J.L. c. R. |
2011 QCCA 1847 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
200-10-002576-101 200-10-002617-111 |
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(250-01-006009-996) (250-01-018314-095) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
7 octobre 2011 |
CORAM : LES HONORABLES |
MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. (JB3828) |
PARTIE APPELANTE |
AVOCATE |
J... L...
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Me PASCALE GAUDETTE (AU1093) (ABSENTE) (Giroux, Leblond)
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PARTIE INTIMÉE |
AVOCAT |
SA MAJESTÉ LA REINE
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Me ÉRIC L. MORIN (AE5424) (ABSENT) (Procureur aux poursuites criminelles et pénales)
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200-10-002576-101En appel d'un jugement rendu le 7 août 2002 par l'honorable Gérald Laforest de la Cour du Québec, district de Kamouraska.200-10-002617-111En appel d'un verdict rendu le 15 octobre et rectifié le 25 octobre 2010 par l'honorable Martin Gagnon de la Cour du Québec, district de Kamouraska. |
NATURE DE L'APPEL : |
200-10-002576-101Contacts sexuels - Incitation à des contacts sexuels - Agression sexuelle200-10-002617-111Défaut de se conformer à une ordonnance d'interdiction (culpabilité) |
Greffière : Michèle Blanchette (TB3352) |
Salle : 4.33 |
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AUDITION |
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Continuation de la cause entamée le 5 octobre 2011 |
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15 h 40 |
Arrêt. |
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(s) |
Greffière audiencière |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] Notre Cour est saisie de deux pourvois. Le premier concerne une peine prononcée le 7 août 2002 par l'honorable Gérald Laforest, j.c.q. À cette occasion, le juge Laforest a imposé à l'appelant une peine d'emprisonnement de 18 mois assortie d'une probation de 3 ans et d'une ordonnance d'interdiction en application de l'article 161 (1) (a) et (b) C.cr. Le deuxième pourvoi porte sur un jugement du 15 octobre 2010[1] rendu par l'honorable Martin Gagnon, j.c.q., qui déclare l'appelant coupable d'avoir contrevenu à l'interdiction prononcée le 7 août 2002 par le juge Laforest.
[3] Le 7 août 2002, l'appelant a été déclaré coupable d'agression sexuelle sur un enfant âgé de moins de 14 ans. Le tribunal a alors émis une ordonnance d'interdiction en application des paragraphes 161 (1) (a) et (b) C.cr.
[4] Le juge Laforest n'a pas spécifié la durée de l'ordonnance. Il appert cependant du document signé par l'appelant, alors qu'il n'était pas assisté d'un avocat, que le personnel du greffe a procédé à un ajout, y mentionnant que l'ordonnance rendue était tenante à perpétuité.
[5] L'appelant a été trouvé coupable, le 15 octobre 2010, d'avoir manqué à l'ordonnance prononcée le 7 août 2002, parce qu'il a accepté un emploi dans une station de plein air qui le plaçait en relation de confiance ou d'autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de 16 ans.
[6] En guise de moyen de défense, l'appelant a soutenu en première instance l'invalidité de l'ordonnance de 2002, puisque sa durée n'a jamais été valablement déterminée.
[7] Le juge Gagnon dans son jugement exprime l'avis que son collègue, le juge Laforest, a commis une erreur en ne spécifiant pas la durée de l'ordonnance d'interdiction prononcée à l'égard de l'appelant.
[8] Même si le juge convient que le personnel du greffe n'avait pas la compétence pour prévoir la durée d'une telle ordonnance, il n'en décide pas moins que celle-ci demeurait valide. Il se dit d'avis que l'appelant ne pouvait soulever une telle irrégularité, puisque pareille prétention constituait une attaque indirecte contre la peine prononcée en 2002. Il écrit :
[40] L'accusé ne peut prétendre que l'omission du juge de déterminer la durée de l'interdiction imposée en vertu de paragraphe 161 (1) rend cette dernière inapplicable puisqu'il s'agit d'une attaque indirecte qui n'est pas permise. Le juge avait toute la compétence requise pour imposer cette ordonnance, mais il l'a simplement exercée de manière erronée. L'accusé ne pouvait attendre qu'il lui soit reproché d'y avoir contrevenu. Il se devait simplement d'en contester sa validité.
[9] Le ministère public, sans insister davantage sur cette question, prétend que si le tribunal ne fixe pas la durée de l'interdiction, celle-ci est irréfutablement présumée être perpétuelle. Il a tort.
[10] Bien que le juge Laforest ait commis une erreur en ne fixant pas la durée de l'ordonnance au moment de son prononcé, on ne saurait cependant inférer de cette situation que l'ordonnance en question est par défaut perpétuelle.
[11] Nous partageons ici l'avis exprimé à ce sujet par le juge Gagnon lorsque celui-ci énonce :
[17] Même si la prudence s'impose, il demeure utile de se référer aux travaux préparatoires afin d'interpréter un texte de loi. Dans le présent cas, lors de l'exposé du projet de loi C-126, (Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les jeunes contrevenants), le Procureur général du Canada s'est exprimé ainsi au sujet de ce nouvel article 161 :
« (…) le projet de loi renferme une disposition qui autoriserait le tribunal à interdire, pour la période qu'il estime indiquée, y compris dans les cas où le juge le trouvera nécessaire à perpétuité (…)
(…) Il appartiendrait au tribunal de déterminer s'il y a lieu d'imposer une telle interdiction et, dans l'affirmative, la durée de cette interdiction. »
[caractères gras ajoutés]
[18] L'utilisation du terme « peut être » précédemment au mot « perpétuelle » démontre que la période d'interdiction n'est pas « par défaut » perpétuelle. Elle est soit perpétuelle ou soit pour une période déterminée […].
[Références omises.]
[12] Conclure
autrement enfreindrait l'article
[13] Il
est par conséquent de la compétence et de l'obligation du tribunal, en raison
du libellé même du deuxième paragraphe de l'article
L’interdiction peut être perpétuelle ou pour la période que le tribunal juge souhaitable […]. |
The prohibition may be for life or for any shorter duration that the court considers desirable […]. |
[Nous soulignons.]
[14] Puisque cet aspect de l'ordonnance n'a pas été valablement déterminé en première instance, il revient à la Cour de remédier à ce manquement.
[15] L'intimée propose une durée perpétuelle et l'appelant soutient qu'une telle durée serait manifestement déraisonnable. Il avance que les gestes pour lesquels il a été trouvé coupable, dans l'échelle de gravité, se situaient au bas du spectre. Il ajoute qu'il n'a pas d'antécédent en semblable matière et qu'il n'a pas récidivé depuis.
[16] Les
restrictions prévues à l'article
[17] Il
convient ici de rappeler les principaux facteurs que le juge doit avoir à
l'esprit au moment de décider de l'opportunité et de la durée d'une ordonnance
d'interdiction régie par l'article
1) la nature de l'infraction;
2) les circonstances de la commission de l'infraction : sa sévérité, sa durée, le nombre de victimes et l'impact sur les victimes;
3) les antécédents du contrevenant pour des infractions similaires et, inversement, le fait que le contrevenant ait un dossier criminel sans tache et qu'il s'agisse d'un comportement aberrant et exceptionnel de sa part;
4) les risques de récidive du contrevenant;
5) l'âge et la vulnérabilité des victimes;
6) les similitudes entre l'ordonnance à rendre et l'infraction commise, plus particulièrement si le contrevenant travaillait auprès d'enfants et a profité de sa situation d'autorité pour commettre l'infraction reprochée; et
7) le fait que le contrevenant n'accepte pas sa responsabilité pour ses gestes, qu'il ne démontre pas de remords, qu'il ne comprenne pas le sérieux de ses gestes ou, encore, qu'il soit réticent à suivre une thérapie.[3]
[18] Comme il est admis qu'une telle ordonnance est une restriction importante à la circulation d'une personne[4], celle-ci ne doit pas être d'une durée supérieure à ce qui est jugé suffisant afin d'assurer la protection des personnes vulnérables concernées. Voyons maintenant ce qu'il en est.
[19] Parmi les éléments retenus par le juge Laforest afin de jauger la responsabilité pénale de l'appelant, ce dernier mentionne que le crime est commis par une personne d'âge mûr sur un enfant de 10 ans qui, de surcroît, est sa nièce. Il note que les gestes posés sur l'enfant l'ont été par un adulte réfléchi et en pleine possession de ses moyens.
[20] Il se réfère ensuite au rapport prédécisionnel qui mentionne que :
L'intimé nie tous les actes reprochés. Nous évaluons que J... L... est une personne qui a vécu des expériences sexuelles précoces et qui semble avoir sexualisé ses rapports affectifs. Nous remarquons chez lui une tendance à normaliser et à minimiser le caractère répréhensible des gestes posés. Par ailleurs, nous constatons qu'il a commis ces abus dans le cadre d'une relation de confiance envers un membre de sa famille. D'autre part, il entretient, selon nous, des distorsions cognitives concernant l'attitude de la victime; par exemple, il affirme que cette dernière l'aurait provoqué.
[…] Toutefois, il nous est apparu détaché de ses émotions et désireux de contrôler le contenu des entrevues. Nous avons également remarqué de l'embarras et de l'hésitation à l'idée d'aller rencontrer les intervenants à la Clinique des troubles de comportement sexuel à Robert-Giffard. À la lumière des informations recueillies, nous constatons que le précité ne reconnaît aucun problème d'ordre psychosexuel et il ne se questionne guère concernant une possible problématique de cette nature. Étant donné qu'il a vécu des relations sexuelles en bas âge dans un contexte d'abus, il ne semble pas en mesure d'établir ses limites au niveau de son jugement critique par rapport à sa sexualité. De ce fait, il n'entretient pas de relations significatives avec autrui et il a tendance à s'isoler socialement. À cet égard, nous dénotons des habiletés sociales lacunaires chez l'accusé. Il se confie peu auprès des autres et il aime vivre à l'écart de la société. Considérant le déni en regard des agirs délictuels, l'absence d'introspection et de la difficulté à établir des relations interpersonnelles saines, J... L... présente un risque élevé de récidive et nous croyons que le tribunal devrait opter pour une mesure visant la protection de la société. Par ailleurs, l'expertise sexologique à produire au cours des prochains mois permettra d'éclairer davantage le tribunal quant à la possibilité d'une problématique de pédophilie chez le justiciable.
[21] Finalement, on apprend que l'appelant a refusé de s'astreindre, tel que lui avait ordonné le tribunal, à subir une expertise sexologique, refus dont le juge a tenu compte aux fins de l'imposition de la peine.
[22] Il ne fait aucun doute que le juge Laforest, sous l'éclairage de la preuve qui lui avait été présentée, était justifié de prononcer l'ordonnance d'interdiction prévue à l'article 161 (1) (a) et (b) C.cr. Il ne reste qu'à en déterminer la durée.
[23] Notons que les circonstances de l'affaire sont extrêmement particulières et justifient exceptionnellement une certaine actualisation de la situation de l'appelant.
[24] Tout d'abord, même si le rapport prédécisionnel laisse planer un sombre pronostic sur le risque de récidive, il n'en demeure pas moins que, depuis le prononcé de la peine le 7 août 2002, le dossier de l'appelant ne fait pas voir qu'il se serait livré à des gestes répréhensibles.
[25] Par ailleurs, nous n'avons pas été informés, lors de l'audition, que l'appelant aurait manqué aux conditions de son ordonnance de probation prononcée à l'occasion de sa peine en 2002. De plus, faut-il le réitérer, l'appelant n'a pas d'antécédents judiciaires en semblable matière.
[26] Finalement, nous retenons que la preuve au dossier montre que l'agir délictuel, pour lequel l'appelant a été trouvé coupable, se limite à un seul événement dont la durée fût plutôt brève et n'impliquait qu'une seule victime. Pour l'appelant, il s'agit de sa seule infraction du genre et, selon toute vraisemblance, nous serions devant un comportement isolé.
[27] Bref, le profil de l'appelant et les circonstances ayant mené à sa condamnation dans le présent dossier ne nécessitent pas que celui-ci soit sous le coup d'une ordonnance à durée perpétuelle.
[28] Nous sommes plutôt d'avis qu'une ordonnance d'interdiction d'une durée de 10 ans, en application des articles 161 (1) (a) et (b) C.cr., est suffisante.
[29] Considérant la conclusion précédente, l'appel du jugement rendu le 15 octobre 2010 et rectifié le 25 octobre 2010 devient sans objet.
Pour ces motifs, LA COUR :
200-10-002576-101
[30] ACCUEILLE l'appel.
[31] Modifie la peine imposée le 7 août 2002 à la seule fin de fixer à 10 ans la durée de l'ordonnance prononcée en application des articles 161 (1) (a) et (b) C.cr.
200-10-002617-111
[32] REJETTE l'appel.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
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NICHOLAS KASIRER, J.C.A. |
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GUY GAGNON, J.C.A. |
AVIS :
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appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.