Charbonneau et CanadAventure inc. |
2012 QCCLP 424 |
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[1] Le 11 juin 2011, madame Sophie Charbonneau (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 mai 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST modifie celle qu’elle a initialement rendue le 3 mars 2011 pour la remplacer par la décision du 8 mai 2011 qui refuse la réclamation de la travailleuse au motif qu’elle n’a pas respecté le délai de six mois prévu à l’article 270 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] L’audience s’est tenue le 15 décembre 2011 à Fermont en présence de la travailleuse qui n’était pas représentée. L’employeur, CanadAventure inc., n’était pas présent ni représenté, mais a fourni des notes et autorités ainsi que deux déclarations assermentées et une photo.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a un motif pour être relevée du défaut d’avoir respecté le délai prévu à la loi et qu’elle a subi une lésion professionnelle.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Conformément à l’article 429.50 de la loi, le commissaire soussigné a obtenu l’avis des membres sur la question faisant l’objet de la contestation.
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête de la travailleuse, car elle n’a pas de motif permettant de la relever du défaut d’avoir respecté le délai prévu par la loi.
[7] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse, car elle a démontré des motifs expliquant son retard et les circonstances de l’événement qui est survenu à son travail donnant ouverture à l’application de la prescription de l’article 28 de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Dans sa prise de décision, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de l’avis des membres, de l’ensemble de la preuve documentaire au dossier, du témoignage de la travailleuse, des documents reçus et de l’argumentation des parties.
[9] Au soutien de sa décision, la Commission des lésions professionnelles réfère aux éléments de preuve, tant documentaire que testimoniale, pertinents à la détermination des questions en litige.
[10] L’histoire de la réclamation de la travailleuse est rapportée dans les notes et autorités soumises par l’employeur dans lesquelles nous pouvons lire :
Comme nous l’avons déclaré à la CSST, madame Sophie CHARBONNEAU n’a jamais subi d’accident de travail chez nous.
Le 6 février 2010, madame a fait une chute non pas dans ses aires de travail mail dans ses quartiers privés (dans le chalet réservé au logement des employés), en état d’ébriété, et en dehors de ses heures de travail.
En effet, madame CHARBONNEAU avait terminé son service (ménage) du matin vers 10h00 heures, et devrait reprendre pour son service du soir (serveuse) vers 18h00
Dans l’intervalle, elle se trouvait dans ses quartiers dans le chalet des employés, en compagnie des autres employés qui n’étaient pas en service : madame Michèle PARENTEAU, monsieur Bernard COURTEL et, à la fin de l’après-midi, monsieur Martin JODOIN.
Madame CHARBONNEAU ne s’est pas présentée au travail le soir du Février 2010. Les autres employés, qui eux se sont présentés au travail, m’ont alors mentionné qu’elle était <malade>.
Madame CHARBONNEAU s’est ensuite présentée complètement ivre peu avant 21h00, ornée de son œil au beurre noir, en pleurant et en vociférant. Nous lui avons proposé à plusieurs reprise de lui appeler une ambulance, mais elle a refusé. Tout ce qu’elle voulait était d’appeler son ami (*le chalet des employés ne disposant pas de téléphone, le seul téléphone est à la réception de l’auberge).
Le lendemain, le 7 février, madame CHARBONNEAU est descendue en matinée au CLSC de Saint-Michel-des-Saints, puis est remontée à l’Auberge CanadAventure. Elle nous a dit qu’outre son œil au beurre noir, elle avait un poignet endolori. Elle est ensuite allée au chalet des employés pour y prendre ses effets personnels, et nous ne l’avons ensuite jamais revue !
Vous trouverez donc ci-joint :
- Une photographie prise le soir de <l’accident de travail>. Cette photographie a été prise le 6 février 2010 vers 22 h 30 dans le chalet des employés par Monsieur Martin JODOIN et montre madame Sophie CHARBONNEAU, avec son œil au beurre noir, de fort bonne humeur, en compagnie de sa collègue madame Michèle PARENTEAU.
- Deux affidavit signés par monsieur Martin JODOIN et madame Michèle PARENTEAU, deux des trois témoins de l’événement. Nous n’avons pas pu rejoindre M. COURTEL, le troisième témoin, car il a déménagé et nous n’avons pas des nouvelles coordonnées. [sic]
[11] La déclaration assermentée de madame Michèle Parenteau se lit ainsi :
Je déclare les faits suivants :
En février 2010, j’étais alors employée comme serveuse à l’Auberge CanadAventure de Saint-Michel-des-Saints.
Mon horaire de travail était un horaire coupé, travaillant le matin de 7h00 à 9h30 pour le service du petit déjeuner et le soir de 18h30 à la fermeture pour le service du souper.
Dans l’intervalle, j’étais logée dans le chalet LE LOUP, réservé exclusivement au logement des employés de l’entreprise. J’y partageais la chambre de ma collègue de travail Sophie CHARBONNEAU.
Dans l’après-midi du 6 février 2010, je me trouvais dans le chalet en question en compagnie de Sophie CHARBONNEAU et de Bernard COURTEL, le cuisinier.
Étant en dehors de nos heures de travail, nous y avons consommé de l’alcool, en particulier de la Chartreuse.
Après avoir dormi en fin d’après-midi, je me suis présentée comme d’habitude à mon poste entre 18h00 et 18h30, contrairement à Sophie qui est restée couchée au chalet.
[12] Alors que la déclaration assermentée de monsieur Jodoin indique :
Le 6 février 2010, vers 14h00, durant mon quart de travail, je suis allé quelques minutes au chalet des employés de CanadAventure, (où j’habitais durant mon emploi), et j’y ai vu Michèle et Sophie <sur le party>, avec de la musique au fond et consommant de l’alcool. Elles étaient apparemment déjà saoûles toutes les deux.
Puis, vers 16h30, à la fin de mon quart de travail, Bernard le cuisiner est venu me chercher dans le garage pour l’aider à <réveiller> les filles qui, disait-il, ne pourraient pas travailler ce soir.
En arrivant dans le chalet, Sophie dormait sur le divan du salon. J’ai dû l’aider, avec beaucoup de difficulté, à monter à sa chambre.
Puis j’ai réveillé Michèle qui a été malade, qui a pris une douche et qui a finalement pu finalement aller travailler pour son shift de 18h00.
Je certifie être l’auteur de la photo ci-joint, prise vers 22h30 le 6 Février 2010 dans le chalet réservé aux employés de CanadAventure, et montrant Michèle PARENTEAU et Sophie CHARBONNEAU. [sic]
[13] Les notes évolutives au dossier sont aussi très intéressantes. Lors d’une conversation téléphonique du 1er mars 2011, la CSST note :
Que s’est-il passé le 6 février2010?
J’étais seule dans le chalet, je faisais le ménage et je suis tombée dans les escaliers avec un panier de drap sale. Moi, mon travail c’était femme de ménage le matin et serveuse le soir, mais c’était aussi moi qui faisait le ménage du chalet où l’on habitait mes collègue de travail et moi. Je m’en allais porter les draps sale pour les laver à l’auberge. Je faisais du ménage jusqu’à deux heures et je recommençais à travailler vers 16 hrs à l’auberge pour monter les tables. Mon travail de serveuse consiste à servir le vin. Je ne me souviens plus de rien, j’ai faites une commotion cérébrale pendant presque deux heures. Je me suis réveillé dans mon lit vers 18 heures.
Comment avez-vous fait pour vous rendre dans votre lit?
C’est Michelle qui m’a transporté en haut jusqu’à ma chambre.
Au moment où vous avez tombé étiez-vous sur la subordination de votre employeur?
Non, je ne suis jamais sur la subordination de mon employeur, c’est moi qui fait ma propre horaire.
Est-ce que vous étiez rémunéré au moment de votre accident?
Oui.
Où est arrivé l’accident?
Je suis tombée dans les escaliers du chalet où je suis logée et cela est arrivée vers 16 heures et j’ai perdu connaissance et je me suis réveillée vers 18 heures en panique dans mon lit. Je ne savais pas ce qu’il savait passé je pensais avoir mangé une volé. J’étais en panique.
À quel heure vous êtes vous présentée à votre travail?
Vers 18 heures quand je me suis réveillée, je suis allée à l’auberge, j’étais en panique et j’ai demandé que l’on appel une ambulance et mon E ne voulait pas que l’on appel une ambulance. Celui-ci disait que j’étais correct et je lui disait que j’avais mal au poignet et il disait non tu vas être correct. Je ne savais pas ce qui m’était arrivée, je paniquais vraiment beaucoup.
Avait-il des témoins au moment où vous êtes présenté à l’auberge vers 18 heures?
Oui, mon employeur, Michelle et d’autres employés que je ne me rappel plus, car il change souvent d’employés.
Avait-il des clients?
Non, c’était une semaine tranquille.
Quand avez-vous avisé votre employeur de votre accident de travaille?
Quand, je suis allée à l’auberge vers 18 heures, je lui ai dit que j’étais tombé dans les escalier au chalet que j’avais mal au poignet que je croyais que celui-ci était cassé et que je voulais appeler une ambulance celui-ci disait non non que j’allais être correct.
Quand votre employeur n’a pas voulu reconnaître que votre chute dans l’escalier était un accident du travail et pourquoi?
Le lendemain matin avant d’aller au CLSC et il m’a dit que ce n’était pas un accident du travail parce que cela était arrivé dans le chalet des employés.
Pourquoi vous pensiez que vous n’aviez pas de recours?
Parce que mon patron m’avait dit que cela n’était pas un accident du travail.
Vous avez mentionné au CLSC le 7 février que vous étiez tombé dans les escaliers à votre travail et il vous a remis une attestation CSST en avez-vous remis une copie à votre employeur?
Non, parce que mon employeur m’avait dit que ce n’était pas une accident du travail.
Pourquoi ne pas avoir fait de demande à la CSST quand vous avez reçu un attestation CSST?
Parce que mon employeur m’avait dit que ce n’était pas un accident de travail parce que cela était arrivé au chalet des employés et non dans l’auberge, et je me croyais sans recours.
Vous en avez sûrement parler à d’autres personnes de votre accident et eux ne vous on pas parler de la CSST?
Ben après, je suis allée vivre chez mon fils de 24 ans et on ne parlait pas vraiment de cela. De plus, je n’est jamais réclamée de CSST alors je ne sais pas comment cela fonctionne.
Qu’est-ce qui fait que vous réclamez aujourd’hui?
Bien quand mon chirurgien m’a demandé ce qui m’avait arrivé et que je lui raconté l’événement, celui-ci m’a dit que c’était un accident de travail et que j’avais des droits. De plus, quand je suis allée au centre local d’emploi après avoir vu mon chirurgien, j’ai parlé de mon accident et ils m’ont dit eux aussi que c’était une accident travail et que j’avais des droits.
Avez-vous travaillé depuis votre accident?
Non. J’ai été sur le chômage jusqu’en août après j’étais sur emploi-Québec je fais un cours en comptabilité.
Pouvez-vous m’expliquer pourquoi dans les notes cliniques du 28 juillet 2010 vous dit avez travaillé comme serveuse?
J’ai travaillé à peine deux heures. Et après je ne l’est pas refait s’était pour dépanner.
Pourquoi vous avez mentionné 11 heures en ligne au médecin?
Pas de réponse.
Avez-vous été payé?
Non, c’était vraiment pour rendre service.
À quel restaurant?
Le restaurant Dialo.
Avez-vous consommé de l’alcool la journée du 6 février 2010?
Non, on avait pas le droit mais j’avais peut-être pris une bière entre les deux chiffres.
Est-ce que vous étiez seule quand vous avez consommé votre bière?
Oui, car j’étais la seule à avoir un chiffre coupé, les autres travaillaient.
-ASPECT LÉGAL :
Analyse de la recevabilité en vertu de l’article 271 de la LATMP :
271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion. (nos soulignements)
Par ailleurs, l’article 352 de la même loi mentionne ce qui suit concernant la possibilité de prolonger un délai :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
Les motifs de la T sont :
- Dans sa lettre datée du 17 janvier 2011, la T mentionne ce qui suit ; « Mon employeur a refusé de reconnaître qu’il s’agissait d’un accident de travail. Je me croyais sans recours. Comme j’étais sur le chômage avant d’accepter cet emploi, j’ai continué de faire mes déclarations et de recevoir mes prestations. Mon chômage est terminé depuis le mois d’août 2010.
- Dans la conversation téléphonique du 1 mars 2011 avec la T :
Quand votre employeur n’a pas voulu reconnaître votre chute dans l’escalier comme un accident du travail et pourquoi?
Le lendemain matin avant d’aller au CLSC et il m’a dit que ce n’était pas un accident du travail parce que cela était arrivé dans la chalet des employés.
Pourquoi vous pensiez que vous n’aviez pas de recours?
Parce que mon patron m’avait dit que cela n’était pas un accident du travail.
Vous avez mentionné au CLSC le 7 février que vous étiez tombé dans les escaliers à votre travail et il vous a remis une attestation CSST en avez-vous remis une copie à votre employeur?
Non, parce que mon employeur m’avait dit que ce n’était pas une accident du travail.
Pourquoi ne pas avoir fait la demande à la CSST quand vous avez reçu un attestation CSST?
Parce que mon employeur m’avait dit que ce n’était pas un accident de travail parce que cela était arrivé au chalet des employés et non dans l’auberge, et je me croyais sans recours.
Vous en avez sûrement parler à d’autres personnes de votre accident et eux ne vous on pas parler de la CSST?
Ben, après, je suis allée vivre chez mon fils de 24 ans et on ne parlait pas vraiment de cela. De plus, je n’est jamais réclamée de CSST alors je ne sais pas comment cela fonctionne.
Qu’est-ce qui fait que vous réclamez aujourd’hui?
Bien quand mon chirurgien m’a demandé ce qui m’avait arrivé et que je lui raconté l’événement, celui-ci m’a dit que c’était un accident de travail et que j’avais des droits. De plus, quand je suis allée au centre local d’emploi après avoir vu mon chirurgien, j’ai parlé de mon accident et ils m’ont dit eux aussi que c’était une accident travail et que j’avais des droits.
Considérant :
· qu’en vertu de l’article 271 de LATMP la T est hors délai;
· que le délai est de six mois et qu’il commence à courir à partir de la date de l’événement;
· que la T sait depuis le 6 février 2010 que ses lésions sont reliée à sa chute à son travail;
· que la T a reçu une attestation médicale le 7 février 2010 qui est mentionné chute au travail;
· que la T avait intérêt réel et actuel à produire une réclamation auprès de la CSST;
· que la T dit n’avoir jamais retravaillé depuis le 6 février 2010;
· qu’il y a des visites médicales depuis le 7 février 2010;
· que la T a fait de la physiothérapie;
· que la T n’avait jamais réclamé auparavant à la CSST;
· que la T ne semble pas avoir fait de démarche afin de s’informer si elle avait droit à un recours ni auprès de la CSST, ni auprès des gens autour d’elle;
· que la CSST est un organisme accessible à tous;
· que la T mentionne qu’elle ne sait pas comment fonctionne la CSST, mais que celle-ci à déjà utilisé les services de d’autres organisme public dont l’assurance-chômage et emploi-Québec;
· que la T a mentionné que s’était un accident de travail lors de sa visite au CLSC le 7 février 2010;
· que l’ignorance de la loi ne constitue pas un motif raisonnable;
· qu’il incombe alors au travailleur de démontrer un motif raisonnable pour expliquer son retard s’il veut être relevé des conséquences de son défaut;
· que la T n’a pas réclamer parce que son E lui a dit que ce n’était pas un accident du travail;
· que la T se croyait sans recours;
· que la T n’a pas réclamer parce qu’elle était déjà sur le chômage;
· que cela ne constitue pas des motifs raisonnables au sens de l’article 352 de la loi;
Je ne relève pas la T de son défaut d’avoir logé sa réclamation en dehors du délai prescrit à l’article 271 de la LATMP. [sic]
[14] À l’audience, la travailleuse témoigne de façon crédible. Elle précise qu’elle devait faire la chambre qui était allouée au guide des touristes (personne qui promène les touristes durant leur séjour). Celui-ci occupait une chambre dans le même immeuble qu’elle. Elle avait la responsabilité d’entretenir cette chambre (celle du guide) et de faire le lavage de la literie. C’est en transportant la literie de cette chambre qu’elle a fait une chute ayant entraîné une perte de conscience.
[15] La travailleuse précise qu’elle n’a pas présenté de réclamation, car son patron, lorsqu’elle lui a présenté la première attestation médicale, lui a dit qu’il ne paierait jamais pour ça et qu’il ne s’agissait pas d’un accident du travail couvert par la loi. Elle a avisé son employeur immédiatement. Ce n’est que beaucoup plus tard, lorsqu’elle a expliqué les circonstances de la chute à son médecin, que celui-ci lui a dit qu’il s’agissait d’un véritable accident du travail et qu’elle devait présenter une réclamation à la CSST. D’ailleurs, la seconde attestation médicale est datée du 16 novembre 2010, ce qui correspond à la version de la travailleuse qui a présenté une réclamation le 17 janvier 2011 et ce, dans le délai où elle a obtenu l’information à l’effet qu’il s’agit bien d’une lésion professionnelle indemnisable par la CSST.
[16] La travailleuse a été induite en erreur par son employeur lorsqu’elle lui a remis l’attestation médicale du 7 février 2010. D’ailleurs, l’employeur est tenu d’aider la travailleuse à compléter sa demande, en vertu des dispositions de l’article 270 de la loi qui prévoient :
270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.
L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.
Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
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1985, c. 6, a. 270.
[17] L’employeur a manqué à ses devoirs en donnant des informations erronées à la travailleuse et à manquer à ses obligations. L’employeur est responsable du délai qu’a pris la travailleuse pour présenter sa réclamation, ce qui constitue un motif permettant de relever la travailleuse du défaut d’avoir respecté le délai prévu à l’article 271 de la loi.
[18] Concernant le fait que l’ignorance de la loi n’est pas un motif, ceci ne peut être opposé à la travailleuse, puisque la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est une loi à caractère remédiatrice et il a été reconnu que le principe de « nul n’est sensé ignorer la loi » ne s’applique pas dans les circonstances. Le soussigné reprend ici les motifs retenus dans la décision Ouellet et Ministère de la Sécurité Publique (Santé-Secur)[2] :
[20] (…) Concernant la maxime « nul n’est censé ignorer la loi » à titre d’objectif à l’effet que l’ignorance de la loi ne peut être invoquée comme motif pour être relevé du défaut d’avoir respecté un délai ou présenter une réclamation. Ceci n’a plus court aujourd’hui, car si cela a déjà été vrai, c’est que cela correspondait à l’époque où il n’existe que peu de lois et sur cette question, je reprendrais le motif retenu dans la décision Hamel et Produits Chanteclerc inc. Extra4 dans laquelle le commissaire Lacroix retenait ce qui suit :
[…]
[34] Enfin, les commentaires de la Commission des lésions professionnelles, au paragraphe 19, sur le fait que le vieil adage voulant que « personne n’est censé ignorer la loi » n’a plus sa raison d’être, ne sont aucunement déterminants dans le présent litige. Il s’agit là d’un commentaire qui n’apparaît d’ailleurs pas nécessaire pour la solution du présent litige.
[35] La procureure de l’employeur a référé à un discours du 30 janvier 2003 du Ministre de la justice lors de l’ouverture de la maison « Justice du Québec », où le Ministre de la Justice écrivait :
un des premiers postulats d’une société de droit veut que « nul n’est censé ignorer la loi ». La procureure de l’employeur estime donc qu’on ne peut mettre de côté ce vieil adage.
[36] Toutefois, le Ministre de la Justice ajoutait :
Cette prémisse ne signifie pas que l’on doit attendre de chacun qu’il ait une connaissance adéquate de toutes les règles de droit qui régissent la vie en société tant celles-ci sont nombreuses et souvent complexes. Mais les professionnels de la justice et du droit ont une connaissance approfondie. C’est pourquoi les services de la Maison de la justice seront par des professionnels recrutés dans les secteurs publics, privés et communautaires.
[37] On constate donc ici que même le Ministre de la Justice apporte un certain tempérament à ce vieil adage.
[21] Cette maxime fut aussi reprise dans la décision Travers et Messagerie Courriertel inc5. dans laquelle le commissaire Poupart fait une étude de cette question et indique ce qui suit :
[51] La Commission des lésions professionnelles croit aussi que c’est à tort qu’on opposerait aux prétentions du travailleur la maxime « Nul n’est sensé ignoré la loi ».
[52] Dans le dossier Cardinal et Lafarge Groupe Matériaux de construction5, le commissaire Gilles Robichaud a déclaré ce qui suit à ce sujet :
[48] [...] Nous sommes en matière de justice administrative, les lois sont presque innombrables, trop souvent complexes et changeantes, on ne peut présumer que le citoyen sache tout. Cette maxime origine du droit criminel et c’est là qu’elle y trouve originalement tout son sens. Au Canada, c’est à l’article 19 du Code criminel qu’on la retrouve, dans une version tout de même un peu nuancée :
19. [Ignorance de la loi]
L’ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n’excuse pas la perpétration de l’infraction.
(notre soulignement)
[49] Il ne s’agit pas, dans la présente affaire, d’un cas où on invoque l’ignorance de la loi pour se disculper ou s’exonérer d’une faute commise ou d'une obligation non remplie. Comme le faisait remarquer l’honorable juge Jean-Louis Beaudoin, juge à la Cour d’appel du Québec, lors d’une conférence donnée le 25 janvier 2001 au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal :
L’accessibilité à la loi de tous les citoyens, dans un régime démocratique, est basée sur un mythe représenté par le maxime « nul n’est censé ignorer la loi… » En effet, il relève du rêve le plus fou que le citoyen puisse connaître l’ensemble législatif et réglementaire…
Par contre, il est logique et juste d’affirmer, pour préserver un semblant d’ordre social fondé sur l’égalité de tous devant la loi, qu’on ne puisse échapper à celle-ci en plaidant l’ignorance.6
[53] Le commissaire Robichaud ajoute le commentaire suivant :
[50] Nous sommes en droit administratif dans un contexte où, depuis plusieurs années, le législateur préconise la déjudiciarisation. Il faut être prudent avant de disposer des droits d’un justiciable, surtout lorsqu’il n’est pas au courant de l’étendue de ses droits et qu’on ne peut présumer qu’il le soit. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est une loi d’ordre public. Le rôle de la CSST en tant que responsable de l’application de ladite loi en est un de transparence; ses décisions doivent être rendues « suivant l’équité, d’après le mérite réel et les la justice du cas (art. 351 ). ». La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est déjà assez compliquée par elle-même, autant pour les travailleurs que pour les employeurs; il ne faut pas que cette loi devienne un labyrinthe. [...]
[54] À l’appui de ce commentaire, il cite le paragraphe suivant d’un jugement rendu, le 30 juillet 2001, par madame la juge Anne-Marie Trahan, de la Cour supérieure :
Il [le travailleur] n’est pas médecin et surtout, même si nul n’est censé ignorer la loi, il n’est pas un juriste spécialisé dans les subtilités de la L.A.T. ou de la L.A.T.M.P. N’oublions pas qu’aux termes de la L.A.T. (art. 3) il a droit aux prestations prévues par la loi. Ce n’est pas un privilège qu’on lui accorde c’est un droit qu’on lui reconnaît…1
1 Gaétan Longtin c. Daniel Lamonde, Hélène Beaumier, le Tribunal administratif du Québec et la CSST, 500-05-061076-004, 30 juillet 2001, p. 7.
[55] Le commissaire rappelle finalement les enseignements de la Cour suprême en matière de motifs raisonnables susceptibles de justifier une prolongation de délai :
[51] Il est tellement vrai qu’il faille éviter d’appliquer aveuglément la maxime « nul n’est censé ignorer la loi » que, dans la sauvegarde des droits d'une partie, la Cour Suprême, notamment dans l’affaire Construction Gilles Paquette ltée2 ne l’a même pas appliquée à l’avocat de l’appelante. L’avocat avait omis de signifier et de produire son mémoire dans le délai prescrit. Il y avait eu modifications récentes à la loi (Code de procédure). L’avocat « a plaidé l’erreur, soit sa propre ignorance de la nouvelle disposition ». La Cour suprême, « hormis son ignorance de la modification de la loi » a excusé le retard de l’avocat parce que ce dernier, lorsque prévenu, « a déposé une requête promptement pour y remédier » (p. 307). 3
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2 [1997] 2RCS 299
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5 206713-72-0304, le 9 juin 2005, G. Robichaud
6 id., p. 13
7 id., p.14, citant l’arrêt de la Cour suprême, [1997] 2 R.C.S. 299
[22] Si la Cour Suprême se permet d’excuser un avocat pour sa propre ignorance de la loi8, la Commission des lésions professionnelles serait bien mal venue d’imposer à une personne qui n’est pas avocat la maxime. « nul n’est censé ignorer la loi » dans le cadre d’une loi d’ordre public de nature sociale et réparatrice.
[23] Dans la décision Travers et Messagerie Courriertel inc.9 la décision a fait l’objet d’une requête en révision pour cause et fût rejetée au motif suivant :
[41] De plus, les commentaires du premier commissaire concernant la non-application de la maxime « nul n’est censé ignorer la loi », en droit administratif ne sont pas déterminants. Le premier commissaire a considéré d’autres motifs pour relever le travailleur de son défaut que son ignorance de la loi. C’est en surplus qu’il ajoute ces commentaires, qui d’ailleurs ne sont pas nécessaires pour la solution du litige.
[42] Par ailleurs, le tribunal souligne que ce n’est pas la première fois que la Commission des lésions professionnelles soulève cette question de l’applicabilité de la maxime « nul n’est censé ignorer la loi » en droit administratif. Comme l’indique le premier commissaire dans la décision attaquée, le tribunal s’est déjà prononcé dans l’affaire Cardinal et Laforge Groupe Matériaux de construction7 au sujet de cette maxime en précisant qu’« il faut être prudent avant de disposer des droits d’un justiciable, surtout lorsqu’il n’est pas au courant de l’étendue de ses droits et qu’on ne peut présumer qu’il le soit ».
[43] De plus, à au moins deux autres occasions, la Commission des lésions professionnelles a mentionné dans ses décisions qu’« il faudrait donc accorder une importance tout à fait relative à cet axiome disant que nul n’est censé ignorer la loi, car, si ceci était valable au début du siècle, il n’a plus sa raison d’être aujourd’hui, compte tenu de la complexité et du grand nombre de législations qui sont maintenant en vigueur »8. La requête en révision de cette décision a été rejetée. Voici comment la Commission des lésions professionnelles en révision a répondu aux arguments de l’employeur dans cette affaire :
[34] Enfin, les commentaires de la Commission des lésions professionnelles, au paragraphe 19, sur le fait que le vieil adage voulant que « personne n’est censé ignorer la loi » n’a plus sa raison d’être, ne sont aucunement déterminants dans le présent litige. Il s’agit là d’un commentaire qui n’apparaît d’ailleurs pas nécessaire pour la solution du présent litige.
[35] La procureure de l’employeur a référé à un discours du 30 janvier 2003 du Ministre de la justice lors de l’ouverture de la maison « Justice du Québec », où le Ministre de la Justice écrivait :
un des premiers postulats d’une société de droit veut que « nul n’est censé ignorer la loi ». La procureure de l’employeur estime donc qu’on ne peut mettre de côté de vieil adage.
[36] Toutefois, le Ministre de la Justice ajoutait :
Cette prémisse ne signifie pas que l’on doit attendre de chacun qu’il ait une connaissance adéquate de toutes les règles de droit qui régissent la vie en société tant celles-ci sont nombreuses et souvent complexes. Mais les professionnels de la justice et du droit ont une connaissance approfondie. C’est pourquoi les services de la Maison de la justice seront par des professionnels recrutés dans les secteurs publics, privés et communautaires.
[37] On constate donc ici que même le Ministre de la Justice apporte un certain tempérament à ce vieil adage.
[44] Dans ces circonstances, d’une part, on ne peut parler d’une jurisprudence « presque unanime » comme le souligne le procureur de la CSST. D’autre part, un commissaire n’est jamais tenu de suivre la jurisprudence, même si elle est unanime, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[45] Dans l’affaire Fontaine9, le juge Morissette en faisant référence à l’arrêt Domtar inc. c. Québec10, écrit ce qui suit :
Il me paraît exact de dire qu’après cet arrêt de principe, l’autonomie décisionnelle des tribunaux administratifs a acquis préséance sur l’objectif de cohérence ou de constance décisionnelle.
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7 C.L.P. 206713-72-0304, 9 juin 2005, G. Robichaud
8 Hamel et Produits Chanteclerc inc. Extra, C.L.P. 195104-07-0211, 2 juillet 2003, S. Lemire, révision rejetée, 23 août 2003, N. Lacroix; Côté et Vêtements Golden Brand Canada ltée, C.L.P. 189164-72-0208, 10 février 2003, S. Lemire
9 Précitée, note 3
10 [1993] 2 RCS 756
[24] La juge Danielle Grenier de la Cour Supérieure, dans un jugement rendu le 25 avril 2005 situe dans son contexte la maxime « nul n’est censé ignorer la loi », lorsqu’elle indique :
[…]
Le vieil adage voulant que nul n’est censé ignorer la loi ne s’applique pas en droit civil. Il s’agit d’une maxime du common law consacrée à l’article 19 du Code criminel8. Même s’il fallait conclure à l’application de ce précepte dans un contexte de droit administratif, il y aurait lieu alors d’appliquer cette maxime de manière à prendre en compte la quantité et la complexité grandissantes des lois et règlements, surtout lorsqu’ils portent à confusion. Il n’existait donc aucun motif d’appliquer cette règle au présent cas et c’est ce que le TAQ2 a implicitement fait en décidant que l’obligation du prestataire précédait celle qui incombe au Ministre.
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8 Voir : r. c. NovaScotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; R.C. MacDougall [1992] 2 R.C.S. 605; BAUDOUIN, Jean-Louis, Les Obligations, 3e éd., Cowansville, 1989, p. 122.
[25] Enfin, le soussigné s’est déjà prononcé sur cette question dans le dossier Côté et Vêtements Golden Brand Canada Ltée10 et écrit :
[…]
[18] Le vieil adage voulant que « nul n’est sensé ignorer la loi » était peut-être fondé au début du siècle, ou même au milieu du siècle, mais aujourd’hui une telle affirmation est totalement dénuée de sens; on n’a qu’à penser que les avocats eux-mêmes doivent se spécialiser dans un champ de pratique précis, car même pour eux il est impossible de couvrir toutes les facettes du droit. Alors que penser d’un simple citoyen ayant un minimum d’études qui se retrouve dans les dédales de l’administration publique, de ses lois et de ses règlements.
[19] Ce vieil adage doit être considéré avec retenue dans notre monde moderne, où des dizaines de lois et de règlements sont adoptés, modifié et abrogés, à tel point que seuls les grands cabinets d’avocats sont susceptibles de répondre à toutes les facettes du droit contemporain, les petits cabinets devant se concentrer dans un domaine plus restreint, car il n’est pas possible de penser qu’un individu soit au fait de toutes les lois et de tous les règlements alors que même les spécialistes du domaine ne le sont pas.
[…]
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4 C.L.P. 195104-07-0211, 20 août 2003, N. Lacroix.
5 C.L.P. 252931*64-0501, 27 octobre 2005, F. Poupart.
8 Notre soulignement.
9 Précitée note 5
10 C.L.p. 189164-72-0208, 22 avril 2003, S. Lemire.
[19] Concernant l’événement accidentel, la preuve présentée n’est pas contredite. Les déclarations assermentées ne peuvent écarter le témoignage de la travailleuse, que le tribunal a pu questionner sur chacun des éléments au dossier et a obtenu des réponses satisfaisantes, comme cette photo qui fut prise après l’événement, ce qui confirme les blessures, ce qui confirme la version de la travailleuse qu’il y a eu une fête de départ après les horaires de travail et après l’événement accidentel survenu en après-midi de ce jour-là.
[20] Il y a lieu de faire droit à la requête de la travailleuse, celle-ci ayant démontré avoir subi un accident du travail en vertu de l’article 2 de la loi, accident du travail ayant entraîné une lésion professionnelle. De plus, la travailleuse bénéficie de l’application de l’article 28 de la loi qui n’a pas été renversée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Sophie Charbonneau;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 24 mai 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Sophie Charbonneau a un motif permettant de la relever du défaut d’avoir respecté le délai de six mois prévu à l’article 270 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, et
RELÈVE madame Sophie Charbonneau du défaut d’avoir respecté le délai prévu à l’article 270 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et qu’elle a valablement présenté sa réclamation à la CSST;
DÉCLARE que madame Sophie Charbonneau a subi une lésion professionnelle le 6 février 2010 et qu’elle a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Simon Lemire |
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Me René Fréchette |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentant de la partie intervenante |
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