assurance adéquate jusqu’au retour au Québec;
· le « stress financier » qu’il a éprouvé, lequel a notamment compromis la « bonne entente familiale »[54];
· « la bagarre avec les gens des hôpitaux »[55], dans une langue qui n’est pas la sienne, afin de négocier un arrangement à la baisse;
· « des insomnies »[56];
· « les heures passées avec les différentes compagnies »[57], « les différents intervenants »[58] : « Il était sur ça jusqu’à la fin de notre séjour », témoigne madame Lemay;
· le sentiment d’avoir été « dupé » et traité comme un « Jos Blo »[59]…
[101] Il ressort du témoignage de monsieur Scheubel qu’il cherchait à obtenir une protection comparable à celle dont il bénéficiait avant sa retraite[60], de manière à les assurer, lui et sa conjointe, d’une tranquillité d’esprit lors de leurs séjours à leur résidence floridienne.
[102] Aussi invoque-t-il l’arrêt Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie[61] afin d’obtenir compensation pour le stress financier et les troubles, ennuis et inconvénients qu’il a éprouvés à la suite du refus de SSQ de l’indemniser.
[103] Dans cet arrêt fondé sur les règles de la common law, la Cour suprême du Canada reconnaît que le manquement d’un assureur à ses obligations contractuelles peut donner droit à des dommages-intérêts en faveur de l’assuré à deux conditions, savoir :
[…] (1) que le contrat visait notamment à assurer un avantage psychologique et que la violation du contrat a causé une souffrance morale raisonnablement prévisible par les parties; et (2) que la souffrance morale causée était suffisamment intense pour justifier une indemnisation.[62]
[104] La question de savoir si les principes dégagés dans l’arrêt Fidler s’appliquent en droit civil québécois demeure controversée.
[105] À au moins deux occasions, la Cour d’appel du Québec a refusé de se prononcer clairement sur la question.[63]
[106] Quant aux tribunaux de première instance, ils sont partagés à ce sujet.
[107] Dans l’affaire Lebel c. Compagnie d'assurance-vie RBC[64], la Cour supérieure du Québec, sous la plume de la regrettée juge Anne-Marie Trahan, affirme :
En matière contractuelle, la doctrine et la jurisprudence nous enseignent que les dommages et intérêts servent à rétablir le demandeur dans la situation où il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté, dans la mesure où une réparation pécuniaire peut le faire. Une telle réparation doit être juste et raisonnable, c'est-à-dire qu’elle doit découler naturellement de la violation du contrat. C’est sans doute pour cela que, dans le domaine des relations contractuelles et, surtout, de l’inexécution des obligations qui en découlent, les dommages moraux ont rarement été accueillis.
Dans les provinces de common law, la jurisprudence a reconnu le principe général selon lequel la souffrance morale découlant d’une violation de contrat n’est susceptible d’indemnisation que si le contrat a pour objet la tranquillité d’esprit. […]
[…]
En l’instance, les avocates ont plaidé qu’aucun jugement du Québec ne traitait de la notion de « tranquillité d’esprit » en matière de contrat d’assurance-invalidité. Le Tribunal est d’avis qu’il ne répugne pas à l’esprit du droit civil de s’inspirer de la notion d’expectative de tranquillité d’esprit élaborée par Lord Denning et reprise par les tribunaux des provinces de common law et même par les tribunaux québécois en matière de vacances et de voyages. Que l’on soit en common law ou en droit civil, le but recherché par l’assuré aux termes de polices d’assurance-invalidité n’est-il pas le même: la tranquillité d’esprit, l’assurance que si le risque assuré se produit, les indemnités seront versées et permettront à l’assuré de pouvoir continuer à vivre sans s’inquiéter de sa situation financière.[65]
[108] Toutefois, quelques mois plus tard, dans l’affaire P.R. c. RBC, compagnie d’assurance-vie[66], l’honorable juge Geneviève Marcotte, alors à la Cour supérieure[67], écrit :
L’affaire Fidler confirme la possibilité en common law d’octroyer des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par la violation d’un contrat d’assurance invalidité collective, lorsqu’un tel préjudice moral est démontré et qu’il est d’une intensité suffisamment grande pour justifier une indemnisation. Cette jurisprudence qui découle de la common law canadienne ne semble toutefois pas avoir été intégrée complètement en droit civil québécois.
[…]
De l’avis du Tribunal, le fait pour l’Assureur de ne pas avoir respecté ses obligations contractuelles ne donne pas lieu à des dommages extracontractuels, sans la démonstration précise d’une faute reposant sur d’autres bases que celle du défaut de respecter l’obligation contractuelle déjà sanctionnée par l’indemnité prévue au contrat.
Le Tribunal estime qu’il n’y a pas eu ici faute distincte ou mauvaise foi de l’Assureur donnant lieu à l’octroi de dommages additionnels.[68]
[109] L’article
1613. En matière contractuelle, le débiteur n’est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir au moment où l’obligation a été contractée, lorsque ce n’est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu’elle n’est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution.
[110] Cette disposition, qui veut que le débiteur de bonne foi ne soit tenu qu’aux dommages-intérêts prévisibles, est « peu appliquée en jurisprudence québécoise », si bien qu’elle semble réservée « en pratique […] à l’évaluation des dommages causés à un bien faisant l’objet principal d’un contrat entre les parties ».[69]
[111] En l’espèce, le contrat qui lie les parties n’a pas pour objet principal de procurer un bien à l’assuré, mais plutôt « un avantage psychologique particulier »[70] qui réside dans la « tranquillité d’esprit »[71] que lui confère l’assurance, en cas de maladie ou d’accident lui occasionnant des lésions corporelles.
[112] Ainsi, le fait de troubler l’« expectative raisonnable de sécurité »[72] de l’assuré devrait justifier de l’indemniser pour la « pression financière », « l’angoisse et le stress » éprouvés.[73]
[113] Quoi qu’il
en soit, à supposer que l’article
[114] Certes, rien ne permet de conclure que SSQ et sa représentante, madame Noël, sont ici les auteurs d’une « faute intentionnelle » ou d’une « faute lourde ».
[115] Toutefois, il était raisonnablement prévisible que la « stratégie marketing » de SSQ visant à mousser, auprès des employés retraités, l’adhésion aux seules protections individuelles d’assurance « Classique » et « Enrichie » puisse avoir pour effet d’occulter l’existence de la protection individuelle « de base », semant ainsi une confusion certaine dans l’esprit de monsieur Scheubel.
[116] De même, il était raisonnablement prévisible que le défaut de l’informer subséquemment que trois options s’offraient à lui - et non seulement deux - était susceptible de l’induire en erreur et compromettre ainsi la prise d’une décision éclairée.
[117] Dans l’affaire Beaudoin c. Compagnie mutuelle d'assurances Wawanesa[74], la Cour supérieure sanctionne en ces termes l’atteinte à l’expectative raisonnable de sécurité de l’assuré :
Bien que le versement d’intérêts et de l’indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec puisse compenser une partie du préjudice subi par les demandeurs en raison du refus de la défenderesse de les indemniser, le Tribunal estime qu’ils ont droit à des dommages-intérêts additionnels pour compenser le préjudice moral qu’ils ont subi. Le contrat d’assurance visait à procurer aux demandeurs une certaine sécurité d’esprit, ce dont ils n’ont pu bénéficier.
Le Tribunal estime dans les circonstances qu’une somme de 15 000 $ doit leur être accordée à titre de dommages-intérêts.[75]
[118] Dans l’affaire Touchette c. Oppenheim[76], « le Tribunal accorde une somme de 10 000 $ pour compenser les soucis, l'incertitude et le stress causé par la décision de l'assureur de ne pas indemniser, puis de le faire partiellement et tardivement ».[77] La Cour d’appel s’est incidemment gardée d’intervenir sur ce point, faute « d’arguments susceptibles de démontrer quelque erreur de la juge dans l’octroi de tels dommages ».[78]
[119] Une somme de 5 000 $ paraît ici suffisante pour compenser adéquatement monsieur Scheubel pour la souffrance morale et les divers troubles, ennuis et inconvénients subis.
* * *
Le Tribunal tient à remercier les avocates pour leur travail soigné et la qualité du débat qu’elles ont mené avec compétence et dans le respect mutuel.
* * *
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[120] ACCUEILLE en partie la demande modifiée le 8 janvier 2019;
[121] CONDAMNE
la défenderesse, SSQ Groupe financier, à payer au demandeur, Gérard Scheubel,
la somme de 48 290,58 $, avec intérêts calculés au taux légal annuel
de 5 %, majoré de l’indemnité additionnelle visée par l’article
[122] AVEC FRAIS DE JUSTICE à la charge de la défenderesse.
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__________________________________ CHRISTIAN BRUNELLE J.C.Q. |
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Me Lisa-Anne Moisan |
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Therrien Couture Joli-Cœur s.e.n.c.r.l. (casier no 6) |
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Pour le demandeur |
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Me Émilie Nadeau |
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Poulin Carrier s.e.n.c. (casier no 74) |
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Pour la défenderesse
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Dates d’audience : |
24 et 25 octobre 2019 |
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[1] Interrogatoire préalable de Gérard Scheubel, 7 novembre 2018, p. 13.
[2] Pièce P-2.
[3] Interrogatoire préalable de Gérard Scheubel, 7 novembre 2018, p. 22 et 31.
[4] Id., p. 25.
[5] Id., p. 27 et 116.
[6] Pièce P-4.
[7] Interrogatoire préalable de Gérard Scheubel, 7 novembre 2018, p. 30 (ligne 17) et 32 (ligne 18).
[8] Pièce D-1.
[9] Interrogatoire préalable de Gérard Scheubel, 7 novembre 2018, p. 35 (lignes 16 à 21).
[10] Id., p. 43 (lignes 13 à 24).
[11] Pièce D-3.
[13] Id., p. 59.
[14] Pièce P-9, p. 2.
[15] Pièce P-9, p. 3.
[16] Pièce P-9, p. 11.
[17] Pièce P-3.
[18] Pièce P-9, p. 13.
[19] RLRQ c CCQ-1991.
[20] Art.
[21]
Art.
[22]
Didier LLUELLES et Benoît MOORE,
[23] Sébastien LANCTÔT, Les représentants en assurance : pouvoirs de représentation et obligations, Markam (Ontario), Lexis/Nexis, 2007, p. 114.
[24] LLUELLES et MOORE, précité, note 22, p. 1153 (par. 2002 et 2003) (références omises) (Nous soulignons).
[25] Bien que monsieur Scheubel ne dispose plus d’une copie de ce courriel, il n’est pas contesté que c’est par ce moyen qu’il entre en communication avec la SSQ en janvier 2016 : Interrogatoire préalable de Gérard Scheubel, 7 novembre 2018, p.15 à 17.
[26] Pièce P-2 (Nous soulignons).
[27] Pièce P-3.
[28] Pièces P-10 et D-4.
[29] Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ c D-9.2, art. 2 et 27.
[30] Interrogatoire au préalable de Gérard Scheubel, 7 novembre 2018, p. 61.
[31] Id., p. 114.
[32]
Robinson c. Lefebvre,
[33]
[34] Id., p. 217 (Nous soulignons). Ces enseignements sont évidemment applicables en droit québécois : Baril c. Industrielle compagnie d'assurance sur la vie, 1991 CanLII 3566 (QC CA); Robinson c. Lefebvre, précité, note 32, par. 93 à 95.
[35] Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 413-414 (par. 314).
[36]
Robinson c. Lefebvre, précité, note 32, par. 98 (Nos italiques).
Voir au même effet : 169912
Canada inc. c. Compagnie d'assurance-vie Transamerica du Canada,
[37] Art.
[38] Art.
[39]
Catherine PICHÉ et Jean-Claude ROYER,
[40] Interrogatoire au préalable de Gérard Scheubel, 7 novembre 2018, p. 14.
[41] Id., p. 15.
[42] Id., p. 53 (Nous soulignons).
[43]
Robitaille c. Madill,
[44]
Robinson c. Lefebvre, précité, note 32, par. 100. Voir au même
effet : Leboeuf c.
Richard,
[45] Pièce D-3.
[46] Interrogatoire au préalable de Gérard Scheubel, 7 novembre 2018, p. 47 (ligne 3).
[47] Pièce P-6.
[48] Pièce P-7.
[49]
Art.
[50] Pièce P-8.
[51] Pièce P-18.
[52] Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01, art. 85 et 86.
[53]
Daniel GARDNER,
[54] Interrogatoire au préalable de Gérard Scheubel, 7 novembre 2018, p. 113.
[55] Ibid.
[56] Id., p. 114.
[57] Id., p. 115.
[58] Id., p. 113.
[59] Id., p. 114.
[60] Pièce P-1.
[61]
2006 CSC 30,
[62] Id., par. 47.
[63]
Excellence (L'),
compagnie d'assurance-vie c. D.L.,
[64]
[65]
Id., par. 246, 247 et 255 (Nous soulignons). Voir au même
effet : R.W. c.
Industrielle Alliance,
[66] 2009 QCCS 4899, J.E. 2009-2049 (C.S.).
[67] Elle siège maintenant à la Cour d’appel depuis le 10 avril 2014.
[68]
P.R. c. RBC, compagnie d’assurance-vie, précité, note 66, par. 254,
258 et 259 (Nous soulignons). Voir au même effet : G.G. c. SSQ, société d'assurance-vie (C.Q., 2017-06-09),
[69] Daniel GARDNER et Benoît MOORE, « La responsabilité contractuelle dans la tourmente », (2007) 48 (no 4) C. de D. 543, p. 575; GARDNER, précité, note 53, p. 81-82 (par. 46).
[70] Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, précité, note 61, par. 45, 52, 54 et 56.
[71] Id., par. 38, 39 et 41.
[72] Id., par. 56.
[73] Id., par. 57.
[74]
[75] Id., par. 206 et 207.
[76]
[77] Id., par. 168.
[78]
Oppenheim c. Touchette,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.