Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Tamang et Courrier LT

2017 QCTAT 269

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

621035-62-1611

 

Dossier Commission :

500421177

 

Assesseur :

Marcel M. Boucher, médecin

 

 

Longueuil,

le 17 janvier 2017

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Marlène Auclair

______________________________________________________________________

 

 

 

Sanjay Tamang

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Courrier L.T.

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 7 novembre 2016, monsieur Sanjay Tamang (le travailleur) dépose au Tribunal administratif du travail un acte introductif (le Tribunal) par lequel il conteste une décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission)[1] rendue le 24 octobre 2016, à la suite d'une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la Commission confirme en partie celle qu'elle a initialement rendue le 22 août 2016 et déclare qu’elle était justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur à exercer son emploi ou un emploi convenable, même si le diagnostic d’entorse cervico-lombaire était consolidé le 15 avril 2016, sans limitation fonctionnelle, et ce, puisque la lésion psychique était consolidée avec limitations fonctionnelles par le médecin qui a charge.

[3]           De plus, la Commission déclare qu’elle est justifiée de cesser le paiement des soins et des traitements en lien avec le diagnostic d’entorse cervico-lombaire puisqu’ils ne sont plus nécessaires après le 15 avril 2016. Cependant, le travailleur avait droit de les recevoir jusqu’au 19 août 2016, soit la date à laquelle il a été avisé de leur cessation.

[4]           La Commission déclare également que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel étant donné l’absence d’une atteinte permanente pour le diagnostic d’entorse à la région lombaire et la présence d’une atteinte permanente non indemnisable de 0 % pour le diagnostic d’entorse à la région cervicale.

[5]           Finalement, la Commission déclare sans effet la partie de la décision portant sur la capacité du travailleur à exercer son emploi et sans objet la demande de révision de cette partie de la décision.

[6]           Une audience est tenue devant le Tribunal administratif du travail de Longueuil, le 4 janvier 2017. Le travailleur est présent et représenté. Monsieur Steve Robidoux est présent pour l’entreprise Courrier L.T. (l’employeur). Il précise qu’il est présent à l’audience à titre d’observateur, n’ayant aucune preuve ni représentation à soumettre, et y assiste jusqu’à la pause. Un délai d’une semaine est accordé au représentant du travailleur pour déposer la jurisprudence qu’il plaide au soutien de ses prétentions, à la demande du Tribunal. Le 10 janvier 2017, le représentant du travailleur fait parvenir de la jurisprudence de même que des décisions rendues par la Commission qui n’étaient toutefois pas au dossier constitué pour l’audience. Le dossier n’étant pas encore en délibéré, le Tribunal accepte le dépôt de ces décisions au sujet desquelles le Tribunal s’était informé lors de l’audience. L’affaire est donc mise en délibéré à la réception de l’ensemble de ces documents le 10 janvier 2017.

QUESTION PRÉLIMINAIRE

[7]           Le travailleur prétend que l’avis rendu le 16 août 2016 par un membre du Bureau d'évaluation médicale est irrégulier parce que celui-ci n’a pas été saisi de la question du diagnostic alors qu’il existait une divergence d’opinions entre l’avis du médecin traitant du travailleur et celui du médecin désigné de la Commission au regard du diagnostic.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[8]           Subsidiairement, le représentant du travailleur demande au Tribunal de retenir l’opinion du docteur Bernard Chartrand émise à la suite de son évaluation du 24 novembre 2016 relativement aux séquelles permanentes et aux limitations fonctionnelles entraînées par la lésion professionnelle du travailleur.

[9]           De plus, le représentant du travailleur demande au Tribunal de déclarer que le diagnostic de blessure acromioclaviculaire droite a été implicitement accepté par la Commission.

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA QUESTION PRÉLIMINAIRE

[10]        Le Tribunal doit décider si la procédure d’évaluation médicale ayant conduit à l’avis rendu le 16 août 2016 par un membre du Bureau d'évaluation médicale est irrégulière et si la décision initiale de la Commission consécutive à cet avis de même que celle rendue à la suite d’une révision administrative doivent conséquemment être déclarées caduques.

[11]        Aux fins de statuer sur la présente question préliminaire et de motiver sa décision, le Tribunal ne retient que les faits pertinents de l’ensemble de la preuve documentaire.

[12]        Le représentant du travailleur prétend que la Commission avait l’obligation de demander l’avis du membre du membre du Bureau d'évaluation médicale quant au diagnostic de la lésion subie par le travailleur alors que son avis n’a été demandé qu’au regard de la consolidation, des soins ou des traitements, de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[13]        Étant donné qu’une irrégularité de la procédure est alléguée, le Tribunal dressera un tableau très détaillé des diagnostics posés en lien avec la lésion professionnelle de nature physique subie par le travailleur de même que des décisions rendues par la Commission au regard de ces derniers et, évidemment, des étapes de la procédure d’évaluation entreprise par la Commission dans le présent cas.

[14]        L’irrégularité alléguée ne portant que sur l’évaluation du diagnostic de la lésion physique, le Tribunal s’en tiendra aux faits du dossier se rapportant plus particulièrement aux diagnostics posés en rapport avec la lésion professionnelle physique subie par le travailleur le 20 février 2015. Cette précision est apportée en raison du diagnostic de nature psychologique[2] également reconnu en relation avec l’événement du 20 février 2015. Le Tribunal fera donc abstraction de cet autre diagnostic tout au long de son analyse des faits du dossier.

[15]        Le travailleur, né le […] 1963, occupe un emploi de livreur chez l’employeur depuis juillet 2014. Le 20 février 2015, il perd le contrôle de son véhicule (un camion) qui s’immobilise finalement dans un banc de neige en bordure de la route.

[16]        Il est transporté à l’Hôpital Anna-Laberge par ambulance où l’urgentologue pose des diagnostics d’entorses cervicale et lombaire de même que de contusion au thorax et au bassin dans une Attestation médicale signée le 25 février 2015.

[17]        Le diagnostic d’entorse cervico-lombaire est maintenu par la docteure Julie-Christine Michaud le 4 mars 2015.

[18]        Par la suite, le docteur The Hung Lai assure le suivi médical du travailleur et réitère le diagnostic d’entorse cervico-lombaire lors des consultations des 18 mars, 17 avril, 22 mai et 26 juin 2015.

[19]        Entre-temps, le 30 mars 2015, la Commission rend une décision d’admissibilité reconnaissant que le travailleur a subi un accident du travail le 20 février 2015 lui ayant causé une entorse cervico-lombaire. Cette décision n’est pas contestée.

[20]        Le diagnostic posé par le médecin traitant n’a pas fait l’objet d’une procédure d’évaluation médicale prévue aux articles 199 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi). La Commission était ainsi liée par l’opinion du médecin qui a charge concernant les questions d’ordre médical lorsqu’elle a rendu la décision d’admissibilité. À cet effet, l’article 224 de la loi se lit comme suit :

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

[21]        Le docteur Lai pose le diagnostic d’entorse lombaire lors de ses examens des 28 juillet et 21 août 2015 puis celui d’entorse cervico-lombaire les 17 septembre, 15 octobre, et 26 novembre 2015.

[22]        Lors de la consultation du 26 novembre 2015, le docteur Lai demande une consultation en neurochirurgie, à la suite de la réception des résultats d’une résonance magnétique de la colonne cervicale réalisée le 6 octobre 2015 à sa demande en raison des douleurs cervicales avec irradiation au bras droit. Il s’agit vraisemblablement d’une erreur de la part du docteur Lai, car le travailleur sera examiné par un chirurgien orthopédiste et non un neurochirurgien.

[23]        Le docteur Lai pose de nouveau le diagnostic d’entorse cervico-lombaire le 4 janvier 2016.

[24]        Le 23 février 2016, le travailleur est examiné par le docteur Lawrence Lincoln, chirurgien orthopédiste, qui pose les diagnostics de « whiplash » et de blessure acromioclaviculaire droite dans un Rapport médical prescrit par la Commission. Il prescrit des traitements d’ostéopathie.

[25]        Le Tribunal note que le docteur Lincoln pose un nouveau diagnostic, soit celui de blessure acromioclaviculaire droite.

[26]        Le Tribunal souligne également que la Commission, à la suite de la réception de ce Rapport médical du docteur Lincoln, ne rend aucune décision relativement au nouveau diagnostic posé par le docteur Lincoln, à qui une consultation a été demandée par le médecin traitant.

[27]        Le docteur Lai pose de nouveau le diagnostic d’entorse cervico-lombaire les 24 février et 24 mars 2016, puis le pose de nouveau les 28 avril et 31 mai 2016.

[28]        Dans le Rapport médical qu’il remplit le 31 mai 2016, le docteur Lai précise qu’il a dirigé le travailleur auprès du docteur Lincoln qui l’a examiné le 23 février 2016. Le docteur Lai suit la recommandation du docteur Lincoln et prescrit de la physiothérapie avec une approche ostéopathique.

[29]        Dans l’intervalle, le 15 avril 2016, le travailleur est examiné par le docteur Serge Tohmé, chirurgien orthopédiste, à titre de médecin désigné par la Commission, conformément à l’article 204 de la loi qui se lit comme suit :

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

[30]        La Commission demande au docteur Tohmé de procéder à l’expertise du travailleur pour lui donner son opinion quant aux sujets d’ordre médical prévus à l’article 212 de la loi, à savoir le diagnostic, la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion, la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits, l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur ainsi que l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

[31]        L’article 212 de la loi est ainsi libellé :

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

1° le diagnostic;

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

[32]        En ce qui concerne plus particulièrement la question de la détermination du diagnostic, le docteur Tohmé conclut ainsi dans son rapport d’expertise :

1. Diagnostic :

-      Considérant le mécanisme lésionnel tel que décrit,

-      Considérant les diagnostics initiaux retenus,

Je retiens les diagnostics lésionnels suivants : Entorse cervicale et entorse lombaire.

Par ailleurs, M. Tamang présente à l’imagerie de la colonne cervicale, une sténose cervicale modérée à sévère sur pédicule court.

[33]        Il n’est pas nécessaire, aux fins de trancher la présente question préliminaire, de reprendre les autres conclusions du docteur Tohmé, hormis qu’il estime que la lésion est consolidée à la date de son examen, à savoir le 15 avril 2016, et qu’elle ne requiert plus d’autres soins ou traitements.

[34]        Par contre, il importe de préciser que le docteur Tohmé prend connaissance et tient compte, tel qu’il appert de la section Historique de son rapport d’expertise, du diagnostic de blessure acromioclaviculaire posé par le docteur Lincoln le 23 février 2016.

[35]        Tel que prévu à l’article 205.1 de la loi, comme le rapport du docteur Tohmé infirme certaines conclusions du docteur Lai, ce dernier peut fournir un Rapport complémentaire à la Commission pour étayer ses conclusions. Cet article se lit comme suit :

205.1.  Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 3.

[nos soulignements]

[36]        Toujours suivant l’article 205.1 de la loi, il est prévu que la Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le Rapport complémentaire du médecin traitant, au Bureau d'évaluation médicale institué, conformément à l'article 216 de la loi.

[37]        Le 13 mai 2016, une agente d’indemnisation de la Commission achemine le rapport d’expertise du docteur Tohmé ainsi qu’un formulaire d’Information médicale complémentaire écrite au docteur Lai. Ce formulaire est rempli par la docteure Hélène Béland-Vachon qui y indique que la date de la demande est le 19 mai 2016 et que la nature de sa demande est la suivante :

Docteur,

Par la présente, nous vous faisons parvenir une copie de l’expertise du Dr Serge Tohmé, médecin désigné par la CSST.

Nous aimerions, dans un premier temps, que vous complétiez le rapport complémentaire sur les points cochés.

Nous apprécierions également que vous vous prononciez sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles en l’inscrivant sur le présent document.

[38]        La docteure Béland-Vachon y joint un formulaire de Rapport complémentaire dans lequel sont cochés les sujets infirmés par le professionnel de la santé désigné, soit le docteur Tohmé, c’est-à-dire la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion de même que la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits.

[39]        Des instructions à l’intention des médecins sont jointes au formulaire de Rapport complémentaire. Il y est, entre autres, mentionné que le médecin ne doit pas oublier d’expliquer les raisons pour lesquelles il maintient ou il modifie son opinion.[4]

[40]        Le Rapport complémentaire est rempli par le docteur Lai le 31 mai 2016. Ses conclusions sont les suivantes :

4.         Conclusions étayées

Expliquez les raisons pour lesquelles vous maintenez ou vous modifiez votre opinion. Si vous avez consulté un collègue, n’oubliez pas de joindre le rapport de consultation motivé.

A déjà évalué par le Dr Larry Lincoln, neurochirurgien, qui parle d’une blessure acromioclaviculaire droite, prévoit l’ostéopathie et écarte l’indication chirurgicale.

Je va revoir le patient après 6 à 9 mois de physiothérapie avec l’approche ostéopathique. Ce patient travaille avec un psychologue chaque 3 semaines pour son trouble de l’adaptation. [sic]

[41]        Il ressort de ses conclusions étayées que le docteur Lai rappelle à la Commission qu’un autre diagnostic a déjà été posé par le docteur Lincoln, chirurgien orthopédiste, à qui il avait dirigé le travailleur pour obtenir son opinion, à savoir une blessure acromioclaviculaire droite.

[42]        Pour le Tribunal, en précisant le diagnostic du docteur Lincoln dans son Rapport complémentaire, le docteur Lai endosse le diagnostic de blessure acromioclaviculaire droite posé par le chirurgien orthopédiste traitant.

[43]        Aux fins de transmettre une demande d’avis au Bureau d’évaluation médicale, le rapport d’expertise du docteur Tohmé constitue le rapport infirmant qui sera utilisé par la Commission pour initier une procédure d’évaluation médicale prévue aux articles 199 et suivants de la loi, et ce, à l’encontre du rapport infirmé du médecin qui a charge du travailleur, le docteur Lai, rempli le 28 avril 2016 (#09951). Ce dernier y réitère le diagnostic d’entorse cervico-lombaire et la poursuite des traitements de physiothérapie et d’osthéopathie pour cette condition.

[44]        Le 17 juin 2016, la Commission transmet une demande au bureau d’évaluation médicale en utilisant le formulaire prévu à cet effet qui est intitulé Bureau d’évaluation médicale.

[45]        Les informations relatives à la lésion sont inscrites à la troisième section de ce formulaire. Il y est indiqué que le diagnostic de la lésion professionnelle retenu par la Commission est une entorse cervico-lombaire et un trouble de l’adaptation avec crise d’angoisse et de panique. La Commission précise que le diagnostic faisant l’objet d’une demande est celui d’entorse cervico-lombaire et que les sujets demandés sont les points 2 et 3 de l’article 212 de la loi faisant l’objet d’une « contestation », soit la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion ainsi que la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits. De plus, il y est précisé qu’un « avis » est demandé relativement aux points 4 et 5 de l’article 212 de la loi, soit l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur ainsi que l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles, puisque ces sujets ne font pas l’objet d’une contestation.

[46]        Le 15 juillet 2016, le docteur Lai remplit un Rapport final dans lequel il ne retient que le diagnostic d’entorse cervico-lombaire.

[47]        Le 18 juillet 2016, l’agente d’indemnisation de la Commission fait parvenir des formulaires de demande d’avis au Bureau d’évaluation médicale modifiés en raison de la réception du Rapport final du docteur Lai qui, y précise-t-elle, concerne les diagnostics d’entorse lombaire et de trouble de l’adaptation. Cela appert de la page de garde de transmission, qui se retrouve à la toute fin du dossier constitué pour l’audience, de ces documents transmis par télécopieur au Bureau d’évaluation médicale par l’agente le 18 juillet 2016.

[48]        Durant les procédures de l’évaluation médicale, le travailleur est de nouveau examiné le 9 août 2016 par le docteur Lincoln, chirurgien orthopédiste, qui réitère les mêmes diagnostics posés le 23 février 2016, soit « whiplash » et blessure acromioclaviculaire droite dans un formulaire de Rapport médical prescrit par la Commission.

[49]        Le Tribunal souligne que la Commission ne rend encore aucune décision relativement à ce diagnostic posé par le docteur Lincoln pour la seconde fois, à la suite de la réception de son second rapport médical.

[50]        Le 10 août 2016, le travailleur est examiné par le docteur Jodoin, membre du Bureau d’évaluation médicale, appelé à donner son avis quant aux sujets d’ordre médical prévus à l’article 212 de la loi précité, à l’exception de la question du diagnostic.

[51]        Au terme de la procédure d’évaluation, la Commission obtient un avis du membre du Bureau d'évaluation médicale rendu le 16 août 2016 et demandé uniquement en regard des sujets d’ordre médical 2 à 5 de l’article 212 de la loi et non sur la question du diagnostic. Cet avis est obtenu en conformité avec l’article 221 de la loi qui se lit comme suit :

221.  Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11 , a. 23.

[52]        Conformément au premier alinéa de l’article 224.1 de la loi, la Commission est liée par l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale et doit rendre une décision en conséquence. L’article 224.1 de la loi est libellé comme suit :

224.1.  Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

[53]        Aussi, le 22 août 2016 la Commission rend une décision consécutive à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale qui est confirmée en partie le 24 octobre 2016, à la suite d'une révision administrative. Il s’agit de la décision faisant l’objet d’une contestation dans le présent dossier. Cette décision est citée intégralement aux paragraphes 2 à 5 de la présente décision et il n’est pas nécessaire d’en reprendre le contenu en entier.

[54]        Il importe toutefois de souligner que le membre du Bureau d’évaluation médicale rend son avis en fonction uniquement du diagnostic d’entorse cervico-lombaire. Il est d’opinion que cette lésion est consolidée le 15 avril 2016, sans indication d’autres soins ou traitements, et que celle-ci n’entraîne ni séquelle permanente indemnisable ni limitation fonctionnelle.

[55]        Les 23 et 25 août 2016, le docteur Lai remplit deux autres formulaires de Rapport final dans lesquels le diagnostic de blessure acromioclaviculaire est indiqué à titre de diagnostic final de la lésion professionnelle au même titre que le diagnostic de nature psychologique dont il n’est pas question dans le présent litige.

[56]        Le 6 octobre 2016, la Commission rend une décision en vertu de l’article 365 de la loi par laquelle elle reconsidère sa décision rendue le 22 août 2016 consécutive à l’avis du docteur Jodoin, membre du Bureau d’évaluation médicale. Elle y déclare qu’elle ne pouvait se prononcer quant à la capacité du travailleur à exercer un emploi puisque l’ensemble de ces lésions n’étaient pas consolidées au moment où elle a rendu cette décision et qu’il s’agit du seul aspect de la décision du 22 août 2016 qui est modifié.

[57]        Le 12 octobre 2016, la Commission rend une décision liée à un nouveau diagnostic, à la suite de la réception d’un rapport médical du docteur Lai, sans en préciser la date. Elle conclut qu’il n’y a pas de relation entre le nouveau diagnostic de blessure acromioclaviculaire droite et l’événement survenu le 20 février 2015 et que le travailleur conserve son droit à l’indemnité de remplacement du revenu en raison d’autres diagnostics reconnus par la Commission en lien avec sa réclamation.

[58]        Le 17 novembre 2016, le travailleur demande la révision de la décision rendue par la Commission le 12 octobre 2016.

[59]        Le représentant du travailleur a fait parvenir la décision du 12 octobre 2016 et celle du 17 novembre 2016 au Tribunal en même temps que la jurisprudence à la suite de l’audience.

[60]        De l’analyse de l’ensemble de cette preuve, le Tribunal en arrive à la conclusion que la prétention du représentant du travailleur est fondée quant à l’irrégularité de l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale obtenu par la Commission le 16 août 2016.

[61]        Au soutien de cette conclusion, le Tribunal retient qu’il existait une divergence d’opinions entre l’avis du médecin qui a charge du travailleur et celui du médecin désigné de la Commission au regard du diagnostic et que la Commission aurait donc dû demander au membre du Bureau d’évaluation médicale de se prononcer également quant au diagnostic.

[62]        Pour le Tribunal, il est clair qu’en précisant le diagnostic du docteur Lincoln dans son Rapport complémentaire rempli le 31 mai 2016, le docteur Lai endosse le diagnostic de blessure acromioclaviculaire droite posé par le chirurgien orthopédiste traitant.

[63]        Dès lors, la Commission doit considérer que le docteur Lai modifie son opinion quant au diagnostic puisqu’il n’avait jamais repris ce diagnostic posé initialement par le docteur Lincoln le 23 février 2016.

[64]        Les instructions à l’intention des médecins jointes au formulaire de Rapport complémentaire précise qu’un médecin doit expliquer les raisons pour lesquelles il maintient ou il modifie son opinion.

[65]        Dans le cas du docteur Lai, il s’agit davantage d’une précision du diagnostic que d’une modification. En effet, le docteur Lai souligne à la Commission, après avoir pris connaissance du rapport d’expertise du docteur Tohmé, que le docteur Lincoln a posé le diagnostic de blessure acromioclaviculaire droite lorsque ce dernier l’a examiné à sa demande.

[66]        La jurisprudence enseigne qu’une conclusion étayée se veut une opinion claire et sans ambiguïté dans le cadre de l’interprétation d’un Rapport complémentaire remplit par un médecin traitant.[5]

[67]        Pour le Tribunal, les conclusions du docteur Lai sont claires et n’appellent même pas à interprétation. En effet, le docteur Lai souligne à la Commission, après avoir pris connaissance du rapport d’expertise de son médecin désigné, qu’elle doit également considérer le diagnostic de blessure acromioclaviculaire droite posée par le docteur Lincoln.

[68]        Quant au docteur Tohmé, comme mentionné précédemment, bien qu’il ait pris connaissance et qu’il ait tenu compte du diagnostic de blessure acromioclaviculaire posé par le docteur Lincoln le 23 février 2016, il ne retient pas ce diagnostic.

[69]        Dès lors qu’il existe une divergence d’opinions entre le docteur Lai et le docteur Tohmé relativement au diagnostic de la lésion et que la Commission décide de demander une opinion au Bureau d’évaluation médicale, elle se devait de la demander également quant au diagnostic.

[70]        Ce principe est réitéré dans plusieurs décisions[6] dont le Tribunal a pris connaissance et est bien circonscrit dans l’affaire Bigras[7] en ces termes :

Il est évident que le rapport visé par la contestation de la Commission, soit celui du 6 novembre 2013, faisait état d’un nouveau diagnostic. En principe, selon la jurisprudence, la Commission, si elle décide d’avoir recours à la procédure d’évaluation médicale, ne peut limiter sa contestation d’un rapport médical à une partie de celui-ci. Elle doit soumettre au Bureau d’évaluation médicale toutes les questions qui sont contredites par le rapport du médecin désigné6.

Une nuance est apportée par la jurisprudence lorsqu’on est en présence d’un nouveau diagnostic comme c’est le cas en l’espèce. La Commission peut alors choisir de se sentir liée par ce diagnostic en vertu de l’article 224 de la loi et de rendre une décision sur l’admissibilité de ce nouveau diagnostic en vertu de l’article 354 de la loi. Si elle ne veut pas être liée par le nouveau diagnostic, elle doit alors le soumettre au Bureau d’évaluation médicale si elle est en possession ou si elle obtient un avis contraire de son médecin désigné7.

__________

6               Place Aylwin My ltée et Paquette, C.L.P. 227923-62-0402, 14 février 2005, R. L. Beaudoin.

7               Jean et Serv. entretien distinction inc., C.L.P. 155009-71-0102, 26 avril 2004, T. Giroux, révision rejetée, 26 novembre 2004, B. Roy.

[71]        Dans le cas du travailleur, lorsque le Commission achemine une demande d’évaluation au Bureau d’évaluation médicale le 17 juin 2016, elle n’a pas encore rendu de décision quant au nouveau diagnostic de blessure acromioclaviculaire droite et son médecin désigné n’a pas retenu ce diagnostic. Il y a donc divergence d’opinions au regard du diagnostic entre le docteur Lai et le docteur Tohmé et elle devait demander au Bureau d’évaluation médicale de se prononcer quant à la question du diagnostic.

[72]        Ce n’est que le 12 octobre 2016, soit après l’obtention de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale du 16 août 2016, que la Commission conclut à l’absence de relation entre ce nouveau diagnostic et l’événement dans une décision liée à un nouveau diagnostic dont la contestation est pendante auprès de la Commission selon les informations transmises par le représentant du travailleur.

[73]        Bien que postérieure à l’obtention de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, cette décision concernant ce nouveau diagnostic n’en est pas moins prématurée puisque le Tribunal en arrive à la conclusion que l’avis du membre d’évaluation médicale est irrégulier.

[74]        C’est ainsi que conclut le Tribunal administratif du travail dans l’affaire Dulong et Résidence St-Jean-sur-Richelieu inc.[8], dont les faits sont très similaires à ceux du présent dossier, après avoir déclaré l’avis du Bureau d’évaluation médicale irrégulier pour des motifs semblables à ceux du présent cas. Il conclut que, pour donner une valeur probante aux conclusions du membre du Bureau d'évaluation médicale concernant la nature et la nécessité des soins ou des traitements, la date de consolidation, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle, il y a lieu d’abord de cerner les diagnostics précis découlant de cette lésion professionnelle pour ensuite statuer sur les conséquences qui en découlent.

[75]        Le Tribunal en arrive donc à la conclusion que l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale le 16 août 2016 est irrégulier, que la décision rendue par la CSNEST entérinant les conclusions du membre du Bureau d'évaluation médicale du 22 août 2016 est nulle, que celle rendue à la suite d’une révision administrative le 24 octobre 2016 devient ainsi caduque et que la décision refusant la relation entre le diagnostic de blessure acromioclaviculaire rendue par la Commission le 12 octobre 2016 est par conséquent prématurée.

[76]        Il y a donc lieu de retourner le dossier à la Commission pour qu’elle rende les décisions appropriées au regard des diagnostics, conformément aux dispositions de la loi à ce titre et, le cas échéant, pour qu’elle demande un nouvel avis au Bureau d’évaluation médicale concernant les questions médicales prévues à l’article 212 de la loi.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la question préliminaire de monsieur Sanjay Tamang, le travailleur;

DÉCLARE irrégulière la procédure d'évaluation médicale au dossier instituée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail;

ANNULE la décision rendue le 22 août 2016 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail faisant suite à l’avis rendu le 16 août 2016 par le membre du Bureau d’évaluation médicale;

DÉCLARE que la décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail le 24 octobre 2016, à la suite d'une révision administrative, est devenue sans effet;

RETOURNE le dossier à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle en assure le suivi en conséquence;

DÉCLARE que le travailleur conserve, par conséquent, son droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

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Marlène Auclair

 

 

 

 

M. Michel Julien

G.M.S. CONSULTANTS

Pour la partie demanderesse

 

Date de l’audience : 4 janvier 2017

 



[1]           Depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

[2]           Le diagnostic de trouble de l’adaptation avec crises d’anxiété et de panique ayant été reconnu par la Commission le 7 janvier 2016.

[3]           RLRQ, c. A-3.001.

[4]           Les termes « maintient » et « modifie » sont soulignés et en caractères gras dans les instructions en question.

[5]           McQuinn et Étiquettes Mail-Well, C.L.P. 201087-62A-0303, 31 janvier 2005, N. Tremblay.

[6]           Ashraf Khan et Restaurant le Taj, C.L.P. 212076-62-0307, 31 janvier 2005, D. Lévesque; Place Alwin My ltée et Paquette, C.L.P. 227923-62-0402, 14 février 2005, R. L. Beaudoin; Sanchez et Service de main-d’œuvre président, C.L.P. 253136-71-0501, 16 juin 2006, F. Juteau; Dulong et Résidence St-Jean-sur-Richelieu inc., 2012 QCCLP 3618; Major et Givesco inc., 2015 QCCLP 3277.

[7]           2015 QCCLP 62.

[8]           Précitée, note 6.

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