Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Boudreau et Construction Dupont & Chagnon inc.

2012 QCCLP 903

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

6 février 2012

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

438148-62B-1105

 

Dossier CSST :

133393553

 

Commissaire :

Michel Watkins, juge administratif

 

Membres :

Claude Jutras, associations d’employeurs

 

Noëlla Poulin, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Jean-Yves Dansereau, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Bernard Boudreau

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Construction Dupont & Chagnon inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 9 mai 2011, monsieur Bernard Boudreau, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 mai 2011 lors d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST donne suite à un avis rendu le 23 mars 2011 par le Dr Pierre Beaumont, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. Dans son avis, le membre du Bureau d’évaluation médicale a retenu que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 5 janvier 2011, sans nécessité de soins additionnels après cette date et que le travailleur conserve de sa lésion un déficit anatomo-physiologique de 1 % mais aucune limitation fonctionnelle.

[3]           En conséquence, la CSST confirme une première décision rendue le 1er avril 2011, déclare qu’elle est justifiée de cesser de payer les soins ou les traitements depuis le 5 janvier 2011 puisqu’ils ne sont plus justifiés. De même, la CSST déclare qu’à compter de cette date, le travailleur est capable de reprendre son emploi puisque sa lésion est consolidée sans limitations fonctionnelles de sorte qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Enfin, la CSST déclare que le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel étant donné la présence d’une atteinte permanente.

[4]           Par cette même décision, la CSST confirme une seconde décision, rendue le 30 mars 2011 et déclare que le travailleur est porteur d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 1,10 %, lui donnant droit de recevoir une indemnité pour dommages corporels de 904 $, plus intérêts.

[5]           L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 30 novembre 2011 en présence du travailleur et de son représentant. L’employeur et la CSST ont informé le tribunal de leur absence à l’audience. La CSST a produit le 28 novembre 2011 une argumentation par laquelle elle demande de rejeter la requête du travailleur.

[6]           Au terme de l’audience, le tribunal a informé le procureur de la CSST du fait qu’une question préliminaire avait été soulevée par le représentant du travailleur quant à la régularité de la demande d’évaluation médicale au Bureau d’évaluation médicale auprès du Dr Beaumont et lui a fait parvenir les documents produits à l’audience.

[7]           Le 7 décembre, la représentante de la CSST a fait parvenir au tribunal une courte argumentation par laquelle elle soumet que le processus demandé d’évaluation médicale en l’espèce n’est pas irrégulier et doit être maintenu. Quant au mérite du litige, la représentante de la CSST s’en remet à son argumentation précédente, produite au tribunal avant l’audience du 30 novembre 2011. Le dossier est alors mis en délibéré.

[8]           Le 5 janvier 2012, le soussigné constate que l’employeur n’a pas été informé de la question préliminaire soulevée à l’audience quant à la régularité de l’avis du Dr Beaumont, membre du Bureau d’évaluation médicale. Malgré le délibéré entrepris, le tribunal écrit à la représentante de l’employeur à ce sujet et lui fait parvenir les documents pertinents, y inclus l’argumentation produite par la CSST le 7 décembre 2011 et lui accorde une semaine pour produire sa propre argumentation, si jugé nécessaire. Le tribunal n’a reçu aucun commentaire de la part de l’employeur.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[9]           D’emblée, le procureur du travailleur a soulevé en début d’audience un moyen préliminaire quant à la régularité du processus ayant mené à l’évaluation médicale du Dr Beaumont, membre du Bureau d’évaluation médicale, le 23 mars 2011.

[10]        Il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer cette procédure d’évaluation médicale irrégulière quant aux questions de l’évaluation de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique et des limitations fonctionnelles, de sorte qu’il demande au tribunal de se déclarer lié à l’opinion du Dr Godbout, médecin ayant charge du travailleur sur ces sujets.

[11]        Par ailleurs, il demande au tribunal de constater qu’il n’est pas saisi de la question de l’existence d’une capsulite chez le travailleur et que la CSST doit d’abord se prononcer sur l’admissibilité de ce diagnostic en lien avec la lésion professionnelle du travailleur.

[12]        À cet égard, le procureur du travailleur informe le tribunal qu’une demande en ce sens sera présentée sous peu à la CSST.

[13]        En résumé, sur le mérite de la contestation et sous réserve de la décision que rendra le tribunal quant à la question préliminaire soulevée, le procureur du travailleur demande au tribunal de déclarer que le tribunal devrait retenir chez le travailleur les limitations fonctionnelles ainsi que le pourcentage d’atteinte permanente de 6 % établis par le Dr Ferron, médecin désigné de la CSST puisqu’à son avis, le Dr Godbout s’est dit d’accord avec les conclusions du Dr Ferron sur ces deux sujets.

LES FAITS

[14]        De l’analyse du dossier, des documents produits à l’audience et des argumentations produites, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.

[15]         Le 10 mars 2008, le travailleur présente une réclamation à la CSST en raison de douleurs aux épaules qu’il attribue à l’exercice de son métier de menuisier et à un accident du travail subi en septembre 2001 alors qu’il oeuvrait chez le même employeur, Construction Dupont & Chagnon inc. Cette réclamation situe cette demande au 11 novembre 2007, date où il aurait été informé par son médecin traitant que ses problèmes aux épaules pourraient découler de son travail. Le travailleur demande alors qu’on reconnaisse qu’il a subi à cette date une maladie professionnelle dont les diagnostics posés par son médecin traitant sont ceux de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite et de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

[16]        Ainsi le Dr Auger, médecin du travailleur, écrit la lettre suivante le 11 novembre 2007[1] :

Mr Boudreau a subi un accident de travail le 07 septembre 2001. Il présentait alors une cervico-brachialgie gauche, une dorsalgie gauche, une lombalgie avec irradiation à la fesse gauche et une douleur à l’épaule gauche. La douleur s’est rapidement propagée aux deux épaules.

 

L’investigation des épaules a montré (échographie de mai 2002) une déchirure du sus-épineux gauche avec accrochage et un accrochage à l’épaule droite sans déchirure.

 

Mr Boudreau est actuellement compensé par la CSST qui ne reconnaît qu’une entorse dorso-lombaire gauche et une contusion à l’épaule gauche, sans tenir compte de la déchirure à l’épaule gauche.

 

Malheureusement, la douleur persiste et même a progressivement augmenté aux deux épaules et au niveau dorsal gauche. Il a reçu des infiltrations aux deux épaules sans aucune amélioration c’est-à-dire Dr Jean Rémillard (physiatre) infiltre l’épaule gauche le 30-05-2002 et le Dr Charles BouFarah (orthopédiste) infiltre les deux épaules le 01-10-2007.

 

Une résonnance magnétique des deux épaules en septembre 2007 a montré une bursite sous-acromio-deltoïdienne aux deux épaules, un accrochage bilatéral et une déchirure du sus-épineux à gauche.

 

Mr Boudreau est droitier et étant donné la nature de son travail, c’est-à-dire menuisier qui doit souvent travailler au plafond, les bras en extension, au-dessus des épaules, pour clouer ou soutenir des matériaux, je crois qu’il faut considérer ce problème dans un contexte plus global de maladie professionnelle pour expliquer sa bursite et sa tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite et sa bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche. [sic]

 

[17]        À la période contemporaine du 11 novembre 2007, différents tests paracliniques avaient été réalisés, révélant certaines discordances.

[18]        Ainsi le 29 juin 2007, une échographie de l’épaule droite du travailleur est faite. Le Dr Duong, radiologiste, est d’avis que cette échographie est dans les limites de la normale et qu’il n’y a pas de déchirure de la coiffe décelée. Une échographie de l’épaule gauche est également faite. Le radiologiste note :

Comparativement à l’examen du 22 décembre 2004, la petite déchirure documentée lors du dernier examen n’a pas pu être identifiée. Le tendon du sus-épineux nous paraît actuellement intact. Par ailleurs, le sous-épineux, le sous-scapulaire et la longue portion du biceps sont normaux.

 

[19]        Le 1er septembre 2007, une investigation par échographie des deux épaules est faite à la Clinique Radiologie VARAD. Le rapport indique ceci :

Échographie des deux épaules : Étude de l’épaule droite ne démontrant pas de déchirure. Pas de calcification. Pas d’anomalie de la longue portion  bicipitale ou d’anomalie acromio-claviculaire. Toutefois, on dénote un accrochage qualifié de léger à modéré à l’élévation tant en position neutre, rotation interne qu’en rotation externe. L’accrochage se fait surtout aux dépens de la portion moyenne du sus-épineux.

 

L’étude de l’épaule gauche laisse suspecter une déchirure partielle du sus-épineux s’étendant sur environ 6 mm, elle est en portion franchement centrale du tendon. Le tout est accompagné d’ailleurs de phénomènes dégénératifs significatifs au site d’insertion du même tendon du sus-épineux sur la grosse tubérosité. Micro-calcifications au niveau du sous-scapulaire. Pas d’atteinte de la longue portion bicipitale ou du sous-épineux.

 

Très important accrochage lors de l’élévation du bras et ce à une angulation d’environ 30 degrés. Il y a compression significative de la coiffe et empêchement aux mouvements d’élévation habituelle.

 

Opinion : accrochage très sévère à gauche. Déchirure partielle du sus-épineux gauche. Léger accrochage droit sans déchirure.

 

[20]        Le 6 septembre 2007, une résonance magnétique de l’épaule droite est faite. Le radiologiste rapporte ceci :

Interprétation : aspect et signal dans les limites de la normale des tendons de la coiffe des rotateurs, c’est-à-dire du tendon supra et infra-épineux, du petit rond et du sous-scapulaire. Pas d’évidence de déchirure. Aspect et signal également dans les limites de la normale du tendon de la longue portion du biceps qui est en position anatomique dans sa gouttière.

 

Il y a un petit signal liquidien de 1 ou 2 mm au niveau de la bourse sous-acromial sous-deltoïdienne pouvant témoigner d’une légère bursite. Pas d’épanchement intra-articulaire significatif, par ailleurs.

 

Aspect dans les limites de la normale de l’articulation gléno-humérale et acromio-claviculaire. Il n’y pas d’épanchement intra-articulaire significatif. L’acromion est de type II à II selon la classification de Bigliani.

 

Les tissus mous des principaux groupes musculaires au niveau de l’épaule droite m’apparaissent sans grande particularité. Les fosses supra-scapulaires, spino-glénoïdiennes de même que l’espace quadrilatéral m’apparaissent libres sans effet de masse.

 

Impression : légère bursite sous-acromiale sous deltoïdienne.

Aspect par ailleurs dans les limites de la normale de la coiffe des rotateurs. Pas d’évidence de déchirure ni de tendinopathie. [sic]

 

[21]        Enfin, le 11 septembre 2007, une résonance magnétique de l’épaule gauche est réalisée. La radiologiste rapporte ceci :

Pas d’épanchement intra-articulaire. Bursite sous-acromio-deltoïdienne modérée. Légère tendinopathie distale du sus-épineux avec probable petite déchirure de quelques fibres infra-substances distales près de l’insertion sur environ 3 mm de diamètre. Les tendons du sous-épineux, sous-scapulaires, petit rond et la longue portion du biceps sont sans particularité. L’acromion est de type 2. Il n’y a pas de changement dégénératif significatif acromio-claviculaire. Pas d’atrophie musculaire ou de lésion musculaire suspecte. L’espace quadrilatérale et la fosse glénoïdienne sont libres.

 

Conclusion : bursite sous-acromio-deltoïdienne modérée avec légère tendinopathie du sus-épineux et petite déchirure infra-substance, tel que décrit ci-haut. [sic]

 

[22]        Cette réclamation du travailleur, initialement refusée par la CSST, sera acceptée par la Commission des lésions professionnelles dans une décision rendue le 28 avril 2010[2]. Le juge administratif Daigneault détermine alors que le travailleur a subi le 11 novembre 2007 une maladie professionnelle. Il énonce :

[46]  Les diagnostics non contestés sont ceux de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite et de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche. Le travailleur soumet au tribunal que la présomption prévue à l’article 29 de la loi ne s’applique probablement pas à son dossier. Il prétend cependant que sa maladie doit être reconnue sous les dispositions de l’article 30 de la loi.

 

[47]  Le travailleur doit donc démontrer que la maladie dont il est atteint est caractéristique du travail qu’il a exercé au cours des années ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail, tel que le prévoit l’article 30 de la loi.

 

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

[48]  Le travailleur n’a présenté aucune preuve qui tend à démontrer que la bursite et la tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite et la bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche sont caractéristiques de son travail. Il lui reste à faire la preuve que sa maladie est reliée directement aux risques particuliers de son travail.

 

[49]  La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur a fait cette preuve, et ce, pour les raisons suivantes.

 

[50]  Le travailleur a fait une preuve convaincante qu’au cours de ses années de travail, il a dû utiliser de façon importante ses membres supérieurs, et plus particulièrement ses épaules, dans l’exécution de ses tâches.

 

[51]  La Commission des lésions professionnelles retient de la preuve que de 1977 à 1981, chez Marine Industrie limitée, le travailleur a eu à travailler principalement les bras dans les airs lors de l’installation de plafonds suspendus. Les panneaux pesaient environ 150 livres chacun.

 

[52]  En 1984 et 1985, chez Fabsbec inc., le travailleur travaillait souvent les bras dans les airs pour faire les soudures et faire le meulage de celles-ci lors de la fabrication des portes de bateaux.

 

[53]  De 1989 à 1994, le travailleur travaille à la construction de maisons dans le Grand Nord.

 

[54]  Il s’agit d’un travail qui l’occupe six mois par années à raison de 54 jours consécutifs, 12 heures par jour, sept jours par semaine, suivis de 10 jours de congé

.

[55] Le travail est particulièrement exigeant en raison de la qualité de la construction nécessaire pour résister à la rigueur du climat.

 

[56] Tout est plus gros, tout est plus lourd et demande, nécessairement, plus d’effort dans l’exécution du travail du travailleur.

 

[57]  Les tâches décrites par le travailleur convainquent le tribunal de l’effort exigé des membres supérieurs et des épaules.

 

[58]  Durant les autres années, entre 1977 et 2001, le travailleur a occupé différents emplois dans le coffrage et dans la construction résidentielle.

 

[59]  Encore une fois, le témoignage du travailleur a convaincu la Commission des lésions professionnelles des efforts et des positions contraignantes exigés du travailleur impliquant ses épaules pour conclure que le travail du travailleur est responsable de la maladie dont il est atteint.

 

[60]  Le tribunal retient, entre autres, la manipulation de panneaux pour la fabrication de solage, la manipulation des fermes de toit, des paquets de bardeaux d’asphalte, le transport et la pose des panneaux de gypse et l’enlèvement des vieux bardeaux sur les toits.

 

[61]  La Commission des lésions professionnelles retient aussi l’opinion du docteur Auger qui, à plusieurs reprises, identifie le travail du travailleur comme étant responsable de ses lésions aux épaules.

 

[62]  En conséquence, et pour toutes ces raisons, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 11 novembre 2007. »

 

(Les soulignements sont du soussigné)

 

[23]        Par la suite, le suivi médical au dossier révèle que le 8 juillet 2010, le Dr Godbout pose toujours le diagnostic de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs gauche.

[24]        Le 19 août 2010, une arthrographie de l’épaule gauche est effectuée et l’on procède à cette occasion à une ponction articulaire gléno-humérale gauche effectuée sous guidage fluoroscopique.

[25]        Le 23 septembre 2010, le Dr Godbout pose de nouveau le diagnostic de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs gauche, tout comme le 22 novembre 2010. À cette occasion, une demande de traitements de chiropractie est faite.

[26]        Par ailleurs, le 22 novembre 2010, le Dr Godbout indique également, pour la première fois, le diagnostic de capsulite bilatérale et il suggère une arthrographie distensive pour le travailleur.

[27]        Le 21 décembre 2010, le Dr Godbout signe une « prescription » pour une arthrographie distensive aux deux épaules.

[28]        Le 5 janvier 2011, le travailleur est examiné par le Dr Serge Ferron, chirurgien orthopédiste, à la demande de la CSST. On indique, dans le mandat qu’on lui accorde, que le diagnostic retenu au dossier est celui de bursite et tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite et tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche. On lui demande alors de se prononcer sur la date de consolidation de la lésion, sur la nécessité des soins pour cette lésion ainsi que sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique et les limitations fonctionnelles que pourrait conserver le travailleur en lien avec sa lésion professionnelle.

[29]        À son examen objectif des épaules, le Dr Ferron rapporte ceci :

 

Droite

Gauche

Flexion

180°

Actif       160°

Passif    180° [3]

Extension

50°

50°

Rotation interne

75°

75°

Rotation externe

80°

80°

Abduction

150°

Actif       120°

Passif    150°

Adduction[4]

25°

25°

 

[30]        Le Dr Ferron rapporte également ceci :

La palpation des articulations acromio-claviculaires et sterno-claviculaires, des clavicules est négative. La palpation de la longue portion du biceps démontre une sensibilité augmentée à 1+ à droite et 2+ à gauche. La palpation de la coiffe des rotateurs démontre une sensibilité augmentée à 1+ à droite, 2+ à gauche. Les tests de Hawkins, Neer, Jobe sont positifs à 1+ à droite, 2+ à gauche. Les tests de Speed, Yergason sont négatifs bilatéralement. Le Press Belley test est négatif bilatéralement. Le Lift Off test est légèrement positif à droite comme à gauche. Le signe du foulard est négatif à droite et à gauche. Le test de résistance à 30 degrés est légèrement positif à droite et à gauche.

 

 

[31]        Au terme de son examen, le Dr Ferron conclut ainsi :

OPINION :

 

Il s’agit donc d’un patient de 54 ans qui fut impliqué dans un fait accidentel le 11 novembre 2007. Les diagnostics retenus par la CLP sont ceux de bursite/tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite, bursite/tendinite déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

 

Le patient demeure avec un questionnaire subjectif positif, un examen neurologique négatif, un examen musculo-squelettique démontrant des séquelles résiduelles de ces diagnostics.

 

Ce patient doit éviter tout tabagisme.

 

Vous trouverez ci-après les réponses aux questions posées dans votre expertise.

 

Date de consolidation :

 

Considérant que le fait accidentel est survenu le 11 novembre 2007;

Considérant la revue exhaustive de ce dossier;

Considérant le questionnaire subjectif de ce jour;

Considérant l’examen neuro-musculo-squelettique de ce jour;

Considérant qu’un plateau thérapeutique est atteint;

La date de consolidation est fixée à ce jour soit le 05 janvier 2011.

 

Existence d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique :

 

Considérant que le fait accidentel est survenu le 11 novembre 2007;

Considérant la revue exhaustive de ce dossier;

Considérant le questionnaire subjectif de ce jour;

Considérant l’examen neuro-musculo-squelettique de ce jour;

Considérant qu’un plateau thérapeutique est atteint;

Il existe une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique.

 

Pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique selon le barème des dommages corporels :

 

Atteinte des tissus mous/membre supérieur

Lorsque les séquelles ne sont pas déjà

Prévues au barème avec séquelles

Fonctionnelles objectivées (épaule droite)           102 383                DAP :2%

 

Atteinte des tissus mous/membre supérieur

Lorsque les séquelles ne sont pas déjà

Prévues au barème avec séquelles

Fonctionnelles objectivées (épaule gauche)        102 383                DAP :2%

Bilatéralité                                                                                                   2%

 

Nature, nécessité, suffisance, durée des soins ou traitements administrés ou prescrits :

 

[…]

 

Le traitement suggéré est la prise au besoin d’un anti-inflammatoire non stéroïdien, d’un analgésique (éviter tout narcotique), d’un anti-épileptique (type Lyrica ou Neurontin), d’un antidépresseur (type Benzodiazépine), d’un anxiolytique ou d’un somnifère.

 

Il n’y a plus d’indication de poursuivre les traitements de physiothérapie. Il n’y a aucune indication de manipulations.

 

Des infiltrations de cortisone au niveau de la bourse sous-acromiale peuvent être effectuées au besoin.

 

Un faible pourcentage de patients peut bénéficier d’un traitement chirurgical par arthroscopie, ou arthroscopie et mini-incision au niveau de la coiffe des rotateurs.

 

Il doit effectuer quotidiennement des exercices à domicile de mobilisation dans tous les plans des deux épaules pour éviter l’apparition de capsulite (frozen shoulder).

 

 

Existence de limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle :

 

[…]

 

Il existe des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle.

 

Évaluation des limitations fonctionnelle résultant de la lésion professionnelle :

 

Le patient présente les limitations/restrictions fonctionnelles suivantes; il doit :

 

- Éviter tout travail avec les membres supérieurs plus haut que la ceinture scapulaire.

- Éviter tout travail avec les membres supérieurs avec mise en charge plus haut que la

   ceinture scapulaire.

 

 

[32]        Le 14 janvier 2011, le Dr Godbout pose au rapport médical qu’il produit le diagnostic de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs gauche. Le médecin indique « physio 3/5 et arthrographie distensive gch ?, chiro ».

[33]        Le 25 janvier 2011, une note de l’agente Léveillée de la CSST indique que le rapport du Dr Ferron a été reçu. On y mentionne que le médecin retient le 5 janvier 2011 pour date de consolidation de la lésion et qu’il reconnaît au travailleur une atteinte permanente « de 2 % pour chaque épaule + 2 % pour bilatéralité » ainsi que des limitations fonctionnelles. On note qu’un « rapport complémentaire est envoyé au médecin traitant ».

[34]        Le 31 janvier 2011, la Dre Therrien, médecin conseil à la CSST, note qu’elle demandera des précisions au Dr Ferron quant à son rapport du 7 janvier 2011.

[35]        Le 9 février 2011, une arthrographie distensive de l’épaule droite est faite.

[36]        Le 10 février 2011, le Dr Godbout rapporte une capsulite bilatérale chez le travailleur et note que le travailleur a subi la veille une arthrographie distensive. Il maintient les traitements de physiothérapie entrepris.

[37]        Le 11 février 2011, la CSST écrit au Dr Ferron afin de lui demander certaines précisions à l’égard du rapport d’évaluation médicale que ce médecin a complété le 7 janvier 2011. On demande notamment au Dr Ferron, si à son rapport, il aurait fallu lire « adduction » plutôt qu’abduction au niveau de son examen des épaules du travailleur. De même, on lui demande ceci :

À l’évaluation de l’APIPP, les deux épaules étant atteintes, ne devrions nous pas indemniser les ankyloses au niveau des deux épaules soient [sic] l’abduction à 150 degrés et la rotation externe à 80 degrés en se référant à des amplitudes complètes ?

 

[38]        Le même jour, l’agente Léveillée note :

Appel fait à Radiologie Varad suite à réception d’une nouvelle demande d’autorisation pour arthrographie. J’indique à mon interlocutrice que nous avons déjà donné l’autorisation pour arthro le 19 janvier dernier. La dame me répond que chaque épaule doit être faite 2 x.

Donc, le T a déjà eu arthro distensive le 19 février, à droite- aura épaule gauche le 24 février- un mois plus tard on refait épaule droite, soit le 9 mars et autour d’un mois après le 9 mars, aura autre arthro pour l’épaule gauche. Donnons autorisation.

 

[39]        Le 23 février 2011, le Dr Ferron répond à la demande de la CSST du 11 février précédent. Il écrit :

Suite à votre lettre du 11 février 2011, nous apportons les commentaires suivants suite à l’expertise médicale de monsieur Boudreau du 5 janvier 2011.

 

1. Concernant le premier point, il s’agit effectivement d’une erreur de dictée ou de frappe et l’on aurait dû lire adduction 25 degrés à la page 10 de l’expertise de monsieur Boudreau.

 

2. En ce qui a trait à la question suivante : à l’évaluation de l’APIPP, les deux épaules étant atteintes, ne devrions nous pas indemniser les ankyloses au niveau des deux épaules soient l’abduction à 150 degrés et la rotation externe à 80 degrés en se référant à des amplitudes complètes ? 

 

Il s’agit d’un patient âgé de 54 ans qui a une amplitude articulaire d’abduction à 150 degrés et une rotation externe à 80 degrés ce qui est jugé comme étant une amplitude normale pour un patient de 54 ans. Je ne crois donc pas qu’il y a lieu d’indemniser au niveau de l’épaule droite à ce niveau ou d’octroyer un code de bilatéralité. Seule l’épaule gauche démontre une diminution d’abduction active à 120 degrés.

 

Quant aux mouvements de rotation externe, ce sont des mouvements normaux dans ce groupe d’âge. Je crois donc également qu’il n’y a pas lieu d’indemniser pour la rotation externe. [sic]

 

[40]        Le 28 février 2011, le Dr Godbout écrit ceci à l’attention de l’agente Léveillée de la CSST :

Relativement à l’expertise du Dr Ferron

 

Je suis d’accord avec le diagnostic et la reconnaissance des limitations fonctionnelles. Cependant, le pt souffre déjà de capsulite. Des arthrographies distensives ont été commandées et je demande que des traitements d’appoint de physio puissent être données [sic] par la suite.

 

[41]        Le 2 mars 2011, l’agente Léveillée note :

Réception de l’avis du Dr Godbout par rapport à l’expertise du Dr Ferron. Dr Godbout n’a cependant pas inscrit sa réponse sur le formulaire habituellement recommandé. Il indique dans son document signé le 28 février 2011 :

 

« Je suis d’accord avec le diagnostic et la reconnaissance des limitations fonctionnelles. Cependant, le pt souffre déjà de capsulite. Des arthrographies distensives ont été commandées et je demande que des traitements d’appoint de physio puissent être données [sic] par la suite. »

 

             Dr Godbout n’est donc pas totalement  en accord avec les conclusions du Dr Ferron.

             Soumettons le dossier au BEM.

 

[42]        Le même jour, l’agente complète une demande auprès du Bureau d’évaluation médicale. Au formulaire, il est indiqué que l’on oppose l’opinion du Dr Godbout émise le 14 janvier 2011 à celle du Dr Ferron, émise le 7 janvier 2011. L’agente coche au formulaire que le Dr Godbout s’est prononcé sur cette attestation au sujet de la date de consolidation de la lésion, soit « nil » et la nécessité de soins, soit «  physio-chiro-arthrographie distensive ». On indique, d’autre part, que le Dr Ferron suggère que la lésion est consolidée le 5 janvier 2011, qu’en ce qui a trait aux soins ou traitements, il y a indication de « médication-pas de physiothérapie-aucune manipulation-infiltration de cortisone au besoin » et, enfin, qu’il y a une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique évaluée à 4 % au total ainsi que des limitations fonctionnelles. On indique par ailleurs que le Dr Godbout a produit un rapport complémentaire reçu à la CSST le 1er mars 2011, mais on n’en indique pas les résultats quant à sa conclusion au sujet des limitations fonctionnelles.

[43]        Le 9 mars 2011, le Dr Godbout pose le diagnostic de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche ainsi que de capsulite bilatérale. Le médecin demande une arthrographie distensive ainsi que des traitements de physiothérapie et de chirothérapie.

[44]        Le 17 mars 2011, le travailleur est examiné par le Dr Pierre Beaumont, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. Tel qu’il appert du rapport du Dr Beaumont, les raisons de l’avis demandé par la CSST sont les suivantes :

Raisons de l’avis :

 

Il s’agit d’une demande d’évaluation médicale de la part de la CSST suite à une divergence d’opinion portant sur la date de consolidation, la nature des traitements, l’APIPP et les limitations fonctionnelles.

 

Le médecin traitant, le docteur François Godbout, en date du 4 janvier 2011[5], indiquait que la lésion étant [sic] non consolidée et qu’il avait besoin de traitements de physiothérapie, de chiropractie et d’une arthrographie distensive.

 

Par ailleurs, le docteur Serge Ferron, en date du 5 janvier 2011, indiquait que la lésion était consolidée et qu’un traitement d’appoint était requis au besoin seulement. Il notait qu’il y avait une APIPP et des limitations fonctionnelles.

 

Le diagnostic retenu par la CSST est une bursite et tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite, ainsi que bursite, tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

 

[45]        À l’anamnèse, le Dr Beaumont rapporte les résultats d’une échographie des épaules droite et gauche du travailleur réalisée en 2004 puis celles réalisées le 29 juin 2007 aux deux épaules. Par la suite, il commente la résonance magnétique des épaules faite le 12 septembre 2007. Procédant ensuite à l’examen des épaules du travailleur, le Dr Beaumont note que de façon active, les mouvements bilatéraux d’abduction sont limités, mais que de façon passive, avec des moyens détournés, il obtient des mouvements complets. Le médecin rapporte également des mouvements complets dans tous les autres axes. Par ailleurs, le Dr Beaumont est d’avis « qu’il n’y a aucune évidence de capsulite ou de limitation articulaire de façon passive.

[46]        À son rapport, le Dr Beaumont fait état de différents signes que l’on peut qualifier de « non-organicité » ou d’exagération chez le travailleur. Le tribunal note par exemple que le Dr Beaumont rapporte des éléments tels : présentation du patient en boitant qui se plaint de mal de dos et d’épaule ; patient qui présente des pleurs et tremblements sans cause ; patient qui fait des mouvements désordonnés lorsqu’on lui demande de faire des push-up et qui contracte ses épaules avec tremblements et pleurs lors du simple examen physique.

[47]        En discussion, le Dr Beaumont écrit ceci :

Date ou période prévisible de consolidation de la lésion :

 

Je suis d’accord avec le Dr Ferron qu’on doit consolider la lésion le plus tôt possible. Bien que non superposable à celui du Dr Ferron, en fait, mon examen est meilleur que celui du Dr Ferron quant aux mouvements passifs. La lésion doit être consolidée, tel que celui-ci l’a suggéré. En effet, je ne crois pas qu’il était approprié de procéder aux arthro-distensions puisqu’il n’y a pas de capsulite. Ce patient présente un problème psychologique important, n’a pas travaillé depuis 2001, ne présente pas de pathologie significative et si on se fie aux différents examens, l’échographie de l’épaule gauche de 2007, qui avait été comparée à celle du 22 décembre 2004, ne montrait plus de déchirure de la coiffe des rotateurs. Ensuite, à l’arthro-IRM de l’épaule droite, on montrait qu’il y avait un petit signal liquidien à la bourse sous-acromiale, ce qui, à mon avis, est tout à fait normal et qui n’en fait pas une bursite sous-acromiale.

 

À l’épaule gauche, toujours à la même période, en septembre 2007, on indiquait qu’il y avait une légère tendinopathie du sus-épineux avec probable petite déchirure de quelques fibres intra-substance sur 3 mm, ce qui à mon avis est peu probant et non significatif.

 

L’examen d’aujourd’hui, nous montre qu’il y a une discordance très importante entre les éléments objectifs et subjectifs, que le patient est en état de détresse psychologique et que c’est le principal problème.

 

 

Nature, nécessité, suffisance ou durée des soins ou traitements administrés ou prescrits :

 

Étant donné ce que j’ai mentionné ci-haut, je crois qu’il est inapproprié de procéder à des traitements physiques pour une condition psychologique. Je ne vois pas d’indication pour physiothérapie, chiropractie ou infiltration de cortisone chez ce travailleur. Une approche différente et non physique devrait être mise en marche pour celui-ci.

 

 

 

 

Existence ou pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique :

 

En regard de l’épaule droite, je n’ai retrouvé aucune pathologie objectivable et l’évaluation radiologique est négative.

 

Quant à la tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, elle m’apparaît aussi comme étant non significative. Une déchirure intra-substance probable de 3 mm n’est pas une pathologie significative.

 

De plus, les bursites, mentionnées à l’échographie et à l’IRM, ne sont pas pathologiques non plus.

 

Donc, en ce qui concerne l’APIPP, on pourrait, tout au plus, accorder l’atteinte radiologique pour l’épaule gauche. Par ailleurs, aucune APIPP n’est justifiée.

 

Les limitations fonctionnelles retrouvées lors de l’évaluation par le Dr Ferron ne sont pas retrouvées aujourd’hui.

 

En effet, le patient refuse de bouger son bras, mais de façon passive et par d’autres moyens et subterfuges, on réussit à avoir des mouvements complets dans tous les plans.

 

Étant donné que le problème, comme mentionné, est d’ordre psychique, il n’y a pas de raison d’accorder un pourcentage physique.

 

 

Existence ou évaluation des limitations fonctionnelles :

 

Je n’en reconnais aucune, étant donné qu’il n’y a pas de pathologie significative à l’épaule droite ni à l’épaule gauche qui pourraient mettre le travailleur à risque. [sic]

 

 

[48]        En conclusion, le Dr Beaumont est donc d’avis que la lésion du travailleur est consolidée le 5 janvier 2011, sans nécessité de traitements après cette date, et que le travailleur ne conserve de sa lésion aucune limitation fonctionnelle. Le Dr Beaumont reconnaît au travailleur un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour une atteinte des tissus mous de l’épaule gauche, sans séquelle fonctionnelle, mais avec changement radiologique (code 102 374 du Barème)[6]. Quant à l’épaule droite, le médecin est d’avis que le travailleur conserve un déficit de 0 %, selon le code 102 365 du Barème, et n’accorde aucun déficit au titre de la bilatéralité.

[49]        Tel qu’il appert des attestations médicales produites avec l’argumentaire de la représentante de la CSST du 28 novembre 2011, le travailleur continue à consulter le Dr Godbout après le 17 mars 2011. Le Dr Godbout maintient que le travailleur présente une capsulite aux deux épaules en sus de sa déchirure à l’épaule gauche. Une nouvelle arthrographie distensive à l’épaule droite a été réalisée le 19 avril 2011 et à compter du 12 octobre 2011, le Dr Godbout mentionne une aggravation de la douleur chez le travailleur pour laquelle une consultation en orthopédie est faite.

[50]        Le 13 octobre 2011, le Dr Boufarah note : « douleur épaules droite et gauche connue depuis plusieurs années. Patient inexaminable. IRM épaules droite et gauche puis réévaluation ».

[51]        Enfin, à l’audience, le procureur du travailleur a produit une note du Dr Godbout, du 7 novembre 2011. Le médecin indique ceci :

M. Boudreau souffre du syndrome douloureux post arthrographies distensives, à ce sujet nous demandons une évaluation neurologique pour une hypoesthésie différée; qui je m’explique mal sur le traitement du trapèze droit et s’étendant jusque vers l’extrémité du membre inférieur droit. Atteinte des deux épaules, déjà reconnues par la CSST, de même que la déchirure partielle de la coiffe des rotateurs à gauche.

 

Depuis 15 jours, M. Boudreau se plein de douleur intense (MSD) à l’épaule droite et à l’épaule gauche. M. Boudreau a beaucoup de difficulté à rentrer son bord de chemise côté gauche, dans son pantalon. Mon patient éprouve des douleurs importantes générales, suite aux traitements de physiothérapie contemporaine à ses arthrographies distensives. La physiothérapie a été cessée.

 

Je suis d’accord avec les limitations fonctionnelles relativement aux amplitudes , cependant la douleur rapportée actuellement proscrit toute forme de travail pour le moment.

 

Tel que discuté avec M. Boudreau, je fais la demande pour une évaluation par 1 neurologue relativement à l’hypoesthésie du MSD et aussi une demande pour un E.M.G.  + scintigraphie osseuse pour éliminer l’algodystrophie réflexe.

 

M. Boudreau souffre actuellement de douleur au niveau du trapèze droit et d’une grande spasticité musculaire.

 

Je suggère que M. Boudreau désire obtenir une 2ème évaluation en orthopédie. [sic]

 

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[52]        Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs partagent le même avis et croient que la requête préliminaire soulevée par le procureur du travailleur est en partie bien fondée.

[53]        À cet égard, les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que l’opinion produite le 28 février 2010 par le Dr Godbout, médecin traitant du travailleur, est limpide quant au fait que ce médecin était d’accord quant au diagnostic posé et quant aux les limitations fonctionnelles établies par le Dr Ferron, médecin désigné de la CSST, à son rapport du 7 janvier 2010.

[54]        Pour les membres, si le médecin du travailleur soulignait à son rapport du 28 février qu’il persistait chez le travailleur une capsulite pour laquelle il recommandait des traitements, il n’en demeure pas moins que le Dr Godbout était d’accord avec le diagnostic retenu par le médecin désigné de la CSST. D’ailleurs, les membres soulignent que dans ce contexte, avec raison, la CSST n’a pas demandé au Bureau d’évaluation médicale de trancher la question du diagnostic au dossier.

[55]        En conséquence, les membres sont d’avis qu’aucune demande sur la question des limitations fonctionnelles n’aurait dû être faite auprès du Bureau d’évaluation médicale de sorte que sur cet aspect du dossier, l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulier et doit être annulé.

[56]        Par ailleurs, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que l’opinion du Dr Godbout n’était pas aussi claire quant à la date de consolidation, la nécessité des soins ainsi qu’en ce qui concerne l’existence ou l’évaluation de l’atteinte permanente chez le travailleur de sorte que la CSST pouvait demander au Bureau d’évaluation médicale de se saisir de ces sujets.

[57]        De son côté, le membre issu des associations syndicales partage ce dernier avis sauf en ce qui a trait à l’évaluation de l’atteinte permanente chez le travailleur. À ce sujet, ce membre est d’avis que le Dr Godbout, puisqu’il se disait d’accord avec les limitations fonctionnelles établies par le Dr Ferron, se disait ainsi également implicitement d’accord avec le pourcentage d’atteinte permanente établi par ce médecin. En conséquence, ce membre est donc d’avis que l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale est également irrégulier quant à ce dernier sujet.

[58]        Au mérite, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la preuve disponible permet de conclure que la lésion du travailleur, en ce qui a trait aux seuls diagnostics retenus présentement pour la lésion professionnelle du travailleur, soit ceux de bursite et tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite et tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, était consolidée le 5 janvier 2011 sans nécessité de soins additionnels après cette date, que le travailleur conserve de cette lésion une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique de 3,3 %, ainsi que les limitations fonctionnelles établies par le Dr Ferron à son rapport du 7 janvier 2011, limitations que retient le Dr Godbout.

[59]        De son côté, la membre issue des associations syndicales, en raison des conclusions auxquelles elle en arrive à l’égard de la requête préliminaire formulée par le procureur du travailleur, conclut donc que la lésion de bursite et tendinite de l’épaule droite et de bursite, tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche du travailleur était consolidée le 5 janvier 2011 sans nécessité de soins additionnels après cette date, mais que le travailleur conserve de sa lésion les limitations fonctionnelles établies par le Dr Ferron ainsi qu’un déficit anatomo-physiologique de 6 %, établi par ce médecin ainsi que par le Dr Godbout, médecin traitant qui s’est dit d’accord avec les conclusions du Dr Ferron. Au total, ce membre croit donc que le travailleur conserve une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique de 6,6 %.

[60]        Enfin, les membres sont d’avis que la CSST doit se prononcer à l’égard du diagnostic de capsulite posé par le médecin traitant, diagnostic pour lequel la CSST a accepté de défrayer le coût des nombreuses arthrographies distensives faites aux épaules du travailleur, alors que la CSST n’a pas demandé au Bureau d’évaluation médicale de se prononcer sur ledit diagnostic et qu’aucune décision à l’égard de la relation entre ce diagnostic et la lésion professionnelle, telle que reconnue, n’a été rendue au fil de l’évolution du dossier.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[61]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer le bien-fondé de la décision de la CSST rendue à la suite de l’avis émis le 23 mars 2011 par le Dr Beaumont, membre du Bureau d’évaluation médicale.

[62]        Cette demande d’avis au Bureau d’évaluation médicale découle d’une opinion obtenue par la CSST auprès d’un médecin désigné, le Dr Ferron, lequel a examiné le travailleur le 5 janvier 2011. Elle découle également de l’opinion que formulait le médecin traitant du travailleur, le Dr Godbout, en janvier 2011 ainsi qu’à la lumière du rapport complémentaire de ce médecin à l’égard de l’opinion du Dr Ferron, rapport complémentaire complété par le Dr Godbout le 28 février 2011.

[63]        D’emblée, le procureur du travailleur a soulevé une question préliminaire quant à la régularité de l’avis rendu par le Dr Beaumont du Bureau d’évaluation médicale. Le procureur du travailleur a soutenu que la CSST ne devait pas demander au Bureau d’évaluation médicale de se prononcer sur les limitations fonctionnelles établies par le Dr Ferron à son rapport du 7 janvier 2011 dans la mesure où le Dr Godbout, médecin du travailleur, s’est dit d’accord avec les limitations fonctionnelles retenues par le Dr Ferron.

[64]        De même, le procureur du travailleur soutient que la question de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique du travailleur ne devait pas davantage être soumise à l’appréciation du Dr Beaumont du Bureau d’évaluation médicale dans la mesure où, à son avis, le Dr Godbout se disait implicitement d’accord avec l’évaluation du Dr Ferron à ce sujet puisqu’il se disait « d’accord avec les limitations fonctionnelles », ce qui, à son avis, englobait implicitement la notion d’atteinte permanente.

[65]        Ce faisant, le représentant du travailleur demande au tribunal de déclarer cet avis irrégulier sur ces sujets et en conséquence, de se déclarer lié à l’avis du médecin traitant du travailleur, le Dr Godbout.

[66]        Le tribunal a demandé à la représentante de la CSST, absente à l’audience, de produire une argumentation quant au moyen préliminaire soulevé par le procureur du travailleur. Le tribunal a reçu cette argumentation et en a pris connaissance.

[67]        Il convient tout d’abord de trancher cette question.

[68]        Les dispositions suivantes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[7] (la loi), apparaissant au chapitre traitant de la procédure d’évaluation médicale, sont utiles à la compréhension du litige :

199.  Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et :

 

1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.

 

 

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

205.1.  Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .

__________

1997, c. 27, a. 3.

 

 

206.  La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.

__________

1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.

 

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

 

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

212.1.  Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .

__________

1997, c. 27, a. 5.

 

 

 

 

 

217.  La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.

__________

1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.

 

 

219.  La Commission transmet sans délai au membre du Bureau d'évaluation médicale le dossier médical complet qu'elle possède au sujet de la lésion professionnelle dont a été victime un travailleur et qui fait l'objet de la contestation.

__________

1985, c. 6, a. 219; 1992, c. 11, a. 21.

 

 

220.  Le membre du Bureau d'évaluation médicale étudie le dossier soumis. Il peut, s'il le juge à propos, examiner le travailleur ou requérir de la Commission tout renseignement ou document d'ordre médical qu'elle détient ou peut obtenir au sujet du travailleur.

 

Il doit aussi examiner le travailleur si celui-ci le lui demande.

__________

1985, c. 6, a. 220; 1992, c. 11, a. 22.

 

 

221.  Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

 

 

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

224.1.  Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

 

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

[69]        Le tribunal est d’avis que l’analyse de la régularité de la demande faite au Bureau d’évaluation médicale par la CSST en l’espèce doit être analysée dans le cadre très particulier qui a amené la CSST à obtenir une opinion d’un médecin désigné, soit le Dr Ferron.

[70]        En effet, le dossier du travailleur a suivi un parcours pour le moins particulier. Il a, semble-t-il, cessé de travailler en 2001 et tel qu’il appert des indications données au Dr Ferron et au Dr Beaumont, le travailleur a reçu des indemnités de la part de la CSST pour un problème au niveau lombaire avant de présenter à la CSST une réclamation, en mars 2008, sur la foi des constats du Dr Auger qui, dans une lettre du 11 novembre 2007 citée par le Dr Ferron, relie les problèmes aux deux épaules du travailleur à son travail exercé dans la construction. Le Dr Auger pose alors, sur la foi des résultats d’une résonance magnétique réalisée en septembre 2007, les diagnostics de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

[71]        Cette réclamation du travailleur initialement refusée par la CSST sera reconnue plus de deux ans plus tard, en avril 2010, par une décision de la Commission des lésions professionnelles. Il est alors déterminé que le travailleur a subi une maladie professionnelle, dont le début est situé en novembre 2007, et l’on retient alors pour cette lésion professionnelle les diagnostics de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

[72]        La lésion du travailleur se prolongeant, la CSST demande alors une évaluation par un médecin de son choix, le Dr Ferron, orthopédiste, conformément à l’article 204 de la loi, évaluation qui a lieu le 5 janvier 2011.

[73]        Or, dans le mandat qui est confié par la CSST au Dr Ferron, il est expressément spécifié que les diagnostics acceptés par la CSST sont ceux de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

[74]         On demande alors exclusivement au Dr Ferron de se prononcer sur les autres sujets de l’article 212 de la loi, soit la date de consolidation de la lésion, la nécessité ou suffisance des soins ou traitements ainsi que sur l’existence et l’évaluation de limitations fonctionnelles ou d’une atteinte permanente à l’intégrité du travailleur.

[75]        De l’avis du tribunal, c’est précisément ce que fait le Dr Ferron et il est manifeste qu’il ne considère d’aucune façon le fait que le Dr Godbout ait posé, en novembre 2010, le diagnostic de capsulite aux deux épaules du travailleur, capsulites pour lesquelles le travailleur a déjà reçu une arthrographie distensive au moment de son examen. La lecture du rapport du Dr Ferron est éloquente à ce sujet, le médecin ne discutant jamais du diagnostic de capsulite.

[76]        Dans ce contexte, le tribunal est d’avis que c’est donc exclusivement en fonction des diagnostics retenus chez le travailleur, soit ceux de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, que le Dr Ferron donne son opinion à la CSST.

[77]        De nouveau, la simple lecture des conclusions du Dr Ferron ne laisse place à aucune autre interprétation lorsqu’il écrit :

Il s’agit donc d’un patient de 54 ans qui fut impliqué dans un fait accidentel le 11 novembre 2007. Les diagnostics retenus par la CLP sont ceux de bursite/tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite, bursite/tendinite déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

 

Le patient demeure avec un questionnaire subjectif positif, un examen neurologique négatif, un examen musculo-squelettique démontrant des séquelles résiduelles de ces diagnostics.

 

[78]        Puis, répondant spécifiquement aux questions posées par la CSST dans le mandat qu’on lui a confié, le Dr Ferron, à la lumière de son examen, détermine que la lésion du travailleur est consolidée le même jour, soit le 5 janvier 2011, que le travailleur a atteint un plateau thérapeutique et qu’hormis certaines médications à continuer ainsi que la possibilité de recevoir des infiltrations de cortisone au niveau de la bourse sous-acromiale, au besoin, il n’y a pas lieu de poursuivre les traitements de physiothérapie entrepris.

[79]        Incidemment, le Dr Ferron ajoute même à sa conclusion sur le sujet que le travailleur « doit effectuer quotidiennement ses exercices à domicile de mobilisation dans tous les plans des deux épaules pour éviter l’apparition de capsulite (frozen shoulder) ».

[80]        Enfin, le Dr Ferron est d’avis que le travailleur conserve de sa lésion des limitations fonctionnelles, limitations qu’il décrit, ainsi qu’un déficit anatomo-physiologique qu’il évalue à 6 %, incluant 2 % au titre de la bilatéralité.

[81]        Sur réception de ce rapport du Dr Ferron, la CSST décide alors de demander des précisions au médecin quant à certains éléments de son rapport. D’autre part, elle transmet le rapport ainsi qu’un formulaire « rapport complémentaire » au Dr Godbout, médecin traitant du travailleur, conformément à l’article 205.1 de la loi.

[82]        Dans le contexte du présent dossier, la CSST devait effectivement soumettre au médecin du travailleur un rapport complémentaire afin qu’il puisse réagir à l’opinion du médecin désigné de la CSST. Tel que l’enseigne en effet la jurisprudence, cette disposition a pour but de permettre à la CSST de bien connaître la position du médecin qui a charge avant de soumettre le dossier au BEM[8] de sorte que la procédure prévue à l'article 205.1 est une étape essentielle à franchir et le défaut d'y satisfaire invalide tout le processus de contestation[9].

[83]        Le 23 février 2011, le Dr Ferron apporte les précisions demandées par la CSST à l’égard de son rapport du 7 janvier 2011.

[84]        Puis, le 28 février 2011, le Dr Godbout écrit ceci à la CSST :

Relativement à l’expertise du Dr Ferron

 

Je suis d’accord avec le diagnostic et la reconnaissance des limitations fonctionnelles. Cependant, le pt souffre déjà de capsulite. Des arthrographies distensives ont été commandées et je demande que des traitements d’appoint de physio puissent être données [sic] par la suite.

 

(Les soulignements sont du tribunal)

 

[85]        De l’avis du soussigné, bien que le Dr Godbout n’ait pas complété le formulaire « rapport complémentaire » que la CSST lui a fait parvenir vers le 25 janvier 2011, les commentaires du Dr Godbout constituent de toute évidence l’expression de son opinion à l’égard de celle du Dr Ferron, médecin désigné de la CSST.

[86]        Pour le tribunal, il est manifeste du libellé de la réponse du Dr Godbout que celui-ci avait bien reçu l’opinion du Dr Ferron, puisqu’il fait référence expressément à cette expertise. À ce titre, le fait que le médecin n’ait pas utilisé le formulaire prescrit par l’article 205.1 de la loi n’est d’aucune incidence.

[87]        Que dit le Dr Godbout au sujet de cette opinion du Dr Ferron dont il a manifestement pris connaissance ?

[88]        Le Dr Godbout indique qu’il est d’accord avec celui-ci « sur le diagnostic et sur les limitations fonctionnelles ».

[89]        De l’avis du soussigné, il ne peut être alors question d’autre chose que du diagnostic retenu par ce médecin, soit ceux de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

[90]        En effet, manifestement, le Dr Ferron n’a pas traité, à son rapport, du diagnostic de capsulite déjà posé par le Dr Godbout, d’une part parce que la CSST lui avait demandé de se prononcer sur les sujets 2 à 5 de l’article 212 de la loi après lui avoir indiqué que le diagnostic retenu était celui de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche mais d’autre part, on peut même s’interroger à savoir si le Dr Ferron a vu chez le travailleur une telle capsulite puisque dans ses recommandations, il suggère au travailleur de faire des exercices à domicile « en vue d’éviter le développement de capsulites ».

[91]        De l’avis du tribunal, à sa lettre du 28 janvier 2011, le Dr Godbout précise donc qu’il est d’accord avec le diagnostic retenu de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche. Comment pourrait-il en être autrement, puisqu’il a lui-même posé ces diagnostics au fil du suivi médical du travailleur. Cependant, il est évident que le Dr Godbout soulève que le travailleur est également aux prises avec un autre problème aux épaules, soit des capsulites. En ce sens, il indique que le travailleur souffre « déjà » de capsulite.

[92]        Pour le tribunal, cette indication du Dr Godbout ne permettait pas à la CSST de conclure qu’il y avait discordance entre les médecins quant au diagnostic de la lésion. Tant le Dr Ferron que le Dr Godbout ont convenu que le diagnostic, tel qu’évalué par le Dr Ferron, est celui de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et  de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

[93]        D’ailleurs, à l’analyse, la CSST ne demandera pas dans ce contexte au bureau d’évaluation médicale de se prononcer sur la question du diagnostic de la lésion professionnelle du travailleur.

[94]        Par ailleurs, dans sa lettre du 28 février 2011, le Dr Godbout ajoute que pour cette capsulite, « Des arthrographies distensives ont été commandées et je demande que des traitements d’appoint de physio puissent être donnés par la suite ».

[95]        Pour le tribunal, il est manifeste que le Dr Godbout précise alors que pour ce diagnostic de capsulite, il continue à croire à la nécessité de traitements, dont des arthrographies distensives qui, par ailleurs, ont déjà débuté chez le travailleur.

[96]        D’autre part, toujours à sa réponse du 28 février 2011, le Dr Godbout précise également qu’il « est d’accord avec les limitations fonctionnelles » retenues par le Dr Ferron.

[97]        De nouveau, le tribunal est d’avis que cette conclusion à laquelle en arrive le Dr Godbout ne peut viser autre chose que les diagnostics retenus par le Dr Ferron et pour lequel ce médecin a décrit des limitations fonctionnelles chez le travailleur.

[98]        Après analyse de la position du Dr Godbout, la CSST a déterminé que « Dr Godbout n’est donc pas totalement en accord avec les conclusions du Dr Ferron » et a donc choisi de soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale.

[99]        Au formulaire de demande transmis au Bureau d’évaluation médicale, la CSST, de nouveau, précise qu’il n’est pas demandé au Bureau d'évaluation médicale de se prononcer sur le diagnostic de la lésion, mais uniquement sur les sujets 2 à 5 de l’article 212 de la loi.

[100]     Dans son argumentaire, la représentante de la CSST soutient qu’il y avait lieu de soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale dans la mesure où l’opinion du Dr Godbout du 28 février 2011 n’était pas claire. Le procureur écrit, après avoir cité la réponse du Dr Godbout du 28 février 2011 :

Or, l’article 205.1 L.A.T.M.P. prévoit que le rapport complémentaire permet au médecin qui a charge d’étayer ses conclusions lorsque celles du médecin désigné de la CSST ne sont pas au même effet que les siennes. Il s’agit d’une disposition fondamentale à la procédure d’évaluation médicale puisque le travailleur ultimement, ne pourra contester les conclusions de son médecin. À cet égard, nous vous référons à la décision du tribunal rendue dans l’affaire Landry et Recyclage Trans-Pneus inc.1:

 

[58]  Étant donné que les conclusions médicales du médecin qui a charge sont liantes et ne peuvent être contestées par le travailleur, l'opinion exprimée par ce médecin se doit d'être claire, ne pas présenter d'ambiguïté et ne pas porter à interprétation (…)

 

Par conséquent, tout ce qui compte, c’est que la réponse du médecin du travailleur à l’avis du médecin désigné par la CSST soit claire.

 

Dans le cas qui nous occupe, la CSST était justifiée de ne pas considérer l’opinion émise par le Dr Godbout comme étant suffisamment claire et sans équivoque sur la question de la consolidation. Les informations contenues à son rapport laissent sous-entendre qu’il considère que la lésion du travailleur n’est pas consolidée. En effet il recommande la poursuite des arthrographies distensives et évoque la nécessité de traitements de physiothérapie ultérieurement. La preuve révèle aussi que le docteur Godbout n’a pas cessé de suivre la condition médicale du travailleur et de prescrire des examens ou traitements. On ne peut donc raisonnablement inférer de son rapport complémentaire qu’il est d’accord avec la consolidation.

(1) CLP 331251-62C-0710, 9 décembre 2008, C. Burdett.

 

[101]     De la même façon, la représentante de la CSST soutient que l’opinion du Dr Godbout ne permet pas de conclure que des traitements additionnels ne sont pas requis pour le travailleur, que le médecin ne se prononce pas sur le sujet de l’atteinte permanente chez le travailleur et, enfin, que son opinion sur les limitations fonctionnelles n’est pas suffisamment précise pour que l’on puisse comprendre sa position sur le sujet.

[102]     Avec égards, le tribunal est d’avis, pour les motifs exposés précédemment, que l’opinion du Dr Godbout quant au diagnostic retenu par le Dr Ferron et quant aux limitations fonctionnelles décrites par ce médecin était limpide.

[103]     Le tribunal est par ailleurs d’avis, comme le soutient la CSST, qu’il subsistait possiblement un doute quant au fait que le médecin jugeait la lésion du travailleur consolidée ou non et quant à la nécessité de traitements additionnels pour la condition du travailleur.

[104]     À l’analyse, le tribunal est convaincu que par ses propos du 28 février 2011, le Dr Godbout croyait que des traitements demeuraient requis pour le travailleur, mais le tribunal croit également que cela était en fonction du diagnostic de capsulite qu’il posait chez le travailleur. De l’avis du tribunal, le libellé des propos du Dr Godbout milite vers une telle interprétation.

[105]     Incidemment, à ce sujet, le tribunal est convaincu que les arthrographies distensives prescrites au travailleur l’ont été pour les capsulites retenues chez lui par le Dr Godbout. La nécessité de traitements de physiothérapie cependant pouvait à la fois être requis en raison d’une capsulite, mais également pour les diagnostics retenus de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, de sorte qu’un doute pouvait persister sur ce sujet et donc, qu’il persistait une divergence entre les médecins.

[106]     Ainsi, le tribunal concourt à l’opinion de la représentante de la CSST à l’effet qu’un doute existait à ce sujet de sorte que la CSST pouvait croire en l’existence d’un différent entre les médecins sur la question des traitements proposés.

[107]     Quant à la question de « l’atteinte permanente » déterminée par le Dr Ferron, le représentant du travailleur plaide que par sa réponse, le Dr Godbout était « implicitement d’accord avec les conclusions du Dr Ferron puisqu’il s’est dit d’accord avec les limitations fonctionnelles ».

[108]     Avec égards, le tribunal ne partage pas cet avis. Il s’agit manifestement de deux sujets distincts d’ordre médical requérant des évaluations distinctes de la part des médecins évaluateurs et le fait de reconnaître chez un travailleur la présence de limitations fonctionnelles n’emporte pas qu’il conserve également une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique pour autant.

[109]     Ceci étant, le tribunal est d’avis que la CSST, dans les circonstances, ne pouvait demander au Bureau d’évaluation médicale de se prononcer ni sur la question du diagnostic, ni sur l’existence de limitations fonctionnelles chez le travailleur.

[110]     De l’avis du tribunal, l’avis complémentaire du Dr Godbout du 28 février 2011 sur ces questions était clair au sens de la jurisprudence citée par la procureure de la CSST.

[111]     Pour le tribunal, le Dr Godbout suit le travailleur activement depuis de nombreux mois et a prescrit différents traitements tout au long du suivi médical. Aussi, lorsqu’on lui soumet l’évaluation du Dr Ferron, le Dr Godbout est donc parfaitement conscient de la nature de la lésion du travailleur.

[112]     Dans ce contexte, lorsque le Dr Godbout, à la lumière de l’examen du Dr Ferron et des conclusions qu’il en tire, se dit d’accord avec le diagnostic retenu et les limitations fonctionnelles décrites par le Dr Ferron, il ne peux exister aucun doute sur l’opinion du Dr Ferron sur ces sujets.

[113]     Cela est à ce point vrai que la CSST a elle-même considéré qu’il n’y avait pas de désaccord quant au diagnostic de la lésion et qu’elle n’a donc pas demandé au Bureau d’évaluation médicale de se prononcer quant au diagnostic.

[114]     Pourquoi en serait-il autrement quant à la réponse du Dr Godbout sur l’existence et la nature des limitations fonctionnelles décrites par le Dr Ferron pour lesquelles le Dr Godbout s’est dit d’accord?

[115]     Le tribunal constate qu’en l’espèce, la CSST ne s’est jamais prononcée à l’égard du diagnostic de capsulite posé dès le 22 novembre 2010 par le Dr Godbout, bien que les arthrographies distensives prescrites par le Dr Godbout pour des capsulites aux épaules aient été effectuées et, semble-t-il, « autorisées » par la CSST.

[116]     Or, de l’avis du tribunal, les propos du Dr Godbout à son rapport du 28 février 2010 quant aux traitements envisagés laissent clairement croire qu’ils le sont pour les capsulites du travailleur.

[117]     Pour le tribunal, ces propos du Dr Godbout permettent de comprendre qu’à l’égard des diagnostics retenus et évalués par le Dr Ferron, le Dr Godbout s’est dit d’accord avec celui-ci, notamment quant aux limitations fonctionnelles établies. Cela n’empêche pas le médecin de considérer que les capsulites qu’il diagnostique chez le travailleur puissent requérir des traitements et, donc, que cette dernière pathologie ne serait pas consolidée.

[118]     De l’avis du tribunal, après la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles en avril 2010 reconnaissant que le travailleur a subi une maladie professionnelle, la CSST a tenté de cerner, comme il se doit, l’évolution de la lésion professionnelle du travailleur en s’interrogeant sur la date de consolidation de cette lésion, sur la nécessité de traitements et sur la présence ou non de séquelles que le travailleur pourrait en conserver. Toutefois, cette démarche a été clairement orientée vers le seul diagnostic retenu par le tribunal, soit celui de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

[119]     C’est exclusivement à l’égard de ce diagnostic que l’on a demandé au Dr Ferron de se prononcer, tout comme au Dr Beaumont, membre du Bureau d’évaluation médicale.

[120]     La CSST aurait pu choisir de demander à ces médecins de se prononcer quant au diagnostic de capsulites posé par le Dr Godbout si véritablement elle avait considéré que l’opinion du Dr Godbout emportait qu’il jugeait que le diagnostic retenu par le Dr Ferron n’était pas le bon ou était incomplet, d’autant plus qu’au moment de leurs examens respectifs, le travailleur avait déjà reçu des arthrographies distensives pour cette pathologie. Mais la CSST n’a pas soumis cette question du diagnostic à ces médecins.

[121]     Ce choix de la part de la CSST et l’absence de décision au sujet des capsulites traitées, à tort ou à raison, chez le travailleur, fait en sorte que le soussigné est d’avis que c’est dans le contexte des seuls diagnostics évalués par les docteurs Ferron et Beaumont qu’il convient de déterminer si l’opinion du Dr Godbout doit être maintenue ou non.

[122]     Dans ce contexte, le soussigné est d’avis que la CSST ne pouvait demander au Bureau d’évaluation médicale de se prononcer sur l’existence ou la nature des limitations fonctionnelles et que l’avis du Bureau d'évaluation médicale sur ce sujet donc, est irrégulier.

[123]     Tel que mentionné précédemment, pour les diagnostics retenus par le Dr Ferron, le Dr Godbout s’est dit d’accord avec les conclusions du Dr Ferron sur les limitations fonctionnelles déterminées par ce médecin. Le tribunal voit d’ailleurs dans la lettre du Dr Godbout du 7 novembre 2011 produite au dossier une confirmation de cette position prise par le médecin.

[124]     Dans l’affaire Paquette et Aménagement Forestier LF[10], le juge administratif Clément indiquait ceci :

[36]  Comme le lui permet l’article 204 de la Loi, la CSST a demandé au travailleur de se présenter chez le docteur Yves Ferland qui a rédigé une expertise en date du 24 mars 2004. Il a constaté que les conditions lombaire et cervicale de la travailleuse étaient consolidées mais non pas la condition à l’épaule. Il a émis des constatations médicales en conséquence.

 

[37]  La CSST a respecté la Loi en transmettant copie de ce rapport en compagnie d’un rapport complémentaire à remplir au médecin qui a charge, le docteur Aubry. Ceci est prévu à l’article 205.1 de la loi :

 

[…]

 

[38]  Ce rapport complémentaire pouvait servir au docteur Aubry à fournir à la CSST une opinion étayée pour appuyer ses conclusions initiales. Ce n’est pas ce qu’il a fait.

 

[39]  Il a plutôt choisi de se ranger à l’opinion du docteur Ferland comme il en avait le droit, tel que reconnu par la jurisprudence. Ainsi, un médecin qui a charge peut, lors de la réception du rapport d’un médecin désigné, non seulement étayer un avis contradictoire mais aussi se rallier s’il estime qu’il représente la réalité. Le médecin qui a charge aurait pu refuser d’entériner les conclusions du docteur Ferland, il aurait pu exiger de revoir la travailleuse avant de se prononcer tout comme il aurait pu ne pas répondre du tout. Il a cependant choisi de répondre et de se ranger aux conclusions du docteur Ferland sans juger qu’il soit nécessaire de revoir la travailleuse qu’il avait déjà vue auparavant. C’est le choix qu’il a exercé et ce choix lie la CSST et le présent tribunal.

 

[40]   L’article 205.1 encourage le médecin du travailleur à exprimer son opinion lors de la réception d’un tel rapport. Si la contradiction perdure, la CSST peut transmettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale mais si le médecin du travailleur entérine les conclusions du médecin désigné, la CSST devient liée par lesdites conclusions3.

 

[41]  Il s’agit là d’une simple modalité d’application de l’effet liant du rapport du médecin qui a charge prévu à l’article 224 de la loi :

 

[…]

 

[42]  Il est certain qu’un travailleur ou une travailleuse a le choix du médecin qui aura charge de lui ou d’elle au sens de la loi. L’article 199 de la loi est clair à ce sujet :

 

[…]

 

[43]  Une fois son médecin choisi, le travailleur ou la travailleuse doit cependant vivre avec les conclusions d’ordre médical qu’il émet et ne peut pas les remettre en question lorsqu’elles ne font pas son affaire. La jurisprudence a déterminé depuis longtemps qu’un travailleur ne peut pas contester les conclusions médicales de son propre médecin4.

 

[…]

[49]  Le fait que le docteur Aubry se soit dit d’accord avec le docteur Ferland sans avoir procédé à un nouvel examen de la travailleuse n’a pas pour effet d’invalider son accord5. Le médecin de la travailleuse la suivait déjà, et l’avait examinée en plus de la diriger vers d’autres spécialistes. Il avait en main le dossier de la travailleuse et a pu prendre connaissance de l’examen du médecin désigné par la CSST. Le tribunal estime que la réponse inscrite au rapport complémentaire est claire et c’est tout ce qui importe en l’espèce. Si le docteur Aubry a jugé que l’examen du docteur Ferland était fiable et complet, rien ne l’empêchait de s’en remettre aux conclusions de ce médecin expert. La Loi n’exigeait pas du médecin du travailleur qu’il l’examine à nouveau avant de produire son rapport complémentaire puisqu’il avait en sa possession le dossier de la travailleuse et l’expertise du docteur Ferland6.

[50]  L’article 205.1 permet au médecin d’étayer son rapport afin de contredire celui du médecin expert. Il s’agit là d’une volonté du législateur de permettre au médecin du travailleur de s’expliquer plus longuement qu’il ne peut le faire sur une petite attestation médicale et de faire contrepoids auprès du Bureau d'évaluation médicale devant l’avis habituellement très détaillé du médecin désigné. Cependant, lorsqu’un médecin se rallie à l’opinion du médecin désigné, nul n’est besoin d’étayer son rapport ou son opinion puisqu’en se rangeant à l’avis du médecin désigné, il épouse son opinion et sa motivation par le fait même.

 

[51]  Il ne faut pas oublier que même dans le cas de contradiction entre le médecin qui a charge et le médecin désigné, l’article 205.1 fournit la possibilité de déposer un rapport étayé sans en imposer l’obligation. Il devient encore moins obligatoire pour un médecin qui a charge qui décide de se rallier à l’opinion du médecin désigné d’étayer ses conclusions. Le tribunal le rappelle, tout ce qui compte c’est que la réponse du médecin du travailleur à l’avis du médecin désigné par la CSST soit claire7.

 

[52]  En conséquence, le médecin qui a charge avait la possibilité de se déclarer d’accord avec le rapport du médecin désigné et c’est ce qu’il a fait8.

            (3) Briceus et Les Teinturiers Concorde, 105960-73-9810, 8 février 1999, L. Boudreault; Grignano et Récital Jeans inc. [2000] C.L.P. 329 ; Lussier et Berlines RCL inc., 122844-05-9908, 21 septembre 2000, L. Boudreault; Fortin et Société Groupe Embouteillage Pepsi Canada, [2004] C.L.P. 168 .

                (4)   Carrière et Industries James Maclaren inc., [1995] C.A.L.P. 817 ; Racine et H. St-Jean enr. [1994] 678, révision rejetée [1994] C.A.L.P. 778 , requête en révision judiciaire rejetée [1994] C.A.L.P. 889 [C.S.]

                (5)  Lussier et Berlines RCL inc, déjà citée.

                (6)  Dhaliwal et Gusdorf Canada ltée, 168883-72-0109, 10 mai 2002, Y. Lemire; Morin et Forage Orbit inc., 225507-08-0401, 9 juillet 2004, G. Morin, révision rejetée, 28 octobre 2004, M. Carignan.

                (7)  Ferguson et Industries de Moulage Polytech inc., 155516-62B-0102, 3 octobre 2001, A, Vaillancourt; Morin et 1970-0374 Québec inc., 135078-08-0003, 9 octobre 2001, L. Boudreault; Fox et Commission scolaire South Shore, 152348-62-A-0012, 22 mars 2002, N. Tremblay, révision rejetée le 25 juin 2003, N. Lacroix; Bacon et Général Motors du Canada ltée, [2004] C.L.P. 941 ; Jalbert et Supermarché St-Raphael inc., 218556-04-0310, 28 octobre 2004, L. Collin.

                8)  Guillemette et Kruger inc., 162565-09-0106, 17 janvier 2002, Y, Vigneault.

 

            (Les soulignements sont du tribunal)

 

 

[125]     En l’espèce, de l’avis du soussigné, lorsque le médecin ayant charge du travailleur, au terme de l’application des dispositions de l’article 205.1 de la loi, se dit d’accord avec une conclusion retenue par le médecin désigné de la CSST sur l’un ou l’autre des sujets de l’article 212 de la loi, cette opinion doit dès lors être considérée la sienne, au sens de l’article 224 de la loi.

[126]     Dans le présent cas, dans la mesure où il n’y avait pas de désaccord entre le médecin désigné de la CSST et le médecin traitant du travailleur sur le sujet des limitations fonctionnelles, le tribunal est d’avis que la CSST ne pouvait donc demander une évaluation médicale au Bureau d’évaluation médicale sur ce sujet.

[127]     Il est vrai que l’article 206 de la loi permet à la CSST de soumettre une demande au Bureau d’évaluation médicale même sur des sujets sur lesquels le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.

[128]     Toutefois, tel n’est pas le cas en l’espèce sur la question des limitations fonctionnelles puisque le médecin traitant s’est prononcé par le biais de son rapport complémentaire.

[129]     Or, le tribunal est d’avis qu’il n’existait plus de désaccord sur ce sujet de sorte que par le biais de l’article 217 de la loi, la CSST n’avait pas à saisir le Bureau d'évaluation médicale de cette question puisqu’il n’y avait plus de « contestation » en la matière.

[130]     À ce sujet, le soussigné partage l’avis du tribunal dans l’affaire Lecompte et action Chevrolet Oldsmobile inc.[11] lorsque le juge énonce :

[72]      Lorsque le médecin qui a charge et le médecin désigné sont d’accord sur une conclusion, il n’y a plus de contestation sur ce sujet. La C.S.S.T. ne peut donc plus se prévaloir des dispositions de l’article 217, au sujet de cette conclusion.

 

[73]      La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il faut lire ensemble les dispositions des articles 217 et 221. Le premier a été cité plus haut et le second se lit comme suit :

 

(…)

 

[74]      La modification apportée en 1992, autant à l’article 206 qu’à l’article 221, autorise le membre du Bureau d’évaluation médicale à se prononcer sur des sujets qui n’ont pas fait l’objet d’une conclusion par le médecin qui a charge du travailleur ou le médecin désigné.

 

[75]      La Commission des lésions professionnelles ne trouve pas dans ces deux articles, non plus que dans l’article 219, l’ouverture, pour le membre du Bureau d’évaluation médicale, de se prononcer sur une conclusion au sujet de laquelle le médecin qui a charge et le médecin désigné sont d’accord. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le membre du Bureau d’évaluation médicale peut se prononcer uniquement sur des conclusions qui font l’objet d’une contestation ou sur des sujets mentionnés à l’article 212 qui n’ont pas été abordés par le médecin traitant ou un médecin désigné.

 

(Les soulignements sont du soussigné)

 

[131]     À cet égard et dans le même sens, le soussigné partage également l’avis de la juge administratif Quigley lorsqu’elle énonce dans l’affaire Blais et Papineau international SEC[12] que la procédure d’évaluation médicale vise à trancher un litige d’ordre médical entre deux médecins et qu’elle ne doit pas servir à créer des débats là où il n’y en a pas.

[132]     De la même façon, et pour ces motifs, le tribunal a également conclu dans l’affaire Gosselin et Maison Île Centre Convalescence inc.[13] que la CSST ne pouvait soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale en ce qui a trait aux limitations fonctionnelles retenues chez un travailleur puisque l’avis du médecin traitant sur le sujet était le même que celui émis par le médecin désigné de la CSST.

[133]     De même, dans l’affaire Tokessy et Polymed Chirurgical inc.[14], le tribunal a déterminé que la CSST ne pouvait utiliser la procédure d'évaluation médicale pour demander un avis au Bureau d'évaluation médicale relativement au diagnostic puisque le médecin désigné par la CSST n'infirmait pas les conclusions du médecin qui a charge à cet égard. Pour le tribunal, il ressort des articles 204 et 205 que la CSST ne peut soumettre un dossier au Bureau d'évaluation médicale que si le rapport du médecin qu'elle désigne infirme l'opinion du médecin qui a charge sur l'un ou plusieurs des sujets prévus à l'article 212. Or, selon le tribunal dans cette affaire, une « discopathie lombaire avec herniation provoquée lors d'une discographie provocatrice au niveau [sic] L4-L5 et L5-S1 » est sans contredit assimilable à une « hernie discale lombaire L4-L5 et L5-S1 », de sorte que le tribunal en conclut que la procédure étant irrégulière en ce qui a trait au diagnostic, le diagnostic ayant un caractère liant est celui de hernie discale lombaire L4-L5 et L5-S1 posé par le médecin qui a charge.

[134]     En conséquence, et pour l’ensemble de ces motifs, le soussigné est d’avis que l’avis rendu par le Dr Beaumont du Bureau d'évaluation médicale est irrégulier quant à la question des limitations fonctionnelles chez le travailleur.

[135]     Par contre, pour les motifs indiqués précédemment, le tribunal est d’avis que l’on pouvait soumettre au Bureau d'évaluation médicale une demande au sujet de la date de consolidation de la lésion, de la nature et de la nécessité des traitements et enfin, quant à l’évaluation de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique du travailleur.

[136]     Il convient dès lors pour le tribunal de trancher, au mérite, les différents sujets d’ordre médicaux en litige.

[137]     Le tribunal rappelle que le diagnostic retenu au dossier est celui de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche et que c’est exclusivement à l’égard de ce diagnostic que les docteurs Ferron et Beaumont ont été invités à se prononcer.

[138]      Dans ce contexte, le tribunal est d’avis que la preuve médicale prépondérante est à l’effet que cette pathologie chez le travailleur était consolidée à la date déterminée par le Dr Ferron, soit le 5 janvier 2011, sans nécessité de soins additionnels.

[139]     À cet égard, le tribunal constate que le Dr Beaumont en est arrivé à la même conclusion que le Dr Ferron.

[140]     D’autre part, le Dr Godbout a certes indiqué au rapport complémentaire produit le 28 février 2011 qu’il suggérait des traitements additionnels pour le travailleur, notamment des arthrographies distensives et de la physiothérapie, mais de l’avis du tribunal, la façon avec laquelle s’exprime le Dr Godbout sur ce sujet à sa lettre du 28 février 2011 laisse clairement penser qu’il désire prodiguer de tels traitements en relation avec les capsulites qu’il diagnostique chez le travailleur.

[141]     De l’avis du tribunal, cette opinion du Dr Godbout ne permet nullement de soutenir que les traitements en question étaient requis pour les diagnostics reconnus au dossier. De plus, cette conclusion n’écarte en rien la possibilité que lesdits traitements puissent avoir été requis pour une autre pathologie, les capsulites.

[142]     Toutefois, c’est à la CSST qu’il incombe de déterminer la relation entre ce diagnostic de capsulite et les diagnostics reconnus au dossier pour sa lésion professionnelle à la suite de la décision de la Commission des lésions professionnelles et le tribunal rappelle qu’il n’a pas été saisi de ce diagnostic ni par le biais d’une décision de la CSST donnant suite à un avis du Bureau d'évaluation médicale sur ce sujet, ni à la suite d’une décision d’admissibilité qui aurait été contestée à cet égard.

[143]     En conséquence, cette partie de la décision de la CSST ayant donné suite à l’avis du Dr Beaumont quant à la date de consolidation et sur la nécessité des traitements doit donc être confirmée.

[144]     Par ailleurs, le tribunal a amplement explicité les raisons l’ayant amené à déclarer que la CSST n’avait pas à soumettre une demande au Bureau d'évaluation médicale sur la question des limitations fonctionnelles.

[145]     De l’avis du tribunal, il convient en conséquence de reconnaître que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle, pour les diagnostics retenus et évalués par le Dr Ferron, soit ceux de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ainsi que de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, les limitations fonctionnelles suivantes :

- Éviter tout travail avec les membres supérieurs plus haut que la ceinture scapulaire.

- Éviter tout travail avec les membres supérieurs avec mise en charge plus haut que la ceinture scapulaire. 

 

 

[146]     Qu’en est-il de l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique?

[147]     Dans son argumentation produite le 28 novembre 2011 traitant du « mérite » du litige, la représentante de la CSST suggère au tribunal de retenir l’avis du Dr Beaumont plutôt que celui de son médecin désigné, le Dr Ferron, d’une part parce que « le Dr Ferron est un orthopédiste qui se spécialise dans les pathologies affectant le dos, la colonne » alors que « Quant au Dr Beaumont, également orthopédiste, sa pratique est surtout orientée vers les pathologies affectant les membres supérieurs. Il s’agit donc d’une référence de qualité pour le dossier qui nous occupe, portant sur une lésion professionnelle aux épaules. » et, d’autre part, parce qu’à son avis, l’examen objectif du Dr Beaumont est davantage exhaustif que celui du Dr Ferron.

[148]     D’emblée, le tribunal accorde fort peu de poids à l’argument portant sur la « qualité » de la spécialisation des deux médecins orthopédistes en cause, le tribunal étant d’avis que le Dr Ferron pouvait tout aussi bien que le Dr Beaumont examiner et évaluer la pathologie du travailleur pour ses épaules.

[149]     Par ailleurs, le tribunal ne croit pas que l’examen du Dr Beaumont soit plus « exhaustif » que celui du Dr Ferron. Si les conclusions divergent en partie entre les deux spécialistes, c’est davantage en raison de l’interprétation que chacun d’eux fait des résultats obtenus par leur examen respectif.

[150]     Or, de l’avis du tribunal, somme toute, les examens physiques des docteurs Ferron et Beaumont sont à peu de choses près semblables.

[151]     De son côté, le Dr Ferron rapporte à son examen clinique que le travailleur présente des douleurs aux deux épaules. Il note que les tests de Hawkins, Neer et Jobe sont positifs 1+ à droite et 2+ à gauche, ce que l’on peut interpréter comme étant légèrement positifs.

[152]     En ce qui a trait aux mesures et à l’indemnisation des ankyloses des épaules, le Dr Ferron a bien indiqué à son rapport des amplitudes complètes dans les mouvements de l’épaule droite. À gauche, il rapporte une flexion à 160 degrés en actif, mais a obtenu 180 degrés de façon passive. De même, il rapporte une abduction active à 120 degrés, mais mesurée passivement à 150 degrés. Enfin, il note une rotation externe mesurée à 80 degrés.

[153]     Appelé par la CSST a préciser si l’on devait ou non indemniser les ankyloses mesurées en abduction et en rotation externe à l’épaule gauche, le Dr Ferron indique dans sa correspondance du 23 février 2011 qu’il n’y a pas lieu d’indemniser ces deux ankyloses au motif qu’à son avis, elles sont tributaires de l’âge du travailleur. Par ailleurs, le Dr Ferron ajoute que dans cette mesure, il n’y a pas lieu d’indemniser le travailleur pour de la bilatéralité pour cette ankylose.

[154]     De l’avis du tribunal, cette réponse du Dr Ferron amène le tribunal à comprendre qu’en ce qui a trait aux mesures effectuées, le médecin s’en remet au fait que l’amplitude des mouvements passifs étant normale, il n’y a pas de déficit anatomo-physiologique additionnel à accorder au travailleur.

[155]     Toutefois, le Dr Ferron suggère d’indemniser le travailleur pour ses deux épaules, le médecin utilisant les codes 102 383 du Règlement sur le barème des dommages corporels[15] (ci-après le Barème) soit pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur avec séquelles fonctionnelles et changements radiologiques, pourcentages auxquels le Dr Ferron ajoute un 2 % additionnel au titre de la bilatéralité. Ainsi, il retient que le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique total de 6 %.

[156]     Le Dr Ferron justifie cette suggestion par le fait qu’il a noté à son rapport des changements radiologiques pour l’épaule droite à la résonance magnétique du 6 septembre 2007 (légère bursite sous-acromiale, sous-deltoïdienne), et pour l’épaule gauche, à la résonance magnétique du 11 septembre 2007 (bursite sous-acromio-deltoïdienne modérée avec légère tendinopathie du sus-épineux et petite déchirure infra-substance).

[157]     De son côté, le Dr Beaumont examine le travailleur le 17 mars 2011 et mentionne que les mouvements des épaules sont complets passivement, après avoir utilisé d’autres moyens et subterfuges. Il mentionne que le travailleur présente un problème psychologique.

[158]     Dr Beaumont rapporte que selon lui, les trouvailles à l’IRM de 2007 sont normales à droite et peu probantes et non significatives à gauche.

[159]     Il ne reconnaît donc au travailleur qu’un déficit anatomo-physiologique de 1 % en vertu du code 102374 du Barème, soit pour une atteinte des tissus mous de l’épaule gauche sans séquelle fonctionnelle, mais avec changements radiologiques à gauche alors qu’il choisit le code 102 365, atteinte des tissus sans séquelle fonctionnelle, ni changement radiologique pour l’épaule droite, soit 0 %. Enfin, le Dr Beaumont est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’appliquer le principe de bilatéralité.

[160]     Le tribunal constate que globalement, les examens objectifs des deux médecins se ressemblent. Toutefois, la composante « subjective » chez le patient examiné n’a pas été traitée de la même façon de la part des examinateurs, particulièrement en ce qui a trait à la notion de douleur exprimée par le travailleur lors des examens.

[161]     Manifestement, le Dr Ferron a retenu dans son analyse la notion de douleur exprimée par le travailleur au cours de son examen. Il en a clairement fait part lors des mesures des amplitudes articulaires des épaules et le Dr Ferron n’en a clairement pas fait une question de « crédibilité » chez le travailleur. Tout au plus le Dr Ferron dira, lors de la mesure des mouvements de l’épaule gauche, que « Le patient effectue tous les mouvements à gauche sous forme de roue dentée à cause du phénomène antalgique » et «qu’il s’agit donc d’une auto-limitation volontaire ». Pour autant, le Dr Ferron ne nie pas la présence de douleurs alléguées chez le travailleur.

[162]     Au surplus, le Dr Ferron tient également compte de la condition douloureuse du travailleur lorsqu’il rapporte à la palpation de la longue portion du biceps et de la coiffe des rotateurs une sensibilité augmentée à 1+ à droite et 2+ à gauche alors que les tests de Hawkins, Neer, Jobe sont décrits positifs à 1+ à droite et 2+ à gauche.

[163]     Le Dr Ferron a fait, de l’avis du tribunal, un examen complet du travailleur et il semble attribuer un déficit anatomo-physiologique qui tient compte de l’ensemble du tableau : histoire du travailleur, examen physique et imagerie médicale.

[164]     De son côté, le Dr Beaumont semble avoir été contrarié par l’attitude du travailleur au moment de l’évaluation et de fait relève plusieurs points de non-organicité ou d’exagération : présentation du patient en boitant qui se plaint de mal de dos et d’épaule ; patient qui présente des pleurs et tremblements sans cause ; patient qui fait des mouvements désordonnés lorsqu’on lui demande de faire des push-up et qui contracte ses épaules avec tremblements et pleurs lors du simple examen physique. De l’avis du tribunal, le Dr Beaumont fait de ces constats une affaire de crédibilité chez le travailleur.

[165]     Globalement dit, le Dr Beaumont tient peu compte des manifestations douloureuses rapportées chez le travailleur et conclut de son examen que toutes les amplitudes articulaires sont normales, en tenant compte des moyens détournés et subterfuges qu’il a utilisés pour mesurer celles-ci et attribue les problèmes du travailleur à un trouble psychologique et qu’ « Étant donné que le problème, comme mentionné, est d’ordre psychique, il n’y a pas de raison d’accorder un pourcentage physique ».

[166]     Toutefois, le Dr Beaumont n’apporte pas d’hypothèse diagnostique.

[167]     Dans les circonstances, le tribunal n’est pas prêt à retenir l’ensemble des constats du Dr Beaumont du fait que son interprétation de son examen du travailleur a, de toute évidence, été orientée par les impressions retirées touchant sa « crédibilité ». De même, les constats du Dr Ferron doivent être également balisés, principalement à la lumière de son opinion complémentaire du 23 février 2011. S’il est vrai que le Dr Ferron a tenu compte dans son interprétation des données recueillies à son examen de la douleur exprimée par le travailleur, il est également vrai que par sa réponse du 23 février 2011, le Dr Ferron détermine que les ankyloses mesurées à son examen ne doivent pas être indemnisées, en retenant les mesures passives faites.

[168]     De plus, dans sa réponse, le Dr Ferron ne traite pas de l’ankylose en flexion de l’épaule gauche. En toute logique, il y a lieu de considérer que puisque le Dr Ferron a mesuré de façon passive une amplitude complète en flexion, il n’y a donc également pas lieu d’indemniser le travailleur pour cette amplitude.

[169]     Devant une interprétation à ce point distincte entre les deux spécialistes, alors que leurs examens objectifs sont à peu de chose près semblables et que l’un d’entre eux tient manifestement compte du facteur « douleur » alors que l’autre attribue à un problème psychologique la condition du travailleur, le soussigné est d’avis qu’il lui apparaît de mise de retourner aux éléments objectifs du dossier et d’indemniser le travailleur au regard d’atteinte des deux épaules, tout en tenant compte des changements radiologiques rapportés au dossier.

[170]     Le Dr Ferron utilise le code 102 383 du Barème qui vise une atteinte des tissus mous avec séquelles fonctionnelles pour chacune des deux épaules du travailleur. Il ajoute 2 % au titre de la bilatéralité.

[171]     Ce code prévu au Barème indique qu’en sus du 2 % à reconnaître en présence de séquelles fonctionnelles, il y a lieu de se référer au tableau des ankyloses de l’articulation atteinte ainsi qu’au tableau visant les atrophies du membre supérieur en vue d’attribuer, en sus, tout pourcentage de déficit anatomo-physiologique relatif aux ankyloses mesurées.

[172]     En l’espèce, le tribunal ne retient pas le pourcentage établi par le Dr Ferron selon le code 102 383 du Barème puisque, de l’avis du tribunal, le Dr Ferron n’a pas décrit de séquelles fonctionnelles chez le travailleur.

[173]     La jurisprudence enseigne que la « séquelle fonctionnelle » consiste en une anomalie, une restriction ou une réduction de la fonction caractéristique d'un organe, d'une structure anatomique ou d'un système par rapport à ce qui est considéré normal au plan anatomique, physiologique ou psychique, et qui découle d'une lésion professionnelle[16]. La présence d’ankyloses mesurées est un signe de séquelles fonctionnelles[17].

[174]     En l’espèce, le Dr Ferron a émis l’opinion à sa lettre du 23 février 2011 qu’en définitive, il n’y avait pas lieu d’indemniser les ankyloses notées chez le travailleur. Par ailleurs, le Dr Ferron ne décrit aucune autre séquelle fonctionnelle chez le travailleur qui pourrait requérir l’application du code 102 383 du règlement. Le Dr Ferron ne décrit par exemple aucune atrophie aux membres supérieurs du travailleur. Par ailleurs, de l’avis du soussigné, lorsque le Dr Ferron retient une sensibilité 1+ à droite et 2+ à gauche lors de la palpation des biceps et de la coiffe des rotateurs, il décrit davantage une douleur chez le travailleur. Or, de l’avis du soussigné, on entre alors dans la sphère du « subjectif » de la condition du travailleur et, dès lors, le tribunal, à la lumière des constats du Dr Beaumont, est d’avis que la preuve n’est pas prépondérante pour soutenir que cette douleur pourrait être considérée au titre d’une séquelle fonctionnelle.

[175]     En conséquence, le tribunal est d’avis que le Dr Ferron ne pouvait appliquer le code d’indemnisation 102 383 du Barème.

[176]     Pour le tribunal, il y a lieu de retenir que c’est le code 102374 du Barème qui doit s’appliquer au cas du travailleur, soit pour une atteinte des tissus mous, sans séquelle fonctionnelle, mais avec changements radiologiques, et ce, tant à l’épaule droite qu’à l’épaule gauche.

[177]     De l’avis du tribunal, la résonance magnétique du 6 septembre 2007 à l’épaule droite du travailleur révèle bien la présence d’une légère bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne. De même, la résonance magnétique du 11 septembre 2007 à l’épaule gauche révèle une bursite sous-acromio-deltoïdienne modérée avec légère tendinopathie du sus-épineux et petite déchirure infra-substance.

[178]     Le soussigné retient à cet égard l’opinion du Dr Ferron qui reconnaît là des « changements radiologiques » chez le travailleur. D’ailleurs, le Dr Beaumont reconnaît ce même changement pour l’épaule gauche du travailleur puisqu’il lui accorde 1 % de déficit selon ce même code 102374.

[179]     D’autre part, puisque le tribunal retient un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour chacune des épaules du travailleur, il y a lieu de lui reconnaître un pourcentage additionnel de 1 % au titre de la bilatéralité, tel que le prévoit la règle 4 du chapitre premier de l’annexe 1 du Règlement sur le Barème des déficits corporels :

4. Lorsqu’un travailleur, en raison d’une lésion professionnelle, subit des déficits anatomo-physiologiques à des organes symétriques, le pourcentage total qui est fixé pour ces déficits s’établit en additionnant les pourcentages des déficits anatomo-physiologiques fixés pour chacun des organes et en y ajoutant une seconde fois le pourcentage fixé pour l’organe le moins atteint.

 

[180]     En conséquence, le tribunal est d’avis que le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique total de 3 % auquel il faut ajouter, conformément chapitre XIX du règlement, le pourcentage applicable au titre de la douleur et perte de jouissance de la vie, un total de 0,3 %[18].

[181]     En conséquence, le tribunal retient que le travailleur conserve de sa lésion une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique totale de 3,3 %.

[182]     Enfin le tribunal, en raison des conclusions auxquelles il en est arrivé à l’égard de la présence de limitations fonctionnelles chez le travailleur en lien avec la lésion professionnelle, est d’avis que la CSST doit se pencher de nouveau sur la question de la capacité du travailleur à reprendre son emploi à compter du 5 janvier 2011, tel qu’elle l’a déterminé dans sa décision donnant suite à l’avis rendu par le Dr Beaumont du Bureau d’évaluation médicale.

[183]     En attendant, puisque le tribunal a conclu au fait que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle, le tribunal croit que le travailleur a droit de recevoir des indemnités de remplacement du revenu.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie le moyen préalable soulevé par le travailleur;

DÉCLARE que la procédure d’évaluation médicale est irrégulière quant aux limitations fonctionnelles;

MODIFIE la décision rendue le 4 mai 2011 par la Commission de la santé et sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la lésion professionnelle est consolidée le 5 janvier 2011 sans nécessité de soins ou traitements après cette date en ce qui a trait aux diagnostics retenus de bursite et de tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite et de bursite avec tendinite et déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche;

DÉCLARE que le travailleur, monsieur Bernard Boudreau, conserve les limitations fonctionnelles suivantes à la suite de sa lésion professionnelle :

     Éviter tout travail avec les membres supérieurs plus haut que la ceinture scapulaire.

     Éviter tout travail avec les membres supérieurs avec mise en charge plus haut que la ceinture scapulaire. 

 

DÉCLARE que le travailleur conserve une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique de 3,30 % à la suite de sa lésion professionnelle à l’égard des diagnostics retenus;

RETOURNE le dossier à la CSST pour qu’elle détermine le montant de l’indemnité pour dommage corporel auquel le travailleur a droit;


DÉCLARE que le travailleur a droit de recevoir les indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST détermine si le travailleur est capable d’exercer son emploi à la lumière des conclusions du tribunal dans le présent dossier quant aux limitations fonctionnelles que conserve le travailleur en raison de sa lésion.

 

 

 

_______________________________

 

Michel Watkins

 

 

Me Antoine Berthelot

FNCM (SECTION LOCALE 9)

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Karine Savard

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1] Note du tribunal : tel qu’il appert du rapport du Dr Ferron du 7 janvier 2011. Le tribunal n’a pas retrouvé cette lettre au dossier qui lui a été soumis.

[2] Boudreau et Construction Dupont & Chagnon inc., C.L.P. 355582-62B-0808, 28 avril 2010, F. Daigneault.

[3] Note du tribunal : dans ses commentaires, le Dr Ferron note à ce niveau : « Le patient effectue tous les mouvements à gauche sous forme de roue dentée à cause du phénomène antalgique. Il s’agit donc d’une auto-limitation volontaire.

[4] Note du tribunal : à son rapport, le Dr Ferron inscrit « abduction ». Toutefois, il corrigera cette donnée subséquemment pour parler d’adduction.

[5] Note du tribunal : il s’agit manifestement d’une coquille. Aucun rapport daté du 4 janvier 2011 n’est au dossier. Dans sa demande au BEM, la CSST oppose le rapport du Dr Godbout du 14 janvier 2011 à celui du Dr Ferron. De plus, les constats décrits par le Dr Beaumont sont ceux qui apparaissent à ce rapport du 14 janvier du Dr Godbout.

[6] Règlement sur le barème des dommages corporels, L.R.Q. c. A-3.001, r.0.01.

[7] L.R.Q. c. A-3.001

[8] Thériault et Réno-Dépôt inc., C.L.P. 305422-64-0611, 7 décembre 2007, F. Poupart.

[9] Lazarevic et Brasserie Daniel Lapointe II, C.L.P. 355093-05-0808, 16 novembre 2009, F. Ranger.

[10] C.L.P. 246976-08-0410, 6 juillet 2005, J.F.Clément.

 

 

[11] [2003] C.L.P. 312 .

[12] C.L.P. 326451-04-0708, 11 janvier 2008, A. Quigley.

[13] C.L.P.287307-64-0604, 2 novembre 2007, D. Armand.

[14] C.L.P. 301487-62C-0610, 7 décembre 2007, M. Auclair, révision rejetée, 8 octobre 2009, S. Di Pasquale.

[15] L.R.Q. c. A-3.001, r.0.01. ; Note du tribunal : les codes utilisés par les médecins dans leurs expertises réfèrent à une numérotation administrative. Pour les fins des présentes, le soussigné utilisera les mêmes numérotations apparaissant au document administratif intitulé Règlement annoté sur le barème des dommages corporels. Ce dernier texte n’a pas force de loi, puisqu’il n’est pas le règlement lui-même, mais est couramment utilisé par les praticiens.

[16] Richard et Fabspec inc., [1998] C.L.P. 1043 ; Côté et C.S. Brooks Canada inc., [1993] C.A.L.P. 300 .

[17] Voir par exemple : Desnoyers et S.E.P.A.Q. (Réserves fauniques), C.L.P. 181543-64-0204, 27 juillet 2002, C.-A. Ducharme.

[18] Note du tribunal : code 225036 du Barème.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.