COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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Dossier : |
101063 |
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Cas : |
CM-2001-9461 et CM-2006-1562 |
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Référence : |
2006 QCCRT 0601 |
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Montréal, le |
5 décembre 2006 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Jean Paquette |
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Mario Breton |
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Plaignant |
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c. |
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Compagnie d’échantillons ″National″ ltée
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1] Le 24 janvier 2005, Mario Breton dépose une plainte à l’encontre d’une pratique interdite en vertu de l’article 123 de la Loi sur les normes du travail (L.n.t.), par laquelle il allègue avoir été victime d’un congédiement le 21 janvier 2005 à cause de l’exercice d’un droit résultant de la L.n.t., à savoir selon ce qui est mentionné sur la plainte : « environnement exempt de harcèlement ».
[2] Ce même jour, Mario Breton dépose aussi une plainte selon l’article 123.6 L.n.t., par laquelle il déclare avoir été victime de harcèlement psychologique et indique que la dernière manifestation est le 16 décembre 2004.
[3] Sur la première plainte, la Compagnie d’échantillons ″National″ (l’employeur) conteste que Mario Breton a exercé un droit résultant de la L.n.t. et, subsidiairement, soumet qu’il n’y a pas concomitance entre l’exercice du droit et le congédiement. Au surplus, l’employeur soutient que le congédiement est justifié par une autre cause juste et suffisante, soit que Mario Breton a commis deux erreurs importantes dans l’assignation de salariés.
[4] Concernant la deuxième plainte, l’employeur affirme que Mario Breton n’a pas été victime de harcèlement psychologique. Subsidiairement, l’employeur soumet avoir respecté ses obligations légales.
[5] Les parties conviennent de scinder l’audience et demandent que la Commission se prononce dans un premier temps sur le bien-fondé des plaintes.
[6] Le recours à l’encontre d’une pratique interdite et celui en cas de harcèlement psychologique sont distincts. Les conditions d’ouverture, le fardeau de preuve et les moyens de défense ne sont pas les mêmes. Ils doivent donc être traités séparément. Il est tout de même possible de présenter la preuve de façon commune.
[7] La Commission a refusé d’entendre le témoignage d’Éric Poulin, car elle a décidé qu’il n’est pas pertinent. Elle a indiqué aux parties que les motifs seraient consignés dans la présente décision. Il y aura lieu d’en faire état, une fois la preuve présentée.
[8] La preuve est relatée par thèmes qui correspondent aux diverses situations exposées. La présentation ne suit pas nécessairement l’ordre chronologique, sauf lorsque les dates sont connues. Il y a lieu de regrouper en premier des aspects plus généraux (1) pour ensuite présenter les situations particulières (2).
[9] Cette section regroupe 10 thèmes qui apparaissent de la preuve, mais qui ne peuvent pas être présentés avec les situations particulières. Pour cette raison, il est question d’aspects plus généraux.
[10] L’employeur exploite une entreprise qui fabrique des cartables et des livres d’échantillons de store ou de tapis. Il y a un établissement à Montréal et deux autres à Chicago et Miami. L’établissement de Montréal est divisé en divers départements (une dizaine environ) et compte entre 150 à 200 employés.
[11] Mario Breton apprend que l’employeur cherche un directeur de production qui connaît l’imprimerie et qui a une expertise en gestion d’entreprise familiale. Il appelle Morton Kader (le propriétaire, président et directeur général) qui le réfère à Stéphanie Richer qui est la directrice des ressources humaines. Après un bref échange, il est convenu de fixer une rencontre et Mario Breton passe une entrevue en présence de Stéphanie Richer et de Morton Kader.
[12] Selon Mario Breton, les deux posent des questions, mais il ne se rappelle pas du contenu de l’entrevue.
[13] Morton Kader témoigne qu’il n’a fait qu’écouter. Il affirme que Stéphanie Richer connaît toutes les questions à poser et que son rôle est uniquement d’évaluer les réponses. Selon Stéphanie Richer, Morton Kader n’a pas parlé. Elle soutient que l’entrevue s’est déroulée en français, suivie d’une courte visite des installations.
[14] Selon Mario Breton, la visite des installations après l’entrevue se fait avec Morton Kader. Il affirme que Stéphanie Richer n’est pas présente lors de cette visite.
[15] Pour Morton Kader et Stéphanie Richer, la visite a lieu avec elle seulement. Morton Kader déclare que Stéphanie Richer fait toujours les visites et qu’elle s’occupe de tous les aspects de l’embauche. Toutefois, il est possible que Morton Kader ait fait une visite avec Mario Breton après son embauche.
[16] Le lendemain de l’entrevue, Mario Breton transmet un courriel à Stéphanie Richer pour la remercier du temps accordé et lui souligne qu’il a bien apprécié l’entretien et la visite des installations. Il demande de transmettre ses remerciements à Morton Kader.
[17] Mario Breton témoigne avoir discuté lors de l’entrevue de la possibilité qu’il devienne éventuellement directeur général. Stéphanie Richer lui explique que Morton Kader pense prendre sa retraite d’ici deux ans et qu’il cherche quelqu’un pour le remplacer. Il devrait alors suivre Morton Kader pendant 7 à 8 mois pour le transfert d’expérience.
[18] Selon Mario Breton, cette éventualité explique l’exigence d’expérience en imprimerie et en gestion d’entreprise familiale. Toutefois, il n’y a pas d’engagement. Lors de cette discussion, il n’est fait aucune mention de Randi Kader, la fille de Morton Kader et la vice-présidente finance et administration, ni d’une transmission de l’entreprise à son égard.
[19] Tout cela est contredit par Morton Kader qui témoigne ne pas avoir discuté de sa retraite avec Mario Breton pendant ou après l’entrevue. Selon Stéphanie Richer, il n’y a pas eu de discussions au sujet de la direction générale.
[20] Mario Breton travaille dans le domaine de l’impression depuis 24 ans. De plus, il estime avoir plus de 20 années d’expérience en gestion de personnel. Toutefois, il s’agit de son premier emploi en milieu syndiqué où il doit appliquer une convention collective. Il s’agit aussi de son premier emploi où il doit interagir avec une direction des ressources humaines.
[21] Stéphanie Richer demande à Mario Breton comment il se voit travailler avec une direction des ressources humaines. Il répond qu’il ne voit pas d’inconvénients, puisqu’il est habitué de prendre des décisions concernant les employés. Il ajoute que la fonction ressources humaines est un service au soutien des autres fonctions de l’entreprise. À titre d’exemple, il indique qu’il lui arrive de permettre à des employés de quitter plus tôt, selon l’occasion. Stéphanie Richer lui répond que cela ne se fait pas chez l’employeur.
[22] Le 30 août 2004, Mario Breton est embauché à titre de directeur de production et il entre en fonction le 7 septembre 2004. À ce titre, il dirige douze superviseurs qui eux-mêmes dirigent les employés des divers départements. Son rôle est de développer la coordination et la communication entre les départements ainsi que d’assurer le suivi de la priorité des travaux.
[23] Dans le cadre de son travail, Mario Breton collabore étroitement avec Darisse St-Pierre qui est planificatrice de la production et qui travaille sous sa direction.
[24] Au même niveau hiérarchique que Mario Breton se trouvent Stéphanie Richer et John Chisca qui est directeur de l’imprimerie. Tous relèvent de Morton Kader.
[25] Pourtant, Mario Breton témoigne n’avoir su qu’après trois semaines de travail que John Chisca est du niveau directeur, comme lui. Pendant tout ce temps, il pense qu’il est un superviseur sous sa direction et lui indique des priorités de travail. Il trouve étonnant que John Chisca ne donne aucune réponse à ses demandes. Même après avoir appris qu’il était directeur, Mario Breton n’a aucune collaboration de la part de John Chisca. Tant et si bien que le 18 novembre 2004, par courriel, Mario Breton demande à Morton Kader de relever John Chisca de ses fonctions et de placer l’imprimerie sous sa direction. Mario Breton n’informe pas Stéphanie Richer de cette demande. De fait, John Chisca perd son emploi le lendemain.
[26] Mario Breton explique qu’à son embauche, il est informé qu’il est responsable de tous les départements. On lui indique que les presses roulent très bien, mais sans préciser le rôle de John Chisca. Personne ne lui a dit qu’il n’est pas responsable de l’impression.
[27] Au contraire, Stéphanie Richer affirme avoir parlé du poste de directeur de production. Elle a précisé la structure, la direction des ressources humaines et celle de l’imprimerie. Elle a informé Mario Breton sur ses tâches et responsabilités. Il doit assurer la communication entre les départements de production pour veiller à ce que le produit se fasse et soit livré. Elle lui a aussi dit qu’il y a deux lignes de production, une pour le contenu et l’autre pour le contenant. Il doit veiller à ce que ces deux lignes se coordonnent pour arriver ensemble à l’assemblage. Elle lui a expliqué son rôle auprès des superviseurs. Stéphanie Richer témoigne qu’elle n’a pas précisé le rôle de John Chisca, mais il a toujours été clair que John Chisca était le directeur de l’imprimerie. Morton Kader témoigne qu’il a eu une discussion avec Mario Breton pour lui expliquer son rôle.
[28] Mario Breton estime que les départs hâtifs, les changements de poste, les absences, le contrôle de l’absentéisme, les vacances, les formulaires de CSST et les heures supplémentaires relèvent du directeur de production et des superviseurs. Il affirme qu’il n’a pas à consulter Stéphanie Richer sur ces questions. Il n’a pas non plus à demander une autorisation, mais il peut informer. Par contre, le contrôle des coûts ne relève pas de lui et il n’a pas à vérifier les coûts qui découlent de la production.
[29] En contre-interrogatoire, Mario Breton témoigne ne pas avoir su qu’il doit demander l’autorisation à Stéphanie Richer pour les départs hâtifs. Selon lui, les superviseurs s’occupent de cette question. Mario Breton ne se rappelle pas avoir eu une rencontre sur la procédure des absences. Il estime qu’il est dans la tâche normale d’un directeur de production d’autoriser les absences.
[30] Pourtant, le 29 septembre 2004, Stéphanie Richer transmet un courriel à tous les superviseurs pour leur rappeler que toute assignation qui a pour effet de changer le taux horaire doit être approuvée par elle, avant même le début de la tâche. Une copie conforme de ce courriel est transmise à Mario Breton avec la mention de s’assurer que chacun soit au courant de la procédure et soit présent à une rencontre prévue pour l’après-midi. Mario Breton n’a pas demandé à Morton Kader de préciser la procédure.
[31] Le 3 novembre 2004, une lettre est transmise à tous les superviseurs pour leur rappeler que Stéphanie Richer doit autoriser toute absence et les vacances.
[32] De plus, le 10 novembre 2004, Stéphanie Richer rappelle par courriel à Mario Richard (avec copie conforme à Mario Breton) que c’est elle qui autorise les absences et que la procédure n’a pas changé. Ce courriel est transmis en copie conforme à Morton Kader et précisé en anglais pour être sûr que tous comprennent. Mario Breton témoigne ne pas savoir que cette directive s’applique aux superviseurs. De plus, il n’a pas demandé à Morton Kader de préciser la politique.
[33] Pour Morton Kader, Stéphanie Richer est responsable des absences et le suivi des motifs est important. Les superviseurs doivent remplir un formulaire expliquant la raison de l’absence et la transmettre aux ressources humaines. Stéphanie Richer est responsable d’autoriser les heures supplémentaires et un formulaire doit aussi être complété. L’entreprise est syndiquée et il faut suivre la convention collective pour éviter le dépôt de griefs. Stéphanie Richer s’occupe aussi du mouvement de personnel, à cause des taux de salaire dans la convention collective et pour éviter de payer des primes. Morton Kader affirme que Mario Breton ne connaît pas les taux de salaire des employés et il ne peut pas savoir qui peut être déplacé.
[34] Mario Breton et Stéphanie Richer n’ont pas beaucoup à interagir dans leur travail respectif. Stéphanie Richer est responsable des employés et Mario Breton de la production. Leur rôle est séparé. Les employés sont dirigés par les superviseurs et non par le directeur de production. Mario Breton dirige uniquement les superviseurs pour coordonner leur travail, tandis que les superviseurs travaillent avec les employés. Les superviseurs doivent s’adresser à Stéphanie Richer, s’il y a un besoin pour faire des heures supplémentaires afin de savoir quel employé utiliser. Mais la décision de la nécessité du besoin relève de Mario Breton. Quant au besoin de personnel, Stéphanie Richer vérifie s’il est préférable d’embaucher ou de faire des heures supplémentaires.
[35] Morton Kader n’a pas affaire à Mario Breton tous les jours, mais uniquement s’il y a des problèmes. Il ne lui dit pas quoi faire et il ne le supervise pas directement. Par contre, un camion part pour les États-Unis tous les vendredis et la production doit être prête.
[36] Morton Kader n’avait pas d’attente particulière envers Mario Breton. Ce dernier était en apprentissage et cela prend presque une année pour rendre un directeur de production pleinement fonctionnel. Mario Breton avait encore des choses à apprendre. Selon lui, l’entreprise fonctionne, qu’il y ait un directeur de production ou non. Mais, le directeur facilite le lien entre la planification et la production.
[37] Selon Morton Kader, personne ne s’est plaint de Stéphanie Richer auprès de lui, ni sur son comportement, ni sur des insultes. Mario Breton ne s’est pas plaint de harcèlement psychologique auprès de lui. Certains pouvaient se plaindre des exigences de Stéphanie Richer. Mais, celles-ci sont justifiées par les orientations et les besoins de l’entreprise.
[38] Mario Breton se plaint que Stéphanie Richer exerce sur lui un contrôle excessif, qu’elle le dénigre devant les employés et lui fait sentir de façon incessante qu’il manque de jugement. À l’appui, Mario Breton fait référence à 20 événements qui ne sont pas nécessairement liés.
[39] Selon Mario Breton, lors de la première journée de travail le 7 septembre 2004, Stéphanie Richer lui fait le portrait des superviseurs en disant qu’ils sont des « bébés », qu’ils doivent être tenus par la main, qu’ils sont incompétents et qu’ils ont besoin de se faire dire quoi faire. Selon elle, certains sont toujours malades ou absents; d’autres sont menteurs ou hypocrites. Ils ne travaillent pas pour l’entreprise qui mérite du sang neuf et il a fallu diminuer leurs vacances. Stéphanie Richer présente aussi d’autres personnes du bureau, tout en les dénigrant et disant qu’une est hypocrite, que l’autre ne fait rien. Mario Breton est surpris d’entendre ce dénigrement et ce discrédit des superviseurs et des autres salariés. Selon lui, Stéphanie Richer déblatère contre eux et les rabaisse. Cela a commencé le 30 août 2004, lors de la journée d’embauche, et continue cette première journée de travail. Mario Breton écoute poliment et ne trouve pas l’exercice pertinent, car il témoigne attendre de rencontrer les individus avant de se faire une opinion.
[40] Stéphanie Richer soutient qu’elle lui a parlé de la situation de deux superviseurs, un qui avait un problème d’absentéisme et l’autre un problème disciplinaire. Comme Mario Breton est leur supérieur immédiat, elle estime important de l’informer de la situation des personnes qu’il a sous sa responsabilité. Elle nie avoir fait d’autres commentaires sur les autres superviseurs ou les autres employés.
[41] La priorité de Mario Breton est de faire un tableau de production. Le troisième jour de travail, Stéphanie Richer lui demande ce qu’il fait. Mario Breton répond qu’il fait un tableau de production, ce que Morton Kader lui a demandé. Elle commente alors que le tableau de production n’est pas nécessaire, que cela ne marchera pas et qu’ils n’ont pas besoin de ça. Elle affirme connaître la production, puisqu’on lui a tout montré dans son ancien travail. Mario Breton trouve « spécial » de se faire dire par Stéphanie Richer qu’on lui a tout montré. Il a 25 ans d’expérience et toutes les entreprises ont un tableau de production.
[42] Daniel Morin, un employé temporaire, collabore avec Mario Breton à la confection du tableau de production. Il dit à Mario Breton que Stéphanie Richer se questionne sur son travail. Il estime que Stéphanie Richer le regarde « croche », car elle pense que le tableau de production ne fonctionnera pas. Mario Richard, un superviseur, lui fait part du même commentaire. Mario Breton ne discute pas avec Stéphanie Richer pour clarifier la situation.
[43] Stéphanie Richer nie avoir parlé du tableau de production à Daniel Morin et elle souligne que Mario Richard n’est aucunement impliqué. Elle est d’avis que le tableau de production est une bonne idée, mais John Chisca était en vacances cette semaine-là et il y a déjà un tableau pour l’imprimerie. Elle exprime l’opinion qu’il est souhaitable d’attendre son retour pour aller de l’avant avec un tableau de production. Elle souligne à Mario Breton que son tableau vise beaucoup l’imprimerie, tandis qu’il manque la pré-impression et les autres départements. Mario Breton nie qu’elle lui ait parlé ainsi.
[44] Selon Mario Breton, Stéphanie Richer lui dit qu’il « coule » et qu’il « coule vite ». Elle lui mentionne qu’il ne fait pas ce qu’il lui a été demandé. Mario Breton ne réagit pas. Stéphanie Richer nie avoir dit de tels propos.
[45] Il y a trois événements dans cette semaine.
[46] Stéphanie Richer mentionne que le tableau de production n’est pas à la bonne place. Selon elle, il doit être dans son bureau situé au deuxième étage, car il y a deux fenêtres donnant sur le plancher de production.
[47] Stéphanie Richer affirme avoir offert son bureau, à cause de la facilité pour observer la production. Finalement, il n’a pas été jugé approprié qu’elle change de bureau. Mario Breton nie qu’elle lui ait offert son bureau.
[48] Le 16 septembre 2004 est la première journée de paie depuis l’entrée en fonction de Mario Breton. Vers 11 h 20, Stéphanie Richer remet les enveloppes de paie à Mario Breton pour qu’il les distribue aux superviseurs afin de pouvoir les remettre aux salariés avant midi. À 11 h 55, Stéphanie Richer demande à Mario Breton de se présenter à son bureau. Elle lui reproche de ne pas avoir passé les paies à la bonne heure. Elle lui rappelle avoir demandé de les passer juste avant midi afin que les salariés regardent leur bordereau pendant le dîner et non pas sur leur temps de travail. Lors de cette discussion, Stéphanie Richer demande à Luce Bédard de répéter à Mario Breton ce qu’elle a dit. Mario Breton estime qu’il a eu l’air d’un épais devant Luce Bédard. Il trouve la situation humiliante, mais ne dit rien.
[49] Le lendemain, Stéphanie Richer dit à Mario Breton qu’elle a un gros problème avec lui et qu’il n’a pas de jugement. Elle repasse sur l’incident de la paie. Mario Breton n’en revient pas. Il estime qu’il n’a rien fait pour mériter un tel commentaire. Il sait qu’il a du jugement et il n’en doute pas. Il trouve ça « spécial » et il considère les commentaires déplacés, mais il ne dit rien. Stéphanie Richer nie avoir tenu de tels propos.
[50] Stéphanie Richer dit à Mario Breton qu’elle doit congédier Daniel Morin et qu’il en est en partie responsable. Elle explique qu’il est trop souvent avec lui, qu’il ne fait pas son travail et qu’il fait des erreurs. Mario Breton est abasourdi. Daniel Morin l’aide dans ses temps libres, même s’il relève de John Chisca. Toutefois, Mario Breton ne demande pas la permission à John Chisca pour utiliser les services de Daniel Morin. Il s’assure simplement auprès de Daniel Morin qu’il n’a rien d’autre à faire.
[51] Mario Breton décide d’aller voir Morton Kader pour clarifier sa situation, les rôles de chacun et savoir qui est son patron. Mario Breton trouve que Stéphanie Richer fait de l’ingérence dans la production. Il demande du personnel additionnel et elle refuse.
[52] Morton Kader ne se rappelle pas avoir eu une telle rencontre. Il ne se rappelle pas non plus que Mario Breton lui a fait part de problèmes à obtenir du personnel.
[53] Néanmoins, lors de cette rencontre, Mario Breton mentionne à Morton Kader qu’il y a une terreur dans la place, que tout le monde a peur et qu’il y a une mauvaise atmosphère. Il lui indique que Stéphanie Richer est la terreur. Mario Breton base sa perception sur ce qu’il a vécu depuis trois semaines et sur ce que lui rapportent les superviseurs et les employés.
[54] Morton Kader nie avoir entendu le mot « terreur ». Il témoigne qu’une telle accusation est sérieuse et qu’il s’en rappellerait si le mot avait été prononcé.
[55] Mario Breton ne souhaite pas dénigrer personne. Il explique sa situation à Morton Kader et mentionne qu’il est disposé à travailler sous pression, mais pas sous tension. Ainsi, il fait mention des commentaires de Stéphanie Richer sur son manque de jugement, sur le fait qu’il « coule vite » et sur l’inutilité du tableau de production. Il ne donne pas d’exemples sur les superviseurs, car il appartient à Morton Kader de faire son enquête.
[56] Morton Kader lui mentionne que les superviseurs ne travaillent pas pour lui. Mario Breton répond que Stéphanie Richer alimente son opinion, que les superviseurs sont excellents, qu’ils sont passionnés, mais qu’ils manquent de motivation.
[57] Morton Kader confirme à Mario Breton qu’il relève de lui, que John Chisca est de même niveau, que Stéphanie Richer s’occupe des ressources humaines et qu’elle n’a pas de lien avec lui et la production. Mario Breton indique à Morton Kader que Stéphanie Richer en prend plus large que les ressources humaines. Morton Kader aurait alors dit qu’il va s’en occuper.
[58] Concernant Daniel Morin, Mario Breton demande à Morton Kader s’il est vrai qu’il va être congédié. Il répond que oui. Mario Breton lui demande si c’est à cause de lui. Morton Kader répond que non et lui demande qui a dit ça. Mario Breton répond que c’est Stéphanie Richer. Il demande aussi de donner une chance à Daniel Morin et de le mettre sous sa supervision, ce à quoi Morton Kader répond par la négative.
[59] Après la rencontre, Mario Breton quitte, pendant que Morton Kader sort de son bureau pour aller dans celui de Stéphanie Richer.
[60] Lors de son témoignage, Mario Breton explique qu’il n’est pas témoin d’assauts verbaux par Stéphanie Richer envers les superviseurs. Par contre, selon son évaluation, les superviseurs ne peuvent rien faire, leurs décisions ne sont jamais les bonnes et les documents ne sont jamais remplis de la bonne manière. De plus, ils n’ont pas de réponse à leur demande de personnel. En ce qui le concerne, Stéphanie Richer lui fait sentir qu’il ne prend jamais la bonne décision, il se fait appeler sur l’intercom dix fois par jour et vit toujours du dénigrement.
[61] Une fois la rencontre terminée, Mario Breton décide de voir s’il peut aider Daniel Morin. Il fait une petite enquête auprès de Mario Richard qui l’amène à conclure que les erreurs imputées à Daniel Morin ne sont pas les siennes. Elles datent d’avant son entrée en fonction. Mario Breton témoigne qu’il a vingt ans d’expérience en gestion de personnel et qu’il sait quand une personne est allumée. Il ajoute qu’il sent la magouille, le complot et estime que Daniel Morin se fait lyncher, puisqu’il connaît l’imprimerie et ne fait pas d’erreur. Il retourne voir Morton Kader en après-midi et lui réitère sa demande de laisser une chance à Daniel Morin. La réponse est encore négative. Mario Breton décide de ne pas aller plus loin pour ne pas se mettre Morton Kader à dos.
[62] En contre-interrogatoire, Mario Breton admet qu’il n’a parlé qu’à Mario Richard pour faire son enquête, qu’il n’a pas vu les signatures sur les bons de commande et que ni lui, ni Mario Richard ne supervisaient le travail de Daniel Morin.
[63] Stéphanie Richer témoigne que Daniel Morin a été embauché pour un remplacement de congé de maladie, qu’il n’avait pas trois mois de service et qu’il a démontré un manque d’autonomie, puisqu’il devait constamment référer aux autres pour faire son travail. De plus, la personne malade revenait au travail au mois de novembre. Stéphanie Richer a pris la décision de le congédier avec John Chisca. Stéphanie Richer témoigne qu’elle n’a pas imputé la faute à Mario Breton.
[64] Le lendemain, Stéphanie Richer interpelle Mario Breton pour lui demander s’il a parlé à Morton Kader la veille. Il répond que oui. Selon Mario Breton, Stéphanie Richer lui affirme qu’il peut faire ce qu’il veut, qu’elle n’a pas peur de lui, ni de Morton Kader, ni de personne.
[65] Stéphanie Richer accuse Mario Breton d’avoir avisé Daniel Morin de son congédiement. Mario Breton répond que non, qu’il n’avait pas à le lui dire et dit à Stéphanie Richer qu’elle est capable de faire son travail. Selon Mario Breton, elle affirme que « c’était juste un test pour voir si t’es capable de te fermer la gueule (ou garder ta langue) » (selon les versions de Mario Breton). Elle soutient que Daniel Morin a changé son attitude et ne lui parle plus. Mario Breton lui répond d’aller le voir, si elle a un problème avec lui. Elle ajoute à Mario Breton qu’il n’est pas du bon côté, qu’il n’est pas assez intelligent et qu’il ne se rallie pas avec la bonne gang, les bonnes parties. Mario Breton propose d’appeler Daniel Morin pour le confronter. Stéphanie Richer dit que ce n’est pas nécessaire, que c’était juste pour voir. Considérant que la situation est juste du niaisage, Mario Breton retourne à son travail.
[66] Stéphanie Richer témoigne qu’elle est surprise du soudain changement d’attitude de Daniel Morin, puisqu’il est toujours souriant. Elle appelle Mario Breton pour lui demander s’il l’a avisé. Sa réponse est non et il n’y a pas eu d’autre suite.
[67] Des machines sont arrêtées depuis 15 minutes pour la mise au point de la prochaine production. Par l’intercom, Stéphanie Richer demande à Mario Breton de la rappeler. Elle lui demande pourquoi les machines sont arrêtées. Mario Breton lui donne l’explication et lui indique qu’elles allaient repartir dans 15 minutes. Elle commente en disant : « Comment ça se fait que ce n’est jamais arrivé avant? ». Elle aurait aussi dit : « Ha comme ça, l’imprimerie est en retard! » Dix minutes plus tard, c’est Morton Kader qui appelle pour s’informer des raisons de l’arrêt des machines. Mario Breton lui donne les explications.
[68] Mario Breton témoigne qu’il ressent que Stéphanie Richer appelle Morton Kader pour lui rapporter ce qui se passe et pour le faire passer pour un incompétent. Il sait qu’elle cherche à le discréditer. Pour cette raison, il ne demande pas pourquoi elle pose la question. Il ne demande pas non plus à Morton Kader la raison de son appel.
[69] Mario Breton se plaint que Stéphanie Richer l’appelle dix fois par jour par l’intercom sur un ton agressif et arrogant. Selon lui, elle demande constamment ce qui se passe, qui a donné telle permission et lui indique que c’est elle qui s’occupe de ça.
[70] L’incident se passe fin octobre ou début novembre 2004. Ricardo travaille au département des couteaux sous la supervision de Pierre Leclerc. Le mercredi, il ne se sent pas bien et demande de quitter le travail, ce qu’autorise Pierre Leclerc. Ce dernier a déjà autorisé une absence pour le jeudi depuis un mois, car Ricardo doit aller à la Cour. Le vendredi, le travail est en retard et Ricardo fait des heures supplémentaires en après-midi.
[71] Le mardi suivant, Stéphanie Richer s’aperçoit de la situation en faisant les paies. Elle réunit Mario Breton et Pierre Leclerc et elle les traite de parfaits imbéciles ou d’innocents, selon les versions. Pour Pierre Leclerc, elle aurait plutôt dit : « Qui est l’imbécile qui a autorisé cette personne à faire du temps supplémentaire ». Elle accuse le salarié de faire exprès pour ne pas travailler et ensuite récupérer l’argent en heures supplémentaires. Stéphanie Richer est d’avis qu’ils auraient dû demander à une autre personne de faire les heures supplémentaires. Mario Breton n’en revient pas. Selon elle, il ne faudrait croire personne et considérer que tous les employés sont des menteurs et des voleurs. Mario Breton témoigne en avoir ensuite discuté avec Pierre Leclerc et lui avoir mentionné qu’il a fait la bonne chose et qu’il n’y a pas de magouillage.
[72] Pierre Leclerc témoigne que si un salarié doit s’absenter, il en parle normalement à Mario Breton et Stéphanie Richer. Pour Ricardo, si Stéphanie Richer n’a pas été avisée, il s’agit d’un oubli. Stéphanie Richer exigeait d’autoriser les absences avant l’arrivée de Mario Breton dans l’entreprise. Sur Stéphanie Richer, il affirme que moins il la voit, mieux il se porte. Il se sent abaissé, opprimé par elle. Il ne remet pas en cause la personne, mais souligne qu’il est mal à l’aise avec elle à cause de son style, de la façon dont elle s’y prend ou agit. Il n’a pas aimé se faire traiter d’imbécile, surtout qu’il avait obtenu l’autorisation de Mario Breton et de Darisse St-Pierre. Il soutient qu’il n’y a pas de directive d’aller consulter Stéphanie Richer pour les heures supplémentaires. Il témoigne aussi qu’une fois, il a appelé Stéphanie Richer « ma belle » et que cette dernière lui a indiqué ne pas aimer ça.
[73] Stéphanie Richer témoigne que Ricardo a un problème d’assiduité. Lorsqu’elle constate son absence et les heures supplémentaires ensuite, elle appelle Mario Breton pour s’informer. Ce dernier répond que ce n’est pas de ses affaires, que Pierre Leclerc est au courant et que cela ne la regarde pas. Stéphanie Richer lui répond qu’elle veut les voir tous les deux. Elle leur montre la carte de temps et demande qui a autorisé le congé et les heures supplémentaires. La réponse est Pierre Leclerc. Elle explique qu’elle ne comprend pas et que Pierre Leclerc est au courant qu’elle doit les autoriser au préalable. Elle s’adresse à Pierre Leclerc, mais Mario Breton doit être là pour être informé. Il doit faire appliquer la politique. Stéphanie Richer nie avoir utilisé le terme « imbécile ».
[74] Fin novembre 2004, les superviseurs veulent rencontrer Morton Kader pour lui parler de l’attitude et de la façon dont Stéphanie Richer les traite. Mario Breton n’assiste pas à cette rencontre. Mais, il affirme que les superviseurs sont à bout de nerfs et se confient à lui. Il soutient agir comme une bouée de sauvetage. Il souligne que les demandes des superviseurs pour du personnel supplémentaire demeurent sans réponse.
[75] Après la rencontre, deux ou trois superviseurs rapportent à Mario Breton qu’ils ont pu s’exprimer. Ils ont déclaré que Stéphanie Richer réprimande tout ce qu’ils disent, qu’ils ne font jamais rien de correct et qu’ils sont fatigués de se faire dire qu’ils ne font pas la bonne chose. De plus, ils expliquent à Morton Kader que Stéphanie Richer dit qu’elle est la directrice générale et affirme que c’est elle qui mène. Ils rapportent à Mario Breton que Morton Kader est étonné. Selon Mario Breton, la rencontre a duré de deux à trois heures.
[76] Morton Kader témoigne que la rencontre a duré 1 h 30. Il demande à chacun de s’exprimer sur le sujet de son choix. L’atmosphère est calme. Les problèmes discutés sont la raison de leur perte de deux semaines de vacances, de l’absence d’augmentation de salaire et de l’obligation du suivi des départs hâtifs. Les superviseurs attribuent à Stéphanie Richer la responsabilité de leur situation. Il n’est pas question d’insultes. Morton Kader leur explique que la baisse de deux semaines de vacances par année est liée à la variation du taux de change entre le dollar canadien et américain, qu’il lui faut diminuer les coûts, augmenter la productivité et qu’il ne peut plus permettre cinq semaines de vacances par année.
[77] Mario Breton sait qu’il y a eu une coupure de vacances, mais il ne connaît pas les raisons.
[78] Il y a deux événements concernant Randy Hadwin.
[79] Au départ de John Chisca le 19 novembre 2004, la direction de l’imprimerie revient à Mario Breton. Randy Hadwin est le seul pressier sur la grosse presse depuis le mois d’octobre. À un moment, Stéphanie Richer le rencontre et lui demande comment vont les choses depuis le départ de John Chisca. Randy Hadwin répond que ça va bien, mais qu’il se fait demander plus de questions techniques par les autres pressiers, notamment sur les couleurs. Stéphanie Richer lui répond que ce n’est pas son travail de répondre aux questions sur les couleurs, mais celle de Mario Breton. Elle ajoute que « s’il se plante, il va se planter » ou « laisse-le se planter ». Surpris, Randy Hadwin va voir le président du syndicat qui lui suggère de le dire à Mario Breton. Ce dernier témoigne qu’il s’agit de questions techniques dont il n’a pas la réponse.
[80] Stéphanie Richer affirme ne pas avoir dit de le laisser « se planter ». Elle parle en anglais à Randy Hadwin et cette expression n’a pas d’équivalent anglais.
[81] Début décembre 2004, Randy Hadwin fait une erreur et 1 500 feuilles sont ratées. Dans ce cas, une fiche doit être complétée. La semaine suivante, Stéphanie Richer convoque une rencontre avec Randy Hadwin, le président du syndicat et Mario Breton. Elle commence par dire qu’elle comprend que la situation est difficile depuis le départ de John Chisca, qu’il y a plus de pression et que les choses ne sont pas pareilles. Randy Hadwin reconnaît son erreur et demande de recevoir sa lettre disciplinaire. À un moment, Mario Breton intervient et dit à Stéphanie Richer que le salarié comprend, qu’il accepte ses torts, qu’il veut retourner travailler et il suggère d’arrêter la rencontre.
[82] Celle-ci répond : « Ha ben sacrament! ». Stéphanie Richer demande aux deux autres personnes de sortir. Elle explique à Mario Breton qu’il n’est pas là pour parler, mais pour être témoin. Mario Breton répond qu’elle vient de sacrer après lui et lui mentionne qu’il n’a jamais haussé le ton. Stéphanie Richer répond qu’elle n’a pas sacré après lui, mais après la situation. Mario Breton précise qu’il la respecte et qu’elle aussi doit le respecter.
[83] Mario Breton témoigne qu’il perçoit lors de cette rencontre que Stéphanie Richer cherche à le dénigrer. Elle n’arrête pas de commenter la situation difficile depuis que l’imprimerie est sous sa direction. Il sent qu’elle déprécie les améliorations entreprises dans ce département. Mario Breton ne voit rien de mal à son intervention auprès de Stéphanie Richer, en présence du président du syndicat et d’un salarié lors d’une rencontre disciplinaire.
[84] Stéphanie Richer témoigne qu’il est inacceptable pour un directeur de production de ne pas soutenir la direction et de démontrer un désaccord entre deux directeurs en présence du syndicat et devant un employé. Elle affirme ne pas avoir crié, ni sacré après lui.
[85] Fin novembre - début décembre 2004, Mario Breton demande à un margeur (aide-pressier) d’entrer au travail 30 minutes avant le quart de travail en heures supplémentaires afin de prendre de l’avance. Mario Breton n’en parle pas à Stéphanie Richer.
[86] Le 7 décembre 2004, Stéphanie Richer en discute avec Mario Breton. Elle constate que le margeur entre au travail en heures supplémentaires régulièrement. Elle lui mentionne qu’il doit la consulter pour tout changement affectant l’horaire des employés sur une base permanente. Elle doit être informée au cas où il y aurait une question du syndicat.
[87] Selon Stéphanie Richer, Mario Breton répond que ce n’est pas de ses affaires, que cela ne relève pas d’elle et qu’elle n’a pas à être informée. Il lui indique qu’elle a juste à payer. Elle le questionne aussi sur le fait que, malgré sa décision, il y a une perte de temps pour le pressier. Mario Breton ne veut pas répondre. Elle lui dit que cela est inacceptable et qu’il doit respecter l’horaire.
[88] Selon Mario Breton, Stéphanie Richer lui indique que ce n’est pas correct et lui mentionne que c’est à elle de décider. Elle l’informe que ce n’est pas parce que cela se fait ailleurs, que c’est approprié chez l’employeur. Ce n’est pas à lui de décider de modifier l’horaire d’un employé, c’est à elle.
[89] Le 6 décembre 2004, Randy Hadwin appelle pour dire qu’il ne peut pas entrer au travail, car il est malade. Il parle à Stéphanie Richer qui transfert l’appel à Mario Breton. Randy Hadwin discute avec Mario Breton d’un travail qui est urgent. Il ressort de cette discussion que le travail est prêt à 95 % dans l’ordinateur et que DL peut faire le travail. DL est un margeur (aide-pressier). Mario Breton témoigne qu’il a été pressier ailleurs (mais ne peut pas préciser le type de presse), qu’il est à l’emploi depuis trois ans, qu’il est consciencieux et qu’il n’a jamais eu de problème avec lui.
[90] Mario Breton parle à DL et lui propose d’essayer. Mario Breton indique à DL de ne pas faire le travail tant qu’il ne confirme pas personnellement les informations nécessaires pour l’imprimer. DL fait le travail et Mario Breton est satisfait du résultat. Il souhaite former DL pour un futur quart de soir ou pour les éventuels besoins de l’employeur.
[91] Quelques jours plus tard, Stéphanie Richer demande à Mario Breton qui a autorisé DL à faire le travail. Mario Breton répond que c’est lui. Stéphanie Richer dit que c’est à elle de donner l’autorisation, puisque cela implique la convention collective et un changement de taux horaire. Stéphanie Richer critique la décision et souligne à Mario Breton qu’il y a des problèmes avec le salarié. Mario Breton témoigne qu’il n’est pas intéressé à connaître la nature des problèmes, qu’il juge l’individu au mérite et qu’il estime que les affirmations de Stéphanie Richer visent juste à le dénigrer. Mario Breton répond que le travail a été bien fait et que DL serait une solution pour le quart de soir à venir prochainement. Stéphanie Richer fait rapport de la situation à Morton Kader.
[92] Le 10 décembre 2004, Mario Breton envoie un courriel à Randi Kader pour lui faire part de l’utilisation de DL comme pressier. Il lui suggère que DL pourrait être un bon candidat à entraîner pour devenir un pressier régulier. Randi Kader répond qu’elle va en discuter avec Morton Kader et qu’il faut considérer tous les aspects de ce salarié. Stéphanie Richer n’est pas mise en copie conforme, mais Morton Kader et Darisse St-Pierre le sont. Selon Mario Breton, il s’agit d’un cas qui ne relève pas des ressources humaines. Il témoigne qu’il a pris une décision d’un directeur de production.
[93] Mario Breton témoigne ne pas connaître la différence de salaire entre un margeur et un pressier. Il n’a pas regardé la convention collective et il n’a pas consulté Stéphanie Richer, ni Morton Kader. La préparation du travail a pris plus de six heures. La presse a roulé 35 minutes. La production est de 185 feuilles et le minimum pour partir un travail est de 1 200 feuilles. Une journée régulière, Randy Hadwin fait quatre productions et sort 10 000 feuilles. Le salaire du pressier est le double de celui du margeur. Aucun margeur n’est transféré pressier sans une formation qui prend plusieurs semaines, ce que reconnaît d’ailleurs Mario Breton.
[94] Le vendredi 10 décembre 2004, à la fin du quart de travail, un travail n’est pas terminé et il faut faire des heures supplémentaires pour le finir. Mario Breton demande à la superviseure si des salariés du département veulent faire des heures supplémentaires. Selon Mario Breton, la réponse est mince. Il décide de faire compléter le travail par la superviseure, son adjointe et une salariée. Il ne fait aucune demande à Stéphanie Richer, ni ne vérifie si les salariés des autres départements veulent faire des heures supplémentaires.
[95] Le mardi suivant, Stéphanie Richer veut des renseignements sur les heures supplémentaires faitent le vendredi. Mario Breton répond que si la question traite de production, il n’a pas à lui en parler. Toutefois, il ajoute que si la question concerne les ressources humaines, il est disponible. Mario Breton demande à Darisse St-Pierre de l’accompagner pour rencontrer Stéphanie Richer, car il veut un témoin. Stéphanie Richer demande à Darisse St-Pierre la raison de sa présence. Mario Breton lui indique que Darisse St-Pierre assiste à la rencontre, parce qu’elle est impliquée dans la production. Stéphanie Richer ne veut pas. Mario Breton insiste.
[96] Stéphanie Richer demande des explications sur les heures supplémentaires faitent par Rachel Martel. Mario Breton répond qu’elle n’a pas à gérer le budget, ni à contrôler la production ou la main-d’œuvre nécessaire à la production. Mario Breton estime que la décision de l’attribution des heures supplémentaires relève du directeur de production. Il applique la convention collective et il n’a pas à impliquer la direction des ressources humaines. Lors de son témoignage, Mario Breton admet toutefois qu’il ne connaît pas la convention collective au complet et il ne sait pas si elle permet de forcer un salarié à faire des heures supplémentaires. Stéphanie Richer indique qu’il aurait dû lui en parler avant, que les superviseurs ne peuvent pas faire du travail de production, sauf deux exceptions. Mario Breton répond qu’elle n’est pas sa patronne, que son patron est Morton Kader, qu’il n’a rien à expliquer et que s’il y a des explications à donner, elles seront faites à Morton Kader.
[97] Sur ce, Stéphanie Richer appelle Randi Kader en téléphone mains libres. Stéphanie Richer l’informe que Mario Breton ne veut pas répondre à ses questions et demande de lui indiquer que c’est elle qui demande l’information. Randi Kader avise qu’elle va se rendre au bureau de Stéphanie Richer. Dans l’intervalle, Darisse St-Pierre quitte la pièce. Randi Kader indique à Mario Breton qu’elle est le patron en l’absence de son père. Elle ajoute qu’elle pose des questions à Stéphanie Richer et que Stéphanie Richer devait avoir les réponses. Randi Kader quitte ensuite le bureau.
[98] Selon Mario Breton, Stéphanie Richer affiche ensuite un large sourire qui cherche à l’écraser et à lui démontrer qu’elle avait le contrôle. Stéphanie Richer lui indique qu’il a pris une mauvaise décision et qu’il ne sait pas gérer. Pour Mario Breton, elle ne comprend pas la production et la nécessité des liens avec les salariés. Stéphanie Richer témoigne qu’au départ de Randi Kader, elle a posé quelques questions et Mario Breton n’a pas répondu. Elle a alors mis fin à la rencontre.
[99] À son retour, Morton Kader parle à Mario Breton des heures supplémentaires faitent par Rachel Martel. Il lui dit que c’est une mauvaise décision. Mario Breton estime que cela vient de Stéphanie Richer, mais il précise aussi qu’il s’attendait à se faire « varloper » par Morton Kader.
[100] Mario Breton apprend que Stéphanie Richer a demandé toutes les feuilles de temps des pressiers depuis le départ de John Chisca. Elle demande aussi les codes pour interpréter les feuilles de temps. Il appert qu’il n’y a jamais eu une telle demande en 22 ans. Mario Breton témoigne qu’il a le sentiment que Stéphanie Richer prépare quelque chose. Cela le met sur les nerfs. Stéphanie Richer « cherche un trou ». Il sait qu’elle veut sa peau. Elle scrute et cherche à le planter, « à le pendre ou le lyncher ». Mario Breton n’appelle pas Stéphanie Richer pour s’informer des raisons de sa demande.
[101] Stéphanie Richer témoigne qu’elle préparait un dossier en prévision d’un arbitrage de grief et que la demande n’avait aucun lien avec Mario Breton.
[102] Vers la mi-décembre 2004, Normand Asselin, qui est un superviseur, discute vivement au téléphone avec Stéphanie Richer afin d’obtenir du personnel additionnel. Mario Breton entend la fin de la conversation. Après un moment, Normand Asselin raccroche la ligne au nez de Stéphanie Richer. Peu après, Morton Kader l’appelle et lui demande de le rejoindre à son bureau. Randi Kader et Stéphanie Richer sont également présentes.
[103] Mario Breton témoigne que six à sept superviseurs sont inquiets et se demandent quoi faire. Ils ont peur que Normand Asselin se fasse congédier. Ils disent à Mario Breton qu’ils veulent aller voir Morton Kader. Mario Breton les écoute et leur dit : « si vous avez à faire quelques choses, faites-le ensemble, regroupez-vous et montrez-vous solidaire et faites une équipe ». Ils se regroupent, vont chercher les autres superviseurs et ils montent au bureau de Morton Kader pour manifester leur soutien à Normand Asselin. Pendant ce temps, Mario Breton veille à ce que tout fonctionne dans l’entreprise.
[104] Mario Breton témoigne qu’il ne décourage pas les superviseurs, ni ne les incite. Il ne connaît pas le but de la rencontre avec Normand Asselin, mais présume qu’il est là pour se faire sermonner. Lui-même vit les critiques continuelles de Stéphanie Richer et il constate que les superviseurs aussi.
[105] Mario Breton n’assiste pas à la réunion. Mais, selon ce qu’il sait, Pierre Leclerc cogne à la porte et les superviseurs se font tous congédier sur-le-champ. Il voit les superviseurs redescendre. Certains sont contents. Ensuite, Morton Kader descend l’escalier, réembauche tous les superviseurs et congédie Mario Breton, parce qu’il ne travaille pas pour lui (« And you, you are fired, you don’t work for me, you are fired »).
[106] Peu après, Cary Lirette demande à Mario Breton de rester dans son bureau. Elle va rencontrer Morton Kader. Elle revient dire à Mario Breton que Morton Kader va venir le voir. Mario Breton appelle Cary Lirette pour l’informer que Morton Kader n’est toujours pas venu le trouver. Celle-ci lui indique que Morton Kader est trop gêné, de ne pas quitter l’entreprise et qu’il allait lui parler le lendemain.
[107] Le lendemain, Morton Kader rencontre Mario Breton. Il lui explique qu’il ne peut pas accepter qu’il monte les superviseurs contre lui. Il ne peut pas accepter qu’il ne travaille pas pour ses intérêts à lui. Mario Breton affirme n’avoir aucun lien avec la démarche des superviseurs. Il réitère que Stéphanie Richer cherche à tout contrôler. Morton Kader lui répond qu’elle n’est pas bonne en ressources humaines, mais qu’il ne peut pas la mettre dehors, car elle génère des économies d’argent dans les dossiers de santé et sécurité du travail. Morton Kader ajoute que s’il est intelligent, qu’il la laisse « se planter » et que lui-même s’occupera de lui tomber dessus. Mario Breton témoigne qu’il est surpris par cette attitude, qu’il commence à s’inquiéter et se questionne sur l’esprit de collaboration au sein de l’entreprise.
[108] Morton Kader témoigne qu’il n’utilise pas cette expression « se planter », qu’une telle expression n’existe pas en anglais. Or, il parle uniquement l’anglais lorsque l’interlocuteur comprend l’anglais. Il utilise son français seulement lorsque l’interlocuteur ne comprend pas l’anglais. Mario Breton parle anglais.
[109] Selon Morton Kader, la réunion vise à clarifier la situation entre Normand Asselin et Stéphanie Richer. Il n’est pas question de mesure disciplinaire. Tout à coup, il entend frapper fort à la porte. Il ne répond pas pour préserver le caractère privé de la rencontre. Il affirme qu’il n’a finalement pas le choix d’ouvrir la porte, sinon elle allait se briser tellement ça frappait fort. Il ouvre la porte et aperçoit tous les superviseurs. Il ne croit pas ce qu’il voit. C’est une première dans de sa vie. Pierre Leclerc lui dit qu’ils sont là pour supporter Normand Asselin. Morton Kader leur demande qui s’occupe de l’usine en ce moment. Il leur dit de s’en aller « get out of here ». Ils partent et il finit sa rencontre.
[110] Une fois la rencontre terminée, il descend l’escalier. Tous les superviseurs sont autour de Mario Breton près du département de Pierre Leclerc. Morton Kader leur demande ce qu’ils font. Ils lui disent qu’il les a congédiés. Morton Kader répond qu’il ne les a pas congédiés et de retourner au travail. Morton Kader était surpris et stupéfait, mais il n’a pas dit aux superviseurs qu’ils sont congédiés.
[111] Ensuite, Morton Kader pointe Mario Breton et il le congédie « you are fired ». Morton Kader retourne à son bureau. Il témoigne qu’il voit tous les superviseurs autour de Mario Breton et il estime qu’il est l’instigateur de leur démarche. L’établissement est grand, personne ne sait que Normand Asselin est dans son bureau et, de toute façon, il le convoque souvent. Alors, pour quelles raisons tous les superviseurs décident subitement de venir le voir. Il se demande qui leur a dit d’aller à son bureau. Il conclut que c’est Mario Breton et il décide de le congédier sur-le-champ.
[112] Cary Lirette vient voir Morton Kader dans son bureau. Elle lui mentionne que Mario Breton l’a appelé pour l’informer qu’il n’est pas impliqué dans la décision des superviseurs d’aller le voir à son bureau. Morton Kader estime qu’il a peut-être trop réagi et il dit à Cary Lirette que Mario Breton peut continuer à travailler. Morton Kader témoigne qu’il n’a pas parlé à Mario Breton concernant cette dernière décision et qu’il ne s’est pas excusé à son endroit.
[113] Sur une question de vacances quant à un salarié, Stéphanie Richer pose des questions à Mario Breton. Ce dernier lui indique qu’il s’est fié à la grille des vacances sur le tableau d’affichage et qu’il doit s’agir d’une entente avec John Chisca.
[114] Stéphanie Richer lui mentionne que cette grille n’est pas la bonne, que la bonne grille est la sienne, que c’est elle qui autorise la prise de vacances et qu’il ne faut pas se fier aux employés qui mettent l’information à leur avantage.
[115] Mario Richard se blesse au travail. Avec Mario Breton, il remplit les formulaires pour la CSST. Sur réception, Stéphanie Richer indique à Mario Breton que la feuille n’est pas bien remplie. Mario Breton estime que les remarques sont ridicules et visent à le diminuer. Il témoigne que chacune de ses décisions n’est pas bonne pour Stéphanie Richer. Il estime qu’elle est une « control freak », qu’elle veut tout contrôler, que rien n’est à sa satisfaction et qu’elle souligne toujours quelque chose pour le faire passer pour un épais.
[116] Stéphanie Richer témoigne qu’elle appelle Mario Breton pour obtenir le rapport d’accident. De plus, elle souligne qu’il n’y a rien au registre. Mario Breton répond que ce n’est pas grave et qu’elle n’en a pas besoin. Elle répond qu’il y a un arrêt de travail et qu’elle a besoin du rapport. Mario Breton mentionne qu’il le fera au retour de Mario Richard. Il lui remet le rapport. Il manque des informations et il n’a pas fait l’enquête. Tout cela est nécessaire pour la CSST et pour la prévention en comité de santé et sécurité du travail.
[117] Il est en preuve que le 18 octobre et le 9 décembre 2004, deux courriels sont transmis par Stéphanie Richer à tous les superviseurs pour leur rappeler la procédure en cas d’accident du travail et pour leur faire part de la décision du comité de santé et sécurité du travail d’analyser les accidents survenus en 2004. Mario Breton est en copie conforme sur chaque courriel.
[118] Le mois de janvier 2005 est calme, mais Mario Breton sent que quelque chose se trame. D’ailleurs, depuis décembre, il commence à regarder pour un autre emploi. Il ne veut plus vivre sous tension et se faire dénigrer, mais il ne peut pas démissionner pour des raisons financières. Il ne pense pas à faire une plainte de harcèlement psychologique. Mario Breton témoigne qu’il ne veut pas faire de plainte pendant son emploi, car il souhaite le garder et il estime qu’il était déjà en trouble avec Morton Kader. Mario Breton affirme que le vendredi est jour de congédiement chez l’employeur. Toutefois, il ne peut donner qu’un autre exemple, outre son congédiement.
[119] Le 21 janvier 2005, la situation est trop calme. Stéphanie Richer le convoque à son bureau et l’informe que son emploi prend fin. Les raisons invoquées sont le manque de transparence, le manque de coopération avec la direction et le fait qu’il ne rapporte pas tout ce qui se passe sur le plancher à Morton Kader et à la direction. Mario Breton reçoit cette décision comme une délivrance, car cela fait presque cinq mois qu’il vit du harcèlement.
[120] Il y a ensuite un échange de courriels avec Morton Kader pour confirmer la fin d’emploi et ses raisons. Mario Breton craint que Stéphanie Richer soutienne qu’il a démissionné. Morton Kader lui reproche deux décisions : soit celle d’avoir demandé et permis à DL, un margeur (aide-pressier), d’opérer la grosse presse sans avoir consulté personne et celle d’avoir désigné un pressier sans expérience sur le quart de soir sans qu’il ait complété sa formation et sans savoir s’il y a un aide-pressier pour l’assister (DL démissionne le 17 janvier 2005 et annonce verbalement sa décision à Mario Breton le même jour).
[121] Selon Mario Breton, la décision d’assigner le pressier de soir n’est pas la sienne, mais celle de Stéphanie Richer qui l’a embauché et qui lui a donné les instructions à suivre. Il n’a pas participé au processus de sélection et d’embauche. Elle lui a dit qu’il allait commencer de jour une semaine et qu’il allait ensuite avoir une semaine de vacances. Elle lui a indiqué que la semaine suivante, il commençait sur le nouveau quart de soir. Mario Breton témoigne qu’une semaine de formation n’est pas beaucoup pour ce métier.
[122] Stéphanie Richer témoigne plutôt avoir dit qu’au retour des vacances, la situation serait réévaluée, considérant qu’il est inhabituel de prendre des vacances la deuxième semaine où un emploi débute. Le nouveau pressier se fait indiquer par Mario Breton de rentrer sur le quart de soir au retour de ses vacances. Il ne s’estime pas prêt. Randy Hadwin aussi estime qu’il n’est pas prêt. Selon Stéphanie Richer, il n’a jamais été question de l’assigner sur le quart de soir, mais simplement que son embauche vise l’éventuel début du quart de soir. La date n’avait pas été discutée. Il faut attendre que la formation soit complétée. Elle discute avec Morton Kader et la décision est prise de mettre fin à l’emploi de Mario Breton.
[123] Morton Kader témoigne avoir pris la décision de congédier en raison de deux mauvaises décisions de Mario Breton. La décision de mettre DL, qui n’a pas d’expérience, sur une presse de 3 millions de dollars sans consulter est une erreur importante. Il n’a aucune formation et un autre pressier aurait pu se plaindre et invoquer son ancienneté. Dans un contexte syndiqué, ce n’est pas une bonne décision. De plus, DL était sur le point de se faire congédier, car il prenait de la drogue. Ce n’est pas un employé qu’il souhaitait garder. Selon Morton Kader, Mario Breton n’était pas autorisé à prendre une telle décision. Il témoigne qu’il lui a ensuite expliqué clairement qu’il ne pouvait pas le faire.
[124] Pourtant, selon Morton Kader, il récidive en demandant à un pressier qui n’a pas complété sa formation de débuter seul sur le quart de soir, alors qu’il n’y a aucun superviseur et qu’il n’est pas prêt. De plus, il n’y a aucun margeur pour l’assister. Mario Breton n’avait pas l’autorité pour prendre une telle décision et il aurait dû référer à Stéphanie Richer.
[125] Mario Breton souhaite faire témoigner Éric Poulin. Comme lui, il a été directeur de production chez l’employeur du 26 septembre 2003 au 20 février 2004. Rappelons que la période d’emploi de Mario Breton est postérieure, soit du 7 septembre 2004 au 21 janvier 2005.
[126] Par ce témoignage, Mario Breton veut faire la preuve du caractère de Stéphanie Richer à l’égard d’une autre personne, pour établir par présomption qu’elle a agi pareillement avec lui. À l’audience, la Commission refuse d’entendre ce témoin, vu l’absence d’une pertinence suffisante. À la demande des parties, il est convenu de consigner les motifs de ce refus dans la présente décision.
[127] L’article 137.4 du Code du travail (C.t.) mentionne que la Commission peut entendre les parties par tout moyen prévu à ses règles de preuve et de procédure. L’article 30 des Règles de preuve et de procédure prévoit que la Commission n’est pas liée par les règles de preuve en matière civile et qu’elle peut refuser de recevoir une preuve non pertinente. Toutefois, il demeure que la Commission doit assurer le respect des principes de justice naturelle et des règles d’équité procédurale (voir Syndicat national des employés de garage du Québec inc. (C.S.D.) c. Association patronale des concessionnaires d’automobile inc., 2003 QCCRT 0053 ).
[128] La preuve qu’aurait pu apporter le témoignage d’Éric Poulin consiste à raconter sa relation avec Stéphanie Richer et la façon dont elle a interagi avec lui. Il pourrait aussi témoigner de faits constatés dans la relation entre Stéphanie Richer et d’autres personnes pendant son séjour chez l’employeur. Ainsi, Mario Breton pourrait argumenter que Stéphanie Richer agit avec lui conformément à son caractère démontré dans le passé avec une ou plusieurs autres personnes.
[129] Selon la jurisprudence et la doctrine, ce témoignage peut, à première vue, être pertinent. Mais, il y a lieu de refuser de le permettre, puisque sa valeur probante est minime par rapport à son effet préjudiciable qui est substantiel. L’effet préjudiciable de ce témoignage est substantiel, car il y a risque de confusion dans l’analyse de la question en litige en multipliant les débats secondaires et aussi parce qu’il aura inévitablement pour conséquence d’éterniser le débat inutilement. En somme, le témoignage de Éric Poulin serait peu ou pas pertinent pour décider de la question en litige (sur ce sujet en matière civile, voir Claude MARSEILLE, La règle de la pertinence, Coll. Points de droit, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2004, p. 21 à 31 (par. 41 à 70) et p. 34 à 38 (par. 77 à 84); Jean-Claude ROYER, La preuve civile, 3e édition, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2003, p. 751, par. 980; Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e édition, Wilson & Lalfeur, 2005, p. 328, par. 799).
[130] En l’espèce, la question en litige est de décider si Mario Breton est victime de harcèlement psychologique de la part de Stéphanie Richer. Ce harcèlement psychologique implique la preuve d’une conduite vexatoire par Stéphanie Richer qui porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité de Mario Breton et qui entraîne un milieu de travail néfaste pour lui. Comment Stéphanie Richer a agi avec d’autres avant le début d’emploi de Mario Breton est peu pertinent pour répondre à la question en litige. De plus, il y a risque important de confusion sur les questions en litige, puisque l’employeur voudra se défendre d’allégations de harcèlement psychologique envers Éric Poulin, alors que ce dernier n’a pas porté plainte. Par ailleurs, même si cela n’est pas le cas, l’employeur voudra faire une contre-preuve sur les faits mis en preuve par le témoignage de Éric Poulin, ce qui prolongerait inutilement le débat, multiplierait inévitablement les débats secondaires et n’apporterait que peu ou pas d’éléments pertinents pour répondre à la question en litige.
[131] Mario Breton dépose une plainte à l’encontre d’une pratique interdite, par laquelle il allègue avoir été victime d’un congédiement le 21 janvier 2005 à cause de l’exercice d’un droit résultant de la L.n.t., à savoir selon ce qui est mentionné sur la plainte : « environnement exempt de harcèlement ».
[132] L’employeur conteste que Mario Breton ait exercé un droit résultant de la L.n.t. et, subsidiairement, soumet qu’il n’y a pas concomitance entre l’exercice du droit et le congédiement. De plus, l’employeur soutient que le congédiement est justifié par une autre cause juste et suffisante, soit que Mario Breton a commis deux erreurs importantes dans l’assignation de salariés.
[133] Mario Breton affirme avoir exercé un droit résultant de la L.n.t. en déposant sa plainte de harcèlement psychologique après son congédiement. Il plaide que dès la troisième semaine d’emploi, en septembre 2004, il annonce à Morton Kader qu’il y a une terreur dans la place. Vu les multiples événements qui ont suivi, il soutient que l’employeur a décelé son intention de déposer une plainte pour harcèlement psychologique. II l’a congédié pour cette raison le 21 janvier 2005 et l’exercice de son droit s’est simplement concrétisé par le dépôt de la plainte après le congédiement. Au surplus, l’employeur doit déceler qu’il a exercé son droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique, puisqu’il affirme à Morton Kader que Stéphanie Richer est une terreur. Le fait de rencontrer l’employeur pour lui faire part de la situation qu’il vit au travail par le fait d’une autre personne constitue l’exercice d’un droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. L’employeur n’a pris aucun moyen pour le prévenir, ni le faire cesser.
[134] L’article 122 L.n.t. protège Mario Breton contre un congédiement à cause de l’exercice d’un droit qui résulte de la L.n.t. L’article 81.19 L.n.t. affirme le droit de Mario Breton à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. Toutefois, détenir un droit et l’exercice de ce droit sont deux réalités bien distinctes (voir Diximier c. Société canadienne de la Croix-Rouge, D.T.E. 84T-372 (C.T.)). Mario Breton doit démontrer par prépondérance des probabilités qu’il a exercé son droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique pour bénéficier de la présomption simple qu’il a été congédié pour cette raison (art. 123.4 L.n.t. et 17 C.t.). En outre, il doit établir qu’il y a concomitance entre l’exercice du droit et le congédiement.
[135] L’exercice d’un droit implique une manifestation concrète et positive du salarié pour en bénéficier. Cette règle est explicitée dans l’affaire Systèmes Weighpack inc. c. Laforce, D.T.E. 2002T-1060 (T.T.), par. 27, où le Tribunal du travail mentionne aussi : « La loi n’est pas exigeante pour faire reconnaître au salarié le bénéfice de la présomption, mais encore faut-il qu’on puisse tirer de la preuve la conviction qu’il y eut exercice d’un droit ». Dans cette décision, le Tribunal n’a pas conclu à l’exercice d’un droit, puisque le salarié n’a pas fait de réclamation à son supérieur immédiat ou à la direction, mais en a parlé uniquement à des collègues de travail.
[136] Maintenant, il faut examiner si Mario Breton démontre une manifestation concrète et positive pour bénéficier d’un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. D’emblée, la Commission estime que le dépôt de la plainte après le congédiement n’est d’aucune utilité pour examiner l’exercice du droit.
[137] En ce qui concerne la rencontre en septembre 2004 avec Morton Kader, ce dernier nie qu’elle ait eu lieu. Mais, prenant la version de Mario Breton pour avérée, il y est somme toute question de clarification des rôles. Mario Breton veut clarifier son rôle dans la décision de congédier Daniel Morin et il se plaint d’ingérence dans la production par Stéphanie Richer ainsi que du fait qu’elle ne lui accorde pas le personnel et les ressources qu’il a besoin. En somme, il se plaint que Stéphanie Richer en prend plus large que les ressources humaines.
[138] Mario Breton témoigne qu’il ne souhaite pas dénigrer personne lors de cette rencontre. Toutefois, il accuse Stéphanie Richer d’être une terreur dans la place, que tout le monde a peur d’elle et qu’il y a une mauvaise atmosphère de travail. Les constats de Mario Breton découlent de sa perception et des commentaires entendus. Mais, il ajoute qu’il n’a pas entendu Stéphanie Richer s’en prendre verbalement aux superviseurs. De plus, il ne donne pas d’exemple pour les autres personnes. Il se limite à référer aux commentaires de Stéphanie Richer sur son manque de jugement, sur le fait qu’il « coule vite » et sur l’inutilité du tableau de production.
[139] Ces faits sont niés par Stéphanie Richer qui affirme ne pas avoir tenu de tels propos. Rappelons aussi que Morton Kader nie avoir déjà entendu le mot « terreur » et affirme qu’il s’en rappellerait si tel avait été le cas, car il estime que c’est une accusation sérieuse.
[140] Les versions de Stéphanie Richer et de Morton Kader sont plus probables que celle de Mario Breton. Nous verrons plus loin que la crédibilité de Mario Breton est entachée par des invraisemblances ou des exagérations tout au long de sa preuve. La Commission est d’avis qu’il est peu probable que le mot « terreur » ait été prononcé. S’il est vrai qu’il a été utilisé, c’est au sens très figuré et non dans son sens littéral. Rien dans la preuve ne permet de conclure que Mario Breton s’estime terrorisé.
[141] La perception de Mario Breton que les superviseurs n’ont pas le droit de rien faire, que leurs décisions ne sont jamais les bonnes et que les documents ne sont jamais remplis de la bonne manière n’est pas appuyée par la preuve. Pierre Leclerc ne témoigne pas en ce sens. Il dit d’ailleurs qu’il ne remet pas en cause la personne de Stéphanie Richer, mais qu’il n’est simplement pas à l’aise avec son style.
[142] Lors de cette rencontre avec Morton Kader, rien ne permet de conclure que Mario Breton demande ou manifeste, de manière concrète et positive, de bénéficier d’un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. Rien ne permet à Morton Kader de conclure, ni même déduire que Mario Breton s’estime victime de harcèlement psychologique. Lors de cette rencontre, Mario Breton veut clarifier les rôles et valider la véracité de l’affirmation qu’il est en partie responsable du congédiement de Daniel Morin. En somme, il s’agit d’une rencontre de gestion, entre un directeur de production et un président-directeur général, lors de laquelle Mario Breton partage ses premiers constats et insatisfactions de la situation prévalant après deux semaines de travail et où il se plaint des rôles de chacun, de celui de Stéphanie Richer et de l’organisation du travail. Au mieux, il s’agit de l’expression de l’amorce d’une relation conflictuelle avec Stéphanie Richer.
[143] Ni dans la preuve, ni dans le témoignage de Mario Breton, il n’existe d’indices qu’il souhaite exercer ou manifester vouloir exercer, explicitement ou implicitement, un droit résultant de la L.n.t. lors de cette rencontre. D’ailleurs, Mario Breton quitte la rencontre tout simplement. Celle-ci semble s’être déroulée correctement. Qui plus est, il décide de son initiative de faire une enquête pour aider Daniel Morin. Il fait des démarches et il rencontre de nouveau, le même jour, Morton Kader pour plaider en faveur de Daniel Morin. Puisque la réponse est toujours négative, il laisse tomber. Pourtant, il témoigne qu’il estime que Daniel Morin se fait lyncher, il parle de magouille et de complot. Mais, Mario Breton n’exprime d’aucune façon cette perception à Morton Kader lorsqu’il le rencontre. Il ne donne aucun motif justifiant de conclure qu’il n’en a pas eu la capacité ou qu’il n’a pu l’exprimer.
[144] Même s’il fallait retenir de cette rencontre, une manifestation de l’exercice d’un droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique, la Commission ne pourrait pas conclure à une concomitance suffisante entre cet événement survenu la troisième semaine de septembre 2004 et le congédiement survenu le 21 janvier 2005. Mario Breton n’établit pas de lien entre ces deux événements et il doit le faire par prépondérance de preuve.
[145] Le reste des divers événements auxquels Mario Breton réfère n’ajoute pas d’éléments susceptibles de conclure à l’exercice d’un droit. Au surplus, il y a plusieurs occasions où Mario Breton aurait pu manifester l’exercice de ses droits. Il ne l’a pas fait. Il n’existe aucun motif justifiant de conclure qu’il n’a pas eu la capacité de formuler, d’exprimer ou de manifester une demande d’exercer un droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
[146] En conséquence, Mario Breton ne prouve pas qu’il a exercé un droit résultant de la Loi sur les normes du travail. De plus, il n’y a aucune concomitance entre l’exercice invoqué du droit et le congédiement. En conséquence, il ne bénéficie pas de la présomption simple qu’il a été congédié pour cette raison (art. 123.4 L.n.t. et 17 C.t.). Enfin, Mario Breton n’établit pas qu’il a été congédié à cause de l’exercice d’un droit résultant de la L.n.t., il n’y a donc pas lieu d’évaluer l’autre cause juste et suffisante de l’employeur et la plainte est rejetée.
[147] Mario Breton dépose aussi une plainte formulée en vertu de l’article 123.6 L.n.t., par laquelle il déclare qu’il a été victime de harcèlement psychologique et que la dernière manifestation est le 16 décembre 2004.
[148] L’employeur affirme que Mario Breton n’a pas été victime de harcèlement psychologique. Subsidiairement, il soumet avoir respecté ses obligations légales.
[149] Les articles pertinents de la Loi sur les normes du travail se lisent comme suit :
81.18. Pour l'application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
81.19. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
L'employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser.
[150] Quelques décisions ont déjà étudié ces dispositions : Centre hospitalier de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) c. Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers Mauricie/Cœur-du-Québec, [2006] R.J.D.T. 397-447 (T.A.); Hilaregy c. 9139-3249 Québec inc. (Restaurent Poutine La Belle Province), 2006 QCCRT 0220 et Bangia c. Nadler Danimo, 2006 QCCRT 0419 . Il y a lieu de souscrire à ces analyses et d’y ajouter les remarques suivantes nécessaires aux fins de la présente décision :
150.1. Selon l’article 123.15 L.n.t., l’exercice se fait en deux temps (voir aussi Marois c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2006 QCCRT 0359 ) : en premier, il faut vérifier si le plaignant est victime de harcèlement psychologique. Si la réponse est non, la plainte est rejetée. Si la réponse est oui, il faut ensuite vérifier si l’employeur a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l’article 81.19 L.n.t. Si la réponse est négative, la plainte est rejetée. Si la réponse est positive, la plainte est accueillie et donne ouverture aux mesures de réparation prévues à l’article 123.15 L.n.t., sous réserve de l’application de l’article 123.16 L.n.t. Selon la logique de cet article, il arrivera des situations où un salarié victime de harcèlement psychologique verra sa plainte rejetée, puisque l’employeur aura rencontré ses obligations légales.
150.2. Il appartient au plaignant de prouver par prépondérance des probabilités qu’il a été victime de harcèlement psychologique. Par contre, il appartiendra à l’employeur de prouver par prépondérance des probabilités qu’il n’a pas fait défaut de respecter ses obligations prévues à l’article 81.19 L.n.t.
150.3. L’analyse d’une conduite grave diffère de celle d’une conduite vexatoire et la présente décision n’en traite pas, car la conduite grave n’est pas en litige.
150.4. Selon le premier alinéa de l’article 81.18 L.n.t., le harcèlement psychologique découle d’une conduite vexatoire qui occasionne deux effets sur un salarié : une atteinte à la dignité ou l’intégrité et un milieu de travail néfaste. Il faut être en présence de ces trois éléments pour conclure à du harcèlement psychologique. Ainsi, le caractère vexatoire des comportements, paroles, actes ou gestes n’est pas lié aux deux effets.
150.5. Le premier élément du harcèlement psychologique est donc une conduite vexatoire, sous réserve de la conduite grave. Selon la définition, cette conduite vexatoire se manifeste par des comportements, paroles, actes ou gestes. Ceux-ci deviennent vexatoires lorsqu’ils sont répétés et hostiles ou non désirés. Ces deux dernières caractéristiques (répété et hostile ou non désiré) qualifient les comportements, paroles, actes ou gestes qui acquièrent alors un caractère vexatoire. Ainsi, la conduite vexatoire au sens de l’article 81.18 L.n.t. se manifeste par les caractères répétitifs et hostiles ou non désirés des différents comportements, paroles, actes ou gestes.
150.6. Avant toute chose, il faut examiner la présence d’une conduite vexatoire. L’utilité de l’analyse des deux éléments de l’atteinte à la dignité ou l’intégrité et celui du milieu de travail néfaste ne se manifeste qu’en présence d’une preuve prépondérante de conduite vexatoire. En effet, sans conduite vexatoire, il ne peut pas y avoir d’effets. Par ailleurs, si les effets sont présents sans l’existence d’une conduite vexatoire, il ne s’agit pas de harcèlement psychologique.
150.7. Il s’agit donc en premier de répertorier les divers comportements, paroles, actes ou gestes reprochés à une ou plusieurs personnes par celle qui s’estime victime de harcèlement psychologique. Ensuite, il faut déterminer si ces comportements, paroles, actes ou gestes sont répétés et vérifier leur caractère hostile ou non désiré pour conclure à l’existence d’une conduite vexatoire.
150.8. En résumé, des comportements, des paroles, des actes ou des gestes qui sont répétés et qui sont hostiles ou non désirés constituent la manifestation d’une conduite vexatoire au sens du premier alinéa de l’article 81.18 L.n.t. Si des conduites sont hostiles ou non désirées, mais qu’elles ne sont pas répétées, il ne s’agit pas d’une conduite vexatoire au sens de la Loi. De même, des conduites qui sont répétées, mais qui ne sont pas hostiles ou non désirées, ne seront pas une conduite vexatoire. Sans la preuve d’une conduite vexatoire, il n’y a pas de harcèlement psychologique, sous réserve du cas de la conduite grave.
[151] De la jurisprudence précitée, il découle que le critère d’appréciation de l’élément de la conduite vexatoire est celui de la « victime raisonnable » qui peut se résumer comme suit : « une personne raisonnable, normalement diligente et prudente, qui, placée dans les mêmes circonstances que la victime, estimerait que le présumé harceleur manifeste une conduite vexatoire ». Quant à l’élément de l’atteinte à la dignité ou l’intégrité et de celui d’un milieu de travail néfaste, le critère d’appréciation n’est pas encore certain.
[152] Les autres aspects qui semblent vouloir faire école sont les suivants :
152.1. Il faut aussi faire une appréciation globale de la preuve et garder une perspective d’ensemble des divers comportements, paroles, gestes ou actes pour déterminer leur caractère vexatoire. Il ne faut pas se limiter à les examiner au cas par cas. Cet examen demeure pertinent et nécessaire, mais l’analyse globale permet d’évaluer le degré réel de gravité de l’ensemble des conduites.
152.2. Le caractère hostile est belliqueux, antagoniste, adverse, défavorable ou menaçant. Celui non désiré n’est pas recherché, voulu ou souhaité, ni explicitement, ni implicitement.
152.3. La perception subjective de la victime demeure pertinente, mais non déterminante.
152.4. L’intention malicieuse du harceleur n’est pas une preuve essentielle et déterminante, mais pourra avoir un effet sur l’octroi de dommages et intérêts punitifs.
[153] Dans l’affaire Centre hospitalier de Trois-Rivières, précitée, l’arbitre explique des situations qui ne constituent pas du harcèlement psychologique : les rapports sociaux difficiles, les situations conflictuelles, le comportement de victimisation et celui paranoïde. Selon l’arbitre, ces situations s’apparentent à du harcèlement psychologique, mais n’en sont pas. Ces exemples seront utiles lors de l’analyse des comportements, paroles, actes ou gestes pour qualifier leur caractère vexatoire.
[154] Un dernier aspect à préciser est que l’atteinte à la dignité et celle à l’intégrité sont deux réalités distinctes.
[155] Selon la jurisprudence et la doctrine, la dignité réfère au respect, l’estime de soi et l’amour-propre d’une personne. La dignité renvoie aussi aux dimensions fondamentales et intrinsèques de l’être humain. Par exemple, cette notion vise le traitement injuste, la marginalisation ou la dévalorisation. La dignité implique aussi, toujours à titre d’exemples, le droit d’être traité avec pudeur, discrétion, retenue, égards, estime, considération, respect, déférence et de façon respectueuse. Pour qu’il y ait atteinte à la dignité, il n’est pas nécessaire qu’il y ait des séquelles définitives.
[156] Dans l’affaire Centre hospitalier de Trois-Rivières, précitée, l’arbitre réfère à la décision de la Cour suprême du Canada dans Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand (CSN) c. Procureur général du Québec, [1996] 3 R.C.S. 211 , qui s’exprime comme suit :
105. À la lumière de la définition donnée à la notion de «dignité» de la personne et des principes d'interprétation large et libérale en matière de lois sur les droits et libertés de la personne, j'estime que l'art. 4 de la Charte vise les atteintes aux attributs fondamentaux de l'être humain qui contreviennent au respect auquel toute personne a droit du seul fait qu'elle est un être humain et au respect qu’elle se doit à elle-même.
106. Par ailleurs, contrairement au concept d'intégrité, à mon avis, le droit à la dignité de la personne, en raison de sa notion sous-jacente de respect, n'exige pas l'existence de conséquences définitives pour conclure qu'il y a eu violation. Ainsi, une atteinte même temporaire à une dimension fondamentale de l'être humain violerait l'art. 4 de la Charte. Cette interprétation s'appuie également sur la nature des autres droits protégés à l'art. 4, soit l'honneur et la réputation: noscitur a sociis. En effet, la violation de ces garanties ne requiert pas nécessairement qu'il existe des effets de nature permanente quoique ceux-ci puissent l'être.
(Soulignements ajoutés)
[157] Concernant l’atteinte à l’intégrité psychologique ou physique, dans cette même décision de la Cour suprême, à laquelle réfère également les affaires Centre hospitalier de Trois-Rivières, précitée et Bangia, précitée, la Cour suprême mentionne que :
97. […] Le sens courant du mot « intégrité » laisse sous-entendre que l'atteinte à ce droit doit laisser des marques, des séquelles qui, sans nécessairement être physiques ou permanentes, dépassent un certain seuil. L'atteinte doit affecter de façon plus que fugace l'équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime. D'ailleurs, l'objectif de l'art. 1, tel que formulé, le rapproche plutôt d'une garantie d'inviolabilité de la personne et, par conséquent, d'une protection à l'endroit des conséquences définitives de la violation.
(Soulignements ajoutés)
[158] En somme, l’atteinte à l’intégrité psychologique ou physique doit (1) laisser des marques ou des séquelles qui dépassent un certain seuil et (2) occasionner un déséquilibre physique, psychologique ou émotif plus que fugace, sans qu’il soit nécessaire que cela soit permanent.
[159] En toute logique, il est raisonnable de conclure que l’atteinte à la dignité ainsi que celle à l’intégrité psychologique ou physique doivent être plus que fugaces, mais que l’atteinte à la dignité vise les situations qui se situent sous le seuil de l’atteinte à l’intégrité.
[160] Voilà qui résume les règles nécessaires à la présente décision.
[161] La première étape est de vérifier si Mario Breton est victime de harcèlement psychologique et il lui appartient d’en faire la preuve. Le premier élément à vérifier est la présence d’une conduite vexatoire.
[162] À cette fin, il faut analyser les comportements, paroles, actes ou gestes que Mario Breton reproche à Stéphanie Richer pour évaluer, au cas par cas, ceux qui ont l’apparence d’être hostile ou non désiré. À cette étape, il est possible de distinguer si, plutôt, les comportements, paroles, actes ou gestes de Stéphanie Richer découlent des droits de direction, d’une situation normale dans un contexte de relations du travail ou encore de la conduite même de Mario Breton. Il peut aussi s’agir de rapports sociaux difficiles, d’une situation conflictuelle, d’un comportement de victimisation ou paranoïde. En cas de doute, il vaut mieux retenir les comportements, paroles, actes ou gestes pour la prochaine étape.
[163] Ensuite, pour les comportements, paroles, actes ou gestes retenus, il s’agit de déterminer, qualifier ou confirmer ceux qui ont réellement un caractère hostile ou non désiré. Pour ces derniers, il faut alors analyser leur caractère répétitif dans une perspective globale, car chacun peut être anodin, mais l’ensemble peut constituer une conduite vexatoire.
[164] L’analyse de la preuve permet de dénombrer vingt situations où Mario Breton estime que Stéphanie Richer a eu une conduite vexatoire à son égard.
[165] La première situation est le dénigrement à l’égard des superviseurs à son embauche. Soulignons que s’il y a eu du dénigrement, il n’est pas adressé à Mario Breton. Il ne s’agit pas de paroles à son égard. D’autre part, les termes utilisés seraient que les superviseurs sont « bébés », qu’ils doivent être tenus par la main, qu’ils sont incompétents et qu’ils ont besoin de se faire dire quoi faire. De plus, certains seraient toujours malades ou absents; d’autres sont des menteurs ou hypocrites. Ces propos sont tenus entre deux directeurs lors d’une discussion privée dans un bureau fermé. Dans le contexte, il peut s’agir tout au plus de termes inappropriés ou de jugements de valeur. Stéphanie Richer nie avoir tenu de tels propos. Elle aurait plutôt parlé de deux superviseurs sous sa direction pour que Mario Breton soit informé de leur situation. Ces propos ne sont pas hostiles, puisqu’ils ne s’adressent pas à Mario Breton. Mais, ils sont sans doute non désirés. À ce stade, cette situation est retenue pour l’analyse globale.
[166] Le deuxième événement est le dénigrement sur l’utilité du tableau de production. Stéphanie Richer lui aurait fait un commentaire à l’effet qu’il n’est pas nécessaire et que cela ne fonctionnera pas. Elle affirme qu’elle connaît la production et qu’on lui aurait tout montré dans son ancien travail. Stéphanie Richer témoigne qu’elle ne fait que mentionner qu’il y a déjà un tableau de production à l’imprimerie et qu’il y a lieu d’attendre le retour de John Chisca, directeur de l’imprimerie. La Commission ne tient pas compte des propos tenus par Daniel Morin et Mario Richard, car ils constituent du ouï-dire, n’offrent aucune garantie suffisante de fiabilité et ne sont en fait que des impressions. La Commission note toutefois que Mario Breton ne rencontre pas Stéphanie Richer pour chercher à clarifier la situation. Or, il ne s’agit que de la troisième journée de travail. La version de Mario Breton est peu probable et celle de Stéphanie Richer est plus crédible. Même en prenant la version de Mario Breton pour avérée, il s’agit tout au plus d’un échange de point de vue entre deux personnes. Ces paroles ne sont pas hostiles. Mais, elles peuvent être considérées comme non désirées et cet événement est retenu pour l’analyse globale.
[167] Le troisième incident est celui où Stéphanie Richer dit à Mario Breton qu’il « coule et vite » et qu’il ne fait pas ce qu’on lui a demandé. Ces propos sont niés par Stéphanie Richer. Néanmoins, ces propos sont retenus pour l’analyse globale, où il faudra évaluer s’ils relèvent des rapports sociaux difficiles, du conflit ou ne démontrent pas plutôt un caractère hostile.
[168] La quatrième conduite est la remarque à l’effet que le tableau de production n’est pas à la bonne place. Il s’agit tout au plus d’un échange de point de vue. Il n’y a pas lieu d’en tenir compte.
[169] La cinquième situation est l’incident de la paie. Mario Breton estime qu’il a eu l’air d’un « épais » et qu’il a trouvé la situation humiliante lorsque Stéphanie Richer a demandé à Luce Bédard de rappeler ses propos. Il s’agit ici de la perception subjective de Mario Breton. Toutefois, à ce stade, il y a lieu d’assumer que ces propos sont non désirés et de les retenir pour l’analyse globale. Il faudra alors les situer dans le contexte de la victime raisonnable.
[170] Le sixième événement concerne l’accusation par Stéphanie Richer que Mario Breton manque de jugement. Ces propos sont niés par Stéphanie Richer. La Commission constate que cette affirmation manque de crédibilité. Au début, Mario Breton témoigne qu’elle est faite en même temps que l’incident de la paie, le jeudi. Plus tard dans la preuve, il affirme plutôt qu’elle est dite le vendredi, sans que le contexte soit exprimé clairement. La Commission ne retient pas cet événement.
[171] Le septième incident est celui où Stéphanie Richer dit à Mario Breton que le congédiement de Daniel Morin est en partie sa responsabilité. Cela est nié par Stéphanie Richer et les autres faits liés à cet événement sont aussi niés par Morton Kader. Stéphanie Richer témoigne que l’embauche de Daniel Morin était uniquement pour un remplacement de congé de maladie et qu’ils ont constaté un manque d’autonomie de sa part.
[172] Dans la même foulée, il y a aussi l’accusation par Stéphanie Richer que Mario Breton a révélé à Daniel Morin qu’il allait être congédié. Stéphanie Richer affirme avoir trouvé un changement dans l’attitude de Daniel Morin. Elle a communiqué avec Mario Breton pour valider sa perception et elle témoigne avoir été satisfaite de sa réponse.
[173] Prise pour avérée, l’affirmation de Stéphanie Richer que Mario Breton a contribué au congédiement de Daniel Morin est inappropriée, puisque son implication est niée par Morton Kader. Mais, ces propos n’ont pas un caractère hostile. Il s’agit d’un échange entre gestionnaires dans le cours des opérations de l’entreprise. Toutefois, ils pourraient être non désirés. Néanmoins, Mario Breton témoigne qu’il est allé voir Morton Kader qui lui a confirmé que l’affirmation est fausse. Donc, il n’y a pas vraiment d’incident. Il s’agit tout au plus d’une situation conflictuelle entre deux personnes.
[174] Concernant l’accusation qu’il a avisé Daniel Morin, la version de Stéphanie Richer est plus crédible. Elle affirme avoir trouvé un changement d’attitude et s’être questionnée à savoir si Mario Breton a pu lui en parler, puisqu’ils travaillent ensemble. Plutôt que spéculer, elle appelle Mario Breton pour lui poser la question et elle est satisfaite de sa réponse. Cette attitude est conforme aux agissements habituels de Stéphanie Richer qui, selon la preuve, pose ses questions aux personnes concernées. Quant à la version de Mario Breton, elle apparaît exagérée et peu probable. Il soutient que Stéphanie Richer lui a dit vouloir faire un test pour savoir s’il est capable de garder le silence. Il ne donne aucune explication ou contexte justifiant un tel commentaire. Il ne réagit aucunement à ces propos.
[175] Pourtant la veille, Mario Breton estime que Daniel Morin se fait lyncher par son congédiement. Il témoigne ressentir de la magouille et un complot. Le comportement de Mario Breton est incohérent avec sa perception des événements. Il n’est pas question ici d’une incapacité d’agir ou de s’exprimer. Tout ça arrive au même moment où il prend l’initiative d’une enquête pour aider Daniel Morin. Il fait même état des résultats de son enquête à Morton Kader. Plus étrange encore, selon sa version, il propose à Stéphanie Richer d’appeler Daniel Morin pour le confronter et clarifier la situation. Si ce commentaire est vrai, ce comportement est inapproprié. C’est un non-sens de proposer de convoquer un salarié pour confronter une directrice des ressources humaines, surtout sur une question de congédiement du salarié en question. En conséquence, la Commission ne tient pas compte de ces incidents, puisqu’ils n’ont pas un caractère hostile ou non désiré.
[176] La huitième conduite vise les téléphones de Stéphanie Richer et Morton Kader pour connaître les raisons de l’arrêt de la machine. Mario Breton perçoit que Stéphanie Richer cherche à le discréditer et veut le faire passer pour un incompétent. Mais, il ne questionne pas Stéphanie Richer, ni même Morton Kader. Cette conduite est uniquement le fruit de sa perception subjective. Elle n’a en soi aucun caractère hostile ou non désiré. Elle relève des opérations régulières de l’entreprise et il n’y a pas lieu d’en tenir compte.
[177] La neuvième situation concerne les appels constants à l’intercom. La Commission n’en tient pas compte, car il s’agit d’une affirmation trop générale et justifiée par aucun exemple précis. L’intercom fait partie du mode de production et est un outil courant dans l’entreprise. De plus, puisque l’intercom est public, il aurait été facile d’amener des témoins sur ce sujet. Enfin, elle semble être recoupée par les autres situations.
[178] Le dixième événement se rapporte à l’incident Ricardo qui s’est absenté et qui a ensuite travaillé en heures supplémentaires. L’emploi du terme « imbécile » est inapproprié, mais cela est nié par Stéphanie Richer. Pour le reste, il s’agit d’une situation qui découle des impératifs de gestion. L’organisation a établi la règle que c’est Stéphanie Richer qui autorise les absences. De plus, elle fait les paies et rend des comptes à Randi Kader. Il est normal qu’elle soit informée et qu’elle pose des questions pour savoir ce qui se passe dans l’entreprise. Il est très surprenant que Mario Breton, un directeur, discrédite un autre directeur, Stéphanie Richer, en disant au superviseur qu’il a fait une bonne chose, alors que sa décision ne respecte pas les politiques de l’entreprise. Pierre Leclerc témoigne qu’il savait que Stéphanie Richer devait autoriser les absences. Il demeure que l’utilisation du terme « imbécile » dénote un caractère hostile et il y a lieu de retenir cet événement pour l’analyse globale.
[179] Le onzième incident est celui où les superviseurs rencontrent Morton Kader. La version de Mario Breton est basée sur du ouï-dire, tandis que celle de Morton Kader est crédible. Mario Breton n’a pas assisté à la rencontre et rien des propos tenus ne le vise. Il n’y a pas lieu de tenir compte de cet incident.
[180] Lors de la douzième conduite, Stéphanie Richer aurait dit à Randy Hadwin de laisser Mario Breton se « planter ». Cela est nié par Stéphanie Richer qui précise qu’elle a parlé en anglais et que cette expression n’a pas d’équivalent dans cette langue. L’affirmation de Mario Breton est basée sur du ouï-dire et la version de Stéphanie Richer est crédible. La Commission ne tient pas compte de cette conduite.
[181] La treizième situation est la réunion disciplinaire où Stéphanie Richer aurait dit « Ha ben sacrament » après l’intervention de Mario Breton. Cette affirmation, quoique inappropriée à sa face même, s’explique par le contexte. Le comportement de Mario Breton est pour le moins inadéquat et son intervention a pour effet de dénigrer le processus disciplinaire d’une directrice des ressources humaines devant le président du syndicat et le salarié discipliné. Mario Breton justifie son intervention par le fait qu’il perçoit les propos de Stéphanie Richer comme du dénigrement à son endroit. Il s’agit de la perception subjective de Mario Breton qui n’est aucunement appuyée par la preuve. Le comportement de Mario Breton n’est justifié que par son imagination et l’exagération de la situation de faits. Ces paroles n’ont pas un caractère hostile ou non désiré. Il s’agit tout au plus d’une relation sociale difficile, voire d’une situation normale dans un contexte de relations du travail ou encore le résultat de la conduite même de Mario Breton. La Commission n’en tient pas compte.
[182] Le quatorzième incident est celui du margeur en heures supplémentaires. À ce moment, Mario Breton sait que l’organisation du travail impose que Stéphanie Richer autorise les heures supplémentaires. Plusieurs courriels ont déjà été transmis à Mario Breton. Ce dernier ne conteste pas le contenu de ces courriels auprès de Morton Kader. Mais, il s’obstine à concevoir son poste de directeur de production à sa manière ou selon son expérience dans des entreprises non syndiquées. L’intervention de Stéphanie Richer relève des ressources humaines et est justifiée par les impératifs de gestion de l’organisation. Il n’y a pas lieu de retenir ce comportement.
[183] La quinzième conduite est celle du margeur sur les presses. L’employeur a estimé que c’était une erreur importante. Encore une fois, Mario Breton s’obstine à concevoir son rôle de directeur de production à sa manière. Le comportement de Mario Breton, qui n’est pas intéressé à connaître la raison du problème de DL, n’est pas justifié. Sa perception, que Stéphanie Richer vise juste à dénigrer, est uniquement subjective et n’est pas appuyée par la preuve. L’intervention de Stéphanie Richer relève des ressources humaines et est justifiée par les besoins de l’organisation. Morton Kader a rencontré Mario Breton pour lui expliquer qu’il ne pouvait pas prendre seul une telle décision et cela n’est pas contredit. Cette conduite n’est pas retenue. Elle relève des droits de direction et ne dénote aucun caractère hostile ou non désiré.
[184] Le seizième événement est celui où une superviseure fait des heures supplémentaires. Dans ce cas, Mario Breton est à la limite de l’insubordination. Il ne reconnaît pas le rôle et les responsabilités de Stéphanie Richer et s’entête à concevoir son rôle à sa manière, qui n’est pas celui désiré par l’organisation. Randi Kader a même dû intervenir pour lui demander de répondre aux questions de Stéphanie Richer. Morton Kader lui fait part qu’il s’agit d’une mauvaise décision. Selon Mario Breton, Stéphanie Richer affiche ensuite un large sourire qui cherche à l’écraser et à lui démontrer qu’elle a le contrôle. Il s’agit d’une perception subjective et, même avérée, cette conduite ne relève tout au plus que d’une situation relationnelle difficile, voire de la conduite de Mario Breton lui-même. Il n’y a pas lieu d’en tenir compte.
[185] La dix-septième situation est celle où Stéphanie Richer demande copie des feuilles de temps. Mario Breton témoigne qu’il a le sentiment que Stéphanie Richer prépare quelque chose. Elle scrute et cherche à le planter, « à le pendre ou le lyncher ». Or, Stéphanie Richer veut les feuilles de temps pour préparer un grief d’un salarié congédié récemment. Cette situation est une illustration que la perception de Mario Breton peut, selon les circonstances, favoriser la fabulation et l’exagération des faits. Son sentiment est uniquement subjectif et il n’y aucun lien avec la réalité. Il n’y a aucun comportement, parole, geste ou acte hostile ou non désirée à l’égard de Mario Breton. Mario Breton ne rencontre pas Stéphanie Richer pour clarifier la situation. La preuve démontre que chaque fois que Stéphanie Richer a un problème, elle en parle avec la personne concernée, ce qui n’est pas le cas de Mario Breton. Cette situation n’est pas retenue.
[186] Le dix-huitième incident est le cas de Normand Asselin. Encore une fois, Mario Breton est à la limite de l’insubordination. Plutôt que de chercher à tempérer les perceptions des superviseurs qui sont sous sa direction, il les incite à se regrouper, à être solidaire et à faire équipe dans leur revendication. Il souhaite peut être que leur démarche ait une incidence sur sa relation difficile avec Stéphanie Richer. Toutefois, Stéphanie Richer n’est aucunement impliquée dans cet incident. C’est plutôt son congédiement cavalier par Morton Kader qui pourrait être discuté. Mais, cet événement n’est pas remis en cause en l’instance. Donc, il n’y a pas lieu de tenir compte de cet incident.
[187] La dix-neuvième conduite vise la grille des vacances et la vingtième concerne un accident de travail de Mario Richard. Soulignons que ces événements ont lieu après la date de la dernière manifestation de harcèlement psychologique indiquée dans la plainte. Néanmoins, il s’agit d’interventions qui relèvent des ressources humaines et qui confirment que Mario Breton semble comprendre difficilement son rôle, puisqu’il estime que les remarques sont ridicules et visent à le diminuer. Il soutient que Stéphanie Richer est une « control freak » (qu’elle veut tout contrôler), que rien n’est à sa satisfaction et qu’elle souligne toujours quelque chose pour le faire passer pour un épais. Cette perception de Mario Breton est subjective. Ces conduites relèvent des droits de direction et elles ne sont pas retenues pour les fins de l’analyse globale.
[188] Il demeure cinq situations référées à l’analyse globale et dont il faut déterminer, qualifier ou confirmer le caractère hostile ou non désiré. À cette étape, il est toujours possible de distinguer s’il n’est pas plutôt question des droits de direction, d’une situation normale dans un contexte de relations du travail, de la conduite de Mario Breton lui-même, de rapports sociaux difficiles, d’une situation conflictuelle, d’un comportement de victimisation ou paranoïde.
[189] Pour les comportements, paroles, actes ou gestes qui sont déclarés hostiles ou non désirés, il demeure aussi à analyser, de façon globale, le caractère répétitif afin de conclure ou non à une conduite vexatoire.
[190] Les cinq événements qui subsistent à cette étape sont le dénigrement à l’égard des superviseurs, celui sur l’utilité du tableau de production, la remarque que Mario Breton « coule et vite », l’incident de la paie et l’utilisation du terme « imbécile » lors de l’incident Ricardo.
[191] Pris globalement, est-ce que Mario Breton établit par prépondérance des probabilités que ces comportements, paroles, actes ou gestes de Stéphanie Richer sont une conduite vexatoire par le fait qu’ils sont répétés et hostiles ou non désirés ? La réponse est non.
[192] La situation concernant les superviseurs est non désirée, mais elle ne vise pas directement Mario Breton. Toutefois, elle pourrait avoir un effet sur le caractère répétitif. Il en est de même de l’incident du tableau de production.
[193] La remarque que Mario Breton « coule et vite » et qu’il ne fait pas ce qu’on lui demande est niée par Stéphanie Richer. Il en est de même de l’utilisation du terme « imbécile ». Toutefois, dans ce dernier cas, Pierre Leclerc en témoigne également. Mais, même avérées, ces remarques relèvent des rapports sociaux difficiles ou du conflit, c’est-à-dire qu’elles sont inappropriées, mais tolérables dans un contexte de relations du travail. Néanmoins, il y a lieu de les considérer lors de l’analyse du caractère répétitif.
[194] Le commentaire de la paie relève de la perception de Mario Breton. Une victime raisonnable, normalement diligente et prudente, placée dans les mêmes circonstances, ne saurait lui allouer l’importance que lui accorde Mario Breton. Mais, à la limite, elle pourrait aussi avoir un effet sur le caractère répétitif.
[195] Toutefois, à part l’incident Ricardo, tous les comportements, paroles, actes ou gestes retenus ont lieu pendant les deux premières semaines de travail au début de septembre 2004. Quant à l’incident Ricardo, il se déroule fin octobre - début novembre 2004. Une victime raisonnable, normalement diligente et prudente, placée dans les mêmes circonstances, ne saurait y voir un caractère répétitif qui en ferait une conduite vexatoire de Stéphanie Richer à l’égard de Mario Breton.
[196] Même pris pour avérés et déclarés hostiles ou non désirés, ces cinq comportements, paroles, actes ou gestes demeurent des événements ponctuels qui ne dénotent pas un caractère répétitif. Somme toute et pris globalement, ceux-ci relèvent des rapports sociaux difficiles ou du conflit et cela demeure normal dans un contexte de relations du travail.
[197] En somme, la preuve ne permet pas de conclure à l’existence d’une conduite vexatoire par Stéphanie Richer à l’égard de Mario Breton Il n’y a donc pas lieu de procéder à l’analyse des deux autres éléments de la définition de harcèlement psychologique, soit l’atteinte à la dignité et à l’intégrité ainsi que le milieu de travail néfaste. En conséquence, la plainte est rejetée.
[198] En terminant, puisque la preuve est contradictoire sur plusieurs aspects, il faut ajouter que, de façon générale, la crédibilité de Mario Breton est entachée par des exagérations ou des invraisemblances dans son témoignage. Cela affecte sa crédibilité et la valeur probante de son témoignage. Il y a lieu de présenter quelques exemples :
· Que Morton Kader a posé des questions lors de l’entrevue qui s’est déroulée en français;
· Que Mario Breton a visité l’usine avec Morton Kader alors qu’il semble clair que c’est avec Stéphanie Richer;
· Qu’on lui offre la possibilité d’un poste de directeur général, alors qu’il s’agit d’une entreprise familiale, dont le directeur général est le propriétaire, et que sa fille Randi Kader est vice-présidente;
· Qu’il témoigne que les vendredis sont jours de congédiement, alors qu’il n’y a qu’un autre exemple, outre son congédiement;
· Qu’il imagine que Daniel Morin se fait lyncher, qu’il sent la magouille et le complot, alors qu’il est dans l’entreprise depuis même pas trois semaines;
· Qu’il refuse de connaître les problèmes disciplinaires de ses employés sous sa direction;
· Qu’il refuse de consulter les ressources humaines, mais reconnaît ne pas connaître la convention collective;
· Qu’il s’imagine que Stéphanie Richer cherche à le pendre, à le lyncher pour l’histoire des feuilles de temps, alors qu’il n’a rien à voir avec cette demande;
· Qu’il témoigne que Morton Kader aurait été trop gêné d’aller le voir après qu’il ait été congédié la première fois, alors que cette affirmation n’est pas compatible avec la personnalité qui ressort de son témoignage;
· Que Morton Kader lui aurait affirmé que Stéphanie Richer n’est pas bonne en ressources humaines, mais qu’il la garde à cause d’économie en santé et sécurité du travail;
· Qu’il affirme ne pas avoir à consulter Stéphanie Richer pour prendre des décisions et qu’elle a juste à payer, alors qu’il est manifeste par des écrits que l’organisation du travail est centralisée et impose de consulter les ressources humaines pour des décisions qui concernent les employés. Mario Breton est au courant de cette situation, mais refuse d’y adhérer.
[199] Au contraire, Stéphanie Richer témoigne de façon constante. Son témoignage est compatible avec la preuve documentaire. Le style de ses courriels est direct, mais courtois. Son témoignage est crédible, même s’il est vrai qu’elle ne fait que nier certaines allégations. Par contre, d’autres sont motivées. Il est vrai aussi que la preuve permet de constater qu’elle est directive et qu’elle assume son rôle de contrôler les ressources humaines. En outre, la preuve permet aussi de conclure que lorsqu’elle a une question ou survient un problème, elle pose les questions directement aux personnes concernées. De plus, l’organisation désire une gestion des ressources humaines rigoureuse et centralisée et il n’appartient pas à la Commission d’en juger. Finalement, le témoignage de Morton Kader est aussi dans l’ensemble crédible.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE les plaintes.
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__________________________________ Jean Paquette |
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Me Marc-André Côté |
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POIRIER RIVEST FRADETTE |
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Représentant du plaignant |
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Me Stéphane Filion |
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HEENAN BLAIKIE |
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Représentant de l’intimée |
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Date de la dernière audience : |
11 octobre 2006 |
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