Décision

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Droit de la famille — 151766

2015 QCCS 3342

 

JB 3133

 
COUR SUPÉRIEURE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

chicoutimi

 

 

 

N° :

150-12-016098-129

 

 

 

DATE :

Le 8 juillet 2015

 

 

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JACQUES BABIN, j.c.s.

 

 

 

 

M... L..., domicilié et résidant au […], Ville A, district de Chicoutimi, […]

 

Demandeur

 

c.

 

A... T..., domiciliée et résidant au […], Ville B, district de Saint-Maurice, […]

 

Défenderesse

 

 

 

 

 

JUGEMENT

sur requête en modification de mesures accessoires

 

 

 

 

 

[1]          Le demandeur a fait signifier à la défenderesse, le 13 avril 2015, une requête visant à mettre fin à la pension alimentaire qu'il paye pour l'enfant X, fille de la défenderesse, et pour laquelle, pendant le mariage des parties, il a agi à titre de parent in loco parentis.

LES FAITS

[2]          Les parties se sont rencontrées au printemps 2000 et ont commencé à cohabiter ensemble à partir de janvier 2001.

[3]          À ce moment, la défenderesse avait une fille, X, née le [...] 1997, donc âgée de 3 ans à ce moment.

[4]          X n'a jamais connu son père, celui-ci ayant quitté la défenderesse alors qu'elle était enceinte, et il n'a même jamais vu ni cherché à rencontrer sa fille par la suite, et il en est de même pour X.

[5]          Dès le début de la relation entre la défenderesse et le demandeur, celui-ci a considéré X comme sa fille et s'en est occupé comme si c'était le cas, et l'enfant a considéré le demandeur comme son père.

[6]          Les parties se sont mariées en 2003, alors que X avait alors 6 ans, et celle-ci a participé au mariage des parties comme si c'était leur fille, tel qu'on le voit aux photos qui ont été déposées à l'audience.

[7]          Un an plus tard, la défenderesse donnait naissance à un autre enfant, Y, dont le demandeur est le père.

[8]          Les parties ont par la suite élevé les deux enfants comme s'ils étaient frère et soeur, sans distinction.

[9]          Les parties demeuraient alors à Ville B, sauf qu'en mai 2010 le demandeur est allé travailler en Chine pendant 1 an 1/2, jusqu'en octobre 2011.

[10]       À partir de décembre 2010, la défenderesse est allée rejoindre son mari en Chine, avec les deux enfants, et cela jusqu'en juin 2011, sauf X, qui est revenue le 25 mars 2011 au Canada avec sa grand-mère maternelle, car elle trouvait la vie difficile en Chine, s'ennuyait de ses amis, et voulait reprendre ses études au Québec.

[11]       Lorsque le demandeur est revenu de Chine en octobre 2011, il n'y avait plus d'emploi pour lui à l'usine A de Ville B et il fut transféré à Ville C où il a commencé à travailler en novembre 2011, la défenderesse continuant de demeurer à Ville B avec les deux enfants, le demandeur allant les retrouver les fins de semaines et lors de ses périodes de congé.

[12]       Entre temps, X a été admise à une école privée en 2010 et 2011 et c'est le demandeur qui a payé tous ses frais de scolarité.

[13]       Les parties ont continué ainsi jusqu'à l'automne 2012, alors qu'elles se sont séparées définitivement le 5 octobre.

[14]       Le 10 décembre 2012, le demandeur entreprenait des procédures, et le 29 janvier 2013 le juge Marc Lesage prononçait un jugement de divorce, entérinant une convention sur les mesures accessoires, prévoyant que le demandeur paierait à la défenderesse une pension alimentaire tant pour Y que pour X.

[15]       Entre la séparation des parties et le prononcé du jugement de divorce, le demandeur est allé passer une partie de la période des Fêtes chez ses parents et il a amené avec lui Y et X.

[16]       Jusque là, tout allait bien dans le meilleur des mondes et les relations entre le demandeur et X, alors âgée de 15 ans, étaient les mêmes que durant la vie commune des parties.

[17]       Sauf qu'un incident s'est produit au début de janvier 2013 en ce que X a organisé un party à la maison de sa mère et a publié sur FaceBook une photo où l'on voit une jeune amie de X, avec, sur le comptoir de cuisine, entre ses bras, une douzaine de bouteilles de boissons alcoolisées.

[18]       Mécontent, le demandeur a adressé un courriel à la défenderesse le 7 janvier 2013 lui indiquant :

«Je ne suis pas d'accord qu'elle mettre [sic] sur FaceBook une soulerie qui c'est [sic] produit sous notre toi [sic]. Elle [sic] n'ont pas dix-huit ans.»

[19]       Selon le demandeur, suite à cette intervention de sa part, X l'a enlevé de la liste de ses amis sur FaceBook, et il n'a plus eu d'autres nouvelles d'elle par la suite.

[20]       En avril 2013 le demandeur a demandé à la défenderesse si X serait présente chez ses parents pour Pâques avec Y.

[21]       La défenderesse lui a répondu par courriel qu'elle lui en avait parlé mais qu'à cause de son nouvel emploi elle ne pouvait pas vu qu'elle travaillait le samedi, ajoutant :

«mais [...] elle aurait BEAUCOUP aimé y aller [...] et vous voir tous car elle s'ennuit [sic] et aime ça aller à la cabane à sucre qu'elle m'a dit.»

[22]       Par la suite, le demandeur aurait revu X à 3 ou 4 reprises, lors de l'échange de Y à l'occasion de l'exercice de ses droits d'accès, échange qui se faisait à mi - chemin, à Ville D.

[23]       Mais à ces occasions, il n'y a pas eu beaucoup de discussions entre X et le demandeur, des «échanges polis seulement», selon lui.

[24]       Au mois d'août 2013, il fut convenu que les parties procéderaient à un changement de garde en ce qui concerne Y, qui s'en irait demeurer avec son père, sa mère exerçant des droits d'accès.

[25]       À cette occasion, dans l'affidavit, signé le 7 octobre 2013 par le demandeur pour justifier sa demande de changement de garde, il écrivait, en ce qui concerne X :

7.         La nouvelle pension ainsi déterminée est de 484,89$ que je verse à la défenderesse pour l'entretien de l'enfant mineur X.

[26]       Le juge Carl Lachance a entériné l'entente des parties, et ordonné au demandeur de continuer de payer une pension alimentaire pour X.

[27]       Au mois de juin 2014, c'était la graduation de X qui terminait ses études secondaires.

[28]       Une remise de diplôme et un bal de graduation étaient prévus à cette occasion, et, selon la défenderesse, X aurait bien voulu que le demandeur y assiste avec elle et Y.

[29]       La défenderesse a communiqué avec le demandeur pour lui en faire part, et il a accepté d'y aller.

[30]       Selon la demanderesse, X était fière d'avoir réussi son secondaire 5 et voulait que le demandeur assiste à son bal de graduation. Elle lui avait même demandé d'utiliser à cette occasion sa voiture.

[31]       Malheureusement, le demandeur a changé d'idée et, au grand désespoir de X, toujours selon la demanderesse, a décidé de ne pas y aller.

[32]       Selon la défenderesse, X était très déçue. Voyant cela, elle a communiqué avec le demandeur pour lui demander, à tout le moins, de lui envoyer des fleurs pour souligner cet événement, ce qu'il a fait.

[33]       Le 25 juin 2014, la défenderesse adressait un courriel au demandeur pour lui demander s'il prêterait son GPS à X pour l'été. Elle lui disait alors :

«Elle m'a demandé de te le demander. Elle te remercie aussi pour les fleurs, même ça aurait été mieux que vous soyez là. C'était une belle journée, elle était très belle. Je t'enverrai des photos.»

[Notre soulignement]

[34]       Les choses en sont restées là jusqu'à ce que, huit mois et demi plus tard, le 13 avril 2015, le demandeur fasse signifier sa requête visant à mettre fin à la pension alimentaire qu'il paie pour X, qui allait avoir 18 ans une semaine plus tard.

DÉCISION

1)        la relation in loco parentis

[35]       Tout d'abord, il ne fait aucun doute que le demandeur a agi à titre de parent in loco parentis auprès de X pendant au moins 12 ans, soit de janvier 2001 à janvier 2013.

[36]       Depuis la plus tendre enfance de X, le demandeur a participé aux soins et à l'éducation de celle-ci comme si c'était sa propre fille.

[37]       La preuve à ce sujet est éloquente. Des documents ont été produits en liasse sous la cote D-3, datant de 2002, et où le demandeur écrit un petit mot d'encouragement à X, qu'il signe : «Ton père qui t'aime».

[38]       Les photos produites en liasse sous la cote D-4 font voir un lien affectif très fort entre le demandeur et X.

[39]       Quand le demandeur est parti travailler en Chine et que sa famille est allée le retrouver, lorsque fut venu le temps d'organiser le retour de X au Canada, le demandeur adressait un courriel à un représentant de son employeur dans lequel il indiquait, entre autres :

«[...] My daughter will leave China on the March 25th with her grandmother [...].»

[Notre soulignement]

[40]       X a toujours considéré le demandeur comme son père. Elle n'a jamais connu son père biologique et n'a jamais eu de nouvelles de celui-ci. Elle n'était âgée que de 3 ans lorsque sa mère a commencé à faire vie commune avec le demandeur, et pour elle il était son père.

[41]       Tout comme elle considère Y non pas comme son demi-frère, mais comme son frère, celui-ci considérant également X comme sa sœur.

[42]       Le demandeur a même envisagé d'adopter X, mais pour des raisons inconnues du soussigné ce projet ne s'est finalement pas réalisé.

[43]       En plus de tout ce qui précède, il y a également l'admission, à tout le moins implicite du demandeur lui-même, que la relation entre lui et X était une relation père-fille.

[44]       En effet, non seulement l'a-t-il reconnue pendant la vie commune des parties, mais lorsque fut venu le temps de divorcer, il n'a pas hésité à se considérer responsable de X, en acceptant volontairement de payer une pension alimentaire pour subvenir à une partie de ses besoins.

[45]       Et non seulement l'a-t-il reconnue en janvier 2013 lors de la signature de la convention sur mesures accessoires, mais il l'a réitéré à nouveau à l'automne 2013 lorsqu'il a demandé l'annulation de la pension alimentaire pour Y vu qu'il en obtenait la garde, offrant volontairement de continuer à payer une pension alimentaire pour X.

2)        l'obligation alimentaire envers X

[46]       Ceci étant dit, est-ce qu'aujourd'hui, un an et demi plus tard, le demandeur est dans l'obligation de continuer à payer une pension alimentaire pour X?

[47]       Incidemment, l'allégation du demandeur selon laquelle X est maintenant majeure ne constitue pas, à lui seul, un motif pour mettre fin à l'aide alimentaire du demandeur, quoi qu'il en pense.

[48]       Car en effet, il semble avoir pris cela pour acquis, ayant fait signifier sa requête une semaine avant l'arrivée de cet événement.

[49]       L'arrêt de base sur le sujet est celui de la Cour suprême du Canada de 1999, dans l'affaire Chartier c. Chartier[1].

[50]       Le juge Bastarache écrivait alors, sur le fondement de l'obligation in loco parentis[2] :

21        Ceci dit, j’estime que l’arrêt Theriault, précité, expose la façon dont il convient d’aborder cette question en reconnaissant que les dispositions relatives aux enfants de la Loi sur le divorce mettent l’accent sur l’intérêt des enfants à charge, non sur la parenté biologique ou la situation juridique des enfants. Dans cette affaire, le mari avait interjeté appel dans le cadre d’une action en divorce contre une ordonnance alimentaire provisoire rendue au profit de la mère qui assumait la majeure partie des soins à donner aux deux enfants. Les enfants n’étaient pas les enfants biologiques du mari. Ce dernier avait participé à leur éducation depuis leur plus tendre enfance, mais, à l’audition de la demande de pension alimentaire intérimaire, il a prétendu que son engagement envers les enfants était né du mariage et subsistait tant que durait cette union

[Nos soulignements]

[51]       Sur la possibilité d'une rupture unilatérale du lien par le parent ayant agi in loco parentis, il écrivait que ce n'était pas possible[3] :

32        Je ne suis pas d’accord avec le raisonnement suivi dans Carignan. Comme il a déjà été mentionné, l’expression «tiennent lieu de père et mère» doit être interprétée en faisant abstraction du concept de common law, de façon à refléter l’approche contextuelle, fondée sur l’objet, que notre Cour préconise en matière d’interprétation législative. Dès lors qu’il est conclu qu’un adulte tient lieu de parent à un enfant, l’adulte ne peut unilatéralement rompre ce lien. Les dispositions de la Loi sur le divorce portant sur les «enfant[s] à charge» doivent «s’interpr[é]te[r] de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet»: voir Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12. Le raisonnement suivi dans Carignan ne tient pas compte de l’un des objectifs fondamentaux de la Loi sur le divorce en ce qui concerne les enfants. Les dispositions relatives aux enfants de la Loi sur le divorce visent à réduire au minimum les effets du divorce sur ces derniers. Chacun des conjoints a le droit de divorcer d’avec l’autre, mais il n’a pas le droit de divorcer d’avec les enfants à sa charge. L’interprétation la plus favorable à l’intérêt des enfants est celle qui veut que lorsque des personnes se comportent comme des parents à leur égard, les enfants peuvent s’attendre à ce que ce lien subsiste et que ces personnes continuent à se comporter comme des parents.

[...]

37        Les faits du présent pourvoi montrent pourquoi cette interprétation est celle qu’il convient de retenir. Jusqu’à ce que M. Chartier rompe unilatéralement le lien l’unissant à Jessica, celle-ci le considérait à tous points de vue comme son père. C’était le seul père qu’elle ait jamais connu. Lui permettre de trancher ce lien, à la condition qu’il le fasse avant le dépôt de la demande de divorce, est inacceptable. La rupture de la relation parent-enfant à la suite de la séparation n’est pas un facteur pertinent pour déterminer si une personne tient lieu de parent à un enfant pour l’application de la Loi sur le divorce. Jessica faisait autant partie de la cellule familiale que Jeena et elle ne devrait pas être traitée différemment parce que les époux se sont séparés. «L’époque considérée» n’a aucune incidence sur la détermination de l’existence d’un lien parental. Cette expression ne concerne que la question de l’âge, qui constitue une condition préalable à l’évaluation des besoins.

[Nos soulignements]

[52]       Et pour conclure sur la prolongation de l'obligation alimentaire après la rupture du couple, le juge Bastarache devait écrire[4] :

44        En se fondant sur l’arrêt Carignan, la Cour d’appel a établi une distinction entre les enfants nés du mariage et les enfants du conjoint. Comme il a déjà été mentionné, la Loi ne prévoit pas une telle distinction. Une fois reconnu «enfant à charge» au sens de la Loi sur le divorce, l’enfant doit être traité comme s’il était issu du mariage. Comme la Cour d’appel du Québec l’a conclu dans Droit de la famille - 1369, [1991] R.J.Q. 2822 (C.A.), à la p. 2827:

Une fois le statut d’enfant à charge reconnu, la loi ne permet pas de faire de distinction entre un père biologique et celui qui en tient lieu. Rien dans le libellé de cet article ne laisse en effet entendre que le législateur ait voulu octroyer un privilège quelconque au conjoint qui tient lieu de parent.

45        Même si les liens ont été rompus par une séparation ou un divorce, l’obligation de la personne qui tient lieu de parent d’assumer l’entretien d’un enfant reste la même. Les parents biologiques doivent continuer à payer la pension alimentaire même s’ils perdent le contact avec leurs enfants.

46        Il ressort des faits de l’espèce que l’intimé tenait lieu de père à Jessica. L’intimé s’est présenté aux yeux de Jessica et des tiers comme celui qui assumait l’entière responsabilité parentale à l’égard de cette dernière. M. Chartier est le seul père que Jessica ait connu vu que les parties lui ont fait croire qu’il était son père biologique. L’intimé a même envisagé d’adopter Jessica, et les parties ont fait modifier l’acte de naissance de Jessica pour remplacer le nom de famille de Jessica par celui de l’intimé. Elles ont présenté à cette fin une demande énonçant faussement que l’intimé était le père biologique de Jessica. Après la séparation, l’intimé a continué à entretenir des relations avec Jessica. Ses droits de visite ont par la suite été suspendus tant à l’endroit de Jessica qu’à l’endroit de son enfant biologique, Jeena.

47        Que l’intimé ait rompu unilatéralement les liens qui l’unissaient à Jessica ne change rien au fait qu’il s’est comporté, en tous points, comme un père tant que la famille a vécu ensemble. Jessica était donc un «enfant à charge» lorsque les parties se sont séparées et qu’elles ont par la suite divorcé, avec l’ensemble des droits et responsabilités attachés à cette qualité aux termes de la Loi sur le divorce. En ce qui concerne la pension alimentaire payable par l’intimé, Jessica doit être traitée de la même manière que Jeena.

[Nos soulignements]

[53]       Dans cette affaire, les parties avaient fait vie commune avec l'enfant trois ans seulement, alors qu'ici on parle d'une relation beaucoup plus longue, 12 ans, et donc nécessairement plus significative pour les deux parties, mais plus particulièrement pour l'enfant.

[54]       Un peu moins d'un an avant cette décision de la Cour suprême, le juge François Pelletier, alors à la Cour supérieure, annulait une telle pension alimentaire, dans les termes suivants[5] :

27        La question qui se pose dans la présente affaire est de déterminer si ce constat emporte chose jugée de façon définitive, pour l'avenir et, dans la négative, si la relation in loco parentis existe toujours. Le statut de parent biologique est quant à lui un fait immuable que les rapports ultérieurs entre les personnes ne sont pas susceptibles de modifier.

28        La qualité de parent substitut in loco parentis dépend, quant à elle, des agissements réciproques qui tissent une relation spéciale entre un adulte et un enfant. Lorsqu'un adulte agit et se comporte en parent d'une part, et qu'un enfant agit vis-à-vis cette personne comme si elle était son parent, il se crée une relation in loco parentis qui, en vertu de la Loi sur le divorce, est source d'obligation.

29        Ce comportement peut évoluer postérieurement à la période qui a fait l'objet de l'examen judiciaire, de telle sorte que la conclusion du jugement du mois d'août 1996 ne lie pas de façon définitive le tribunal ayant à se prononcer sur l'existence ultérieure de cette relation. Il y a certes présomption de continuité et c'est à celui ou celle qui prétend que la relation a changé d'en faire la démonstration.

[Nos soulignements]

[55]       Donc ici, en l'occurrence, le fardeau de la preuve repose sur les épaules du demandeur.

[56]       Analysant par la suite le cas qui lui était soumis, le juge Pelletier devait conclure que la relation in loco parentis était définitivement terminée, et cela non pas à cause du comportement unilatéral du requérant[6] :

36        Dans l'affaire qui nous occupe, il ressort clairement de la preuve que le requérant C... n'agit plus in loco parentis vis-à-vis R... depuis à tout le moins le prononcé du jugement de l'honorable Hood. Il s'est conformé à l'ordonnance de pension alimentaire bien sûr, mais c'est à cela que se sont limités ses contacts avec elle.

37        R... quant à elle ne communique jamais avec le requérant, son seul lien avec lui est de percevoir, par le biais de sa mère, des sommes d'argent payées au titre de la pension à son bénéfice.

38        Il n'est pas nécessaire ici de décider si, par ses gestes unilatéraux, G... C... pouvait mettre un terme à la relation in loco parentis. La preuve révèle en effet que R... elle-même n'agit plus vis-à-vis le requérant comme s'il était son père. En bref, il y a rupture bilatérale de cette relation père-fille.

[Nos soulignements]

[57]       Dans cette affaire, le requérant avait agi durant 8 ans à titre de père in loco parentis de R..., de l'âge de 7 ans jusqu'à 15 ans, et lorsqu'il a demandé au tribunal de mettre fin à la pension pour celle-ci, il s'était passé 4 ans depuis qu'il en payait une sans aucune communication de l'enfant pendant cette période tout de même significative de 4 ans.

[58]       Dans le présent dossier, le demandeur payait une pension alimentaire pour X depuis un peu plus de 2 ans lorsqu'il a fait signifier sa requête, et X a tenté de communiquer avec lui quelques fois, par l'intermédiaire de sa mère, dont la dernière fois pour son bal de graduation en juin 2014, donc moins d'un an avant la signification de sa requête.

[59]       Dans une décision du 4 décembre 2009, le juge Jean Lemelin mettait fin lui aussi à une pension alimentaire payée par le père in loco parentis d'une enfant de 19 ans dans les termes suivants[7] :

[3]        Par sa requête, C... B... demande aujourd'hui au tribunal d'annuler la pension alimentaire payable pour X, née le [...] 1990, aujourd'hui âgée de 19 ans.

[4]        La preuve révèle que la relation entre monsieur B... et X s'est complètement détériorée depuis la rupture des parents. En fait, depuis le mois de décembre 2007, il y a eu deux contacts, l'un lors de la confirmation de Y et l'autre par une rencontre fortuite devant une Caisse populaire. Ces deux situations n’ont donné lieu, tout au plus, qu'à un contact physique, mais aucune émotion, aucune salutation ou parole pouvant indiquer une relation parent-enfant.

[5]        Ce qui est surprenant et même triste, c'est que ni monsieur B... ni X ont fait des efforts pour entretenir cette relation qui, avant le divorce des parties, était bonne. Madame G..., de même que X elle-même, ont témoigné que cette rupture avait grandement affecté X, tant moralement que physiquement, ce qui expliquerait la distance qu'elle a voulu mettre entre elle et monsieur B....

[6]        La distance est tellement grande entre ces deux personnes que les occasions importantes durant l'année, leurs anniversaires de naissance, Noël, le jour de l'An, le jour de Pâques et autres, ont été presque ignorées, tant par monsieur B... que par X. Leur relation est tellement mauvaise qu'il est en preuve que X a fait des commentaires très désobligeants à l'endroit de monsieur B... sur son site « Facebook », allant même jusqu'à publier qu'elle le détestait, ce qu'elle n'a pas pu nier, puisque le texte a été déposé en preuve.

[Nos soulignements]

[60]       Le juge Lemelin a analysé par la suite la preuve de revenus de l'enfant[8] :

[13]      De ce qui précède, le tribunal estime les revenus annuels de X à  15 674 $ environ.

[...]

[16]      Ce budget et la preuve démontrent que malgré l'aide que X reçoit de sa mère pour certains frais, dont l'inscription au cégep, coiffure, esthétique, médicaments et une partie de la nourriture, elle afficherait un léger surplus de 132,36 $, en retenant le revenu annuel de 15 674 $ établi par le tribunal.

[61]       Pour conclure qu'elle était autonome, ce qui a sûrement eu une influence sur sa décision, alors qu'ici le tribunal ne sait pas si X a des revenus, et si elle en a à combien ils s'élèvent.

[62]       Toutefois, le juge Lemelin est allé plus loin et s'est prononcé sur la continuité de l'obligation alimentaire du père[9] :

[17]      De tout ceci, le tribunal retient que X travaille très fort pour subvenir à ses besoins, mais que son mode de vie apparaît plutôt confortable pour une étudiante de cégep. Le tribunal conclut qu'avec certaines compressions, elle serait en mesure de subvenir seule à ses besoins. Mais la question que le tribunal doit trancher est de savoir si monsieur B... doit continuer à verser une pension alimentaire pour X à titre in loco parentis.

[Notre soulignement]

[63]       Il a répondu négativement à cette question, en référant entre autres au jugement précité du juge François Pelletier, indiquant[10] :

[20]      La situation décrite par le juge Pelletier ressemble grandement à celle qui existe dans la présente cause. Non seulement monsieur B...,  de toute évidence, ne veut plus agir comme le parent de X, mais cette dernière lui est complètement indifférente. L'absence de contacts personnels et un silence presque complet sur sa fréquentation et ses progrès scolaires, malgré le fait que le jugement de divorce ordonnait à madame G... de lui fournir une copie des bulletins scolaires des enfants, sont une manifestation éloquente de la rupture des relations personnels [sic] entre ces deux personnes.

[Nos soulignements]

[64]       Et il devait conclure ainsi[11] :

[22]      Le tribunal est d'avis, considérant le changement d'attitude drastique de monsieur B... et de X, l'un envers l'autre, que la relation de parent n'est pas voulue et n'existe plus. Il y a donc lieu de mettre fin à l'obligation alimentaire de monsieur B... envers X et de modifier la pension alimentaire en conséquence.

[Notre soulignement]

[65]       Nous sommes bien loin d'une telle situation dans le présent dossier, alors qu'il n'y a aucune preuve que X est autonome, ait fait quelque commentaire dénigrant ou désobligeant envers le demandeur, et n'ait pas fait d'efforts pour maintenir la relation avec lui, au contraire.

[66]       Le juge Jacques Viens a lui aussi mis fin à une telle pension en 2010, pour des enfants âgés respectivement de 23 et 25 ans, puisqu'il considérait la relation in loco parentis terminée, alors que les enfants et le défendeur n'avaient plus aucun contact depuis plus de 6 ans, indiquant alors[12] :

[23]      La procureure du défendeur attire notre attention sur le fait qu'avec le temps, en raison des mauvaises relations entre la demanderesse et le défendeur et de l'absence à toutes fins pratiques complète de contacts entre le défendeur et les enfants, il y a eu rupture du lien, plus particulièrement entre le défendeur et les enfants X née le [...] 1985 et Y née le [...] 1987 pour lesquelles il agissait d'ailleurs seulement "in loco parentis".

[24]      En fait, tout porte à croire que suite à l'ordonnance modificative du 3 mars 2004, il y a eu absence de contacts et de communication, non seulement entre la demanderesse et le défendeur, mais aussi entre le défendeur et les trois enfants. On peut comprendre pourquoi la convention de mars 2004 prévoyait que les communications concernant la pension se feraient entre les procureurs.

[25]      Il s'est produit en quelque sorte un «silence» réciproque entre, d'une part, la demanderesse et les trois enfants et, d'autre part, le défendeur. Le défendeur nous dira qu'il a aimé les enfants et qu'il est malheureux de constater que maintenant elles ne veulent plus lui parler.

[Nos soulignements]

[67]       Et il devait conclure ainsi[13] :

[28]      Néanmoins, X, née le [...] 1985, est devenue majeure au mois de mai 2003 et Y, née le [...] 1987, au mois de mai 2005.  Même si le défendeur a agi pendant une certaine époque à leur égard "in loco parentis", et plus particulièrement pendant la durée du mariage, il est bien évident que depuis plusieurs années, le seul lien entre X et Y, d'une part, et le défendeur, d'autre part, est la contribution alimentaire qu'il verse à la demanderesse pour le bénéfice des enfants.

[Notre soulignement]

[68]       La situation dans l'affaire précédente est bien différente de celle qui prévaut dans le présent dossier.

[69]       Tout d'abord, X n'a pas 23 ou 25 ans, mais vient tout juste d'atteindre sa majorité.

[70]       Deuxièmement, dans l'affaire traitée par le juge Viens, le père in loco parentis n'avait plus aucun contact avec les enfants depuis plus de 6 ans, ce qui est loin d'être le cas du demandeur avec X, puisqu'il n'y avait à peine un peu plus de 2 ans d'écoulés depuis la séparation d'avec la défenderesse lorsqu'il a fait signifier sa requête, et que même après la séparation il y a eu des contacts avec l'enfant, quoique peu nombreux, il est vrai.

[71]       Et enfin, contrairement encore une fois à la situation qui prévalait devant le juge Viens, le demandeur n'a pas fait de preuve selon laquelle X ne veut plus lui parler, au contraire.

[72]       En effet, même s'il est exact qu'au mois de janvier 2013 l'incident relatif à la photo publiée sur FaceBook montrant une amie de X avec des boissons alcoolisées a refroidi les relations entre elle et le demandeur, il n'en demeure pas moins que par la suite elle a manifesté son intention de continuer sa relation avec le demandeur.

[73]       À Pâques 2013, elle aurait bien voulu aller avec le demandeur à la cabane à sucre chez les parents de celui-ci, mais elle n'a pas pu y aller à cause d'un nouveau travail.

[74]       Et en juin 2014, à l'occasion de sa graduation, X a manifesté son intérêt à ce que le demandeur y assiste, ce qu'il avait même accepté, pour changer d'idée par la suite, pour des raisons inconnues du soussigné.

[75]       Il lui a tout de même fait parvenir des fleurs, et par l'intermédiaire de sa mère, X lui a adressé des remerciements.

[76]       Entre ce dernier contact entre X et le demandeur, et la signification de sa requête il ne s'est écoulée qu'une période de 8 ½ mois, pas assez significative de l'avis du soussigné d'une rupture bilatérale et finale des relations entre X et le demandeur, surtout en tenant compte du fait que celui-ci a agi tout de même comme son père pendant une très longue période, c'est-à-dire pendant au moins 12 ans, et durant une période cruciale pour le développement d'un enfant, c'est-à-dire son enfance et son adolescence.

[77]       Enfin, en ce qui concerne l'allégation dans la requête du demandeur selon laquelle la défenderesse a maintenant un nouveau conjoint qui le remplace à titre de figure parentale auprès de X, il n'y a pas de preuve à cet effet.

[78]       Pour toutes ces considérations, le tribunal rejettera-t-il la requête du demandeur.

3)        les droits d'accès à Y

[79]       Dans sa requête, le demandeur voudrait également que les droits d'accès de la défenderesse à Y soient accordés selon entente préalable en respectant la volonté de Y.

[80]       Dans le jugement du juge Lachance qui octroyait la garde de Y au demandeur, il n'était pas question des droits d'accès de la défenderesse.

[81]       Sauf que dans les faits celle-ci les a exercés au début à tous les 15 jours, et finalement, compte tenu de la distance, ses droits d'accès ont été à plusieurs reprises exercés aux 3 semaines plutôt qu'aux 2 semaines.

[82]       Cela se faisait à l'amiable entre les parties, sans plus.

[83]       Le demandeur voudrait ajouter à cela, tel qu'on vient de le voir, que cela devrait se faire «en respectant la volonté de Y», ce à quoi s'oppose la défenderesse qui ne veut pas perdre le contact avec son fils et qui ne veut pas que ses droits d'accès soient assujettis à un caprice de l'enfant.

[84]       Y a actuellement 11 ans.

[85]       S'il avait 15, 16 ou 17 ans, ce serait une toute autre chose.

[86]       Mais actuellement le tribunal considère qu'il y a lieu de garder le statu quo, et il rendra une ordonnance en conséquence.

4)        la pension alimentaire pour Y et X

[87]       Les parties ont fixé la pension alimentaire payable par le demandeur à la défenderesse pour X à 484,89$ par mois, payable à compter du 20 août 2013, en tenant compte du fait que Y était maintenant avec son père, de même que de frais particuliers de 3 000,00$ pour l'école privée de X.

[88]       Cette pension alimentaire était fixée en fonction des revenus de 98 520,00$ pour le demandeur et de 44 863,00$ pour la défenderesse.

[89]       Compte tenu que les revenus des parties sont maintenant de 125 578,12$ pour le demandeur, et à 52 543,00$ pour la défenderesse, et que X ne fréquente plus l'école privée, il y a lieu d'actualiser la pension alimentaire.

[90]       Appliquant ces montants au Formulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfants, cela donne une pension de 340,21$ par mois.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[91]       REJETTE la requête du demandeur en annulation de pension alimentaire pour X;

[92]       ACCORDE à la défenderesse des droits d'accès à son fils Y, selon entente entre les parties, ou à défaut une (1) fin de semaine sur trois (3), l'échange de l'enfant se faisant aux Galeries A, à Ville D.

[93]       CONDAMNE le demandeur à payer à la défenderesse, pour X, une pension alimentaire de 340,21$ par mois, à compter de la date du présent jugement;

[94]       ORDONNE l'indexation de ladite pension alimentaire conformément à la Loi, à compter du 1er janvier 2016;

[95]       Le tout, SANS FRAIS.

 

 

 

______________________________________

JACQUES BABIN, j.c.s.

 

Me Serge R. Simard

gaudreault saucier simard

30 rue Racine Est

C.P. 8207

Chicoutimi QC G7H 5B7

 

Procureurs du demandeur

 

Me Bruno Fortin

fortin cantin & marceau

2106 rue Sainte-Famille

C.P. 2040

Jonquière QC G7X 7X6

 

Procureurs de la défenderesse

 

Date d’audience :

Le 5 juin 2015

 



[1] Chartier c. Chartier, [1999] 1 R.C.S. 242.

[2] Id., par. 21.

[3] Id., par. 32, 37.

[4] Id., par. 44 à 47.

[5] C.G. c. C.D., 1998 IIJCAN 11523 (QC CS), C.S. Québec, J. François Pelletier, 10 mars 1998, par. 27, 28, 29.

[6] Id., par. 36, 37, 38.

[7] C.B. c. J.G., Droit de la famille - 093011, 2009 QCCS 5718, par. 3 à 6.

[8] Id., par. 13, 16.

[9] Id., par. 17.

[10] Id., par. 20.

[11] Id., par. 22.

[12] S.P. c. P.H., Droit de la famille - 101294, 2010 QCCS 2468, par. 23 à 25.

[13] Id., par. 28.

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