Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Bélanger et AIM Recyclage

2016 QCTAT 1101

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

554493-03B-1410

 

Dossier CNESST :

138448865

 

 

Québec,

le 23 février 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Marie Beaudoin

______________________________________________________________________

 

 

 

Michel Bélanger

 

Partie demanderesse

 

 

 

Et

 

 

 

AIM Recyclage

 

Partie mise en cause

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 22 avril 2015, monsieur Michel Bélanger (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation d’une décision rendue par cette instance le 10 mars 2015.

[2]           Cette décision rejette la contestation du travailleur, confirme celle rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 10 octobre 2014 à la suite d’une révision administrative et déclare que la lésion professionnelle dont il a été victime le 6 septembre 2011 entraîne un déficit anatomo-physiologique de 2 % et des limitations fonctionnelles de classe II, selon l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail (IRSST), pour la colonne lombosacrée.

[3]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail. De plus, depuis cette même date, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.

[4]           Dans le présent dossier, l’audience s’est tenue le 9 décembre 2015 devant la commissaire Marie Beaudoin, juge administrative de la Commission des lésions professionnelles qui était accompagnée de monsieur Claude Jacques, membre issu des associations d'employeurs et de monsieur André Chamberland, membre issu des associations syndicales. L’article 260 de la LITAT prévoit que le mandat des membres, autres que les commissaires, prend fin le 31 décembre 2015 et que ceux-ci ne terminent pas les affaires qu’ils avaient commencées. Comme l’affaire n’était pas terminée en date du 31 décembre 2015, l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs n’a pas à être rapporté.

[5]           Une audience est tenue à Lévis le 9 décembre 2015 en présence du travailleur et de son représentant. AIM Recyclage (l’employeur) a avisé le tribunal de son absence à l’audience.

 

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[6]           Le travailleur demande de réviser ou de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 10 mars 2015 au motif qu’elle comporte un vice de fond de nature à l’invalider.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le Tribunal administratif du travail doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision qu’elle a rendue le 10 mars 2015.

[8]           Le premier alinéa de l’article 51 de la LITAT prévoit que les décisions du Tribunal sont sans appel :

51. La décision du Tribunal est sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

.

__________

2015, c. 15, a. 51.

           

 

[9]           Le législateur a toutefois accordé au Tribunal un pouvoir de révision ou de révocation pour les motifs énoncés à l’article 49 de la LITAT :

49. Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'il a rendu:

 

1° lorsque est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie intéressée n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, présenter ses observations ou se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à l'invalider.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le membre qui l'a rendu.

__________

2015, c. 15, a. 49.

 

 

[10]        Cette disposition correspond à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) qui accordait à la Commission des lésions professionnelles le même pouvoir de révision ou de révocation d’une décision notamment, lorsqu’un vice de fond de nature à l’invalider était démontré. C’est ce que l’employeur invoque en l’espèce.

[11]        Il demeure donc approprié de référer à la jurisprudence développée par la Commission des lésions professionnelles pour l’interprétation de cette notion. Celle-ci définit le « vice de fond de nature à invalider une décision » comme une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige[3]. Dans les affaires C.S.S.T. et Jacinthe Fontaine et C.L.P et C.S.S.T. et Touloumi[4], la Cour d’appel du Québec après avoir repris avec approbation les principes qui se dégagent des décisions de la Commission des lésions professionnelles, incite le Tribunal à faire preuve de retenue lorsqu’il est saisi d’un recours en révision et en révocation. Elle indique qu’il « ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit, une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première »[5].

[12]        La Cour d’appel ajoute que « le recours en révision ne doit pas être un appel sur les mêmes faits » et qu’une partie « ne peut ajouter de nouveaux arguments au stade de la révision »[6]. Ainsi, la Cour d’appel conclut que c’est la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur qui sont susceptibles de constituer un vice de fond de nature à invalider une décision. Le fardeau de preuve qui incombe à celui qui demande la révision ou la révocation d’une décision demeure donc relativement imposant. Dans une récente décision[7], la Cour d’appel rappelle ce principe en soulignant qu’un « vice de fond de nature à invalider une décision est une erreur fatale qui entache l’essence même de sa décision, sa validité même ».

[13]        Dans l’affaire Savoie et Camille Dubois (F), la Commission des lésions professionnelles[8], commentant ces décisions, écrit :

[18]      Toutefois, l’invitation de ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invite et incite la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.

 

 

[14]        Ces paramètres étant établis, qu’en est-il en l’espèce?

[15]        L’événement à l’origine de tous les litiges survient le 6 septembre 2011. Le travailleur ressent une douleur à la région lombaire en dégageant un lourd morceau de fer.

[16]        Devant le premier juge administratif, le travailleur conteste une décision rendue par la CSST le 10 octobre 2014 à la suite d’une révision administrative. Par cette décision, la CSST se déclare liée par l’avis du docteur S. Gagnon, membre du Bureau d’évaluation médicale, du 3 septembre 2014. Le docteur Gagnon fixe la date de consolidation de la lésion professionnelle survenue le 6 septembre 2011 au 11 juin 2014. Il retient un déficit anatomo-physiologique de 2 % en raison d’une entorse lombaire avec séquelles objectivées et décrit des limitations fonctionnelles de classe II, selon l’IRSST. Conséquemment, la CSST déclare que le travailleur a droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur sa capacité de travail. Elle cesse de payer les soins ou les traitements après le 11 juin 2014 et verse une indemnité pour préjudice corporel.

[17]        Dans le cadre de ce litige, le travailleur soulève la question de l’irrégularité de l’avis du docteur Gagnon. Le premier juge administratif précise la demande du travailleur :

[4]        Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’avis produit par le Bureau d’évaluation médicale le 3 septembre 2014 est irrégulier et que les décisions de la CSST y faisant suite sont sans effet. Il fait valoir que le membre du Bureau d’évaluation médicale a omis d’évaluer l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles en fonction du diagnostic de hernie discale L4-L5, lequel a été reconnu par la CSST dans une décision finale rendue le 2 novembre 2011. En conséquence, il lui demande de retourner le dossier à la CSST ou de retenir le pourcentage d’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles établis par le docteur Marc-André Latour, dans un rapport d’évaluation médicale produit le 15 octobre 2014.

 

 

[18]        Pour une meilleure compréhension du moyen soulevé par le travailleur devant le premier juge administratif, il importe de rappeler les faits pertinents. Le travailleur consulte le 6 septembre 2011, le jour même où est apparue cette douleur à la région lombaire. Le médecin diagnostique une entorse lombaire et soupçonne la présence d’une hernie discale. La CSST retient que l’événement a causé une entorse lombaire.

[19]        Un examen par tomodensitométrie axiale de la colonne lombaire fait le 27 septembre 2011 met en évidence une hernie discale L4-L5 centrolatérale gauche. Dans un rapport du 7 octobre 2011, le docteur Roch Lambert, médecin traitant du travailleur, retient le diagnostic de hernie discale L4-L5 qu’il maintiendra par la suite.

[20]        Le 2 novembre 2011, la CSST rend la décision suivante :

                Objet : Décision liée à un nouveau diagnostic

 

Monsieur,

 

            Nous avons reçu un rapport médical du Dr dr. Rock Lambert mentionnant le nouveau diagnostic hernie discale L4L5. Après étude de votre dossier, nous concluons qu’il y a relation entre ce diagnostic et l’événement du 2011-09-06. Cette décision n’affecte pas les autres décisions rendues dans votre dossier.   [sic]

 

 

[21]        Cette décision n’est pas contestée.

[22]        À la demande de l’employeur, le docteur Paul-O. Nadeau, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur le 6 décembre 2011. Il retient un diagnostic d’entorse lombaire, estime que celle-ci est consolidée et ce, sans atteinte permanente à l’intégrité physique et sans limitations fonctionnelles.

[23]        La docteure Claudine Morand, physiatre, examine le travailleur le 29 février 2012. À son avis, le diagnostic à retenir est celui d’une lombalgie mécanique d’origine facettaire et discogénique. Pour traiter le travailleur, elle recommande des blocs facettaires aux niveaux L4-L5 et L5-S1.

[24]        Le dossier du travailleur est soumis une première fois au Bureau d’évaluation médicale.

[25]        Le 2 mars 2012, le docteur Jean-Pierre Lacoursière, orthopédiste en sa qualité de membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. À la rubrique « Raison de l’avis », on peut lire ce qui suit :

Il s’agit d’une demande d’évaluation médicale de la part de l’employeur suite à une divergence d’opinion portant sur le diagnostic, la date de consolidation de la lésion de même que les traitements, concernant un événement survenu le 6 septembre 2011.

 

D’une part, le 5 décembre 2011, le Dr Roch Lambert, médecin traitant, retient comme diagnostic, hernie discale, fixe la consolidation à 60 jours ou moins et recommande une infiltration foraminale.

 

D’autre part, le 6 décembre 2011, monsieur Bélanger est examiné par le Dr Paul-O. Nadeau, orthopédiste désigné par l’employeur. Il retient comme diagnostic, entorse lombaire, consolide la lésion la journée même de son examen et ne recommande aucun traitement additionnel.

 

 

[26]        Le premier juge administratif rapporte ce qui suit de l’opinion du docteur Lacoursière :

[16]      [...] À son avis, le travailleur n’a pas présenté de hernie discale L4-L5, mais plutôt une entorse lombaire facettaire avec sciatalgie gauche. Il s’explique comme suit :

 

Le geste qu’a fait monsieur Bélanger le 6 septembre 2011 aurait pu provoquer une entorse lombaire ou une hernie discale lombaire. Dès le 12 septembre 2011, le Dr Cloutier parlait de sciatalgie gauche et le 19 septembre 2011, le Dr Lambert parlait d’entorse lombaire vs hernie discale.

 

Monsieur Bélanger n’a jamais eu d’irradiation dépassant les genoux. Une douleur qui part de la fesse, descend à la cuisse et ne dépassant pas le genou peut survenir suite à l’implication de l’ensemble des tissus mous para-rachidiens : ligamentaires, capsulaires, péri-facettaires, etc.

 

Les diagnostics radiologiques ne sont pas cliniques et ils constituent la simple traduction d’une image. Les examens radiologiques sophistiqués manquent de spécificité.

 

L’imagerie, comme tous les examens complémentaires, sert à confirmer (ou à infirmer) un diagnostic qui a été établi essentiellement en fonction d’un tableau clinique constitué de symptômes et de signes cliniques cohérents en regard d’une lésion spécifique.

 

Pour retenir un diagnostic de hernie discale lombaire clinique, il faut un minimum de symptômes et des signes objectifs. Pour ce qui est des symptômes, on doit retrouver une douleur dans un membre inférieur avec distribution nerveuse typique, ce qui n’est pas le cas, et des paresthésies dans un dermatome typique, ce qui n’est pas le cas non plus.

 

On peut retrouver des signes non déficitaires, comme des signes de tension et d’irritation et des signes non invalidants comme l’altération des réflexes ou invalidants comme une fonte musculaire, une faiblesse motrice ou une perte sensitive.

 

Force est de constater que monsieur Bélanger n’a pas présenté de hernie discale lombaire clinique, mais plutôt une entorse lombaire facettaire avec sciatalgie gauche.

 

 

[27]        Le docteur Lacoursière est, par ailleurs, d’avis que la lésion n’est pas consolidée et qu’elle nécessite toujours des traitements.

[28]        Le 23 mars 2012, la CSST rend la décision suivante :

            Objet : Décision de la CSST à la suite

          d’un avis du Bureau d’évaluation médicale

 

Monsieur,

 

            Vous avez reçu copie d’un avis rendu le 14 mars 2012 par un membre du Bureau d’évaluation médicale concernant l’événement du 6 septembre 2011. Cet avis porte sur le diagnostic, les soins ou traitements, la date de consolidation. La CSST, étant liée par cet avis, rend la décision suivante :

 

            - Il y a relation entre l’événement du 6 septembre 2011, pour lequel vous avez fait une réclamation, et le diagnostic établi. Vous aviez donc droit aux indemnités prévues à la loi.

 

            - Les soins ou traitements sont toujours nécessaires. La CSST continuera donc à les payer.

 

            - Compte tenu que votre lésion n’est pas consolidée, nous concluons que vous continuez d’avoir droit à des indemnités de remplacement du revenu. La durée de l’indemnisation variera selon l’évolution de votre lésion.

 

 

[29]        Cette décision n’est pas contestée.

[30]        Dans les rapports médicaux subséquents, le docteur Lambert maintient toujours le diagnostic de hernie discale L4-L5 et recommande la poursuite des traitements. Un examen par résonance magnétique de la colonne lombaire du 24 juillet 2012 démontre diverses anomalies dont une légère progression de la hernie discale L4-L5, avec compression radiculaire possible.

[31]        Le docteur Jean-François Fradet, à la demande de l’employeur, examine le travailleur le 20 août 2012. Il retient le diagnostic d’entorse lombaire et estime que cette lésion est consolidée et ce, sans atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur et sans limitations fonctionnelles.

[32]        Le dossier du travailleur est dirigé une deuxième fois au Bureau d’évaluation médicale. Le docteur Marcel Dufour, en sa qualité de membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur le 2 novembre 2012. À la rubrique « Raison de l’avis », le docteur Dufour indique :

Il s’agit d’une demande d’évaluation médicale de l’employeur à la suite d’une divergence d’opinion portant sur la date de consolidation et les traitements.

 

Le médecin traitant, le docteur Rock Lambert, écrit le 30 juillet 2012 que la lésion n’est pas consolidée et qu’il faut poursuivre les traitements: réadaptation en piscine, physiothérapie et analgésique.

 

Par ailleurs, le docteur Jean-François Fradet, médecin expert de l’employeur, affirme le 20 août 2012 que la lésion est consolidée et que les traitements ne sont plus nécessaires.

 

En relation d’un événement survenu le 6 septembre 2011, le diagnostic qui a été retenu par la CSST et qui n’est pas contesté est : entorse lombaire.

 

La notion de hernie discale L4-L5 gauche a été refusée par l’évaluation faite par le docteur Lacoursière au Bureau d’évaluation médicale.

 

 

[33]        À la suite de communications entre le docteur Dufour et le médecin conseil de la CSST, des corrections sont apportées dans un avis complémentaire du 18 février 2013.

[34]        Le premier juge administratif fait référence à cet échange de correspondances et retient ce qui suit :

[27]      Dans un second avis complémentaire daté du 18 février 2013, le docteur Dufour corrige son avis de la façon suivante :

 

Veuillez prendre note des modifications suivantes apportées à mon avis du 2 novembre 2012 et signé le 5 novembre 2012.

 

À la page 9, on doit enlever le deuxième paragraphe débutant comme suit : « Personnellement, je conclus …. » pour lire ce qui suit :

 

Concernant le diagnostic sur lequel on me demande de me prononcer, soit une entorse lombaire, j’ai noté à l’examen physique une ankylose importante dans toutes les amplitudes du rachis lombaire. Pour cette raison, j’estime que la lésion n’est pas consolidée puisqu’il y a possibilité d’améliorer la condition.

 

 

 

À l’item 3 de la même page, les traitements, on doit enlever le dernier paragraphe qui débute par : « Je recommande une consultation…. » et lire ce qui suit :

 

Je recommande que monsieur consulte en chirurgie spinale.

 

 

[35]        Le 28 mars 2013, la CSST entérine l’évaluation du docteur Dufour et poursuit le versement de l’indemnité de remplacement du revenu car la lésion n’est pas consolidée. L’employeur conteste cette décision qui est maintenue à la suite d’une révision administrative.

[36]        Puis, le 6 janvier 2014, le docteur Marc-André Latour, chirurgien orthopédiste, suggère au travailleur de passer une nouvelle résonance magnétique de la colonne lombaire. Il envisage une discoïdectomie chirurgicale. Le travailleur n’y consent pas. Le docteur Latour produit un rapport final dans lequel il inscrit le diagnostic de hernie discale L4-L5 et fixe la date de consolidation de cette lésion au 11 juin 2014. Il prévoit également des limitations fonctionnelles.

[37]        Cet avis du docteur Latour est contraire à celui émis par le docteur B. Lacasse qui fixe plutôt la date de consolidation de la lésion professionnelle au 29 avril 2014 et prévoit un déficit anatomo-physiologique de 2 % et des limitations fonctionnelles de classe II, selon l’IRSST.

[38]        Le dossier du travailleur est, pour une troisième fois, dirigé au Bureau d’évaluation médicale. Le 13 août 2014, le docteur Serge Gagnon, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. Il retient la date de consolidation fixée par le docteur Latour et conclut à la présence de limitations fonctionnelles de classe II, selon l’IRSST et un déficit anatomo-physiologique de 2 % en raison d’une entorse lombaire avec des séquelles objectivées.

[39]        Le 18 août 2014, le docteur M.-André Latour produit un rapport d’évaluation médicale. En relation avec un diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche, il reconnaît un déficit anatomo-physiologique de 12 % et des limitations fonctionnelles de classe III, selon l’IRSST. Devant le premier juge administratif, le travailleur demande de retenir ces conclusions.

[40]        Le 9 septembre 2014, la CSST entérine l’avis du docteur Gagnon et rend la décision suivante :

Objet : Décision de la CSST à la

                       suite d’un avis du Bureau d’évaluation médicale

 

Monsieur,

 

            Vous avez reçu copie d’un avis rendu le 3 septembre 2014 par un membre du Bureau d’évaluation médicale concernant l’événement du 6 septembre 2011. Cet avis porte sur les soins ou traitements, l’atteinte permanente, la date de consolidation, les limitations fonctionnelles. La CSST, étant liée par cet avis, rend la décision suivante :

 

            - Les soins ou traitements ne sont plus justifiés depuis le 11 juin 2014. La CSST doit donc cesser de les payer.

 

            - Votre lésion a entraîné une atteinte permanente. Vous avez donc droit à une indemnité pour dommages corporels. Une décision sera rendue prochainement quant au pourcentage de votre atteinte permanente et à l’indemnité qui vous sera accordée.

 

            - Compte tenu de la date de consolidation de votre lésion et de vos limitations fonctionnelles, nous concluons que vous recevrez des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que nous nous soyons prononcés sur votre capacité d’exercer un emploi.

 

 

[41]        Dans la décision dont on demande la révision, le premier juge administratif rappelle les prétentions du travailleur :

[35]      Le travailleur prétend que l’avis produit par le docteur Gagnon le 3 septembre 2014 est irrégulier puisque son évaluation des séquelles tient compte uniquement du diagnostic d’entorse lombaire, alors que le travailleur a également subi une hernie discale L4-L5. En effet, dans la décision qu’elle a rendue le 2 novembre 2011, la CSST a reconnu expressément que cette hernie était reliée à l’accident du travail du 6 septembre 2011. Cette décision n’ayant pas été contestée, le travailleur prétend qu’elle est devenue finale et que l’existence de ce diagnostic ne pouvait être remise en question, même à la suite d’un avis du Bureau d’évaluation médicale. Il dépose de la jurisprudence à l’appui de cette interprétation3.

________

3              Morin et Zellers inc., 2014 QCCLP 798; Paré et Ministère de la Sécurité publique, 2013 QCCLP 1800.

 

 

[42]        Le premier juge administratif rejette les prétentions du travailleur. Il écrit :

[36]      Le diagnostic initialement posé par le médecin traitant est une entorse lombaire et la réclamation du travailleur a d’abord été acceptée en fonction de cette base. Par la suite, le médecin traitant a retenu un nouveau diagnostic en cours d’évaluation, soit une hernie discale L4-L5. Ce diagnostic apparaît pour la première fois dans un rapport médical daté du 7 octobre 2011. Informée de ce nouvel élément, la CSST devait se prononcer sur le lien possible entre cette hernie et l’accident du travail. Pour ce faire, elle était liée par le diagnostic retenu par le médecin traitant, comme le prévoit l’article 224 de la loi :

 

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

[37]      Cette disposition confère un caractère péremptoire à l’opinion du médecin traitant, sans toutefois lui donner un effet irrévocable4. L’article 224 de la loi précise en effet que la CSST est liée par l’opinion du médecin traitant, sous réserve de l'article 224.1 de la loi, lequel réfère à un avis rendu par le Bureau d’évaluation médicale à la suite de la procédure de contestation médicale prévue aux articles 204 à 225 de la loi.

 

[38]      L’employeur s’est d’ailleurs prévalu de cette procédure de contestation, en faisant examiner le travailleur par un professionnel de la santé de son choix, le docteur Paul-O. Nadeau5. Dans son rapport produit le 6 décembre 2011, celui-ci se prononce sur le diagnostic et sur les autres questions médicales comme le prévoit l’article 212 de la loi. Son opinion sur l’ensemble de ces questions étant différente de celle du médecin traitant, la CSST a demandé à ce dernier de produire un rapport complémentaire et elle a ensuite dirigé la contestation au Bureau d’évaluation médicale, respectant ainsi les articles 212.1 et 217 de la loi :

 

212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

___________

1997, c. 27, a. 5.

 

 

217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.

__________

1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.

 

[39]      Le docteur Jean-Pierre Lacoursière, du Bureau d’évaluation médicale, a examiné le travailleur le 2 mars 2012. Dans son avis motivé produit le 14 mars 2012, il n’a retenu que le diagnostic d’entorse lombaire, en plus de donner son opinion sur les sujets 2 et 3 de l’article 212 de la loi.

 

[40]      Le 23 mars 2012, la CSST a rendu une décision pour donner suite à l’avis du docteur Lacoursière. Comme à son habitude, la CSST ne reproduit pas les conclusions apparaissant dans l’avis. Elle mentionne uniquement les sujets qui y sont traités (diagnostic, date de consolidation et soins et traitements), tout en précisant qu’elle est liée par cet avis. Cette décision a été confirmée par la révision administrative, le 12 avril 2012 à la suite d’une demande de révision de la part de l’employeur. Il n’y a pas eu de contestation à la Commission des lésions professionnelles.

 

[41]      En rendant la décision du 23 mars 2012, la CSST s’est conformée à l’article 224.1 de la loi :

 

224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

               

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

 

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

___________

1992, c. 11, a. 27.

 

[42]      Les prétentions du travailleur démontrent une mauvaise compréhension du rôle confié par le législateur aux membres du Bureau d’évaluation médicale et de la portée d’une décision qui est rendue par la CSST à la suite des avis qu’ils rendent.

 

[43]      Le Bureau d’évaluation médicale est une institution essentielle du régime d’indemnisation québécois. Ses membres sont nommés selon une procédure particulière décrite à l’article 216 de la loi. Leur seule et unique (et très importante) fonction consiste à trancher les désaccords qui existent à propos des questions médicales. C’est ce qui ressort clairement de l’article 221 de la loi en précisant qu’un membre du Bureau d'évaluation médicale peut infirmer ou confirmer le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la CSST ou l'employeur, ou y substituer les siens, s’il y a lieu :

 

221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

 

[44]      Même si les membres du Bureau d’évaluation médicale produisent des « avis motivés », le législateur leur confie un rôle décisionnel dans la mesure où, une fois rendus, ces avis ont pour effet de lier la CSST6.

 

[45]      Un avis du Bureau d’évaluation médicale entraîne des conséquences juridiques majeures pour les parties. D’une part, la CSST n’est plus liée par le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge, si ceux-ci ont été modifiés par le Bureau d’évaluation médicale. L’opinion du médecin traitant perd ainsi le caractère péremptoire que lui confère l’article 224 de la loi, puisque, de toute évidence, la CSST ne peut être liée par deux opinions différentes sur un même sujet7. D’autre part, la seule façon de remettre en question les conclusions du Bureau d’évaluation médicale consiste à contester la décision rendue par la CSST en vertu de l’article 224.1 de la loi en ayant recours à la procédure prévue aux articles 358 et 359 de la loi.

 

[46]      En l’espèce, le Bureau d’évaluation médicale a clairement rejeté, dans son avis du 14 mars 2012, le diagnostic de hernie discale L4-L5 retenu par le médecin traitant. Ce diagnostic ne liait donc plus la CSST. La décision faisant suite à cet avis n’ayant été contestée par aucune des parties, elle est devenue finale et ne peut être remise en question ici.

 

[47]      À l’audience, le travailleur explique qu’il n’a pas contesté les décisions mentionnées plus haut en raison de leur manque de clarté. En effet, ni la décision du 23 mars 2012 ni celle du 12 avril 2012, rendues à la suite d’une révision administrative, ne mentionnent spécifiquement que le Bureau d’évaluation médicale a rejeté le diagnostic de hernie discale L4-L5.

 

[48]      Il est vrai que les décisions rendues par la CSST en application de l’article 224.1 de la loi pourraient être améliorées en reprenant textuellement les conclusions retenues par le Bureau d’évaluation médicale, voire même en spécifiant que la CSST n’est plus liée par le diagnostic du médecin traitant. Il faut toutefois considérer que ces décisions sont rendues dans un contexte particulier, dont il faut tenir compte ici. Le travailleur admet avoir reçu l’avis du docteur Lacoursière, lequel ne présente aucune ambiguïté à propos du diagnostic à retenir. Cet avis se présente sous la forme habituelle : les sujets traités apparaissent en introduction; le docteur Lacoursière explique les raisons qui l’amènent à rejeter la hernie discale dans sa discussion; et le diagnostic qu’il retient apparaît clairement dans le dispositif de ses conclusions. Sur le plan de la clarté, il est difficile de faire plus. Ayant pris connaissance de cet avis, le travailleur avait suffisamment d’informations pour comprendre que le diagnostic de son médecin avait été modifié et qu’il n’était plus retenu par la CSST.

 

[49]      Ceci étant dit, même si le soussigné donnait raison au travailleur à propos du manque de clarté des décisions en cause, il ne pourrait, dans le cadre de la présente requête, y changer quoi que ce soit. Les pouvoirs de la Commission des lésions professionnelles sont définis par l’article 377 de la loi, soit confirmer, modifier ou infirmer la décision de la CSST qui a été contestée par le travailleur dans sa requête, soit celle du 10 octobre 2014.

 

[50]      Le travailleur devait contester formellement la décision du 12 avril 2012 conformément à l’article 359 de la loi. Une note au dossier révèle qu’il avait compris, à tout le moins le 27 septembre 2012, que le diagnostic de hernie discale n’était plus retenu8. C’est dans ce contexte que son argument aurait pu servir à justifier un retard à contester.

__________

4              Hamza et MRC Gros Fruits Canadawide inc., C.L.P. 409115-71-1004, 22 décembre 2010, J.-F. Martel.

5              Article 209 de la loi.

6              Sous réserve de certaines conditions de validité de l’avis, notamment le respect du délai de production mentionné à l’article 224.1 de la loi.

7                     Failla et Chem-tech Environnement inc., C.L.P. 253208-72-0501, 20 septembre 2005, Y. Lemire (requête en révision rejetée, C.L.P. 253208-72-0501, 7 avril 2006, L. Nadeau); Divex Marine inc. et Bujold, C.L.P. 172633-62B-0111, 22 octobre 2003, Y. Ostiguy.

8              La note se lit comme suit : « T se dit lésé que le BEM n’ait pas retenu de dx d’hernie discale, puisque les examens ont ensuite préciser son dx […] ». [sic]

 

 

[43]        De l’avis du travailleur, le premier juge administratif commet une erreur de droit révisable car son raisonnement a pour effet d’écarter le principe de la stabilité des décisions rendues par la CSST. Le 2 novembre 2011, la CSST a reconnu la relation entre le diagnostic de hernie discale L4-L5 et l’événement du 6 septembre 2011. Cette décision n’est pas contestée. Le travailleur prétend que le premier juge administratif ne pouvait conclure que la décision de la CSST donnant suite à l’avis du docteur Lacoursière la remplaçait puisqu’elle était devenue finale et irrévocable. Le procureur du travailleur appuie ses prétentions, la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Paré et Ministère de la Sécurité Publique et CSST[9].

[44]        Le Tribunal rejette la requête en révision.

[45]        Devant le premier juge administratif, le travailleur prétend que l’évaluation des limitations fonctionnelles et de l’atteinte permanente résultant de la lésion professionnelle survenue le 6 septembre 2011 aurait dû être faite non seulement en fonction d’un diagnostic d’entorse lombaire, mais également en considérant celui de hernie discale L4-L5 lequel, selon la décision rendue le 2 novembre 2011 par la CSST, est en relation avec la lésion initiale. Puisque l’opinion du docteur Serge Gagnon, membre du Bureau d’évaluation médicale, concernant les limitations fonctionnelles et l’atteinte permanente à l’intégrité physique ne tient pas compte de ce diagnostic, elle doit être écartée. En conséquence, le tribunal aurait dû retenir l’avis du docteur Latour, médecin traitant du travailleur, qui le 18 août 2014, reconnaissait en lien avec un diagnostic de hernie discale L4-L5, des limitations fonctionnelles de classe III selon l’IRSST et une atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur de 12 %.

[46]        Le premier juge administratif expose clairement la portée de la décision rendue par la CSST le 2 novembre 2011. Il rappelle que le diagnostic de hernie discale L4-L5 est posé par le médecin traitant du travailleur le 7 octobre 2011. Le diagnostic est une question médicale sur laquelle, comme le prévoit la loi, l’opinion du médecin traitant est souveraine. La CSST s’est prononcée sur la relation entre ce diagnostic et l’événement imprévu et soudain survenu au travail. Conformément à l’article 224 de la loi, cette question est d’ordre juridique et il revient à la CSST d’en décider.

[47]        Le premier juge administratif ajoute avec justesse que cette disposition confère un caractère péremptoire à l’opinion du médecin traitant, mais celle-ci n’a pas d’effet irrévocable considérant les termes de l’article 224.1 de la loi :

224.1.  Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

 

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

[48]        C’est l’interprétation que fait le premier juge administratif des dispositions légales pertinentes à la solution du litige soumis par le travailleur. Cette interprétation s’appuie notamment sur une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue dans l’affaire Hamza et MRC Gros fruits Canadawide inc.[10] dans laquelle le Tribunal écrit :

[34]      La procédure d’évaluation médicale prévue à la loi a pour but, quant au premier sujet mentionné à l’article 212 (le diagnostic), d’identifier la lésion subie par le travailleur.  C’est une question essentiellement médicale8.  Elle est du ressort du médecin qui a charge du travailleur ou, le cas échéant, du membre du Bureau d’évaluation médicale saisi du différend à cet égard.

 

[35]      L’objet de la décision rendue par la CSST est bien différent.  Elle détermine si la lésion diagnostiquée a été causée ou non par l’accident dont le travailleur a été victime ; elle statue quant au lien causal.  C’est une question d’ordre juridique9.  Elle est du ressort exclusif de la CSST10 et des autres instances, advenant que les recours appropriés soient exercés.

 

[36]      Le législateur a clairement reflété cette distinction dans le texte même des articles 224 et 224.1 de la loi :

 

[...]

 

[37]      Dans ces deux articles, la loi énonce clairement la règle voulant que la CSST ne détermine pas le diagnostic de la lésion ; elle doit rendre ses décisions « en conséquence » du ou des diagnostics retenu(s) par d’autres, les médecins, par lesquels elle est liée11.

 

[38]      Les deux domaines de responsabilité (identifier la pathologie -vs- dire si elle a une cause professionnelle) échoient à des personnes différentes : les médecins, dans le premier cas, la CSST, dans le second.

 

[39]      Ainsi, la décision rendue le 14 mai 2009 ne posait pas un diagnostic lésionnel, soit l’existence même d’une sacro iliite chez le travailleur ; elle déclarait simplement qu’un tel diagnostic était en relation avec l’événement survenu le 12 avril 2008.

 

[40]      La Commission des lésions professionnelles a décidé en ce sens dans l’affaire Les Carrelages Centre du Québec12 :

 

[71]      De plus, ce n’est pas parce que la CSST a rendu une décision sur la question de la relation entre les hernies discales et l’événement initial qu’elle était empêchée de référer le dossier sur la question du diagnostic et des autres sujets prévus à l’article 212 au Bureau d’évaluation médicale.

 

[72]      Lorsqu’elle a rendu sa décision du 9 septembre 2003, la CSST ne faisait qu’appliquer la loi, plus précisément son article 224 qui se lit comme suit :

 

[Reproduction de la citation de l’article 224 de la loi omise]

 

[73]      Suite au nouveau diagnostic de hernies discales, qui n’était pas encore contesté, la CSST demeurait, temporairement du moins, liée par ce diagnostic et devait se prononcer sur sa relation avec la lésion initiale. Ce faisant, elle n’a pas rendu de décision sur la reconnaissance de l’existence même de ces diagnostics. Elle n’a donc fait que prendre acte de l’existence présumée temporairement de hernies discales et s’est prononcée sur la question de la relation.

 

[74]      Cela ne l’empêchait aucunement d’exercer les droits prévus par les articles 204 et suivants non pas quant à la relation entre les hernies et l’événement initial mais quant à leur existence même, question qui relève du médecin traitant ou subsidiairement du membre du Bureau d’évaluation médicale.

 

[75]      Comme elle en a le droit, et dans un délai acceptable, la CSST a référé le dossier au Bureau d’évaluation médicale et elle devenait alors liée par l’avis du membre de ce Bureau, notamment quant au diagnostic et ce, en vertu de l’article 224.1 qui se lit comme suit :

 

[Reproduction de la citation de l’article 224.1 de la loi omise]

 

[76]      Il ne s’agit donc pas de reconsidérer une décision passée mais de donner application à la volonté du législateur à l’effet que la CSST et la Commission des lésions professionnelles soient liées par les conclusions du Bureau d’évaluation médicale sous réserve des droits de contestation des parties.

 

[77]      Dans Vaillancourt et CHUS Hôpital Fleurimont et autres7, la commissaire s’exprime comme suit :

 

[…]

 

En vertu de cette disposition (article 224.1), parce qu’il faut différencier les conclusions médicales qui la lient de la « décision en conséquence » à rendre, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette dernière notion ne peut faire référence qu’aux conséquences juridiques et amener la CSST à statuer sur les droits qui découlent de ces conclusions médicales

 

À cet effet, rappelons que la Loi ne permet pas à la CSST d’apprécier les questions médicales. Elle est liée par l’avis du médecin ayant charge du travailleur (article 224 de la Loi) ou par l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale (article 224.1 de la Loi). En ce sens, la notion de « rend une décision en conséquence » s’inscrit obligatoirement dans le processus d’appréciation juridique que doit faire la CSST à partir des conclusions médicales qui la lient.

 

La Commission des lésions professionnelles estime que d’empêcher la CSST de statuer sur la relation entre la lésion nouvellement diagnostiquée et l’événement serait un non-sens et rendrait le processus d’évaluation médicale stérile sans conséquence, voir inutile. Dans le cadre d’une loi qui vise la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent, quelle serait l’utilité de connaître la nature de la lésion que présente un travailleur sans jamais pouvoir statuer s’il existe une relation avec l’événement sous prétexte que l’on a déjà reconnu une autre lésion qui, de plus, n’est peut-être pas la bonne.

 

[…]

 

[79]      La différence qui existe entre les questions de l’existence du diagnostic et du lien entre ce diagnostic et un événement a été bien cernée par la jurisprudence au fil des ans. Ainsi, dans l’affaire C.U.M. et Blouin8, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles établissait que le lien de causalité entre une pathologie et un événement donné ne relevait pas du processus d’arbitrage médical prévu à cette époque, lequel a été remplacé par la référence au Bureau d’évaluation médicale9.

 

[80]      Ceci met en exergue la différence qui existe entre la question de l’existence d’un diagnostic et celle de la relation avec l’événement initial. On ne peut ainsi conclure que le fait pour la CSST de se prononcer sur la question de la relation médicale entre un diagnostic et une lésion l’empêchait de contester un diagnostic par le processus de référence au Bureau d’évaluation médicale puisqu’il s’agit là de deux questions distinctes.

 

[81]      Le législateur a d’ailleurs prévu que, en prenant acte de l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale, la CSST pouvait être amenée à corriger le tir face à certaines décisions rendues auparavant et c’est pourquoi il a prévu l’article 224.1 de la Loi.

 

(Soulignements ajoutés par le soussigné)

 

___________________

7       C.L.P. 156697-05-0103, 7 avril 2003, D. Beauregard

8       [1987] C.A.L.P. 62

9       Voir aussi Marcotte c. Brazeau, [1987] C.A.L.P. 723, Cour supérieure, requête pour rejet d’appel accueilli, Cour d’appel Québec 200-09-000715-0877, 4 août 1993, juge Lebel; Duplantis c. C.A.L.P., [1988] C.A.L.P. 911, Cour supérieure

 

 

[41]      La même interprétation de la loi a été appliquée dans Larue et C-Mac Network System13 :

 

[40]      La Commission des lésions professionnelles estime que le législateur a prévu à l'article 224.1 l'obligation de la CSST de rendre une décision en conséquence afin de donner un effet juridique à la procédure au Bureau d’évaluation médicale.

 

[50]      Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que la décision du 19 juin 2003 n'avait pas acquis le caractère de la chose jugée en ce qui a trait à la détermination du diagnostic et de son caractère professionnel puisqu'au moment où elle s'est prononcée sur l'admissibilité de la réclamation pour lésion professionnelle du 21 avril 2003, la CSST n'avait aucune discrétion sur les diagnostics posés par le médecin qui a charge de madame Larue.

 

[51]      Il est vrai que l'agent de la CSST a consulté le médecin régional de la CSST avant de rendre sa décision sur l'admissibilité et que ce dernier a indiqué, dans une note évolutive du 19 juin 2003, qu'il était d'avis qu'il existait une relation entre les diagnostics posés par le médecin qui a charge et l'événement initial du 4 décembre 2001.

 

[52]      Toutefois, le fait que la CSST ait rendu la décision du 19 juin 2003 par laquelle elle déclare que madame Larue a subi une lésion professionnelle le 21 avril 2003 ne fait pas obstacle au droit de la CSST prévu par l'article 204 d’exiger de madame Larue qu'elle se soumette à l'examen de son professionnel de la santé ni à celui prévu par l'article 206 de soumettre le rapport de ce professionnel de la santé au Bureau d’évaluation médicale.

 

[53]      Le libellé de l'article 204 révèle que la CSST peut exiger qu'un travailleur se soumette à l'examen de son professionnel de la santé dans la mesure où ce travailleur est victime d'une lésion professionnelle.

 

[54]      Une décision d'admissibilité sur la base du diagnostic posé par le médecin qui a charge doit donc nécessairement avoir été rendue pour que la CSST puisse exiger un tel examen et, par la suite, soumettre le rapport ainsi obtenu au Bureau d’évaluation médicale.

 

(Soulignements ajoutés par le soussigné)

 

[42]      Le même raisonnement a été suivi dans Villiard et Entreprises d’électricité Rial inc14.

 

[Références omises]

 

 

[49]        Force est de constater qu’il s’agit d’une question d’interprétation des règles de droit applicable. Le travailleur soumet à l’attention du Tribunal une décision de la Commission des lésions professionnelles qui, dans une affaire présentant des similitudes avec celle-ci concluait autrement, en retenant une interprétation différente. Le recours en révision n’est pas une occasion d’obtenir une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première.

[50]        En l’espèce, il est clair que le travailleur tente de faire indirectement ce qu’il n’a pas fait directement et, en temps opportun, soit contester la décision de la CSST rendue le 23 mars 2012 qui entérinait l’opinion du docteur Lacoursière dont l’avis principal porte sur le diagnostic de la lésion professionnelle survenue le 6 septembre 2011.

[51]        La requête en révision est rejetée puisque la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 10 mars 2015 ne comporte pas de vice de fond de nature à l’invalider.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la requête en révision déposée par monsieur Michel Bélanger.

 

 

 

__________________________________

 

 

MARIE BEAUDOIN

 

 

 

M. Michel Julien

C.M.S. CONSULTANTS

Pour la partie demanderesse

 

Date de l’audience :             9 décembre 2015

 



[1]          RLRQ, c. T-15.1.

[2]           RLRQ, c. A-3.001.

[3]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[4]           C.A. Montréal 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette et Bich.

[5]           Précitée, note 3.

[6]           Précitée, note 3.

[7]          Moreau c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2014 QCCA 1067.

[8]           C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau. Voir aussi : Roy et Stapels Canada inc., 2011 QCCLP 3709.

[9]           2013 QCCLP 1800; Morin et Zellers et CSST, 2014 QCCLP 798.

[10]         C.L.P. 409115-71-1004, 22 décembre 2010, J.-F. Martel.

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