Hénault et Collège d'enseignement général et professionnel de Lévis-Lauzon |
2020 QCTAT 2125 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 9 novembre 2018, Martin Hénault dépose une plainte fondée sur l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1, contre son employeur le Collège d’enseignement général et professionnel de Lévis-Lauzon (le Cégep). Il allègue être victime de harcèlement psychologique. Depuis le 3 novembre 2017, des reproches et avis verbaux ou écrits lui sont adressés et différentes mesures lui sont imposées.
[2] Il dépose une seconde plainte le 7 avril 2019 fondée cette fois sur l’article 122 de la même loi. Il dénonce une mesure de représailles subie le 25 mars 2019 en raison, selon lui, de l’exercice de son droit de déposer une plainte et plus particulièrement de l’enquête effectuée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) à l’égard de sa plainte de harcèlement psychologique. Un nouvel avis écrit lui a en effet été transmis de façon concomitante à la réception d’un avis d’audience relatif à cette première plainte.
[3] Le Cégep allègue que les mesures prises, les reproches formulés et les avis écrits remis à monsieur Hénault visaient à ce qu’il corrige son comportement considéré fautif. Ces démarches ont été faites dans un esprit de saine gestion de fonds publics et avec la préoccupation d’assurer la santé et la sécurité des usagers de l’institution.
[4] En raison du harcèlement qu’il allègue continuer de subir, mais ne plus pouvoir tolérer, monsieur Hénault quitte son emploi le 13 juin 2019.
[5] Il ne cherche donc pas à réintégrer son poste. Il réclame plutôt une indemnité de perte salariale ainsi que des dommages moraux et punitifs.
[6] Le 22 novembre 2010, Martin Hénault, architecte de formation, est engagé par le Cégep à titre de cadre. Plus précisément, il est coordonnateur du Service des immeubles et équipements (SIE). Ce service est partie de la Direction des services administratifs, Finances et Approvisionnements (DSA). L’autre service de cette direction, comme son nom l’indique, est celui des finances et des approvisionnements.
[7] La nature du travail du coordonnateur est décrite en annexe à son contrat de travail :
Sous la supervision du Directeur des services administratifs, la personne titulaire de cet emploi exerce des fonctions de gestion des ressources, des programmes, des activités (notamment de planification, organisation, direction, contrôle et évaluation) ayant trait à la gestion des immeubles et des équipements. De manière générale, elle voit au suivi des projets et des travaux d’investissements notamment de construction, d’agrandissement, de transformation, d’aménagement de locaux, de bâtisses, des terrains ainsi qu’à la mise en place des nouveaux équipements : plans, devis, contrats, dessins d’ateliers, etc.
[8] Il administre un budget d’environ cinq millions de dollars annuellement et a neuf employés sous sa responsabilité, dirigés au quotidien par le régisseur dont il est le supérieur immédiat.
[9] Au moment de son embauche, monsieur Hénault a près de vingt ans d’expérience auprès de différents employeurs tant privés que publics.
[10] Le directeur de la DSA qui a engagé monsieur Hénault en 2010 quitte son poste en décembre 2015. Monsieur Gaudreault, son successeur, entre en fonction en janvier 2016. Il s’absentera pour cause de maladie de mars à septembre 2018 pour repartir presque aussitôt. Le poste sera ensuite occupé temporairement par la directrice générale du Cégep, madame Fortier, puis par l’analyste financière responsable du budget de fonctionnement de la DSA, Marie-France Drolet.
[11] Depuis 2010, plusieurs directeurs généraux du Cégep se sont succédé. En 2015, Isabelle Fortier entre en fonction sur une base permanente.
[12] Pendant toute la durée de son emploi, le travail de monsieur Hénault est formellement évalué une seule fois, en décembre 2012. L’évaluation, faite par son premier directeur, porte sur la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012. D’abord, l’employé décrit les résultats qu’il a obtenus à l’égard de chacune des dix attentes qui lui ont été fixées précédemment. Il donne son appréciation personnelle et décrit le contexte de réalisation de son travail. Ensuite, il traite de son plan de développement professionnel. Finalement, son supérieur évalue son rendement de façon fort élogieuse pendant une dizaine de paragraphes. Il écrit notamment ce qui suit :
Il a eu à prendre fonction après une absence de 5 mois de son prédécesseur. Martin a eu à faire du rattrapage dans plusieurs dossiers qui ont été décalés dans le temps. Étant donné le non remplacement de prédécesseur avant son arrivée, nous nous étions concentrés que sur les dossiers qui avaient démarrés avant son arrivée. Très sincèrement, Martin a su relevé le défi avec brio.
De par ses compétences et ses expériences antérieures, Martin a su démontrer dès son entrée en fonction, un leadership au sein de son équipe et même au sein de la communauté. Dans plusieurs dossiers, il a eu à intervenir et à recadrer ou à réorienter pour le mieux certaines décisions qui avaient été prises antérieurement. Il est toujours disponible pour offrir son soutien et son expertise dans l’analyse de besoins des autres directions du collège. Avec Martin, il y a toujours moyen de trouver des solutions à des problèmes et il ne ménage aucun effort dans sa contribution dans les différents dossiers qu’il a sous sa responsabilité et même dans les autres dossiers de la DSA et du cégep en général.
[…]
Quoi dire de plus que le mot OUF! Quelle année épuisante et étourdissante pour le coordonnateur du S.I.E. et toute son équipe.
Certes avec Martin, les dossiers se font autrement et je veux ici témoigner de ma très grande satisfaction à cet égard. Tout ce qu’il a mis en place en vue de planifier, réaliser et faire le suivi des projets qu’il démarre, rencontre les attentes que j’avais et que l’organisation avait également avec sa venue au Cégep de Lévis-Lauzon. Avec Camil comme régisseur au S.I.E., nous avons de mon point de vue, un « team » qui se complète très bien de par la complémentarité de leurs compétences et de leurs expériences respectives.
En terminant, je tiens à souligner ma grande satisfaction de pouvoir compter sur un coordonnateur de son calibre. C’est vraiment un atout pour la DSA mais surtout pour l’ensemble de notre communauté. Son attitude envers Camil, son groupe d’employés et ses autres collègues de travail, son enthousiaste et son ardeur à la tâche sont des qualités que l’on apprécie et que l’on recherche chez tout gestionnaire. Son apport professionnel au sein de différents comités au cégep, est des plus apprécié depuis son arrivée au cégep.
[Transcription textuelle]
[13] En novembre 2013, monsieur Hénault est finaliste au concours de cadre émérite organisé par l’Association des cadres des collèges du Québec. La réalisation d’un projet en économie d’énergie lui vaut cette nomination. Le certificat indique ce qui suit :
Reconnu par ses pairs pour ses qualités et compétences distinctives, ainsi que pour une réalisation digne de mention […]
[14] Retraitée depuis le printemps 2019, une ex-collègue cadre du Cégep décrit monsieur Hénault comme quelqu’un de méticuleux, méthodique, très centré sur sa tâche, toujours bien préparé et qui travaille avec beaucoup de professionnalisme. Ce bon vivant a un grand sens de l’humour, il est enjoué, souriant, très poli et cordial.
[15] À compter de l’automne 2014, monsieur Hénault a maille à partir avec un de ses employés qui intimide certains membres de l’équipe. Il est question de harcèlement psychologique de la part de cet employé envers ses collègues. Le dossier détaillé, constitué depuis le début des événements par le coordonnateur, révèle que l’employé est suspendu avec salaire le 9 février 2016 après avoir reçu une lettre de réprimande. Le 30 mars 2016, craignant que le climat de travail ne se détériore davantage, monsieur Hénault transmet ce dossier à la directrice de la direction des ressources humaines (DRH) alors en poste. L’employé sera finalement congédié en mai 2016, déposera un grief qui se règlera quelques années plus tard.
[16] Aussi, comme déjà mentionné, le directeur de la DSA quitte ses fonctions en décembre 2015 et est remplacé par monsieur Gaudreault qui entre en poste en janvier 2016.
[17] C’est au cours de cette période trouble, plus précisément le 3 février 2016, qu’un consultant dépose un rapport d’analyse du climat de travail prévalant au SIE. Le Rapport Demers, il faut le préciser, est antérieur de quelques semaines au congédiement de l’employé problématique.
[18] Ce rapport, divisé en quatre sections, le mandat, la méthodologie et le déroulement de la démarche, l’analyse des données et les conclusions, tient sur un peu plus de quatre pages. Le mandat confié y est décrit en ces termes :
La direction du Cégep de Lévis-Lauzon souhaitait entreprendre une intervention en matière de climat organisationnel impliquant son service des immeubles et équipement. Depuis plusieurs mois des plaintes non-officielles ont été acheminées au Service des ressources humaines concernant le climat de travail ainsi que les relations tendues entre les employés. Des rencontres informelles n’ont pas donné les résultats escomptés et la situation perdure. Certains comportements sont associés aux critères du harcèlement mais aucune plainte formelle n’a été déposée.
[19] Au cours de l’enquête ayant donné lieu à ce rapport, tous les employés du SIE sont rencontrés.
[20] En conclusion, le Rapport Demers fait état que chacun est bien au fait de ce qu’il a à faire, mais des employés désapprouvent les responsabilités confiées à certains collègues et leur façon d’exécuter le travail, ce qui entraîne des gestes d’incivilité. À cet égard, il est spécifié que « les patrons gèrent mais n’assument pas le leadership requis », les patrons visés étant monsieur Hénault et son régisseur.
[21] Les recommandations du consultant se lisent ainsi :
Mettre le plus rapidement possible des règles de civilité avec toute l’équipe.
S’assurer que les gestionnaires gèrent au fur et à mesure les manquements aux règles de civilité.
Établir une politique de tolérance Zéro.
Coaching individuel des gestionnaires.
Faire un plan d’intervention sur 1 an où les gestionnaires seraient supportés dans leurs actions.
Impliquer le syndicat à différents moments dans la démarche.
Impliquer la gestion au plus au niveau possible.
S’assurer que les tâches et responsabilités sont claires et respectés pas tous.
[Transcription textuelle]
[22] Monsieur Hénault prend connaissance de ce rapport au cours d’une réunion à une date qui n’est pas précisée.
[23] En janvier 2017, Anne Carrier entre au Service de la DRH du Cégep. Elle en devient directrice en mai. Dès son arrivée, elle prend connaissance du Rapport Demers de février 2016 et, affirme-t-elle, doit le mettre en œuvre. Pourtant, l’employé problématique a été congédié un an plus tôt avec le concours de la directrice précédente qui avait donc pris les mesures de redressement appropriées. Pour le coordonnateur, les difficultés du SEI se sont résorbées après ce congédiement.
[24] Madame Carrier s’appuie néanmoins sur ce rapport pour invoquer que subsistait une confusion dans les rôles et les responsabilités des trois gestionnaires du SEI, soit monsieur Hénault et son régisseur, monsieur Dupuis, ainsi que le deuxième régisseur embauché temporairement pour remplacer monsieur Dupuis ayant dû s’absenter pour maladie. Ce second régisseur est ensuite demeuré en poste. La directrice de la DRH semble exclure de ce dysfonctionnement allégué le directeur de la DSA qui est pourtant le supérieur de monsieur Hénault.
[25] C’est dans ce contexte qu’en mai 2017, la directrice Carrier procède à l’embauche d’un autre consultant externe pour faire la révision des descriptions d’emplois des cadres du SIE en collaboration avec le directeur de la DSA, monsieur Gaudreault. Ensemble, ils revoient les descriptions de tâches de chacun des trois gestionnaires.
[26] Le 3 novembre 2017, monsieur Hénault est convoqué par madame Carrier à une rencontre relative à la restructuration du SIE. Les deux régisseurs et monsieur Gaudreault y assistent. Le coordonnateur affirme apprendre la nouvelle structure à cette occasion, devant ses deux régisseurs. Monsieur Hénault comprend à ce moment que le deuxième régisseur, jusque-là temporaire, est maintenant en poste sur une base permanente, la durée de son contrat n’étant pas précisée, mais sera d’au moins six mois, affirme-t-on. Finalement, ce deuxième régisseur quittera en novembre 2018.
[27] Au cours de cette rencontre, de nouvelles descriptions de tâches sont aussi annoncées. Les trois hommes apprennent que dorénavant le premier régisseur devient responsable des activités quotidiennes et de la gestion des projets architecturaux. Le second assume la responsabilité des travaux énergétiques. Monsieur Hénault, pour sa part, en déduit qu’il lui reste les tâches administratives de préparation des budgets. Le point 15 de cette nouvelle description l’inquiète particulièrement :
15 Planifie le travail à moyen et à long terme et délègue la réalisation des projets à ses régisseurs en fonction de leurs champs de compétence respectifs.
[28] Il faut préciser que le coordonnateur conservera tout de même la responsabilité des projets qu’il mène et qui sont déjà en cours.
[29] Pour monsieur Hénault, cette modification à ses tâches a été faite à l’encontre de la Politique de gestion des cadres qui prévoit à son article 3.1.01 qu’il doit être consulté. Il ne l’a pas été. Il est froissé d’avoir ainsi appris la restructuration de son service, devant ses régisseurs par surcroît.
[30] La directrice générale Fortier affirme qu’il est impossible que monsieur Hénault n’ait pas été informé des travaux en cours sur les descriptions de tâches puisque le consultant y a travaillé de près avec son directeur Gaudreault entre mai et novembre 2017. Elle n’y a pas participé, mais voyait le directeur qu’elle supervise toutes les deux semaines. Elle suppose donc que monsieur Gaudreault rencontrait aussi son coordonnateur. Elle n’en a toutefois pas été témoin.
[31] Aussi, toujours selon madame Fortier, aucune tâche n’est retirée à monsieur Hénault. C’est la collaboration des régisseurs qui est recherchée ainsi que la coordination de l’ensemble des activités par monsieur Hénault qui se concentre parfois trop sur les projets en cours au détriment de l’organisation du travail dans le SIE.
[32] À la fin du mois de décembre 2017, une demande de subvention pour la réalisation d’un important réaménagement du centre sportif est entreprise et doit être remise à la mi-février. Au tout début de l’année 2018, monsieur Gaudreault avise son coordonnateur de ne pas s’occuper de cette affaire qui sera confiée à un consultant externe considérant sa charge de travail considérable en lien avec les travaux à la bibliothèque. Monsieur Hénault participe tout de même au choix des architectes et estimateurs qui feront le travail qu’il aurait normalement fait. Il est déçu de la situation qui, selon le Cégep, est nécessaire en raison de la charge de travail du coordonnateur. Il n’aurait pu allouer le temps nécessaire à la préparation et l’organisation de travaux de cette ampleur. Monsieur Hénault y participe malgré tout assez activement en raison de sa connaissance des installations.
[33] Le projet sera toutefois présenté au comité directeur sans lui. Le consultant externe et monsieur Gaudreault s’en chargent. Le coordonnateur ne comprend pas pourquoi il est écarté de cet important dossier qui fait partie de ceux qui le motivent en raison du défi qu’ils représentent.
[34] À la même époque, c’est-à-dire en février 2018, monsieur Hénault reçoit des félicitations du conseil d’administration relativement à la gestion de travaux en cours à la bibliothèque. On lui transmet un extrait de la résolution adoptée en ce sens :
QUE DES REMERCIEMENTS SOIENT TRANSMIS :
Aux membres du personnel de la bibliothèque et du Service des immeubles et équipements qui ont participé au succès du déménagement temporaire de la bibliothèque, ce qui a permis de maintenir les services aux étudiants;
[35] C’est le 30 mars 2018 que monsieur Gaudreault, directeur de la DSA, s’absente en congé de maladie. La directrice générale Fortier assume par intérim la responsabilité des projets et confie les finances, aussi temporairement, à Marie-France Drolet, analyste financière, qui jusque-là n’a aucune expérience de gestion. L’annonce de ces changements est faite le 3 avril.
[36] C’est également en avril 2018 que la directrice de la DRH Carrier présente son document intitulé Réorganisation et plan d’action, Service des immeubles et des équipements, qui fait suite, affirme-t-elle, au Rapport Demers déposé deux ans plus tôt.
[37] Le délai d’action s’expliquerait par le décès du consultant qui a travaillé sur les descriptions de tâches, selon madame Fortier qui ajoute avoir elle-même adressé la demande de réorganisation du SIE à sa nouvelle directrice de la DRH.
[38] Pour madame Fortier, des difficultés persistent dans la gestion de monsieur Hénault malgré le départ de l’employé problématique qui - elle le reconnaît - a assaini le climat. Les délais et les demandes urgentes notamment créeraient des insatisfactions. Elle prétend que des employés et même le directeur se seraient plaints auprès d’elle de dysfonctionnements qui auraient aussi des répercussions importantes sur le travail de l’équipe de l’autre service de la DSA, celui des finances et des approvisionnements. Elle ne nomme aucun employé ni ne précise de situation particulière ou de dossier spécifique.
[39] La directrice générale affirme aussi que les deux patrons successifs du coordonnateur ont souvent porté à son attention certaines difficultés et le fait qu’il soit « têtu » en ce qu’ils n’arrivent pas à faire changer ses pratiques. Il s’entêterait à faire « à son idée et à sa façon ». Il n’admettrait aucun tort et se refuserait à tout changement. Ils se seraient plaints auprès de madame Fortier d’avoir à intervenir en urgence ainsi que de dépassements de délais et de coûts. Aucun dossier n’est mentionné et aucun d’eux n’a témoigné.
[40] « Au surplus », ajoute-t-elle, elle reçoit en mars 2018, une dénonciation faite en vertu de la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics, RLRQ, c. D-11.1, relative à « certains événements » concernant le non-respect des règles de gestion contractuelle par monsieur Hénault. Elle travaille alors à traiter cette plainte avec le concours de ses procureurs, ce qui la mènera à consulter les courriels du coordonnateur pendant quelques heures avec l’aide du directeur des Services informatiques.
[41] Madame Fortier relate devant le Tribunal que le coordonnateur aurait été soupçonné d’avoir refusé de payer un « extra » à un fournisseur en lui disant de le récupérer sur un autre item; il aurait divisé un contrat pour qu’il soit évalué à moins de 25 000 $; il aurait publié un appel d’offres après que les travaux aient été réalisés; elle a oublié le quatrième événement allégué. Elle aurait porté la dénonciation à l’attention de monsieur Gaudreault en lui demandant de faire en sorte que ce type d’actions ne se reproduise pas. Il est cependant parti en congé de maladie quelques jours plus tard.
[42] Outre la recherche dans les courriels de monsieur Hénault, aucune autre démarche d’enquête ne semble avoir été effectuée. La dénonciation n’aura finalement aucune conséquence sur le coordonnateur qui n’a été ni questionné ni rencontré. Il ne peut d’ailleurs rien préciser puisqu’il n’a pas été informé de l’identité du plaignant qui est confidentielle, du ou des projets visés, pas plus que du moment où ces événements se seraient produits. Madame Fortier souligne qu’elle a plutôt décidé « d’agir sur l’avenir ».
[43] Dans le document portant sur la réorganisation du SIE produit par la directrice de la DRH, il est indiqué ce qui suit dans la section « mise en contexte » :
En 2017, la Direction des ressources humaines a mandaté une firme externe pour effectuer un diagnostic organisationnel visant à obtenir une vision ciblée des enjeux au Service des immeubles et des équipements.
En tant que garante de la qualité et de la pérennité du parc immobilier du Collège, la mission du Service des immeubles et des équipements est d’assurer à la communauté le bon fonctionnement d’installations sécuritaires dans un environnement physique sain et stimulant, bien adaptées aux besoins de tous. C’est aussi d’offrir des services de qualité et un soutien professionnel aux activités de la communauté grâce à l’action concertée d’équipes de travail multi disciplinaires compétentes et dédiées à l’ensemble des clientèles.
Or, il persiste au sein du Service des immeubles et des équipements des enjeux importants qui doivent être adressés, entre autres, dans la structure organisationnelle, dans les communications et dans le climat de travail qui viennent affecter la performance du service principalement en matière de gestion de projets, de gestion contractuelle, de gestion des ressources financières et de gestion des ressources humaines.
[44] La direction générale, est-il précisé, cherche à augmenter l’efficience et l’efficacité du SIE. Aussi, la DRH, « en appui aux préoccupations de la Direction générale » propose une démarche en cinq points :
· Clarifier le rôle et les responsabilités de chacun des gestionnaires présents dans ce service conformément aux récentes descriptions d’emplois;
· S’enquérir des pratiques actuelles et de leur efficacité notamment en matière de gestion de projets et de gestion contractuelle (planification, organisation, direction, contrôle et suivi);
· Mettre en œuvre de nouvelles façons de faire en matière de gouvernance et de structure;
· Empêcher que des situations d’incivilité et d’irrespect dans l’environnement de travail nuisent à la productivité du service et par extension au développement du Collège;
· Mobiliser les employés de ce service.
[45] Toutes les personnes affectées au SIE seront rencontrées.
[46] Le 10 avril 2018, dans le cadre de sa prise en charge par intérim du SIE annoncée la semaine précédente, madame Fortier rencontre monsieur Hénault, question de s’entendre sur un mode de fonctionnement. Ils conviennent qu’il ne lui transmettra pas tous les échanges avec les entrepreneurs et professionnels, mais seulement ceux comportant les conclusions de ces échanges.
[47] Pour apporter des modifications à un contrat conclu avec le Cégep, une « directive de chantier » visant à obtenir un prix doit être transmise à l’entrepreneur qui ne peut exécuter les travaux sans qu’un « ordre de changement » soit approuvé par la direction générale. Seule cette autorisation permet de modifier un contrat et de réaliser les travaux.
[48] Ce processus d’approbation a fait l’objet d’une opinion juridique de la Fédération des cégeps qui a entraîné une révision de la pratique en vigueur jusque-là. Le directeur Gaudreault, qui semble n’en avoir pris connaissance qu’en 2018, l’exprime en ces termes dans un courriel du 5 février adressé à monsieur Hénault :
Voici un avis juridique sur l’application de l’article 17 de la LCOP publié en 2009 par le contentieux de la Fédération des cégeps. À la lecture de celle-ci, tu noteras que nous devrons changer nos pratiques. Dans un cégep, l’approbation des ODC [ordre de changement] relève du CA qui peut en déléguer officiellement la délégation au Cex ou à la direction générale. Dans le contexte d’application de l’article 17, nous devrons dorénavant faire approuver tous les ODC avant leur réalisation.
Merci de me faire part de tes commentaires avant que j’en informe Isabelle [Fortier].
[49] Monsieur Hénault répond le même jour. Il craint les délais que pourrait engendrer cette nouvelle procédure :
[…]
Pour la gestion plus quotidienne des approbations des ODC durant un chantier, cela aura un impact significatif sur l’échéancier des travaux car il y aura parfois des retards occasionnés suite à l’émission de directives entre la réception des prix de l’entrepreneur, leurs approbations par les professionnels et ensuite par l’approbation de l’ODC par le CÉGEP. On fera donc face peut-être à gérer des frais pour retard de chantier si on va de l’avant avec ces changements souvent plus urgent.
[…]
[50] Le directeur conclut comme suit :
Tu en as bien saisi le sens. Il faudra instruire Isabelle [Fortier, la directrice générale] que les ODC devront être traitées avec diligence afin de ne pas retarder le chantier et s’en faire réclamer des $$$. Étonnant, tout de même, que nous n’ayons pas ajustée notre pratique plus tôt.
[Transcription textuelle]
[51] Le 25 avril 2018, soit environ trois semaines après l’arrivée en poste de madame Fortier au titre de directrice par intérim de la DSA, monsieur Hénault reçoit un avis de convocation à une rencontre devant se tenir le lendemain au bureau de madame Fortier en présence de la directrice de la DRH. Il pourra être accompagné d’un représentant de son association, est-il mentionné :
Cette rencontre portera sur de graves manquements de votre part à vous conformer aux décisions prises par les membres de la Direction du Collège et sur de récents événements qui démontrent que vous avez enfreint les procédures établies en matière de bonne gouvernance et de gestion contractuelle. Une lettre d’avertissement vous sera remise à cette occasion en vertu de l’article 5.6.3 a) de la « Politique de gestion des cadres » en vigueur au Cégep de Lévis-Lauzon.
[52] Cette disposition de la Politique de gestion des cadres est celle prévoyant les mesures disciplinaires que peut imposer le Cégep allant de l’avertissement au congédiement en passant par la suspension et la rétrogradation. Monsieur Hénault fait remarquer que la notion de faute grave se retrouve au paragraphe d) portant sur le congédiement.
[53] Il ne comprend pas ce qui arrive. Il a pourtant suivi la procédure déterminée, soit de transmettre à sa directrice par intérim la conclusion de ses échanges avec les entrepreneurs. Il n’a jamais été confronté à une telle situation auparavant et il est inquiet.
[54] Malgré l’annonce de la remise d’une lettre d’avertissement liée à des manquements graves, madame Fortier tient à préciser devant le Tribunal qu’il s’agit là d’un simple avis de convocation.
[55] Le coordonnateur se présente donc au bureau de madame Fortier le 26 avril, accompagné d’une représentante de l’Association des cadres des collèges du Québec (l’Association). On lui remet une lettre d’avertissement de plus de deux pages de texte dense dans laquelle il est question de deux événements spécifiques.
[56] Le premier concerne des travaux à la toiture réalisés de façon urgente au cours de l’été précédent, avec l’autorisation du directeur Gaudreault, en suivant la procédure prévue avant qu’elle ne soit modifiée. La demande d’autorisation transmise par la suite à madame Fortier, toujours conformément à l’ancienne procédure, est vue par elle comme un manquement la plaçant devant un fait accompli. Elle n’en a cependant pas parlé à monsieur Hénault avant de le convoquer et de lui remettre cet avertissement écrit.
[57] Il rappelle donc à madame Fortier les modifications au processus d’approbation survenues peu avant et souligne que ces travaux urgents avaient été autorisés par monsieur Gaudreault.
[58] Le second événement réfère à l’autorisation relative à l’installation d’une porte à la bibliothèque. La question de la porte est longuement discutée en audience. Monsieur Hénault explique que, dans le cadre des importants travaux en cours à la bibliothèque, l’ajout d’une porte non prévue aux plans initiaux a été demandé. Vers la mi-mars, il discute avec les entrepreneurs et demande un prix dans le but de faire approuver la démarche par madame Fortier. Le 18 avril 2018, le coordonnateur transmet le résultat de la négociation de prix ainsi que les explications appropriées à la directrice générale pour approbation. Le 19 avril, elle demande une discussion téléphonique qui a lieu le lendemain. Elle sait, pour l’avoir vérifié, que cette demande d’une porte supplémentaire n’émane pas de la responsable de la bibliothèque, mais du SIE qui y voit une façon de faciliter les déplacements des employés. La demande est refusée le 20 avril à 15 h 31. Moins d’une heure plus tard, monsieur Hénault apprend que l’entrepreneur, à son insu, a déjà installé le cadre et commandé la nouvelle porte dans le but de ne pas retarder le chantier. Le coordonnateur téléphone aussitôt à madame Fortier pour l’en informer. Il y a eu confusion, un manquement dans la chaîne des communications, ce qui n’est pas inhabituel en construction. Il serait plus onéreux de défaire ce qui a été fait que d’aller de l’avant. Cet imbroglio représente environ 4 500 $ sur un projet de plus de deux millions de dollars, souligne-t-il. Pour lui, l’incident est clos.
[59] Lorsqu’elle revient sur le sujet dans les jours suivants, elle apprend que des discussions à propos de cette porte ont lieu depuis février. Elle ne croit plus que le travail a été fait à l’insu du coordonnateur. Il lui suggère de vérifier elle-même auprès de l’entrepreneur, ce qu’elle a fait, explique-t-elle. Le contractant lui aurait affirmé que monsieur Hénault a autorisé l’installation. Il aurait toutefois changé de version par la suite.
[60] Lors de la rencontre disciplinaire du 26 avril, monsieur Hénault rappelle donc les faits entourant cet incident. La directrice Fortier le confronte à la version de l’entrepreneur que monsieur Hénault nie catégoriquement, se désolant que sa supérieure accorde plus de crédibilité à un entrepreneur qu’à son propre coordonnateur.
[61] La deuxième page de la lettre d’avertissement remise ce jour-là est révélatrice du ton des communications qui s’amorcent alors et il est utile d’en reproduire ce long extrait :
À la lumière des événements mentionnés ci-haut, nous sommes forcés de constater de graves manquements de votre part à vous conformer aux décisions prises par les membres de la Direction du Collège et la démonstration que avez enfreint les procédures établies en matière de gestion de projets, de gestion contractuelle, de gestion financière et de gouvernance.
· Considérant que vous ne vous êtes pas conformé à une décision du Collège;
· Considérant que vous n’avez pas respecté la limitation de votre fonction en outrepassant votre rôle et vos responsabilités à titre de coordonnateur au Service des immeubles et des équipements puisque vous n’êtes pas autorisé à demander, à exiger et donc à accorder sans avoir au préalable obtenu les autorisations requises conformément aux règlements en vigueur au Collège;
· Considérant que vous avez fait une mauvaise gestion des fonds publics en engageant de votre propre initiative des sommes supplémentaires non requises dans le projet du Carrefour de l’information;
· Considérant qu’à titre de membre du personnel d’encadrement, vous avez le devoir d’agir avec loyauté, professionnalisme et exemplarité envers le Collège;
· Considérant que cela constitue un préjudice grave à l’endroit du Collège en lien avec l’intégrité de la gestion de projets, de la gestion contractuelle, de la gestion financière et de la gouvernance en plus d’être susceptible de porter atteinte à la réputation du Collège.
À compter de ce jour, le Collège vous formule les attentes suivantes en vous demandant :
· De respecter en tout temps les règles qui régissent le Service des immeubles et des équipements qui sont établies par la Loi, les règlements (no. 25 et no. 26), les politiques, les directives ainsi que les procédures en vigueur et qui gouvernent le Collège;
· De faire part, sans délai, à la Direction du Collège de tout délai ou enjeu quant à l’avancement des projets, de la gestion contractuelle et tout autre élément sous votre responsabilité qui sont susceptibles de causer préjudice au Service des immeubles et des équipements et par extension au Collège;
· D’agir avec loyauté, professionnalisme et exemplarité envers le Collège dans l’exercice de vos fonctions à titre de membre du personnel d’encadrement.
Veuillez donc considérer cette lettre comme un premier avertissement écrit. Soyez avisé qu’au prochain manquement, en fonction de son degré, vous serez passible de mesures disciplinaires plus sévères pouvant mener au congédiement.
Nous nous attendons à ce que vous vous conformiez à cette lettre d’attente. Nous sommes confiants que vous saurez prendre les dispositions appropriées pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise.
[62] Cette lettre, il faut le rappeler, est remise à un employé en poste depuis plus de sept ans, qui a un dossier disciplinaire vierge et qui entame une relation hiérarchique de travail avec la directrice depuis moins d’un mois.
[63] Pris de court, monsieur Hénault tente tant bien que mal de donner ses explications, mais il est atterré. C’est la première fois que son professionnalisme, sa loyauté et ses compétences sont attaqués. Son travail a toujours été apprécié de ses dirigeants et partenaires.
[64] Non seulement l’avertissement n’est pas justifié puisqu’il n’a commis aucune faute, mais la terminologie utilisée est pour lui hors de proportion, considérant qu’il n’a pas eu l’occasion de donner sa version des faits avant d’être sanctionné.
[65] Une fois le choc passé, monsieur Hénault demande donc une autre rencontre. Elle se tiendra le 24 mai et, cette fois, pendant environ une heure les parties s’expliquent. Le lendemain, le coordonnateur transmet les mêmes explications par écrit à sa directrice. Il réitère son respect de l’autorité et des règles en vigueur, sa loyauté et son professionnalisme. Il joint deux organigrammes de fonctionnement décrivant les processus d’approbation; ceux en vigueur avant février 2018 et ceux applicables après février 2018. Puis, considérant qu’il n’a commis aucun manquement, il réitère sa demande de retrait de la lettre d’avertissement adressée la veille, que madame Fortier s’est engagée à considérer.
[66] Cette lettre sera finalement retirée de son dossier le 26 juin.
[67] Ce jour du 24 mai est marqué par un autre événement. Des travaux effectués à un endroit non prévu ont entraîné la chute d’un bloc de béton sur le bureau d’une employée. Monsieur Hénault, appelé sur les lieux, prend aussitôt les mesures pour sécuriser l’endroit, ce qu’aurait dû faire l’entrepreneur à qui cette responsabilité incombe en vertu de son contrat, selon lui.
[68] Il faut savoir que l’immeuble abritant le Cégep, qui date de 1974, est affecté d’un vice de construction décelé en mai 2017 alors que des travaux étaient en cours sur la toiture. Des blocs de béton avaient dû être retirés parce qu’ils menaçaient de tomber. Un second incident de même nature est survenu en juin dans une section de la bibliothèque alors sur le point d’être démolie. Des travaux y étaient aussi effectués. Un bloc de béton est tombé et a défoncé une tuile du plafond. Ces événements sont ainsi rapportés dans le procès-verbal d’une réunion du comité de santé et sécurité du travail du 12 septembre 2017 :
ÉVÉNEMENTS POTENTIELLEMENT DANGEREUX ET SUITES DONNÉES :
Deux événements potentiellement dangereux ont été rapportés aux membres du comité. Le premier est survenu le 20 juin 2017 dans la salle à dîner derrière le comptoir de prêt de la bibliothèque. Des débris de blocs de béton sont tombés du plafond et ont défoncés une tuile du plafond suspendu. Cet incident est survenu en lien avec le percement sur une cloison lors des travaux de réfection du Carrefour de l’information. Le deuxième événement est survenu le 16 mai 2017 au local A-324 au Département de physique. Des blocs de béton au-dessus du plafond suspendu s’effritaient et menaçaient de tomber. Cet incident est survenu en lien avec une démolition sur le toit. Dans les deux cas, les employés du SIE sont intervenus rapidement afin de sécuriser les lieux.
M. Hénault mentionne que les lieux et les locaux avoisinant qui comportaient des cloisons de blocs de béton ont tous été inspectés, solidifiés et que certains murs ont même été démolis par mesure préventive. M. Hénault avise les membres du comité que dans le cadre de tous nouveaux travaux de construction au Collège, toutes les sections où se trouvaient des cloisons de blocs de béton, celles-ci seront démolies et seront remplacées par des murs de gypse.
[Transcription textuelle]
[69] Après l’événement de juin, monsieur Hénault demande madame Fortier et monsieur Gaudreault sur les lieux, en urgence, pour qu’ils constatent la situation. Il donne ensuite des directives de chantier aux entrepreneurs concernés qui sont à exécuter les travaux à la bibliothèque. Puis, il s’affaire à sécuriser l’environnement où les dommages ont été constatés. Puisque cette portion de l’immeuble doit être démolie dans un avenir rapproché, seuls des travaux visant la sécurité sont exécutés.
[70] Ensuite, le coordonnateur se livre à une inspection minutieuse de l’ensemble des bâtiments du Cégep par des vérifications aléatoires. Il conclut à un vice de construction de l’immeuble.
[71] À partir des données recueillies, monsieur Hénault et son supérieur Gaudreault établissent un plan de match. Après avoir sécurisé les lieux, ils ciblent les endroits problématiques, évaluent l’étendue des dommages et préparent une demande de financement.
[72] Il est ainsi prévu de faire les travaux requis dans tout le Cégep, par secteur, sur une période de trois ans. Des plans et devis sont élaborés. Une demande de subvention est déposée le 7 février 2018 par la directrice générale Fortier. La gestion du projet est prévue par lot et un échéancier détaillé est établi. Le 20 mars 2018, madame Fortier reçoit de la ministre responsable la confirmation qu’une « allocation particulière » de 1 174 400 $ est « accordée pour le financement des travaux de mise aux normes à la suite de la découverte de vices de construction dans son bâtiment principal ».
[73] Le projet échelonné sur trois ans pourra donc être réalisé comme planifié.
[74] Pour expliquer cette planification, monsieur Hénault précise qu’une fois le bâtiment sécurisé, il faut une intervention humaine, c’est-à-dire des travaux, pour que les blocs instables bougent et éventuellement tombent. Les trois incidents sont d’ailleurs survenus dans un tel contexte de construction. Il fait remarquer que le tremblement de terre survenu en 1988 n’a causé aucune chute de blocs.
[75] Ainsi, dans les contrats de construction qui sont accordés après qu’on ait décelé ce vice de construction, il est prévu que l’entrepreneur doit communiquer 48 heures à l’avance le lieu des travaux prévus et leur nature. À titre de maître d’œuvre, il est responsable de la sécurité des lieux. Également, monsieur Hénault rappelle régulièrement en réunion de chantier l’obligation d’aviser et d’assurer la sécurité sur les lieux où des travaux sont exécutés.
[76] Le procès-verbal de la réunion du comité de santé et sécurité du travail du 10 octobre 2017 précise d’ailleurs ce qui suit :
13. La partie patronale mentionne aux parties syndicales que lors de travaux réalisés par des entrepreneurs généraux externes, ceux-ci sont « maîtres d’œuvre » de leur chantier, donc responsable à 100 % de la santé et sécurité de leurs employés. Cette clause de responsabilité de l’entrepreneur est incluse dans les conditions générales du devis de construction lesquelles obligent en plus d’inclure une assurance responsabilité civile, une assurance responsabilité accident et une assurance responsabilité pour le feu. Tous les chantiers sont barrés par une clé de construction spéciale. Les employés du CLL n’ont donc pas accès à ces chantiers. M. Martin Hénault, coordonnateur du SIE, informe les membres du comité que c’est lui qui s’assure de faire les suivis et le rappel auprès des entrepreneurs si jamais les travaux engendrent des situations où la sécurité est en jeu et des désagréments sur les employés du cégep.
[77] Monsieur Hénault précise que l’entrepreneur qui est à l’origine de la chute du bloc de béton le 24 mai était au courant de l’ensemble de la problématique d’autant qu’il avait procédé à la démolition de certaines parties du bâtiment en vue des rénovations et que considérant l’instabilité de certains murs, ils ont été démolis alors qu’ils ne devaient pas l’être au départ.
[78] Or, les travaux effectués le 24 mai n’ont fait l’objet d’aucun avis et les lieux n’ont pas été sécurisés par l’entrepreneur qui a ainsi agi en contravention à son contrat.
[79] Madame Fortier allègue pourtant que, monsieur Hénault ayant fait preuve d’une telle insouciance à la suite de la chute du bloc de béton en mai 2018, elle a dû prendre le leadership. Le bâtiment est d’abord évacué. Puis, le lundi 28 mai, elle informe le comité de direction dont les membres sont choqués, voire bouleversés, selon madame Fortier. Il est décidé de faire évaluer la sécurité de tous les bâtiments du Cégep par un ingénieur dès le lendemain, de charger une équipe de sécuriser les lieux et de convoquer la réunion d’une « cellule de crise » le 30 mai. Elle ne semble jamais se référer au diagnostic déjà posé ni à la planification de réfection pour laquelle une subvention lui a été accordée à peine deux mois plus tôt.
[80] Des dizaines de blocs de béton sont retirés partout dans le Cégep. Le régisseur qui observe la scène aurait dit à madame Fortier qu’ils exagéraient. Elle est outrée. Pour la directrice générale, monsieur Hénault ne lui semble pas non plus concerné se contentant de reporter la faute sur l’entrepreneur qui n’a pas respecté ses obligations. Elle ajoute qu’il serait arrivé en retard à la réunion de la « cellule de crise » du 30 mai, et serait même allé jouer au golf ce jour-là, ce que nie catégoriquement monsieur Hénault. Il a d’ailleurs transmis un courriel à madame Fortier pour l’informer de l’annulation de sa participation à ce tournoi.
[81] De nombreux blocs sont ainsi retirés dans différents secteurs du Cégep. La facture s’élève à 10 893,88 $.
[82] Pour madame Fortier, il est inadmissible que ces blocs n’aient pas été retirés avant et que la sécurité des usagers ait été mise en péril, particulièrement pendant la durée des travaux en cours depuis plusieurs mois. Elle impute l’entière responsabilité de cette situation à monsieur Hénault et jamais à son supérieur, il faut le préciser. Elle sait que la demande de subvention a été présentée en 2017, mais en 2018, déplore-t-elle faisant fi de l’échéancier établi, les travaux ne sont toujours pas faits.
[83] Le rapport d’étape de l’expertise, transmis à la directrice générale le 11 juin 2018, indique les travaux effectués, mais précise toutefois ce qui suit :
Dans le futur, si des travaux de rénovation ou de réparation sont réalisés dans un secteur, il serait prudent de procéder de nouveau à une inspection des murs de blocs afin de valider qu’il n’y a pas de nouveaux blocs de béton qui se sont désolidarisés de leur mur.
[84] C’est dans ce contexte que, le 26 juin 2018, madame Fortier transmet à monsieur Hénault une lettre dont l’objet est « Suivi de votre réponse à la lettre d’avertissement du 26 avril 2018 et convocation à une rencontre ». Elle y annonce d’abord qu’après avoir analysé les explications fournies aux reproches adressés dans l’avertissement écrit du 26 avril, elle a décidé de retirer cet avertissement de son dossier d’employé.
[85] Cependant, dès le paragraphe suivant, elle soulève des « préoccupations majeures » qui persistent et lui « apparaissent symptomatiques d’enjeux encore plus inquiétants ». Trois points sont identifiés :
· une incapacité à déléguer certaines tâches à vos collaborateurs, ce qui nuit considérablement à l’accomplissement des tâches qui vous sont confiées;
· un manque de cohésion dans l’organisation du travail et la priorisation de vos dossiers;
· des lacunes sur le plan de la gestion des ressources humaines.
[86] En plus de ces éléments, elle lui reproche l’absence de réaction adéquate, son insouciance quant à l’urgence de prendre les bonnes décisions dans les temps requis et sa propension à minimiser les événements à l’égard de l’incident de la chute d’un bloc de béton le 24 mai précédent.
[87] Madame Fortier affirme en audience que c’est ce grave événement du 24 mai qui a été déterminant dans sa décision de transmettre ce nouvel avis de convocation.
[88] Monsieur Hénault fait remarquer que sa directrice DSA par intérim n’a pas jugé nécessaire ou même utile de revoir ou de modifier les priorités et les échéanciers déjà établis pour régler cette situation qu’elle considère alarmante.
[89] Une rencontre est donc ainsi convoquée le 28 juin afin qu’il donne sa version relativement à ces nouveaux éléments et de « voir comment vous pouvez nous assurer que vous êtes en mesure de bien vous acquitter de vos responsabilités ».
[90] Au moment où il reçoit cette lettre, monsieur Hénault doit être en congé, mais la foudre, qui s’est abattue sur le bâtiment la veille, a endommagé le système de sécurité incendie. Il est affairé à régler la situation lorsqu’il prend connaissance de ces nouveaux reproches dont il n’a jamais été informé avant. Il communique aussitôt avec le représentant de son association locale pour l’informer de la situation.
[91] Monsieur Hénault est atterré, complètement déstabilisé. Il ne comprend pas ces actions pour lui disproportionnées. Madame Fortier n’a rien annoncé de tout ça. Aucun questionnement verbal ou par courriel ne lui a été adressé, aucune discussion n’a eu lieu et, sans prévenir, on lui transmet encore une lettre qui l’atteint dans tout ce qu’il a réalisé depuis son entrée en fonction. C’est comme s’il ne faisait rien correctement. Il sent que le terrain lui glisse sous les pieds.
[92] La rencontre exigée n’a pas lieu le 28 juin en raison de l’indisponibilité de la représentante de l’Association. Considérant les vacances, elle est reportée après la période estivale. À la fin du mois d’août, monsieur Hénault ne tient plus tant son inquiétude est grande. Ses vacances sont hantées par ces mesures qu’il subit. Il demande de devancer la rencontre qui aura finalement lieu le 23 août 2018 dans le bureau de la directrice générale. La directrice de la DRH, madame Carrier, est présente ainsi que la représentante de l’Association qui retrouve monsieur Hénault en cette fin d’été amaigri, fatigué, cerné et l’air très préoccupé.
[93] Pendant un peu plus d’une heure, ils discutent des reproches adressés en juin. Monsieur Hénault explique le cheminement du dossier des blocs de béton. Madame Fortier « n’achète pas ses explications ». Elle considère qu’il aurait dû prévoir ce qui est arrivé et sécuriser les lieux comme elle l’a fait avec succès, soutient-elle.
[94] En ce qui concerne les autres reproches, assez vaguement décrits dans la lettre du 26 juin, le coordonnateur ne peut qu’ « encaisser ». Il allègue n’avoir jamais entendu parler jusque-là de ces événements dont certains remonteraient à plusieurs mois.
[95] Le 27 septembre 2018, monsieur Hénault répond par écrit aux reproches adressés. Il transmet une longue lettre de sept pages reprenant chacun des points discutés lors de la rencontre en commençant par l’incident de la chute du bloc de béton le 24 mai. Ensuite, il est question des trois éléments soulevés dans la lettre du 26 juin, soit d’une incapacité à déléguer certaines tâches à ses collaborateurs, ce qui nuirait considérablement à l’accomplissement de ses propres fonctions, d’un manque de cohésion dans l’organisation du travail et de lacunes en matière de gestion des ressources humaines. Il réfute chacun des points en référant à certaines précisions qu’aurait apportées madame Fortier au cours de la rencontre et en donnant ses propres exemples établissant ses compétences et le respect des règles en vigueur.
[96] En conclusion de sa réponse, monsieur Hénault réitère son désir de collaboration et son volontarisme à exécuter ses tâches et à répondre aux attentes de la direction.
[97] Il termine en demandant de retirer la lettre du 26 juin de son dossier.
[98] Madame Fortier affirme qu’après la rencontre du 26 juin, elle est optimiste au regard de l’avenir. Aussi, la lettre du 27 septembre a été pour elle un choc. Non pas parce que le coordonnateur réitère des explications qu’elle connaît déjà, mais parce qu’il réfute toute responsabilité. Il ne reconnaît rien, « comme si son travail était impeccable ». Elle est très déçue.
[99] En audience, monsieur Hénault invoque souvent qu’il n’a jamais entendu les reproches qu’on lui adresse par écrit avant de recevoir ces lettres d’avertissement. Il explique que dans sa réponse du 27 septembre, il tente de répondre aux accusations en se référant à certains exemples. Madame Fortier rétorque que s’il a pu écrire sept pages c’est parce que des faits concrets ont été soulevés. La chute du bloc de béton, le fait de n’avoir pas consulté le chargé de projet externe pour établir un échéancier, la sous-utilisation de son adjointe administrative, les problèmes de communication avec ses régisseurs, l’autonomie et la reconnaissance dans le travail des ouvriers, le manque de cohésion dans l’organisation du travail et la priorisation des dossiers, des lacunes dans la gestion des ressources humaines sont autant d’éléments concrets, selon madame Fortier.
[100] Ces thèmes demeurent toutefois vagues et généraux pour monsieur Hénault qui souligne devant le Tribunal que madame Fortier, directrice par intérim de la DSA, n’est jamais allée rencontrer les employés de son service pour tenter d’en comprendre le mode de fonctionnement.
[101] Il n’a eu aucune réponse à sa lettre du 27 septembre 2018.
[102] Vers le 14 septembre 2018, Marie-France Drolet entre en poste comme directrice par intérim de la DSA. Depuis de nombreuses années, elle est analyste financière, responsable du budget de fonctionnement. Lorsque son directeur Gaudreault s’absente en mars 2018, elle assume le volet financier du poste de direction de la DSA de concert avec madame Fortier qui agit par intérim pour les autres volets. À compter du 14 septembre, Marie-France Drolet assume donc la totalité des responsabilités et devient directrice par intérim.
[103] Elle affirme qu’elle ne connaissait pas monsieur Hénault autrement que pour l’avoir déjà croisé dans sa direction. Elle a évidemment entendu des « commérages de corridors » à son propos voulant qu’il est difficile de travailler avec lui parce qu’il fait toujours à sa tête, qu’il est très coriace, mais intelligent. Au Service des finances, on se serait aussi plaint du coordonnateur qui « ne ferme pas ses projets », laissant ainsi des sommes budgétées non utilisées et parce que des pièces manquent souvent dans ses dossiers. Elle sait aussi qu’il a été rencontré et s’est vu imposer des mesures dont elle ignore la teneur.
[104] Comme elle n’écoute pas les cancans, elle affirme avoir, à son arrivée, une opinion « neutre » de monsieur Hénault à qui elle « veut donner la chance » et ne pas le condamner avant d’avoir travaillé avec lui.
[105] Le vendredi 12 octobre à 16 h 51 et 16 h 53, soit environ deux semaines après sa longue réponse écrite du 27 septembre, monsieur Hénault reçoit, coup sur coup, deux lettres d’avertissement de sa directrice générale, qui n’est plus directrice de la DSA, il faut le préciser. Il ne les ouvre pas. Les objets lui suffisent : « Première lettre d’avertissement » et « Deuxième lettre d’avertissement ». Il est convaincu qu’on « veut sa tête ». Ce n’est qu’après une nuit sans sommeil qu’il décide d’ouvrir les documents.
[106] La première lettre compte plus de trois pages écrites à simple interligne et fait suite, est-il mentionné, aux rencontres des 26 avril et 23 août au cours desquelles des « préoccupations majeures » ont été discutées :
Bien que ces rencontres aient permis de placer les faits qui vous sont reprochés dans leur contexte et que les deux lettres que vous m’avez acheminées, l’une en date du 25 mai 2018 (en réponse à la lettre d’avertissement remise le 26 avril 2018) et l’autre en date du 27 septembre 2018 (en réponse à la convocation reçue le 26 juin 2018), la situation m’oblige à vous remettre le présent avis.
Le présent avis revêt un caractère administratif dans la mesure où les mêmes faits qui le justifient traduisent de toute évidence votre incapacité à satisfaire aux attentes que je vous ai formulées, à plus d’une occasion et à assumer pleinement et entièrement les responsabilités qui vous incombent à titre de coordonnateur du Service des immeubles et des équipements du Collège.
[…]
[107] Ensuite, madame Fortier se livre à une chronologie des événements. Elle commence en rappelant la première lettre d’avertissement, celle qu’elle avait pourtant affirmé retirer du dossier le 26 juin suivant. Elle poursuit en mentionnant la réponse de monsieur Hénault à cette lettre qui ne devrait plus, non plus, apparaître dans cette chronologie. Elle réfère à la convocation du 26 juin puis à la rencontre du 23 août, aux explications qu’elle « n’achète pas » et à la réponse du 27 septembre dans laquelle monsieur Hénault réfute « toutes » les « préoccupations majeures » :
Il subsiste, malgré les propos que vous avez tenus lors des rencontres et des écrits énumérés précédemment, d’importants doutes quant à votre capacité à assumer vos fonctions. Votre lettre de sept pages du 27 septembre 2018 ne contient aucune reconnaissance de points à améliorer. Vous justifiez, page après page, la qualité irréprochable de votre travail. Vous cherchez sans cesse à minimiser votre responsabilité et à justifier vos actions ou vos inactions pour tous les faits qui vous sont reprochés, et ce, en donnant chaque fois des explications très détaillées pour chacun des éléments. Par vos écrits, vous démontrez, sans équivoque, votre incapacité à comprendre et à assumer pleinement et entièrement les responsabilités qui vous incombent.
[108] Après ce blâme de ne pas admettre les fautes qu’elle lui impute, mais sans contredire les explications fournies, madame Fortier confronte son coordonnateur :
Or, il s’avère qu’il ne se passe pas une semaine, voire un jour, sans que je ne constate ou que l’on porte à mon attention vos difficultés à planifier, organiser, diriger et contrôler les travaux sous votre responsabilité. À titre d’illustrations, dans la dernière semaine seulement :
· vous m’avez soumis un avenant à approuver alors que les travaux avaient eu lieu en août dernier;
· votre supérieure immédiate m’informait que vous n’avez toujours pas fait le plan de travail de votre service pour l’année en cours et que vous ne serez pas en mesure de respecter le délai du 19 octobre qu’elle avait exigé. Nonobstant le fait qu’elle vous ait accordé quelques jours supplémentaires, il faut souligner qu’il n’est pas normal de ne pas avoir de plan de travail de son service à cette période de l’année;
· une collègue m’informait que, malgré des demandes répétées, l’installation de la borne mécanique pour les vélos n’est toujours pas installée;
· deux collègues m’informaient de votre incapacité à régler le problème majeur de l’escalier de la bibliothèque;
· un collègue m’informait que vous aviez récemment réuni votre personnel pour les aviser de ne plus se plaindre auprès de la direction et de vous adresser les problèmes, ce à quoi des employés vous auraient signifié ne pas avoir confiance que les problèmes allaient se régler s’ils n’étaient pas adressés plus haut;
· etc.
[109] Madame Fortier rapporte ainsi ce qu’elle aurait entendu et compris de propos d’autres personnes. Monsieur Hénault souligne qu’après cette lecture, il a commencé à douter de chacun de ses collègues et s’est isolé encore davantage.
[110] Avant de transmettre cette lettre, la directrice générale n’a pas demandé ni obtenu la version de monsieur Hénault sur ces « illustrations » qu’elle souligne.
[111] En audience, il s’affaire donc à justifier les gestes qu’on lui reproche.
[112] Sur le premier point, aucun détail n’est indiqué et il ne parvient pas à identifier le dossier visé considérant les nombreux courriels échangés chaque jour relativement aux différents chantiers qu’il coordonne.
[113] Pour ce qui est du plan de travail, c’est-à-dire la planification des travaux à faire au cours de l’année, sa directrice aurait informé la directrice générale qu’il n’aurait pas accompli le travail requis. Sa tâche consiste à compléter le plan de travail de la DSA en traitant la partie qui concerne le SIE. Considérant les ajustements rendus nécessaires en l’absence de monsieur Gaudreault et les changements de direction au cours des derniers mois, monsieur Hénault a demandé une prolongation de délai de quelques jours pour déposer sa partie; délai qu’il a respecté. Il précise qu’auparavant la grande partie de ce travail était fait par le directeur de la DSA et qu’il l’assistait pour la partie concernant le SIE qu’ils complétaient en présence l’un de l’autre.
[114] En ce qui concerne l’affaire de la borne mécanique pour les vélos, madame Fortier admet qu’il s’agit d’un événement mineur. Elle l’a mentionné pour tenter d’illustrer ses allégations voulant qu’il ne se passe pas une semaine sans qu’elle ne reçoive des insatisfactions qu’elle n’adresse pas nécessairement au coordonnateur.
[115] Quoi qu’il en soit, monsieur Hénault explique qu’il n’était pas au courant de l’affaire avant de lire la lettre d’avertissement. La demande a été adressée à son régisseur responsable des projets environnementaux. Il n’est pas concerné par cette « microgestion » des activités quotidiennes. Lorsqu’il est informé de la situation, il communique avec le demandeur de service qui lui transmet, le 16 octobre, la demande adressée le 5 juin 2018. Quelques jours plus tard, dans la semaine du 20 octobre, le coordonnateur reçoit un courriel l’informant que le projet est suspendu et demandant de ne pas procéder aux travaux.
[116] Le litige relatif à l’escalier de la bibliothèque remonte au moment de son installation en juillet 2018. Après avoir constaté un vice apparent dans les marches, monsieur Hénault s’est tourné vers l’entrepreneur qui n’a pu en garantir la sécurité. Le coordonnateur précise cependant que l’échéancier prévoyait que cette section des travaux était « livrable » le 25 octobre. Le jour de la lettre d’avertissement, soit le 12 octobre, l’escalier est toujours condamné. Ce long délai est, pour madame Fortier, inadmissible. Ils en ont pourtant discuté une dizaine de fois. Monsieur Hénault précise que, selon le contrat, l’acceptation provisoire de cette portion des travaux est prévue le 25 octobre. Avant cette date, il ne peut rien exiger même si dès juillet, il a entrepris des démarches. Aussi, des pénalités ne peuvent être exigées avant la date d’acceptation finale, ici le 16 novembre 2018. Or, des discussions avec les fournisseurs sont en cours. En construction, précise-t-il, il y a des façons de faire et des moments pour faire les choses. Si madame Fortier le lui avait demandé au lieu de rapporter les propos d’on ne sait qui, il le lui aurait expliqué.
[117] Finalement, monsieur Hénault aurait interdit à des employés de dénoncer à la direction les difficultés auxquelles ils pouvaient faire face. La personne qui aurait donné cette information à la directrice n’est pas identifiée pas plus que le problème dont il aurait été question. Monsieur Hénault explique néanmoins que lors d’une rencontre avec les employés, il a discuté du fait que si des insatisfactions survenaient avec un des régisseurs de qui ils relèvent tous, ils devaient suivre la hiérarchie et s’adresser à lui avant d’en saisir la DRH. Il aurait pu expliquer ce qu’il en était à madame Fortier, si elle lui en avait parlé.
[118] Puis, sur toute une autre page au texte tout aussi dense, la directrice qualifie le comportement de monsieur Hénault à plusieurs égards.
[119] À propos de sa réponse du 27 septembre, elle considère que ses explications sont « dissonants par rapport à la réalité » ce qui est pour elle fort « troublant ». Elle s’inquiète de son engagement à changer ses pratiques alors qu’il n’admet pas ses lacunes de gestion.
[120] Elle réitère ensuite ses reproches généraux et rappelle en termes tout aussi généraux ce qu’il doit faire : prendre les initiatives appropriées, respecter l’autorité, voir au respect des règles et faire part immédiatement de tout délai ou enjeu relatifs aux projets dont il est responsable.
[121] Elle poursuit en ces termes :
Je m’étonne qu’après plusieurs années en fonction, vous n’ayez pas su donner suite aux attentes qui vous ont été formulées à maintes reprises. Vous négligez de prendre les actions qui s’avèrent nécessaires et il persiste, à ce jour, tant dans l’exercice de vos fonctions qu’au sein du Service des immeubles et des équipements, des enjeux connus et récurrents. Vous n’êtes pas sans savoir que ces problématiques viennent affecter votre performance et celle du service.
Je dois malheureusement constater que ce type d’attitude se présente de façon récurrente depuis votre entrée en poste, et ce, peu importe le dossier dans lequel vous travaillez. Vos comportements ne peuvent être uniquement le fruit de coïncidences.
[122] Monsieur Hénault est entré en poste en 2010 et madame Fortier en 2015!
[123] Les seules véritables attentes qui lui ont été formulées l’ont été en 2012 et son supérieur de l’époque a considéré que les services du coordonnateur allaient au-delà de ses attentes. Madame Fortier, à titre de directrice par intérim de la DSA, ne l’a rencontré qu’une seule fois pour discuter des façons de travailler, le 10 avril. Autrement, ses directeurs successifs avaient l’habitude de tenir des rencontres avec le coordonnateur toutes les deux semaines pour discuter des projets en cours, des budgets, des délais et des fins de travaux. Il pouvait arriver que des questions concernant le travail de monsieur Hénault soient soulevées dans le cadre de ces activités quotidiennes, mais jamais la qualité de son travail et son professionnalisme n’ont été remis en question comme ce fût le cas au cours des derniers mois.
[124] Il précise que ces reproches sur son attitude depuis son entrée en poste, et ce, dans tous les dossiers sur lesquels il travaille, l’atteignent profondément dans sa dignité, ses compétences et sa réputation professionnelle. C’est comme si depuis huit ans, il n’avait rien fait de bon.
[125] Ensuite, madame Fortier demande des correctifs. Elle lui demande « formellement » d’assumer ses responsabilités, de voir au respect des règles, de faire preuve de loyauté envers elle et de l’informer sans délai de tout enjeu susceptible de causer préjudice au Cégep.
[126] Cette « première lettre d’avertissement » du 12 octobre se conclut en ces termes :
Sachez qu’à la lumière des événements qui vous sont reprochés, il m’est dorénavant difficile de ne pas entretenir de doutes quant à votre capacité à assumer le rôle de coordonnateur et cela fragilise le lien de confiance nécessaire à votre maintien dans vos fonctions.
Je m’attends à ce que vous vous conformiez à cette lettre d’avertissement sans délai. Dans le cas contraire, en fonction du degré, vous serez passible de mesures disciplinaires plus sévères pouvant mener à votre congédiement.
La teneur du présent envoi doit demeurer confidentielle.
[127] Il reçoit cet avis (et le second) un vendredi en fin de journée. Il ne peut s’adresser à sa directrice qui lui a transmis ces écrits qui sont dits confidentiels par surcroît. Il ne peut en parler à personne et craint même d’en informer le représentant de son Association. Impuissant devant la situation, se sentant complètement isolé, il se résoudra à le faire quelques jours plus tard, après que son représentant local, au fait du litige en cours, communique avec lui pour prendre de ses nouvelles.
[128] Il comprend de ces propos de sa directrice générale qu’il ne fait plus partie des plans du Cégep.
[129] La deuxième lettre d’avertissement du 12 octobre 2018 concerne un événement spécifique d’un autre ordre. Pour madame Fortier, la première lettre vise la sécurité, la seconde, la gestion contractuelle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle a envoyé deux lettres distinctes, explique-t-elle.
[130] Dans le cadre des travaux à la bibliothèque, un imbroglio est survenu concernant l’installation de douze luminaires. L’ingénieur chargé de projet avait d’abord prévu réutiliser des luminaires en place pour les installer dans cinq nouveaux bureaux. Après s’être rendu compte qu’ils étaient faits d’une vieille technologie, il a été décidé d’utiliser des luminaires installés au cours de la première phase du projet à l’étage supérieur et qui se sont révélés superflus. Or, il est apparu au nouveau chargé de projet, non au fait des changements envisagés, que ces luminaires auraient été incompatibles avec le système en place. Il a donc requis l’achat de douze nouveaux luminaires d’une valeur d’environ 200 $ chacun à installer dans cinq bureaux. Entretemps, quand monsieur Hénault a réalisé l’erreur, il a entrepris une négociation avec l’ingénieur qui en serait à l’origine. Parallèlement, il fallait quand même autoriser l’achat de nouveaux luminaires. Avant même de soumettre une directive de chantier menant à un ordre de changement, monsieur Hénault se rend compte que les nouveaux luminaires ont été installés dans les bureaux à son insu. Il ne l’a pas écrit dans la demande adressée à madame Fortier puisque les autorisations qu’elle donne sont transmises à un certain nombre de personnes qu’il ne veut évidemment pas mêler au litige qu’il est alors à négocier avec l’ingénieur.
[131] C’est ainsi que le 5 octobre 2018, monsieur Hénault adresse une demande d’autorisation de remplacer douze luminaires dans des bureaux de la bibliothèque et donc d’autoriser l’ordre de changement. Les travaux sont alors déjà réalisés et il le sait.
[132] Il a peut-être été maladroit en n’informant pas immédiatement madame Fortier de la situation, mais il n’a jamais tenté de la tromper comme elle l’écrit.
[133] Le 9 octobre, le coordonnateur rencontre la directrice générale à la bibliothèque. Il explique que l’entrepreneur les a installés à son insu et a probablement voulu éviter de retarder le chantier. Ils n’entrent pas dans les longs détails de l’histoire, la rencontre visant à discuter de plusieurs questions ayant duré une quinzaine de minutes. Il explique toutefois sommairement que l’ingénieur concepteur a fait une erreur et il négocie actuellement une solution avec lui. Pour le coordonnateur, l’entrepreneur n’est pas en cause. À la fin de la rencontre, il croit que ses explications ont été comprises par madame Fortier qui n’a alors jamais soulevé cette prétendue tromperie.
[134] Monsieur Hénault a par la suite découvert que l’électricien sous-traitant, qui avait les luminaires en stock, a décidé de les installer sans en parler.
[135] C’est ainsi que dans la deuxième lettre d’avertissement, elle mentionne qu’il a « une fois de plus, transgressé les règles ». Elle affirme qu’il a tenté de la tromper et qu’il a manqué à ses responsabilités en ne contestant pas l’erreur commise par un fournisseur.
[136] Elle constate donc de « graves manquements ».
[137] Après une série de « Considérant » et la mention des attentes, à peu de choses près les mêmes que dans la lettre précédente, l’avertissement se termine en ces termes :
Veuillez donc considérer cette lettre comme un deuxième avertissement. Soyez avisé qu’au prochain manquement, en fonction de son degré, vous serez passible de mesures disciplinaires plus sévères pouvant mener au congédiement.
[138] Monsieur Hénault craint le congédiement. Ces lettres d’avertissement constituent, selon madame Fortier, des sanctions mineures. Elle aurait pu être beaucoup plus sévère, précise-t-elle.
[139] Monsieur Hénault affirme que ces lettres ont eu un effet foudroyant sur lui.
[140] Le 15 août, dans le cadre du projet de la bibliothèque, la directrice des communications et des affaires corporatives informe monsieur Hénault qu’elle souhaite modifier la signalisation principale pour y ajouter le nom du commanditaire. Le 16 août, le coordonnateur avise l’entrepreneur de suspendre l’installation du lettrage prêt à être posé. À la suite de plusieurs échanges avec la responsable, monsieur Hénault adresse à madame Fortin une demande d’autorisation de procéder à une directive de changement pour demander les coûts relatifs à ces modifications demandées. Elle répond le 24 octobre 2018 :
Bonjour Martin,
Si tu m’avais dit que le lettrage « Carrefour de l’information » était déjà fait, j’aurais traité le dossier différemment. Dans une correspondance du 16 août 2018, tu indiques à l’entrepreneur de « mettre un HOLD sur tout l’affichage extérieur ». Or, j’ai appris dans ton courriel du 17 octobre que « le lettrage extérieur indiquant CARREFOUR DE L’INFORMATION était déjà arrivé au chantier quand l’ajout du mot DESJARDINS a été demandé ». Pendant des semaines, on a travaillé avec Desjardins en pensant qu’aucun lettrage n’avait été réalisé.
On aurait pu et dû éviter des coûts et des délais supplémentaires. C’est avec un grand malaise que je me verrai contrainte d’autoriser les coûts supplémentaires.
Je te demande, comme je l’ai fait à plusieurs reprises, de porter à mon attention sans délai toute information susceptible de porter préjudice au collège.
Je suis disponible pour discuter avec toi si tu as des questions.
[141] Encore une fois, monsieur Hénault se sent jugé avant même d’être entendu. Il est si troublé qu’il ne peut répondre avant le lendemain :
Bonjour Isabelle
Pour faire suite à votre courriel, vous trouverez en annexe toutes les informations pertinentes échangées entre moi et Adèle afin d’avoir une meilleure compréhension de la situation.
Je vous demande de porter une attention particulière à mon courriel du 24 août (12h52) adressé à Adèle qui précise à la fin que … « j’ai fait arrêté la pose du lettrage à la biblio et on devra faire une directive pour ce changement qu’il s’appliquera également dans le corridor D-300 ».
Je vous réfère également à mon autre courriel du 05 septembre (12h28) adressé à notre architecte Élisa (cc Adèle et Linda), à l’effet que … « nous voudrions garder l’option avec DESJARDINS de même type que le lettrage déjà fait pour le Carrefour »
Salutations
[Transcription textuelle]
[142] Madame Fortier admet qu’il y a eu confusion de sa part et reconnaît que la demande d’approbation respecte les règles en vigueur. Elle croyait que lettrage n’avait pas encore été fait. Elle fait remarquer que cet envoi, blâmant monsieur Hénault de la situation, n’a été transmis qu’à lui seul puisqu’elle a pris soin de retirer les autres personnes parties à l’échange initial. Elle souligne aussi qu’aucune sanction ne lui a été imposée.
[143] Monsieur Hénault rétorque que, si aucune sanction ne lui a été imposée, jamais avant l’audition des plaintes madame Fortier n’a donné suite à son courriel, ne s’est excusée ou ne l’a même informé qu’elle s’était trompée. Tout ce temps, il est resté dans le doute de ce qu’elle avait conclu.
[144] Ce même jour, soit le 25 octobre, madame Drolet, récemment nommée directrice par intérim de la DSA, écrit à monsieur Hénault pour résumer une rencontre tenue deux jours plus tôt :
Je te transmets un résumé des principaux points discutés lors de notre rencontre du 23 octobre 2018 :
D’abord je t’ai fait part de mon rôle de DSA par intérim et des objectifs visés et je t’ai mentionné que nous tiendrons des rencontres régulières toi et moi, ainsi que des rencontres de Régie DSA, et ce, aux deux semaines à partir du 31 octobre 208. Tu m’as énoncé le besoin d’obtenir des procédures claires dans certains cas où il y a des zones grises et qui amènent des irritants de part et d’autre à l’intérieur de la DSA.
Je t’ai informé que la Direction du Collège a décidé de procéder à l’engagement d’une ressource afin de confier la réalisation des deux nouveaux projets, soit celui du Centre sportif et celui de la phase 2 des laboratoires de Soins infirmiers. Cette ressource relèvera directement du DSA. Tu vas pouvoir concentrer tous tes efforts à la réalisation de tes tâches et à la coordination de son service. Nous avons convenu de se reparler quant aux tâches administratives à effectuer pour les deux nouveaux projets d’ici l’embauche de la nouvelle ressource.
Je t’ai remis une description de tâches, que nous mettrons à jour suite au départ d’un des deux régisseurs de ton équipe
Tu m’as offert ton aide et ta collaboration et je t’en remercie grandement.
[145] Le ton de ce courriel annonce une relation formelle et rigide qui semble s’inscrire dans la foulée des mesures précédentes. Pourtant, madame Drolet affirme avoir eu à ce moment une opinion « neutre » de monsieur Hénault.
[146] Le 9 novembre 2018, il dépose sa plainte à l’encontre du harcèlement psychologique qu’il allègue subir et précise que la dernière manifestation est survenue le 24 octobre, jour du courriel de madame Fortier relatif au lettrage.
[147] Le 25 janvier 2019, monsieur Hénault reçoit d’une adjointe administrative une demande de sa directrice par intérim de lui donner accès à son agenda électronique. Dans les circonstances, le coordonnateur affiche une certaine méfiance. Après vérification auprès de quelques collègues-cadres, qui lui auraient dit n’avoir jamais reçu une telle demande, il devient inquiet.
[148] Considérant la situation, le représentant de son Association lui aurait cependant conseillé d’accéder à la demande.
[149] Pour monsieur Hénault, cette demande est probablement faite en riposte au déféré de sa plainte de harcèlement psychologique au Tribunal dont les parties ont été informées le 12 décembre précédent.
[150] Madame Fortier démontre que plusieurs personnes partagent leur agenda avec leur supérieur et des adjointes, question de pouvoir fixer des rencontres plus facilement.
[151] Un avis d’audience de la plainte de harcèlement psychologique est transmis aux parties le 21 mars 2019.
[152] Le même jour, madame Fortier donne suite à plusieurs demandes d’approbation de directives de chantier pendantes. Pour certaines d’entre elles, monsieur Hénault avait fait plusieurs rappels demeurés sans réponse, et ce, depuis plusieurs semaines. Des entrepreneurs se faisaient de plus en plus insistants, précise-t-il.
[153] Le 25 mars, soit quatre jours après l’envoi de l’avis d’audience, la directrice par intérim Drolet convoque monsieur Hénault à une rencontre devant se tenir le 29 mars avec la directrice de la DRH. Encore, de « graves manquements » sont invoqués. Il est question cette fois de la tour d’eau, du projet du centre sportif et de la gestion de ses dossiers.
[154] Madame Drolet explique qu’après quelques mois à travailler avec monsieur Hénault, elle est préoccupée par tous les problèmes qui surgissent sans cesse. Pour celle qui était analyste financière, les activités de gestion des immeubles et équipements relèvent de l’improvisation. Le coordonnateur travaille très fort, souvent en surcharge, mais elle n’arrive pas à fermer les budgets et clore les dossiers.
[155] Malgré sa conviction que leur relation démarrerait du bon pied, plus le temps passe, moins elle y croit. En décembre, elle pense qu’ils n’y parviendront pas. Elle lui en parle informellement, affirme-t-elle. Madame Drolet ne précise cependant aucun dossier ni aucun élément précis ni à quelle occasion ils auraient eu de telles discussions.
[156] Après le congé des Fêtes, le dossier de la tour d’eau surgit. Madame Drolet apprend qu’il faut la remplacer de façon urgente et cette importante dépense n’est pas budgétée, affirme-t-elle. Elle ne comprend pas pourquoi ce remplacement n’a pas été prévu. Elle se dirige dans un mur. Elle n’en dort plus, dit-elle.
[157] Puis, il y a le projet du centre sportif. En travaillant au montage financier, elle constate qu’il manque 700 000 $ sur un budget de 6,2 M$ ce qui met le projet en péril. Elle veut savoir ce qui explique cette différence.
[158] La gestion des dossiers par monsieur Hénault la préoccupe aussi. Il ne « ferme » pas ses projets ce qui a pour effet de bloquer des fonds publics qui ne peuvent être amortis ni utilisés à d’autres fins.
[159] Elle conclut qu’il faut un recadrage. Comme elle a peu d’expérience en ressources humaines, elle demande l’aide de madame Carrier pour l’accompagner dans sa démarche auprès de monsieur Hénault. Elle n’est pas à l’aise de le rencontrer seule, précise-t-elle.
[160] Le 29 mars, en début de rencontre, madame Drolet relit la lettre de convocation. La directrice de la DRH Carrier, pour sa part, se montre rapidement hostile, belliqueuse, voire vindicative, selon la représentante de l’Association, madame Servant. La directrice de la DRH affirme d’emblée que monsieur Hénault devra répondre à toutes les questions avec des réponses complètes. La représentante précise alors que monsieur Hénault fera de son mieux, mais qu’il est possible qu’il doive éventuellement consulter des documents. Madame Carrier aurait rejeté cette hypothèse en ajoutant qu’il devait répondre sur-le-champ et qu’une réponse incomplète serait interprétée comme un défaut de répondre. La représentante affirme ne pas comprendre cette attitude considérant que monsieur Hénault a toujours collaboré.
[161] Comme le climat ne s’améliore pas, madame Servant exige que la rencontre soit reportée et que madame Fortier soit présente à la date qui sera fixée.
[162] Le 2 avril, madame Drolet transmet un second avis de convocation. Elle réfère à la rencontre du 29 mars en affirmant que monsieur Hénault a refusé d’y participer prétendant que la directrice générale devait y être alors que sa présence n’est pas requise. Elle convoque donc une nouvelle rencontre le 5 avril et ajoute ce qui suit :
Soyez avisé qu’à défaut de vous présenter à cette rencontre ou de répondre aux questions qui vous seront posées, nous serons contraintes de conclure à votre manque de collaboration à l’enquête, ce qui constitue un facteur aggravant à considérer dans le cadre de l’imposition d’une mesure disciplinaire.
Le présent avis de convocation représente votre ultime et dernière chance de nous donner votre version des faits avant que nous ne prenions position quant à la mesure disciplinaire à vous imposer.
[163] Le 5 avril, madame Drolet de la DSA écrit de nouveau à monsieur Hénault pour confirmer le report de la rencontre prévue ce jour-là au 12 avril 2019. Elle précise de nouveau que la présence de la directrice générale requise n’est pas justifiée. Elle mènera la rencontre avec madame Carrier. Elle réitère qu’il sera appelé à donner sa version concernant les manquements déjà évoqués dans la première convocation. Puis, elle reproduit les deux mêmes paragraphes qui concluaient la convocation du 2 avril.
[164] Il est ainsi convoqué pour donner des explications. Or, jusque-là, lorsqu’il les fournit, on lui reproche de ne pas admettre ses torts et de décliner sa responsabilité. Il se sent piégé. S’il répond, on lui reproche de ne reconnaître aucune faute. S’il ne répond pas, on conclura au manque de collaboration constituant un facteur aggravant pour la détermination de la mesure disciplinaire qu’on a déjà décidé d’imposer selon les avis de convocation.
[165] Ce même 5 avril, ironie du sort, monsieur Hénault reçoit d’un architecte externe des félicitations pour le projet de la bibliothèque. Il précise que la réalisation de ce beau projet est le fruit d’un grand travail d’équipe. Il ajoute :
Je suis bien content de voir quelqu’un comme toi responsable pour mener nos projets institutionnels.
[166] Le 7 avril 2019, monsieur Hénault dépose la deuxième plainte dont le Tribunal est ici saisi et par laquelle il allègue avoir subi une sanction en raison du dépôt de sa première plainte.
[167] Le 8 avril, la représentante de l’Association écrit à la directrice générale. Elle l’informe d’abord du dépôt de cette deuxième plainte et précise que « [l]’approche très coercitive pour recueillir la version des faits de M. Hénault ne fait qu’ajouter au harcèlement psychologique subi par ce dernier ». Puis, elle écrit ce qui suit :
Dans le but de réduire l’impact des représailles sur M. Hénault et afin qu’il puisse se préparer adéquatement à répondre à vos questions lors de la rencontre du 12 avril prochain, nous vous demandons de lui transmettre 48 heures à l’avance, par écrit, les faits qui lui sont reprochés de manière suffisamment détaillée pour qu’il comprenne de quoi il s’agit. À défaut de quoi, le refus de fournir à M. Hénault les renseignements essentiels à sa préparation, sera considéré comme une mesure de représailles supplémentaires.
[168] La directrice générale Fortier affirme que la pratique au Cégep est de ne pas donner de tels détails. Malgré l’absence d’obligation en ce sens, elle a demandé à la directrice de la DRH de fournir les précisions demandées.
[169] Le 9 avril 2019, la directrice Carrier répond donc à monsieur Hénault et précise ce qui suit :
Bien que ni le Règlement déterminant certaines conditions de travail des cadres des collèges d’enseignement général et professionnel ni la Politique de gestion des cadres n’obligent le Collège à un exercice préalable de précisions pour convoquer un cadre à une rencontre, nous acceptons de vous fournir les détails suivants afin que vous compreniez davantage sur quoi portera notre enquête disciplinaire.
[170] Elle indique ensuite les quatre thèmes qui seront abordés :
1) Remplacement tardif de la tour d’eau, sans prévision budgétaire, et demande de subvention retardée;
2) Sous-évaluation des coûts de contingence du projet du centre sportif;
3) Importantes lacunes constatées dans l’exercice de vos fonctions (incapacité à respecter les budgets établis, fermeture de dossiers, manque de préparation, etc.);
4) Manquement à votre obligation de loyauté dans les échanges que vous avez eus avec l’entrepreneur qui a procédé aux travaux de la bibliothèque, alors que ce dernier demandait à être payé;
[171] Elle termine en répondant aux allégations de représailles que monsieur Hénault allègue subir en raison de la plainte de harcèlement psychologique :
Finalement, en réponse aux allégations contenues dans la correspondance de votre représentante datée du 8 avril, je vous souligne que la rencontre à venir s’inscrit dans le cadre d’un processus disciplinaire initié en avril 2018, soit bien avant le dépôt de votre plainte auprès de la CNESST. Ce processus disciplinaire est sans lien avec l’exercice de vos droits auprès de cette instance.
[172] Ce processus disciplinaire initié en avril 2018 réfère à la lettre d’avertissement du 26 avril qui est censée avoir été retirée de son dossier.
[173] Ce même 9 avril, monsieur Hénault écrit à sa directrice et l’informe des démarches qu’il a accomplies dans le cadre des travaux de réaménagement du laboratoire de soins infirmiers qui doivent être confiés à des ressources externes, comme elle le lui a confirmé le 25 octobre. Or, en ce 9 avril, personne n’est encore désigné. Des intervenants se sont donc adressés à lui et il en informe sa supérieure. Également, il réitère sa demande de préciser la participation qu’elle exige de lui dans ce dossier. Cette demande adressée plusieurs fois à madame Drolet depuis le 5 février est restée sans réponse. Ce 9 avril elle répond : « Merci pour ta collaboration dans ce dossier ».
[174] Monsieur Hénault affirme que deux jours plus tard, l’embauche d’un consultant externe est confirmée. Il relèvera de la directrice de la DSA.
[175] La rencontre du 12 avril débute avec l’annonce des sujets à discuter et de sa durée prévue, soit de 13 h 30 à 16 h. Le ton est nettement plus cordial et respectueux qu’il ne l’était le 29 mars. Un questionnaire a été préparé.
[176] Le premier sujet à l’ordre du jour concerne la tour d’eau. Les questions sont d’ordre technique. On interroge monsieur Hénault sur l’âge, la durée de vie, la marque, le modèle, l’entretien recommandé, les processus et les fournisseurs qualifiés. Ensuite, madame Carrier s’intéresse au rôle du coordonnateur dans l’entretien qui doit être effectué et à ce qui a été fait au cours des dernières années.
[177] Madame Carrier explique que la nouvelle gestionnaire, madame Drolet, était paniquée à propos de la question de la tour d’eau. « Des gens à l’interne » lui aurait dit que la tour devait être remplacée dans les plus brefs délais. Elle craint les risques pour la santé des usagers, ayant déjà entendu que des dysfonctionnements dans une tour d’eau peuvent causer la « légionellose » et, en plus, les fonds requis ne sont pas prévus au budget. Aussi, elle craint les délais de livraison d’un équipement neuf, si jamais la tour devait arrêter de fonctionner. Une telle éventualité entraînerait la fermeture du Cégep.
[178] Madame Carrier ne peut évidemment la conseiller sur cette question. Les deux femmes ont donc conclu que si ces informations s’avéraient, il y aurait manquement grave de monsieur Hénault. Selon la directrice de la DRH, elles en avaient donc assez pour convoquer cette rencontre disciplinaire.
[179] C’est ce qui explique le type de questions posées le 12 avril, portant sur des considérations techniques. Il est très important et surtout urgent, soulignent-elles, de savoir ce qu’il en est pour prendre les décisions appropriées, et ce, malgré leur absence totale de compétence en la matière.
[180] Il y a lieu de souligner, dès à présent, que lorsqu’elles ont reçu les volumineux documents, faisant état de toutes les informations concernant la tour d’eau, qu’elles ont exigés de monsieur Hénault et qu’il leur a transmis après la rencontre, vers le 25 avril, elles ne les ont pas ouverts. Le mois d’avril est très chargé, font-elles valoir.
[181] C’est dans ce contexte que, sans n’en avoir jamais discuté avec lui auparavant, elles questionnent le coordonnateur, mettant en doute, pour dire le moins, la rigueur de son travail dans ce dossier.
[182] Ce 12 avril 2019, monsieur Hénault explique donc qu’une inspection du système faite en juillet 2018 dans le cadre de la réfection de la toiture d’une partie de la tour révèle d’autres détériorations. Dans le but de préparer un appel d’offres, des experts sont consultés. Ils concluent qu’il faut cesser d’investir en réparations et remplacer la tour d’eau. Ce remplacement prématuré par rapport à ce qui était planifié constitue un imprévu. L’équipe de la DSA doit donc changer les plans. Le coût de remplacement est alors évalué à environ 450 000 $. Monsieur Hénault expose la situation à madame Drolet. Elle ne lui en reparle pas avant cette rencontre d’avril.
[183] Il faut faire vite pour éviter des réparations coûteuses qui deviennent inutiles.
[184] Monsieur Hénault explique que la tour d’eau, partie du système de climatisation des bâtiments, a une durée de vie pouvant atteindre une cinquantaine d’années. Le calendrier d’entretien est informatisé et des alertes indiquent à quel moment faire les entretiens requis. On ne peut y échapper. De plus, ce « système de surveillance de maintien d’actifs » (Guide TI) est sécurisé et seul un gestionnaire peut confirmer qu’une étape a été franchie.
[185] Dans ce cadre, l’étude de vétusté des équipements du parc immobilier par un consultant externe, qui s’est livré au même exercice dans l’ensemble des cégeps au Québec, prévoyait un remplacement de la tour d’eau en 2022. Le coût de remplacement est alors évalué à moins de 400 000 $. Il est aussi possible que certains investissements, selon la nature des réparations exigées, puissent permettre de prolonger sa vie jusqu’en 2025 ou 2030. Les provisions ou réserves budgétaires doivent donc être planifiées à compter de 2018.
[186] Or, dans son budget triennal, pour l’année 2017-2018, monsieur Hénault a prévu 117 000 $ au chapitre des réserves pour bris et imprévus. Aussi, 30 000 $ sont planifiés spécifiquement pour des réparations à la tour d’eau. En 2018-2019, 150 000 $ sont réservés pour des bris et imprévus en plus de 25 000 $ spécifiquement dédiés à la tour d’eau. Et c’est sans compter la réserve du fonds de prévoyance du Cégep qui s’élève à 500 000 $ auxquels une somme de 14 000 $ a été ajoutée pour l’exercice 2018-2019.
[187] Pour monsieur Hénault, le remplacement prématuré de cet équipement constitue un imprévu qui l’autorise à recourir à ces sommes budgétées et disponibles.
[188] En ce qui concerne les risques de ruptures de service, le coordonnateur les a aussi prévus et a pris les mesures nécessaires. Il a d’abord imposé des délais de livraison stricts dans l’appel d’offres et spécifié que le défaut de les respecter entraînerait d’importantes pénalités. Le délai prévu de huit semaines porte la livraison vers la mi-avril. Il a aussi fait toutes les démarches visant à s’assurer qu’en cas de bris ou de retard de livraison il pourrait compter sur une tour d’eau louée temporairement. Il a donc déniché un locateur et négocié un tarif qui serait couvert, précise-t-il, par les pénalités de retard prévues à l’appel d’offres. Il est en parfaite maîtrise du projet, fait-il valoir, et très loin de « [l’]improvisation » alléguée par madame Drolet.
[189] Monsieur Hénault tient à préciser que jamais au cours des échanges il n’a été question de légionellose. Ce n’est qu’à l’audience que cette question est soulevée. Or, les défectuosités concernaient le système de climatisation et aucune projection d’eau contaminée n’était en cause. L’eau circule en circuit fermé et toutes les vérifications chimiques sont faites mensuellement par un chimiste et quotidiennement par des techniciens. Ce sont les aspects mécaniques de la tour qui étaient en cause. Les défectuosités constatées étaient strictement mécaniques. La seule conséquence possible, aussi sérieuse soit-elle, concerne l’arrêt de la climatisation.
[190] Le 12 avril, madame Carrier exige que monsieur Hénault lui transmette tous les documents relatifs à la tour d’eau, et ce, peu importe le format. Il réussit à réunir l’ensemble de ces documents avec l’aide de son régisseur et transmettra le tout, qui tient en deux volumes très imposants, le 25 avril. Ni l’une ni l’autre des deux femmes ne les consultera.
[191] À l’audience, madame Drolet affirme avoir compris la situation de la tour d’eau avec les éclaircissements apportés par monsieur Hénault les 12 et 15 avril 2019.
[192] Il est ensuite question du centre sportif. Monsieur Hénault rappelle au Tribunal qu’il a été exclu de ce projet en janvier 2018 par monsieur Gaudreault. Comme mentionné toutefois, il a été consulté à l’égard de certains aspects du dossier.
[193] Ce qu’on lui reproche repose sur le soupçon que monsieur Hénault aurait fait pression sur l’estimateur, une ressource externe, pour qu’il modifie certains pourcentages dans l’estimation produite afin de se conformer au budget prévu qui aurait été initialement sous-évalué. Plutôt que d’augmenter le budget, monsieur Hénault aurait insisté auprès de l’estimateur pour qu’il « ajuste » son estimation.
[194] Le coordonnateur rappelle donc qu’il n’a aucun pouvoir à l’égard de ce dossier, que toutes les estimations de départ avaient été validées par les professionnels concernés et que, malgré la sous-évaluation découverte en cours de route, monsieur Gaudreault l’a informé que l’enveloppe budgétaire ne serait pas modifiée. Il lui a demandé d’en aviser l’estimateur externe qui a choisi, parmi différentes options possibles, de modifier certains pourcentages afin de pouvoir respecter le budget, tout en respectant les normes d’évaluation reconnues.
[195] Monsieur Hénault nie catégoriquement avoir tenté d’influencer cet estimateur et ajoute qu’il n’a été que messager à cette étape de l’affaire.
[196] À la fin de la rencontre de ce jour, il est convenu de poursuivre le lundi suivant, puisque des questions soulevées n’ont pas encore été discutées.
[197] Madame Servant note cependant qu’il n’a pas été question, au cours de cette journée, des manquements graves allégués dans la convocation. Les questionnements s’apparentent plus, selon elle, à un transfert de connaissance en construction que ni madame Carrier ni madame Drolet ne détiennent.
[198] Le 15 avril restent donc deux questions à discuter. La gestion de dossiers et un incident qui serait survenu avec un entrepreneur au cours duquel monsieur Hénault aurait manqué de loyauté.
[199] Madame Drolet soulève ce qu’elle considère comme des lacunes de monsieur Hénault dans la gestion de ses dossiers. Elle se plaint que depuis des années, le service des finances ne parvient pas à « fermer » les dossiers que traite le coordonnateur.
[200] Monsieur Hénault affirme que les projets terminés sont fermés. S’ils restent ouverts, c’est qu’il y a une raison. L’évaluation de l’avancement des travaux est faite régulièrement. Parfois des démarches se déroulent sur de longues périodes et ils considèrent, monsieur Gaudreault et lui, que les fonds prévus doivent rester disponibles jusqu’à la toute fin, jusqu’au rapport final. À la fin de l’année financière, l’équipe, qui compte un technicien en administration, équilibre les budgets. Ce processus a été suivi par tous ses directeurs précédents. Si madame Drolet veut modifier les façons de faire, elle n’a qu’à l’en informer.
[201] À cette dernière remarque, madame Carrier, qui voit là la manifestation d’une mauvaise gestion, ironise que « c’est la faute de tout le monde ».
[202] Reste donc la question du prétendu manquement à l’obligation de loyauté dans le cadre d’échanges avec un entrepreneur qui demande à être payé. Madame Drolet interroge monsieur Hénault sur la raison pour laquelle il aurait pris parti pour un fournisseur au détriment du Cégep. Il aurait déchargé la responsabilité du retard de paiement sur la directrice générale en donnant ses coordonnées à l’entrepreneur impatient, ce que nie monsieur Hénault.
[203] Il explique avoir relancé madame Fortier à plusieurs reprises en février et mars 2019 pour qu’elle donne suite aux demandes de directives. À court d’arguments devant l’insistance de l’entrepreneur, il affirme l’avoir référé au bureau de madame Drolet. Or, il semble qu’il ait plutôt communiqué avec le bureau de madame Fortier, ce qui serait à l’origine de ces accusations de manque de loyauté.
[204] La rencontre du 15 avril se conclut donc avec l’engagement de monsieur Hénault de fournir les documents requis, ce qui sera fait le 25 avril, comme déjà mentionné.
[205] À l’audience, madame Drolet se plaint aussi du manque d’ouverture du coordonnateur qui travaillerait « en silo ». Malgré sa demande, il ne lui aurait pas donné accès à ses fichiers dont certains sont sur une clé USB. Comme elle cherche à dégager des fonds, pour la tour d’eau notamment, elle doit pouvoir fermer des projets. Selon elle, il ne lui a fourni que des formats PDF, tout à fait inutiles pour des comptables.
[206] Monsieur Hénault rétorque que cette question n’a jamais été soulevée. Il avait bien une clé USB contenant son document de travail sur l’état de ses projets au regard du plan triennal des immobilisations. Il ne peut partager ce fichier sur lequel il doit garder le contrôle de toutes les entrées. Après les rencontres sur ce plan triennal, chaque intervenant remet la version définitive à un responsable au Service des finances chargé de la déposer dans un fichier commun auquel tous ont accès y compris madame Drolet.
[207] Il a remis un autre exemplaire du fichier en question au moment de son départ.
[208] Ce processus entrepris par la direction qui dure depuis novembre 2017 est très éprouvant pour monsieur Hénault.
[209] Au début du mois de mai, une collègue dont il est proche se prépare à prendre sa retraite. Le coordonnateur, qui a l’habitude de dire un mot lors des traditionnels bien-cuits organisés pour ce type d’occasion, l’informe qu’il ne pourra pas lui rendre hommage. Il est épuisé et croit qu’il va perdre son emploi incessamment. Il pleure. Il ne croit pas qu’il sera en mesure même d’être présent à la fête.
[210] Le 31 mai 2019, monsieur Hénault annonce par écrit sa démission effective le 13 juin, précisant qu’il doit le faire pour préserver sa santé et sa dignité, tout en déplorant que sa plainte n’ait pas réussi à faire cesser le harcèlement psychologique à son endroit. Il précise ce qui suit :
Avec l’inauguration officielle le 15 mai dernier du projet majeur du Carrefour de l’information, c’est à regrets…mais tout de même avec fierté, la tête haute et le sentiment du devoir accompli comme gestionnaire que je quitte mes fonctions de coordonnateur du service des immeubles et équipements, et ce, après plus de 8 ans au sein d’une organisation qui pourtant me tenait tellement à cœur!
[211] Monsieur Hénault réitère tout l’attachement qu’il avait pour l’institution. Il habite à quelques minutes du Cégep où il a lui-même étudié. Il y a travaillé de 50 à 60 heures par semaine sur tous les projets passionnants auxquels il a participé. Il était même donateur de la fondation qui y est associée. Il a le Cégep gravé sur le cœur, déclare-t-il avec émotion, pour exprimer la peine qu’il ressent. Il éprouve un grand sentiment d’injustice à l’égard des mauvais traitements qu’il a subis et c’est sans compter l’atteinte portée à sa réputation professionnelle.
[212] Madame Fortier tient à préciser qu’elle ne ressent aucune animosité envers monsieur Hénault. Pour elle, leur relation n’a jamais été conflictuelle. Elle voulait simplement que les choses fonctionnent. C’est dans cet état d’esprit qu’elle a voulu discipliner le coordonnateur avec beaucoup de respect et de façon très modérée.
[213] Monsieur Hénault dépose deux plaintes, la deuxième découlant de la première. En d’autres mots, il allègue avoir subi une mesure disciplinaire en raison de sa plainte à l’encontre du harcèlement psychologique qu’il allègue subir.
[214] Les articles 81.18 et 81.19 de la Loi sur les normes du travail prévoient les droits et obligations des salariés et des employeurs en matière de harcèlement psychologique :
81.18. Pour l'application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. […]
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
81.19. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
L'employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. […]
[215] Quatre éléments sont donc requis pour conclure au harcèlement :
· Des comportements, paroles ou gestes répétés, hostiles et non désirés;
· Une conduite vexatoire;
· Une atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique;
· Un milieu de travail devenu néfaste.
[216] Les objectifs des dispositions en cause ainsi que l’interprétation qu’elles doivent recevoir ont maintes fois été discutés par les tribunaux.
[217] La Cour suprême, dans Robichaud c. Conseil du Trésor du Canada, [1987] 2 R.C.S. 84, une affaire de harcèlement sexuel, dégage un principe désormais appliqué en matière de harcèlement psychologique. Essentiellement, la Cour affirme que la loi vise l’élimination d’actes répréhensibles et non la punition, de sorte que les motifs ou les intentions des harceleurs n’ont pas à être pris en compte dans l’analyse.
[218] La Commission des relations du travail réitère qu’aucune intention de nuire n’est requise pour conclure au harcèlement dans Leblanc c. Municipalité de la paroisse de Saint-Roch-de-Mékinac, 2010 QCCRT 0452 :
[24] En contexte de harcèlement professionnel, il y a lieu de retenir les mêmes principes d’interprétation qui ont été dégagés en regard des règles interdisant la discrimination au sens de la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte), notamment dans l’arrêt Robichaud c. Conseil du Trésor du Canada [1987] 2 R.C.S. 84, en regard du harcèlement sexuel. Il n’y a pas à rechercher dans le comportement sous examen une intention de nuire. D’une part, la norme légale relative au harcèlement psychologique vise à assurer au salarié un milieu de travail exempt de harcèlement (Loi, article 81.19). D’autre part, les mécanismes de correction, prévus à la Loi pour assurer le respect de cette norme, ne visent pas à punir l’auteur du harcèlement, mais à offrir une voie de recours à la victime.
[219] Ainsi, la responsabilité d’offrir un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique appartient à l’employeur qui doit mettre en œuvre les moyens pour prévenir cette situation ou la faire cesser si elle est portée à sa connaissance, et ce, indépendamment des intentions de nuire ou de l’absence de telles intentions qui pourraient être constatées.
[220] Il est aussi bien établi que c’est l’ensemble de la conduite des parties et non chaque événement pris séparément ou isolément qu’il faut examiner.
[221] L’arbitre Hamelin dans Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) c. Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières, [2006] R.J.D.T. 397 (T.A.), traite de cet aspect en ces termes :
[189] En matière de harcèlement psychologique, les caractères vexatoire et répétitif de la conduite reprochée sont essentiels et il faut nécessairement embrasser une perspective d’ensemble afin d’apprécier le réel degré de gravité de la conduite reprochée.
[…]
[193] Le harcèlement est une conduite socialement inacceptable, qui s’enracine dans un continuum et un contexte précis de temps et de lieu, qui ne peut donc être apprécié correctement que si l’on tient compte de la situation d’ensemble.
[222] Les faits à l’origine de la plainte se résument succinctement.
[223] Monsieur Hénault entre en poste en 2010. Il est très heureux dans son travail. En novembre 2017, ses ennuis commencent lorsqu’il est informé devant ses deux régisseurs des modifications à ses tâches, revues pour ne lui laisser que l’aspect administratif de sa fonction de coordonnateur. En janvier 2018, il est écarté du projet majeur que représente le centre sportif. En avril 2018, la directrice de la DRH dépose un plan de réorganisation du service qu’il coordonne. Le 3 avril, la directrice générale Fortier devient sa directrice par intérim. Le 25 avril, elle le convoque par écrit à une rencontre afin de lui remettre une lettre d’avertissement relative à un « grave manquement ». Le 26 avril, elle lui remet cette très dure lettre d’avertissement remettant en cause ses compétences. Le 26 juin, cette lettre d’avertissement est retirée, mais une seconde convocation disciplinaire est notifiée à monsieur Hénault. La chute d’un bloc de béton est l’un des événements qu’on lui reproche. Le 23 août, cette rencontre a lieu et il répond ensuite par écrit, le 27 septembre 2018, à chacun des reproches adressés. Le 14 septembre, la directrice générale confie la direction de la DSA à madame Drolet, mais transmet tout de même à monsieur Hénault, le 12 octobre, deux lettres d’avertissement, encore une fois très dures, à quelques minutes d’intervalle, un vendredi en fin de journée en exigeant la confidentialité de la démarche. Le 24 octobre, elle lui reproche, par erreur, d’avoir une fois de plus transgressé les règles en matière d’approbation de modifications à un contrat. Le 9 novembre, il dépose sa plainte de harcèlement psychologique. Le 25 mars, il est de nouveau convoqué en rencontre disciplinaire pour de « graves manquements ». Le 7 avril, il dépose sa seconde plainte. Deux rencontres sont finalement tenues les 12 et 15 avril 2019. Monsieur Hénault annonce sa démission le 31 mai.
[224] Ce long processus, qui vise un employé apprécié au dossier disciplinaire vierge, s’étire sur plus de 18 mois.
[225] Eu égard aux faits démontrés, cette charge disciplinaire brutale, entreprise le 26 avril 2018 par madame Fortier, soit environ trois semaines après son arrivée au poste de directrice par intérim de la DSA, est inexplicable.
[226] Ainsi, le début des difficultés de monsieur Hénault semble coïncider avec l’arrivée de mesdames Fortier et Carrier, puis de madame Drolet.
[227] D’abord, les modifications aux descriptions de tâches faites en novembre 2017, sans même qu’il soit consulté, surviennent peu de temps après l’entrée en poste de la nouvelle directrice de la DRH en mai. Suit, en avril 2018, la réorganisation du SIE.
[228] À la même époque, soit le 3 avril, madame Fortier remplace par intérim le directeur de la DSA. La première lettre d’avertissement arrive le 26 avril, sans discussion préalable concernant ces fautes alléguées qui, dans le contexte, apparaissent comme des peccadilles, pour utiliser l’expression de monsieur Hénault.
[229] Madame Fortier n’explique pas pourquoi elle utilise, dès sa première « insatisfaction », un moyen aussi drastique à l’égard d’un employé jusque-là sans reproche. Une simple rencontre visant à établir des attentes précises ou simplement à discuter des éléments reprochés aurait pu être tenue par la directrice dans un premier temps.
[230] Elle choisit plutôt de frapper avec une mesure en deux temps : d’abord, une convocation qui ne donne pas ouverture à la discussion puisqu’elle soulève, d’entrée de jeu, de graves manquements et prévient de la remise d’une lettre d’avertissement; ensuite, la lettre d’avertissement annoncée.
[231] Une convocation aussi formelle est surprenante, considérant qu’elle arrive au tout début d’une nouvelle relation hiérarchique. Aussi, monsieur Hénault est convoqué à une rencontre qui ne vise pas à échanger ou à lui permettre de donner sa version des faits à propos des « graves manquements » qu’on lui reproche. Il s’agit plutôt d’aller recevoir, en personne, comme pour ajouter à l’humiliation, une lettre d’avertissement manifestement déjà écrite. On comprend mal d’ailleurs pourquoi une rencontre doit se tenir. Finalement, le ton de cette convocation est d’une dureté inexplicable.
[232] Puis, suit la longue lettre d’avertissement aux propos tout aussi durs remettant en cause, non seulement le respect des règles par monsieur Hénault, mais aussi sa gestion des fonds publics, sa loyauté et son professionnalisme.
[233] Il faut se rappeler que cette démarche réfère à deux incidents objectivement mineurs - une autorisation donnée selon les processus récemment modifiés et l’installation non autorisée d’un cadre de porte - alors que la directrice générale et le coordonnateur viennent tout juste de commencer à travailler ensemble et que des ajustements sont forcément nécessaires.
[234] Une telle force de frappe n’est pas expliquée ni justifiée par les faits. Madame Fortier décidera d’ailleurs, deux mois plus tard, de retirer cette lettre d’avertissement du dossier de monsieur Hénault. C’est du moins ce qu’elle a écrit malgré le fait qu’elle continuera d’y référer par la suite.
[235] Même en supposant que monsieur Hénault se soit trompé en ce qui concerne les façons de faire, ce qui n’est pas la conclusion du Tribunal, la convocation par écrit à une rencontre disciplinaire portant sur « de graves manquements » suivie de la remise d’une lettre d’avertissement de deux longues pages constituent des mesures nettement excessives. Le court délai entre l’arrivée de madame Fortier au poste de directrice par intérim de la DSA et la mesure porte presque à croire à une intervention programmée, une mission que se serait imposée la directrice générale.
[236] Elle explique que les deux derniers supérieurs de monsieur Hénault auraient exprimé des difficultés à faire en sorte que le coordonnateur, entêté et rigide, modifie certains processus. Elle ne précise pas de quoi il s’agit, mais semble s’être donné pour objectif de réussir là où les autres auraient échoué. C’est du moins ce que laisse croire sa précipitation à sévir.
[237] Aussi, les doléances des autres employés qu’elle allègue avoir reçues, mais ne pas avoir vérifiées, ont peut-être teinté son action.
[238] Il n’en demeure pas moins que madame Fortier ne pouvait ignorer l’effet néfaste d’une telle mesure sur monsieur Hénault dont elle met en doute les compétences et la loyauté.
[239] Puis, deux mois jour pour jour après le premier avis, une autre lettre arrive. Le 26 juin, elle annonce d’abord le retrait de la lettre du 26 avril, mais convoque monsieur Hénault à une autre rencontre disciplinaire. Des « préoccupations majeures » seront à l’ordre du jour. Au-delà des lacunes au niveau de sa gestion et de l’organisation du travail, la question du traitement de l’incident de la chute du bloc de béton semble être le motif principal de cette convocation.
[240] Ce n’est que le 23 août que la rencontre peut avoir lieu. Pendant une bonne partie de l’été, monsieur Hénault se trouve dans un état de stress intense, ce qui gâche ses vacances et celles de sa famille.
[241] Lors de la rencontre, il explique encore les démarches concernant le problème des blocs de béton instables et la planification faite de concert avec son supérieur pour corriger ce vice de construction. Madame Fortier « n’achète pas ces explications » et lui reproche de ne pas avoir sécurisé les lieux comme elle l’a fait facilement. Or, les explications de monsieur Hénault et les documents produits convainquent que, non seulement les lieux avaient été sécurisés et que la planification de restauration en cours était diligemment entreprise, mais que l’expert engagé par madame Fortier arrive aux mêmes conclusions que monsieur Hénault : en cas de travaux, il faut s’assurer que les risques de chute de blocs instables soient éliminés dans les secteurs touchés.
[242] Madame Fortier fait complètement abstraction du travail accompli par son équipe dans ce dossier et se comporte comme si aucune démarche n’avait jusque-là été effectuée.
[243] Il est hasardeux pour des profanes de remettre en cause des pratiques et façons de faire dans un domaine aussi spécialisé que la construction.
[244] Arrivent ensuite les deux lettres d’avertissement du 12 octobre.
[245] On se demande d’abord pourquoi deux lettres étaient nécessaires. L’explication des sujets différents est peu convaincante. Ensuite, on peut s’interroger à propos de leur transmission un vendredi en fin de journée alors que monsieur Hénault ne peut s’adresser à son auteur pour avoir des explications ni à d’autres personnes, d’autant qu’on l’intime de les garder confidentielles. Il croit même ne pas être autorisé à en informer ses représentants de l’Association à qui il finit par se confier plusieurs jours plus tard.
[246] Puis, la teneur des propos qu’elles contiennent est clairement attentatoire. Elle remet en cause ses capacités à assumer son emploi de coordonnateur en termes on ne peut plus clairs. Rien de moins. Elle l’atteint au cœur de ce qu’il est, de sa dignité. Et ce, après huit ans de service.
[247] Plus encore, elle lui reproche de donner des explications aux blâmes qui lui sont adressés en tirant comme conclusion qu’il n’admet aucune de ses fautes. Or, jamais madame Fortier ne peut contredire ces explications ou démontrer qu’elles sont inexactes ou inappropriées. Sa méconnaissance du secteur de la construction l’en empêche évidemment. La seule réponse qu’elle offre est celle relative à l’incident de la chute du bloc de béton. Aux explications données, qu’elle devrait connaître considérant son implication dans les démarches faites, elle conclut simplement qu’elle ne les « achète pas », sans plus.
[248] Ainsi, lorsque monsieur Hénault tente de rétablir les faits ou d’expliquer une situation en défense aux reproches qui lui sont adressés, elle le considère un peu plus fautif à chaque fois, mais sans justifications. Elle réitère même cette perception en audience soulignant que devant le Tribunal, elle n’a entendu d’admission d’aucune faute, comme s’il fallait que des fautes aient été commises.
[249] Monsieur Hénault ne prétend pas à la perfection. Il a certainement commis des erreurs dans le cadre de son travail, mais les quelques événements spécifiques reprochés n’en sont pas selon lui, ce que n’admet pas madame Fortier. Par ailleurs, il fournit aussi toutes ces explications au bénéfice de nouvelles gestionnaires qui ne sont pas nécessairement au fait de tous les dossiers et qui ont peu ou pas de connaissances dans le domaine de la construction.
[250] En ce qui concerne ses lacunes en gestion, elles sont toujours exprimées en termes généraux référant par exemple à son incapacité à déléguer ou à la sous-utilisation de certaines personnes. Il n’est cependant jamais indiqué concrètement à quoi elle réfère et surtout comment les corriger à la satisfaction de la direction.
[251] Aussi, de l’ensemble des témoignages entendus, le Tribunal comprend que la DSA est en constante mouvance, et ce, depuis des années, tant au niveau de la direction que du personnel. Au surplus, de nombreux chantiers importants sont en cours. Le rôle de monsieur Hénault s’en trouve nécessairement affecté au rythme des changements de direction et de priorités. Dans ce contexte, lui reprocher de façon générale des lacunes dans sa gestion apparaît, sinon abusif, à tout le moins inapproprié.
[252] Par ailleurs, aucun élément précis n’est amené. Aucune lacune justifiant un tel processus disciplinaire n’est démontrée. Madame Fortier ne convainc pas que les reproches adressés résultent de véritables fautes qu’auraient commises monsieur Hénault et si elles en étaient, elles ne méritaient certainement pas la dureté des mesures prises ni le ton utilisé.
[253] Puis, la directrice générale affirme que ses collègues, sans les nommer, et sa supérieure par intérim, se plaignent de lui et de la qualité de son travail. Il ne peut ensuite que se méfier des gens qui l’entourent et avec qui il interagit. La relation de confiance avec sa nouvelle supérieure s’en trouve aussi inévitablement compromise. Ne sachant plus à qui il peut se fier, il n’a d’autre choix que de s’isoler.
[254] Pour le Tribunal, la nature même du travail de monsieur Hénault le rend sujet à toute sorte de critiques. Il se trouve entre les bénéficiaires de travaux et les entrepreneurs et doit concilier les exigences des uns avec les limites des autres dans un contexte très encadré de plans, de devis, de soumissions et de contrats assujettis aux règles de gouvernance de fonds publics. Quiconque s’est frotté au monde de la construction sait la multitude de détails susceptibles de créer de grandes insatisfactions.
[255] Le 24 octobre, madame Fortier lui reproche un autre incident survenu au regard de l’affichage sur le nouveau bâtiment de la bibliothèque. Elle réalise son erreur lorsque monsieur Hénault lui donne les détails, mais elle ne l’en informe pas de sorte qu’il reste dans l’incertitude. Dans un contexte « normal », l’incident serait anodin, mais dans le climat qui prévaut, il en va autrement.
[256] Le 9 novembre 2018, monsieur Hénault dépose donc une plainte à l’encontre de ce harcèlement psychologique qu’il subit dont la dernière manifestation, selon la plainte, est survenue le 24 octobre.
[257] Cette plainte ne semble produire aucun effet. Malgré une certaine accalmie pendant quelques semaines, l’affaire ne s’arrête pas là. Après la demande de janvier d’accès à son agenda qui inquiète monsieur Hénault, en mars il est à nouveau convoqué à une rencontre disciplinaire par sa directrice par intérim de la DSA et la directrice de la DRH. En fait, c’est deux jours après la transmission par le Tribunal de l’avis d’audience aux parties dans le dossier de la plainte de harcèlement psychologique que cette convocation est faite.
[258] Encore une fois, avant même toute discussion, il est question de manquements graves. La tour d’eau, le centre sportif, la gestion de ses dossiers et même sa loyauté sont en cause.
[259] Le 29 mars, jour prévu de la rencontre, le ton de la directrice de la DRH est si acrimonieux que la représentante de l’Association demande l’ajournement. Pour elle, la présence de la directrice générale est nécessaire à une rencontre plus harmonieuse.
[260] Une nouvelle convocation est transmise le 2 avril. La rencontre aura lieu le 5 avril. Il est précisé que la directrice générale n’y assistera pas. Si monsieur Hénault décidait de ne pas se présenter, ce serait considéré comme un manque de collaboration constituant un facteur aggravant dans le cadre d’une mesure disciplinaire. Cette rencontre représente son ultime et dernière chance de donner sa version, est-il mentionné. Ces propos sont inexplicables d’autant que jamais ces questions n’avaient été soulevées.
[261] La rencontre de déroule finalement sur deux jours, les 12 et 15 avril 2019. Monsieur Hénault répond à toutes les questions qui ont finalement des allures plus pédagogiques que disciplinaires. Il fournit ensuite les documents requis, qu’elles ne consulteront jamais, alors qu’il était prétendument urgent de vérifier la situation alarmante de la tour d’eau notamment.
[262] Les graves manquements invoqués avant toute discussion ne se révèlent pas, pas plus que l’improvisation dont parle madame Drolet en audience.
[263] Les menaces annoncées formellement dans ces avis de convocation, sur la foi de simples craintes non vérifiées, constituent l’exercice abusif du droit de gérance. La « panique » invoquée par madame Drolet ne peut justifier une telle gestion de ressources humaines.
[264] Le 31 mai, monsieur Hénault annonce son départ.
[265] Pour le Tribunal, le Cégep ne parvient pas à démontrer que des fautes de la gravité alléguée ont été commises et que la charge disciplinaire humiliante à plusieurs égards était justifiée dans les circonstances.
[266] Avant de bombarder de reproches un employé qui justifie de huit ans de service et d’un dossier disciplinaire vierge, d’autres moyens de manifester l’insatisfaction étaient accessibles, en commençant par la détermination d’attentes claires et la réalisation d’évaluations périodiques.
[267] Les explications fournies par monsieur Hénault au fil des mois apparaissent raisonnables et convaincantes et forcent à conclure que la discipline exercée ne trouve aucune justification dans les faits, comme ils sont présentés.
[268] Revenant à la définition du harcèlement psychologique prévue à la Loi, on peut aisément constater des comportements et des paroles hostiles et non désirés par monsieur Hénault. Qu’il suffise de mentionner les propos émanant de la directrice générale voulant que le coordonnateur en poste depuis huit ans n’ait pas la capacité d’assumer ses fonctions et de satisfaire les attentes et mettant en doute sa loyauté et son professionnalisme. La conduite vexatoire de la directrice générale et de la directrice de la DRH est indiscutable, notamment lorsqu’elles portent des accusations avant même d’avoir recueilli la version de monsieur Hénault, le convoquant pour lui remettre une lettre d’avertissement et en le menaçant de considérer des facteurs aggravants. Il ne s’agit certes pas de l’exercice raisonnable du droit de gérance.
[269] Ces comportements atteignent le coordonnateur dans sa dignité certainement, ainsi que dans son intégrité professionnelle et psychologique, lui faisant vivre un stress continuel pendant plus de 18 mois.
[270] Cette situation crée à l’évidence un milieu de travail néfaste. Les références de la directrice générale aux propos que lui auraient rapportés les collègues de monsieur Hénault, sans les nommer, et ses supérieurs successifs sont à eux seuls de nature à faire naître une méfiance inconciliable avec de saines relations du travail. Elles sont, à l’évidence, de nature à engendrer un climat néfaste pour tous.
[271] Dans, Robert P. GAGNON, Le droit du travail du Québec, 7e éd., par Yann BERNARD, André SASSEVILLE et Bernard CLICHE (dir.), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 128, on peut lire ce qui suit :
136 Valeur et importance du travail - On tend parfois à sous-évaluer l’importance du travail en lui-même, c’est-à-dire abstraction faite de la rémunération qui peut y être associée. Pour beaucoup de personnes, le travail représente davantage qu’un gagne-pain. Il constitue un moyen de réalisation personnelle et une occasion de valorisation. Les en priver peut donc porter atteinte à leur dignité, voire à l’intégrité de leur santé physique ou mentale. La Cour suprême s’en est montrée consciente et l’a signalé en plusieurs occasions :
Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel. C’est pourquoi, les conditions dans lesquelles une personne travaille sont très importantes pour ce qui est de façonner l’ensemble des aspects psychologiques, émotionnels et physiques de sa dignité et du respect qu’elle a d’elle-même.
[Notes omises]
[272] Même si certains événements relatés avaient pu être considérés comme des comportements fautifs, ce qu’aucune preuve convaincante ne démontre, les circonstances ne pouvaient justifier une telle gestion par le Cégep. La gravité alléguée ne se révèle pas. Il n’est pas tenu compte du contexte de changements de gestionnaires qui entraîne nécessairement des ajustements. L’absence d’expertise des directrices par intérim et leur méfiance injustifiée à l’égard de monsieur Hénault, pour utiliser un euphémisme, ne sont pas non plus considérées, pas plus que le fait que certaines des décisions reprochées ont été prises de concert avec le directeur absent pour cause de maladie. Or, on fait porter tout le poids de nombreuses décisions sur le seul coordonnateur qui, comme il le rappelle, n’a pas tout décidé seul.
[273] Les directrices semblent être arrivées en ignorant le travail déjà accompli dans les dossiers en cours, les approbations déjà données, les enlignements pris de concert avec le directeur de la DSA.
[274] De plus, les reproches formulés à l’endroit de monsieur Hénault, souvent en termes généraux, sont appuyés sur les propos ou jugements de tiers qui n’ont pas témoigné devant le Tribunal. Ces faits, prétendument rapportés à la direction, ne sont d’aucune façon vérifiés auprès du coordonnateur avant de faire l’objet de reproches, de convocations disciplinaires, de lettres avertissements et de menaces de congédiement. Aucune des explications fournies par monsieur Hénault ne semble satisfaire ses dirigeantes qui font complètement abstraction de la gestion et de la planification des travaux faites jusque-là et qui, par ailleurs, ne sont en mesure de ne contredire aucune des justifications apportées.
[275] Il semble que madame Fortier accumule depuis des mois sinon des années des commentaires négatifs certainement pas toujours fondés, mais auxquels elle ne confronte pas le principal intéressé et qu’elle tient pour avérés. Lorsqu’elle décide d’assumer l’intérim à la direction de la DSA, elle arrive avec ces idées négatives en tête, que tout le monde se plaint de monsieur Hénault qui refuse par entêtement de modifier ses pratiques, selon ce que lui auraient rapporté ses supérieurs de l’époque. C’est aussi ce qu’elle lui reproche aujourd’hui, mais ne précise pas les pratiques qu’elle voudrait voir changer si ce n’est que quelques événements anecdotiques qui, la plupart du temps, lui sont rapportés par d’autres et qu’elle ne constate donc pas elle-même. Elle ne vérifie pas non plus auprès de monsieur Hénault sa version des faits au fur et à mesure des récriminations. C’est ainsi, qu’après certains incidents, pour elle la coupe est pleine alors que monsieur Hénault n’a entendu parler de rien, du moins pas de façon claire.
[276] C’est probablement ce qui explique l’exaspération de madame Fortier et l’ahurissement de monsieur Hénault.
[277] Comme elle le dit, il n’y a eu aucun conflit avec monsieur Hénault. Ils ne se sont jamais chicanés, ce qui a sans doute contribué à la surprise du coordonnateur à chaque lettre.
[278] Le processus disciplinaire entrepris est nettement abusif et s’écarte considérablement de l’exercice raisonnable du droit de gérance. (voir notamment : Diaconu c. Municipalité de la paroisse de Saint-Télesphore, 2012 QCCRT 513 et Vézina c. Agence universitaire de la Francophonie, 2008 QCCRT 499). Ce processus entrepris, vu dans son ensemble, constitue une manifestation de harcèlement psychologique.
[279] La plainte doit être accueillie.
[280] Monsieur Hénault fonde cette seconde plainte sur l’article 122 de la Loi sur les normes du travail offrant une protection d’emploi au salarié qui exerce un droit résultant de la Loi.
[281] Selon lui, c’est en raison de la plainte qu’il a déposée pour dénoncer le harcèlement psychologique dont il se dit victime qu’il a subi des mesures de représailles.
[282] Dans le cadre de ce recours, le salarié bénéficie d’une présomption d’illégalité d’une sanction subie de façon concomitante à l’exercice d’un tel droit.
[283] Monsieur Hénault est un salarié au sens de la Loi. Il se plaint de harcèlement psychologique et, de façon concomitante à la transmission par le Tribunal, le 21 mars, d’un avis d’audience, il subit une nouvelle mesure le 25 mars. Il est convoqué à une autre rencontre disciplinaire.
[284] En soi, une convocation à une rencontre n’est pas de nature à constituer une sanction ou une mesure de représailles. Toutefois, cette convocation, suivie de la rencontre disciplinaire s’étirant finalement sur deux jours, dans le contexte où elle est transmise et par le vocabulaire et le ton qui y sont utilisés, constitue non seulement une nouvelle manifestation de harcèlement psychologique, mais aussi une sanction au sens de l’article 122 de la Loi.
[285] Monsieur Hénault bénéficie donc de la présomption voulant qu’il ait subi cette sanction en raison de l’exercice d’un droit.
[286] C’est sur l’employeur que repose alors le fardeau de démontrer l’existence d’une autre cause de sanction que l’exercice d’un droit prévu à la Loi. Cette cause doit être sérieuse, elle doit être la véritable cause de la mesure et ne doit pas constituer un prétexte pour sanctionner le coordonnateur en raison de l’exercice de ses droits (Lafrance c. Commercial Photo, [1980] 1 R.C.S. 536 et Hilton Québec c. T.T., [1980] 1 R.C.S. 548).
[287] L’emploi d’un salarié est ainsi protégé lorsqu’il se prévaut d’un droit prévu à la Loi et, même si l’exercice de ce droit n’est pas le seul motif au soutien de la sanction imposée, s’il y a participé, il en entache la légalité. Dans Silva c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal - Pavillon Notre-Dame, 2007 QCCA 458, la Cour d’appel réitère le principe voulant que « dès que la sanction procède d'un motif illicite, ou que celui-ci cohabite avec un autre motif qui lui est licite, alors la présomption de l'article 17 du Code du travail n'est pas repoussée ».
[288] Les motifs ici invoqués par le Cégep ne suffisent pas à repousser la présomption.
[289] Sans reprendre l’exposé du débat, il faut préciser, dans le cadre de la plainte fondée sur l’article 122, que la mesure contestée, soit la convocation à une rencontre disciplinaire qui aura finalement lieu les 12 et 15 avril, serait justifiée par de graves manquements qu’aurait commis monsieur Hénault et « s’inscrit dans le cadre du processus disciplinaire initié en avril 2018 », comme l’écrit madame Carrier le 9 avril 2019. La mesure ne constituerait donc pas un prétexte pour le sanctionner en raison de l’exercice d’un droit.
[290] Pour le Cégep, cette convocation résulte donc de l’exercice de son droit de gérance considérant les fautes graves invoquées.
[291] Or, il n’existe aucune preuve de telles fautes ou même d’un commencement de manquement. La convocation ne découle que de soupçons, d’inquiétudes de la part des directrices, non vérifiés auprès de monsieur Hénault avant d’exiger de sa part des explications formelles dans un cadre disciplinaire où de « graves manquements » sont invoqués et où il est question d’ « ultime et de dernière chance » de « donner sa version » et de « facteurs aggravants ».
[292] Or, monsieur Hénault n’a jamais été interpelé sur ces prétendus « graves manquements » mentionnés dans la convocation du 25 mars avant cette « ultime et dernière chance » qu’on lui offre. Madame Drolet ne se sentait pas à l’aise de discuter seule avec lui, faut-il le rappeler.
[293] Cette convocation survient quatre jours après l’envoi d’un avis d’audience par le Tribunal.
[294] Aucune mesure ne sera imposée après ces deux jours d’interrogatoire du coordonnateur.
[295] Madame Drolet affirme avoir compris les situations qui l’inquiétaient après les explications reçues. Les documents fournis à la demande expresse des directrices, que monsieur Hénault réussit à réunir avec de l’aide, dans le délai accordé, ne seront même pas ouverts.
[296] Aucun élément ne justifie cette convocation à ce moment, sans que monsieur Hénault n’ait été préalablement questionné sur les sujets dits préoccupants. Les inquiétudes invoquées sont insuffisantes à renverser la présomption établie.
[297] La plainte doit être accueillie.
[298] Les pouvoirs du Tribunal à l’égard de la plainte de harcèlement psychologique sont énumérés à l’article 123.15 de la Loi :
123.15. Si le Tribunal administratif du travail juge que le salarié a été victime de harcèlement psychologique et que l’employeur a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l’article 81.19, il peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, incluant le caractère discriminatoire de la conduite, notamment:
1° ordonner à l’employeur de réintégrer le salarié;
2° ordonner à l’employeur de payer au salarié une indemnité jusqu’à un maximum équivalant au salaire perdu;
3° ordonner à l’employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;
4° ordonner à l’employeur de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux;
5° ordonner à l’employeur de verser au salarié une indemnité pour perte d’emploi;
6° ordonner à l’employeur de financer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu’il détermine;
7° ordonner la modification du dossier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique.
[299] En ce qui a trait à la plainte de pratique interdite fondée sur l’article 122 de la Loi, le Tribunal peut ordonner l’annulation de la mesure et le paiement au salarié d’une indemnité équivalente au salaire et aux avantages dont la mesure l’a privé. Ces pouvoirs se retrouvent aux articles 123.4 de la Loi et 15 du Code du travail, RLRQ, c. C-27.
[300] La réclamation de monsieur Hénault comporte trois volets : une indemnité de perte salariale équivalant à la baisse de salaire qu’il subit dans son nouvel emploi, soit environ 7 000 $, une indemnité de dommages moraux de 25 000 $ et une indemnité de dommages punitifs de 25 000 $.
[301] Le salaire annuel de monsieur Hénault au Cégep s’élevait à 98 017 $. Dans son nouvel emploi, qu’il occupe depuis le 17 juin 2019, il reçoit 90 986,30 $, pour une différence de 7 030,70 $. Il réclame donc une indemnité représentant cet écart.
[302] Pour le Tribunal, il ne fait aucun doute que cette indemnité constitue un dommage résultant du harcèlement subi et doit être accordée dans la proportion du temps travaillé entre le 17 juin 2019 et la date de la présente décision, soit onze mois :
7 030,70 $ x 11/12 = 6 444,81 $
[303] Les intérêts sur cette somme doivent être calculés selon la méthode développée par le Tribunal du Travail qui permet de fixer des intérêts tenant compte de l’accumulation progressive de l’indemnité salariale, puisque le salaire se gagne ou se perd chaque jour. L’indemnité due à la fin d’une journée n’est pas la même que celle due le lendemain; elle s’est accrue. En appliquant un seul taux à une somme évaluée à la fin de la période au cours de laquelle l’indemnité continuait de s’accumuler, on surévaluerait les intérêts dus.
[304] Dans le but d’arriver à un résultat plus juste, le Tribunal du travail a, en 1979, élaboré une méthode qui a été appliquée depuis avec constance. Il s’agit de diviser le taux d’intérêt par deux pendant toute la période au cours de laquelle l’indemnité continue de s’accumuler progressivement. C’est dans l’affaire Laplante Bohec c. Les publications Québecor inc., [1979] T.T. 268, que la question fut discutée.
[305] Cette méthode de calcul des intérêts vaut pour la période au cours de laquelle la perte salariale s’accroît progressivement. À compter du moment où elle cesse de s’accroître et que l’indemnité est fixée, on doit appliquer le plein taux jusqu’au jour du paiement.
[306] Les intérêts sur le salaire perdu entre le 17 juin 2019 et le 17 mai 2020 se calculent donc ainsi :
6 444,81 $ x 7 %/2 x 11/12 = 206,77 $
[307] Monsieur Hénault réclame 25 000 $ à titre de dommages moraux. Les souffrances subies pendant les quelque 18 mois qu’a duré cette situation à laquelle il a dû mettre fin le 13 juin 2019 le justifient amplement.
[308] Ces atteintes à sa dignité, à sa compétence et à sa réputation professionnelle de façon répétée ont affecté sa santé. Il a travaillé de 50 à 60 heures hebdomadairement pendant une longue période, tentant de devenir irréprochable. Il s’est retrouvé épuisé physiquement et mentalement. Il a perdu du poids et pleurait fréquemment. Il était constamment nerveux et préoccupé et n’était plus habité par son sens de l’humour et sa cordialité habituels. Il s’est « éteint ».
[309] Les propos rapportés émanant d’autres employés, jamais nommés, ont grandement ébranlé le lien de confiance unissant monsieur Hénault à l’ensemble du personnel. Ne sachant plus à qui se fier, il s’est éloigné de ses collègues, même de ceux dont il était plus proche, et s’est isolé au point où, encore lors de l’audition de ses plaintes, il appréhendait de rencontrer d’ex-collègues du Cégep dans un lieu public.
[310] Cette situation a évidemment déteint sur les membres de sa famille. Tant son quotidien que les périodes des vacances ont été bouleversés.
[311] Sa qualité de vie est aussi touchée en ce qu’il habite tout près du Cégep ce qui constituait un avantage appréciable. Il doit maintenant se déplacer au centre-ville pour travailler.
[312] Dans Syndicat des employés et employées de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500 (SCFP-FTQ) c. Fontaine, 2006 QCCA 1642, la Cour d’appel révise la décision de la Cour supérieure, qui avait accordé au plaignant 5 000 $ à titre d’indemnité de dommages moraux, et la porte à 35 000 $ :
[80] Avec beaucoup d’égards pour la juge de première instance, la somme minime accordée à ce chapitre ne tient pas suffisamment compte de la gravité du préjudice subi par l’intimé [le plaignant] dont la mise à l’écart et l’ostracisme ont été orchestrés par l’appelant [le syndicat]. En tenant compte que seul le préjudice postérieur à mars 1998 peut être indemnisé, il me semble qu’une somme plus substantielle serait davantage de nature à compenser l’intimé qui a subi quotidiennement une atteinte à sa dignité. Pour tout individu, le droit à des conditions de travail raisonnables est fondamental pour son bien-être, son équilibre et son épanouissement. Une atteinte à ce droit, en particulier lorsqu’elle est importante et continue, cause un dommage qui n’est pas négligeable. L’intensité de la souffrance subie, le caractère continu de celle-ci, l’effet qu’elle a sur l’intégrité de la personne, sur sa vie familiale et sociale doivent être pris en compte.
[81] Il faut reconnaître que l’indemnisation du préjudice découlant du harcèlement psychologique n’a pas donné lieu à une indemnisation substantielle jusqu’ici. Une revue de la jurisprudence22 permet, en effet, de conclure que les condamnations se situent dans une fourchette qui va de 3 500 à 50 000 $. Même si le préjudice découlant du harcèlement n’est pas purement économique par sa nature, cela ne signifie pas qu’il n’est pas réel, important, ni susceptible d’une indemnisation autre que symbolique. À mon avis, comme il est question de la violation d’un droit fondamental, un parallèle peut être fait avec la diffamation qui, comme le soulignent les auteurs Beaudoin et Deslauriers23, a récemment donné lieu à une indemnisation plus généreuse.
[Citation et notes omises]
[313] C’était en 2006.
[314] Monsieur Hénault fait la démonstration des dommages moraux qu’il allègue. Sa réclamation de 25 000 $ doit être accueillie.
[315] L’article 123.15 (4) de la Loi permet l’octroi de dommages punitifs.
[316] Le Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, à l’article 1621, énonce les critères relatifs à l’octroi de tels dommages :
Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
[317] Les auteurs BAUDOUIN et JOBIN dans Les obligations, 7e éd., par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, no. 803, p. 984, décrivent la nature de ces dommages :
803 - Notion et fonctions - On attribue traditionnellement une double fonction au dommages-intérêts punitifs, fort différente de celle des dommages-intérêts compensatoires. En effet, leur but n'est pas de réparer le préjudice subi, mais essentiellement de dissuader l'auteur de la faute de répéter les gestes qu'il a posés et les tiers qui seraient tentés d'adopter un tel comportement, tout en punissant l'auteur du comportement visé au moyen d'une peine privée. Dans certains domaines, comme le droit de la consommation, l'objectif de dissuasion prédomine ; dans d'autres, tels les droits et libertés de la personne, c'est l'objectif de punition qui ressort surtout. Plus récemment, la Cour suprême a été amenée à dégager une troisième fonction, soit celle de dénoncer des comportements choquants que la société réprouve, même en dehors de toute fonction strictement dissuasive ou punitive. Ces fonctions se complètent, tout en se recoupant dans une certaine mesure.
[Notes omises]
[318] Le Tribunal réitère que la charge disciplinaire brutale et humiliante exercée à l’égard de monsieur Hénault ne s’explique pas. Il est possible qu’elle n’ait pas été sciemment orchestrée. Mais, cette gestion disciplinaire faite par une organisation « quasi étatique » pour reprendre les termes de son procureur, qui a un devoir d’exemplarité, a eu des conséquences sérieuses sur la vie de monsieur Hénault, et ce, pendant une longue période. La direction du Cégep ne pouvait ignorer, plaide-t-il, les conséquences qu’auraient de telles atteintes à la dignité de son employé.
[319] Il est vrai que la gestion disciplinaire n’est pas une mince affaire. Les démarches effectuées par un employeur peuvent être perçues différemment d’un individu à un autre, tant par ceux qui imposent une mesure que par ceux à qui elle est destinée.
[320] Il y a lieu de rappeler que pour l’octroi de dommages punitifs, prévu à l’article 123.15 de la Loi, la preuve d’une intention de nuire n’est pas requise. (voir notamment : Helbawi c. Transelec / Common inc., 2018 QCTAT 6282)
[321] En l’espèce, la sévérité des mesures se révèle d’abord par le ton et les mots utilisés dans les différents écrits qui atteignent monsieur Hénault dans ce qu’il est comme personne, dans ses valeurs fondamentales : sa compétence, sa loyauté, son professionnalisme Son intégrité et sa réputation sont en cause après près de 30 ans de carrière et de réalisations.
[322] La rapidité à sévir est aussi remarquable. Trois semaines après son arrivée à la DSA, madame Fortier transmet un premier avis de convocation, dur, formel et surtout inattendu. Rien ne préparait monsieur Hénault à une telle frappe, pas même les modifications aux descriptions de tâches de novembre 2017 ou la réorganisation de son service venant tout juste d’être annoncée quelques jours plus tôt.
[323] À compter de ce moment, les avis et les rencontres se succèdent, sans répit, pendant des mois.
[324] C’est la directrice générale qui sévit. Elle est appuyée de la directrice de la DRH et ensuite de la directrice de la DSA. Il ne s’agit pas d’un conflit entre employés. Les reproches sévères arrivent directement de la haute direction de celles-là mêmes qui sont chargées en vertu de la loi de prévenir et de faire cesser le harcèlement. L’effet sur monsieur Hénault est d’autant plus important.
[325] La plainte de harcèlement déposée le 9 novembre 2018 ne semble avoir eu aucun effet sur la direction. Le processus dit disciplinaire se poursuit comme il a été entrepris. Les avis de convocation de mars et avril sont éloquents. Ils traduisent cette attitude de confrontation inexplicable avec cet employé qui collabore avec zèle depuis plus d’un an à toutes ces convocations et rencontres où il explique les règles de l’art et les méthodes et les processus en vigueur ainsi que les décisions prises à des dirigeantes néophytes en construction.
[326] Jamais la direction ne semble s’interroger ou remettre en question ses façons de faire tout en reprochant du même souffle à son employé d’avoir réponse à tout et de ne pas admettre ses torts sans toutefois contredire ses explications.
[327] L’obligation d’assurer un milieu de travail sain exempt de harcèlement repose sur l’employeur qui a aussi le devoir de prendre les moyens raisonnables pour le prévenir et le faire cesser lorsqu’il est porté à sa connaissance. La plainte aurait dû constituer un signal que quelque chose n’allait pas et des actions auraient dû être entreprises.
[328] Or, rien n’a été fait et le processus s’est poursuivi faisant fi de la dénonciation par monsieur Hénault de comportements pour lui inacceptables.
[329] Dans ce contexte, l’octroi de dommages punitifs visant à dissuader les auteurs, que les prescriptions de la loi n’ont pas réussi à convaincre, de répéter de tels comportements qu’il faut réprouver socialement, apparaît justifié.
[330] Ces dommages doivent être appréciés en fonction des critères de l’article 1621 du Code civil du Québec. Les circonstances, la gravité de la faute, sa situation patrimoniale, l’étendue de la réparation à laquelle le fautif est déjà tenu et le fait que le paiement soit assumé par un tiers.
[331] Le principal élément dont il faut ici tenir compte est le fait qu’une institution d’enseignement est en cause et que des fonds publics sont utilisés pour dissuader certains de ses cadres de répéter les comportements dénoncés.
[332] L’octroi d’une indemnité de dommages punitifs de 10 000 $ apparaît approprié pour atteindre cet objectif.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE les plaintes;
ANNULE la sanction imposée à Martin Hénault le 25 mars 2019;
DÉCLARE que Martin Hénault a été victime de harcèlement psychologique;
DÉCLARE que le Collège d’enseignement général et professionnel de Lévis-Lauzon a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail;
ORDONNE au Collège d’enseignement général et professionnel de Lévis-Lauzon de verser à Martin Hénault à titre d’indemnité, dans les trente (30) jours de la notification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont il a été privé en raison du harcèlement psychologique subi, le tout portant intérêt à compter du dépôt de la plainte conformément à l’article 100.12 du Code du travail;
FIXE à 6 444,81 $ l’indemnité due à Martin Hénault;
FIXE à 206,77 $ le montant des intérêts dus à Martin Hénault en date de la présente décision;
ORDONNE au Collège d’enseignement général et professionnel de Lévis-Lauzon de verser à Martin Hénault la somme de 6 444,81 $ + 206,77 $, dans les trente (30) jours de la notification de la présente décision;
ORDONNE au Collège d’enseignement général et professionnel de Lévis-Lauzon de verser à Martin Hénault, dans les trente (30) jours de la notification de la présente décision, la somme de 25 000 $ à titre de dommages moraux, le tout portant intérêt au taux fixé suivant l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale à compter de la notification de la présente décision;
ORDONNE au Collège d’enseignement général et professionnel de Lévis-Lauzon de verser à Martin Hénault, dans les trente (30) jours de la notification de la présente décision, la somme de 10 000 $ à titre de dommages punitifs, le tout portant intérêt au taux fixé suivant l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale à compter de la notification de la présente décision.
DÉCLARE qu'à défaut d'être indemnisé dans les délais prescrits, Martin Hénault sera en droit d'exiger du Collège d’enseignement général et professionnel de Lévis-Lauzon, pour chaque journée de retard, un intérêt sur les indemnités dues au taux fixé suivant l'article 28 de la Loi sur l’administration fiscale.
|
|
|
Myriam Bédard |
|
|
|
|
Me Yves Chabot |
|
GASCON &ASSOCIÉS S.E.N.C.R.L. |
|
Pour la partie demanderesse |
|
|
|
Me Isabelle Rochette |
|
BEAUVAIS TRUCHON AVOCATS |
|
Pour la partie défenderesse |
|
|
|
|
|
Date de la dernière audience : 4 mars 2020 |
|
/mpl |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.