Décision

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Section des affaires immobilières

En matière de fiscalité municipale

 

 

Date : 9 janvier 2023

Référence neutre : 2023 QCTAQ 0149

Dossier  : SAI-M-289756-1908

Devant les juges administratifs :

SHARON GODBOUT

JOSÉE PROULX

 

IMMEUBLE 677 SAINTE-CATHERINE INC.

Partie requérante

c.

VILLE DE MONTRÉAL

Partie intimée

 

 


DÉCISION


 


 


Aperçu

[1]               Le Tribunal est saisi d’un recours par lequel la requérante, Immeuble 677 SainteCatherine Inc., demande de modifier certaines inscriptions au rôle, applicables à l’immeuble en litige[1] connu comme étant le Complexe Les Ailes de la Mode (ci-après indistinctement le « Complexe Les Ailes » ou « l’Immeuble »). Elle allègue que des travaux majeurs de dégarnissage sur une proportion importante de l’Immeuble en ont modifié la valeur et changé l’usage pendant la durée de ces derniers.

[2]               L’audition du recours de la requérante a été scindée, la réduction de valeur et la période couverte par le certificat contesté ayant fait l’objet d’une recommandation acceptée entérinée par le Tribunal[2].

[3]               Le présent banc doit décider si la classe d’immeuble non résidentiel (INR) doit être modifiée afin qu’elle passe d’un INR-10 à un INR-6 pour la période visée par l’avis de modification (période des travaux)[3]. Il doit aussi déterminer s’il y a lieu de classer tout ou une partie de l’Immeuble dans la catégorie résiduelle.

[4]               Le Tribunal doit aussi décider de l’exactitude de deux autres inscriptions au rôle pendant la période des travaux :

  1. remplacer le code d’utilisation du bien-fonds (CUBF) de 5002 « Centre commercial régional » pour le code 9520 « Immeuble non résidentiel en construction »; et
  2. modifier le nombre de locaux non résidentiels de 70 à 19.


Les procédures

[5]               Lors de l’entrée en vigueur du rôle d’évaluation 2017-2018-2019, l’Immeuble est inscrit à une valeur de 61 320 000 $[4], son CUBF est le 5002 et il appartient à la classe INR-10.

[6]               Au cours de l’année 2018, dans le cadre de la réalisation de travaux d’envergure à l’Immeuble, les parties procèdent à des échanges et l’évaluateur de la Ville effectue une visite des lieux. Les parties s’entendent pour réduire la valeur inscrite au rôle afin de tenir compte des travaux.

[7]               Ainsi, le 6 décembre 2018, l’évaluateur de la Ville émet un avis de modification (certificat no 50-17-F-161717) qui modifie la valeur de l’Immeuble à 46 320 00 $[5], pour la période du 28 octobre 2017 au 31 décembre 2019.

[8]               Le 8 mars 2019, la requérante dépose une demande de révision, par laquelle elle requiert de modifier la période d’entrée en vigueur de l’avis de modification ainsi que la classe INR, le code d’utilisation et le nombre de locaux non résidentiels.

[9]               En réponse à cette demande de modification, les parties s’entendent pour modifier la période d’entrée en vigueur de l’avis de modification au 1er juillet 2017. Le Tribunal entérine cette entente par une décision qui confirme tant la valeur réelle que de la date de prise d’effet de la modification de valeur[6].

[10]           Bien que cette date du 1er juillet 2017 corresponde au début des travaux de dégarnissage de certains locaux dans l’Immeuble, les parties s’entendent que des travaux commencent le 29 mars 2016. Il est également admis qu’un certain nombre de commerces y poursuivent leurs opérations, et ce, jusquau 30 juillet 2018, selon le cas[7].

[11]           Quant aux autres inscriptions contestées, l’évaluateur de la Ville maintient au rôle la classe INR-10, le code d’utilisation du bien-fonds de 5002 et le nombre de 70 locaux non résidentiels.

[12]           À l’audience, la partie intimée indique que les inscriptions contestées n’ont pas été modifiées par l’avis de modification relatif au certificat n⁰ 50-17-F161717. En conséquence, elle soumet que la requérante aurait dû déposer un autre recours basé sur l’article 131.2 LFM (non-geste de l’évaluateur) ou sous l’égide de l’article 174 (13.1.1) LFM visant à ajouter ou supprimer une mention indûment inscrite et tenir compte du fait qu’une unité d’évaluation change de classe selon 244.32 LFM.

[13]           Le Tribunal observe que la requérante réagit à l’émission de l’avis de modification couvrant la période des travaux lors de sa demande de révision. Tant dans sa demande de révision administrative qu’à son recours introductif, la requérante conteste précisément les inscriptions mentionnées ci-haut.

[14]           L’entente entre les parties, qui diminue la valeur réelle de l’unité d’évaluation pour tenir compte des travaux en cours, fait en sorte que, selon la requérante, l’évaluateur municipal aurait aussi dû modifier les autres inscriptions contestées, soit le code INR, le CUBF et le nombre de locaux non résidentiels. Elle y voit un lien direct, une conséquence logique avec la baisse de la valeur.

[15]           Dans les circonstances particulières du présent dossier et dans le but d’éviter la multiplicité des recours, le Tribunal a compétence pour s’assurer de l’exactitude des inscriptions contestées apparaissant au rôle d’évaluation foncière[8].

[16]           Le Tribunal répond aux questions suivantes :

-          Quelle est la classe d’immeuble non résidentiel applicable : INR-10 ou INR-6?

-          Est-ce qu’un tout ou une partie de l’Immeuble doit être inscrit dans la catégorie résiduelle?

-          Quel est le code d’utilisation du bien-fonds à inscrire : 5002 « Centre commercial régional » ou 9520 « Immeuble non résidentiel en construction »?

-          Quel est le nombre de locaux non résidentiels à inscrire : 70 ou 19?

[17]           Pour les motifs qui suivent, le Tribunal maintient l’ensemble des inscriptions au rôle.


Le contexte

[18]           L’unité d’évaluation, située au centre-ville de Montréal, est une galerie commerciale, répartie sur trois étages, soit les niveaux métro, rez-de-chaussée (RDC) et premier étage (niveau 1). Sur le côté ouest, il est mitoyen à l’immeuble connu comme Le Centre Eaton, dont la requérante est également propriétaire[9].

[19]           En mars 2016 et juin 2017, deux permis visant des modifications au bâtiment de l’unité d’évaluation sont émis par l’intimée selon les plans de réaménagement approuvés.

[20]           À compter du 1er juillet 2017, des travaux de démolition intérieure, de dégarnissage et de reconstruction sont entrepris dans l’Immeuble dans le cadre d’un projet visant à redévelopper le Complexe Les Ailes et à le fusionner avec Le Centre Eaton[10].

[21]           Il s’agit de travaux d’envergure qui se déroulent en plusieurs phases[11].

[22]           Pendant cette période, certains commerces demeurent opérationnels et accessibles au public[12].

[23]           La proportion des locaux affectés par les travaux de dégarnissage et de réaménagement par rapport à ceux qui demeurent en opération, selon chacun des niveaux, est la suivante[13] :

Niveaux

Nombre de locaux dégarnis

Nombre de locaux en opération

Nombre total de locaux

Métro

9 (représentant 21 168 p2)

16

25 (représentant 60 084 p2)

RDC

19 (représentant 74 200 p2)

3

22 (représentant 84 223 p2)

Niveau 1

16 (représentant 70 611 p2)

0

16

[24]           Les travaux se terminent pour l’essentiel vers le 1er janvier 2020, à la suite de quoi le certificat n⁰ 50-20-F055680 est émis[14].


Position des parties

[25]           La requérante demande l’inscription de la classe 6 pour l’unité d’évaluation qui fait partie de la catégorie des immeubles non résidentiels, soit pour la partie de l’Immeuble qui demeure en opération.

[26]           Elle soumet que la proportion des espaces dégarnis est totalement inutilisable et qu’elle correspond à un chantier de construction[15]. À cet égard, elle insiste particulièrement sur les travaux de décontamination à l’amiante, lesquels empêchent une quelconque utilisation de ces espaces. Pour elle, ces travaux sont majeurs et ne constituent pas qu’un simple réaménagement des lieux.

[27]           Elle ajoute que les espaces inutilisables n’ont aucune vocation fondamentale du fait qu’ils ne génèrent aucun revenu. Elle prétend donc que la proportion de l’Immeuble faisant l’objet de travaux n’a d’autres choix que d’être qualifiée comme étant un immeuble « innommé » et d’appartenir à la catégorie « résiduelle ».

[28]           Sa position est fondée sur l’analyse de l’expert Gold, qui estime que plus de 60% de la valeur réelle de l’unité d’évaluation est composée d’espaces inutilisables pendant les travaux[16]. Ainsi, selon ce dernier, la partie de l’évaluation municipale attribuable aux espaces à usage commercial en opération est de 39,6 %[17].

[29]           La requérante soumet donc que l’Immeuble doit appartenir à la classe INR-6, puisque la valeur contributive des espaces commerciaux en opération se situe entre 30 % et 50 %[18].

[30]           S’appuyant sur le Manuel d’évaluation foncière du Québec (MEFQ)[19], l’expert Gold ajoute que lorsqu’un immeuble a plus d’une utilisation, il doit alors être classé selon son utilisation prédominante.

[31]           Au rôle d’évaluation, l’utilisation inscrite dans la section « catégorie d’immeuble » est le CUBF « 5002 – Centre commercial régional (100 à 199 magasins) ».

[32]           Selon la requérante, et puisqu’il s’agit de l’utilisation prédominante, les locaux dégarnis ne peuvent faire l’objet d’aucun usage de sorte qu’ils doivent être assimilés au code d’utilisation « 9520 – Immeubles non résidentiels en construction ».

[33]           Par ailleurs, elle prétend que l’entente quant à la diminution de l’inscription de la valeur réelle de l’Immeuble pendant la période des travaux a eu pour effet de renverser la présomption de la validité du rôle. Elle affirme donc que le Tribunal doit s’en remettre aux calculs réalisés par l’expert Gold, puisque l’expert de l’intimée ne soumet aucune preuve quant au calcul de la classe de mixité non résidentielle, ni d’explications quant à la catégorisation applicable aux espaces inutilisables.

[34]           De son côté, l’intimée soumet qu’il faut regarder la vocation et la destination de l’Immeuble pour en déterminer la catégorie. Selon elle, le fait que des locaux soient inutilisés ou inutilisables pendant les travaux n’est pas pertinent dans cette détermination.

[35]           S’appuyant sur l’analyse de son expert, M. Denis, elle allègue que la vocation de l’unité d’évaluation ainsi que son usage le meilleur et le plus profitable (UMEPP) sont demeurés « commercial » pendant la période des travaux. Conséquemment, elle est d’avis que la catégorie IRN-10 inscrite au rôle, soit non résidentiel à 100 %, doit être maintenue[20].

[36]           À l’appui de sa position, elle affirme que pendant toute la durée les travaux, certains commerces ont poursuivi leurs opérations, dont au niveau métro, la majorité d’entre eux sont restés ouverts, ainsi qu’au RDC, trois locaux sont demeurés opérationnels. Elle ajoute que même parmi les commerces ayant fait l’objet de travaux, plusieurs d’entre eux sont demeurés ouverts jusqu’en décembre 2017[21].

[37]           Quant aux travaux de dégarnissage, elle allègue qu’ils constituent des travaux de réaménagement n’ayant pas pour effet de modifier l’usage commercial de l’Immeuble. Entre autres, elle réfère à la description des travaux[22] et souligne qu’il s’agit de travaux intérieurs n’affectant aucunement la structure de l’Immeuble. Quant aux travaux de désamiantage, elle affirme qu’ils ne visaient qu’un magasin en particulier et non pas l’entièreté des locaux en rénovation[23].

[38]           Pour l’intimée, ces travaux résultent plutôt d’un choix de la part de la requérante de relancer l’achalandage et la vitalité économique du Complexe[24].

[39]           Quant au CUBF 9520 réclamé par la requérante, l’intimée réplique que le Complexe est un immeuble existant en réaménagement et non pas un immeuble « en construction », au sens littéral. Elle soumet que l’usage de l’Immeuble correspond à la catégorie « 5002 – centre commercial régional (100 à 199 magasins) ». Au surplus, elle allègue que le CUBF n’est pas pertinent dans la détermination de la taxation en vertu des articles 244.31 et suivant de la LFM.

[40]           Enfin, selon l’expert Denis, il n’y a pas lieu de modifier le nombre de locaux non résidentiels inscrit au rôle d’évaluation. D’une part, il explique que cette mention n’a aucune incidence fiscale. D’autre part, il est d’avis que l’Immeuble en cause, par son envergure et sa localisation, ne peut se qualifier de « centre commercial de quartier (15 à 44 magasins) ». En conséquence, il indique qu’il n’est pas opportun de réduire à 19 le nombre de locaux.

Analyse

Le fardeau de preuve

[41]           Il est reconnu que toutes les inscriptions au rôle jouissent d’une présomption d’exactitude et de validité[25].

[42]           Toutefois, selon la requérante, cette présomption tombe en raison de l’entente des parties quant à la diminution de la valeur réelle de l’unité d’évaluation.

[43]           Le Tribunal n’est pas de cet avis.

[44]           L’objet du présent litige porte sur des inscriptions autres que celle relative à la valeur (soit la classe d’INR, le CUBF et le nombre de locaux non résidentiel), lesquelles n’ont jamais fait l’objet d’une modification par l’évaluateur depuis l’entrée en vigueur du rôle[26].

[45]           Ainsi, le fardeau incombe à la requérante de démontrer linexactitude des inscriptions contestées[27].

Quelles sont la classe et la catégorie de l’Immeuble?

[46]           Larticle 244.30 de la LFM indique quelles sont les catégories d’immeubles et précise à son dernier alinéa qu’une unité d’évaluation peut appartenir à plusieurs catégories.

[47]           Lunité d’évaluation faisant l’objet du présent litige est inscrite au rôle selon une seule catégorie : immeuble non résidentiel.

[48]            L’article 244.32 de la LFM établit les modalités afin de déterminer la classe des immeubles non résidentiels. Un immeuble fait partie de l’une ou l’autre des classes selon le pourcentage que représente, par rapport à la valeur imposable totale de l’unité, la valeur imposable de l’ensemble des immeubles non résidentiels compris dans l’unité.

[49]           Ainsi, si une partie de l’Immeuble appartient à la catégorie résiduelle, comme le prétend la requérante, pour déterminer la classe, il faudra établir la valeur de la partie non résidentielle et la diviser par la valeur réelle. Si toutefois, l’entièreté de l’Immeuble appartient à la catégorie non résidentielle, la classe 10 devra alors être maintenue[28].

[50]           L’élément clé pour déterminer si un changement de catégorie est requis est la vocation ou la nature de l’immeuble. Si elle ne change pas, la catégorie ne change pas, alors que si cette vocation ou cette nature change, la catégorie doit être modifiée[29].

[51]           Lorsqu’un immeuble fait l’objet de travaux majeurs, comme en l’espèce, cette détermination peut varier selon la situation factuelle ou juridique dans laquelle se trouve l’immeuble[30].

[52]           Dans le présent dossier, il est indéniable que pendant la période en cause, des travaux majeurs sont réalisés dans le Complexe Les Ailes.

[53]           Selon la requérante, il faut procéder à une évaluation ponctuelle de l’Immeuble, et ce, à la date du 1er juillet 2017, soit à la suite de l’événement justifiant l’émission d’un avis de modification[31]. Elle reproche à l’expert de l’intimée d’avoir concentré son analyse sur ce qu’était l’Immeuble avant l’avis de modification[32] et après l’avis émis lors de la fin substantielle des travaux[33].

[54]           De son côté, l’intimée soumet qu’il faut regarder la période des travaux, de façon générale, et non seulement la date précise du 1er juillet 2017.

[55]           Pour le Tribunal, que l’on se place à la date précise du 1er juillet 2017, immédiatement après l’événement, ou tout au long de la période des travaux, la situation de l’Immeuble est la suivante :

  • Deux permis de construction sont émis relativement aux travaux effectués dans l’Immeuble;
  • Des commerces sont en opération et accessibles au public durant les travaux.

[56]           Selon la preuve admise par les parties, un permis de construction est émis le 29 mars 2016 pour la phase préliminaire des travaux[34] et le permis principal est émis le 23 juin 2017[35]. Le premier indique que les travaux consistent à réaménager les locaux pour futurs occupants et à réaménager les aires communes[36]. Le second mentionne que les travaux visent à réaménager les étages du Complexe Les Ailes, le tout, conformément aux plans approuvés[37].

[57]           Par ailleurs, toujours selon la preuve admise, un grand nombre de commerces sont en opération en date du 1er juillet 2017[38].

[58]           Il s’agit là de ce qui est connu à cette date.

[59]           Sur la question de la vocation d’un immeuble vacant et faisant l’objet de travaux, les deux parties déposent la décision rendue dans l’affaire « le Presbytère[39] » pour soutenir leurs prétentions respectives.

[60]           Dans cette affaire, au moment où le propriétaire avait acquis l’immeuble, celui-ci était vacant et en voie de transformation d’une destination à une autre (résidentielle à commerciale). La Ville avait modifié la catégorie d’immeuble de « résiduelle » à « non résidentielle » au moment de l’achat, alors que la transformation de l’immeuble n’était pas entamée. Aucune utilisation à quelque fin que ce soit n’était alors possible en raison de sa contamination par l’amiante.

[61]           Le Tribunal distinguait comme suit les situations dans lesquelles pouvait se trouver un immeuble faisant l’objet de travaux majeurs :

« [50] Au niveau factuel, le Tribunal n’est pas convaincu que la catégorie à laquelle un immeuble doit faire partie pendant des travaux soit toujours la même. Il peut arriver que, pour des motifs économiques ou autres, un propriétaire décide volontairement d’effectuer des travaux de transformation. Il s’agit d’une situation fort différente de celle où un immeuble vacant depuis de nombreuses années ne peut faire l’objet d’aucun usage avant que des travaux majeurs requis pour sa mise aux normes actuelles, pour des fins de sécurité ou, encore, pour des fins de santé ou de salubrité publiques n’aient été effectués. Enfin, l’ampleur des travaux peut être un autre élément pertinent à considérer. »

[Soulignements du Tribunal]

[62]           Dans cette affaire, le Tribunal énonce que le presbytère, qui ne pouvait être utilisé à quelque fin que ce soit, n’était ni un immeuble résidentiel ni un immeuble non résidentiel. Il était donc « un immeuble d’un type innommé ».

[63]           Le contexte et les faits du présent dossier sont tout à fait distincts de cette affaire.

[64]           Il est vrai que l’intention du propriétaire n’est pas suffisante à elle seule pour déterminer la catégorie de l’immeuble[40]. Ce qu’il faut regarder, c’est la mission de l’immeuble et sa raison d’être[41].  

[65]           Ici, le Tribunal est d’avis que la raison d’être de l’Immeuble à compter du 1er juillet 2017 est celle d’un centre commercial. Quelle que soit l’intention précise du propriétaire, il s’infère de la preuve qu’un projet de réaménagement du Complexe est en cours. Ce dernier est réalisé sur une base volontaire et des permis sont obtenus à cette fin.

[66]           De plus, alors que dans l’affaire Presbytère aucune utilisation n’était possible tant que l’immeuble n’avait pas été décontaminé, le Complexe a continué d’exercer ses activités. L’Immeuble n’était aucunement en voie de changement de destination.

[67]           En plus des activités commerciales qui se poursuivaient, le Tribunal considère que l’Immeuble a conservé les caractéristiques physiques requises pour exercer sa mission.

[68]           Par ailleurs, le Tribunal ne peut souscrire à la prétention de la requérante selon laquelle les sections de l’Immeuble en travaux perdent leur vocation commerciale du fait qu’elles ne sont pas susceptibles de générer des revenus.

[69]           D’une part, la classe d’une unité d’évaluation est déterminée selon sa vocation ou sa destination.

[70]           D’autre part, bien que des locaux sont inoccupés pendant cette période de travaux, cette inactivité ne constitue pas une cessation d’exploitation de l’Immeuble à titre de centre commercial[42]. Sa vocation et sa destination demeurent la même au moment de l’événement.

[71]           Conclure autrement pourrait mener à un résultat déraisonnable et injuste en ce que dès qu’un immeuble ferait l’objet de travaux majeurs, sa classe devrait être modifiée pendant leur durée. Tel qu’énoncé précédemment, si la vocation et la destination d’un immeuble ne changent pas, la catégorie ne change pas.

[72]           Pour toutes ces raisons, la catégorie d’immeuble qui définit le Complexe est celle de non résidentiel à 100 %. Il n’y a donc pas lieu de modifier la catégorie INR-10 inscrite au rôle.

Code d’utilisation du bien-fonds

[73]           Pour les mêmes raisons, le Tribunal considère que le code d’utilisation 5002, inscrit au rôle triennal 2017, correspond mieux à la nature de l’Immeuble que le code 9520.

[74]           En effet, il s’agit ici d’un immeuble en rénovation[43] dont la vocation est déterminée, soit celle d’un centre commercial.


[75]           Quant au code 9520 réclamé par la requérante, le MEFQ ne définit pas la notion « immeuble non résidentiel en construction ». Dans son sens commun, le mot « construire » est ainsi défini : « Assembler à partir d’un plan les diverses parties d’un ouvrage d’architecture, de travaux publics, le bâtir, l’édifier, le réaliser[44] ».

[76]           En l’occurrence, le dégarnissage partiel est effectué à l’intérieur du bâtiment[45] et les travaux ne consistent pas à ériger une nouvelle entité. Il s’agit d’un immeuble déjà bâti dans lequel s’opèrent à la fois des rénovations et des activités commerciales.

Nombre de locaux non résidentiels

[77]           La requérante demande que le nombre de locaux non résidentiels inscrits au rôle soit réduit à 19 pendant la période des travaux. Ce nombre correspond aux locaux qui ne sont pas dégarnis et qui demeurent opérationnels tout au long de cette période[46].

[78]           De son côté, la requérante soumet qu’il n’y a pas lieu de modifier le nombre de locaux pendant la période des travaux et que cela n’a aucune incidence sur la taxation à la Ville de Montréal.

[79]           La définition de « local non résidentiel » dans le MEFQ se lit comme suit :

« Bâtiment ou partie de bâtiment physiquement délimitée qui sert ou qui est destinée à servir à l’exercice, à des fins lucratives ou non, d’une activité économique ou administrative en matière de finance, de commerce, d’industrie ou de services, un métier, un art, une profession ou toute autre activité constituant un moyen de profit, de gain ou d’existence. Un local correspondant à cette définition peut se trouver dans une dépendance[47]. »

[Soulignements du Tribunal]

[80]           Pour les mêmes raisons que celles mentionnées précédemment, les espaces ayant fait l’objet de travaux n’ont pas perdu leur caractère non résidentiel et leur destination est demeurée commerciale.


[81]           La preuve révèle toutefois que le nombre de 70 locaux inscrits au rôle triennal 2017 a légèrement diminué pendant la période des travaux, notamment dans le but d’accueillir des « locataires majeurs[48] ». Toutefois, aucune preuve n’est présentée au Tribunal quant au nombre précis de locaux physiquement existants dans l’Immeuble pendant cette période, qu’ils soient en opération ou non.

[82]           Dans un tel contexte et vu l’impact très limité de cette mention, le Tribunal maintient l’inscription.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

REJETTE le recours;

Maintient les inscriptions au rôle.

LE TOUT, avec frais de justice en faveur de la partie intimée.

 


 

SHARON GODBOUT, j.a.t.a.q.

 

 

JOSÉE PROULX, j.a.t.a.q.


 

Therrien Couture Joli-Coeur S.E.N.C.R.L.

Me Louis St-Martin et Me Samuel Cousineau-Bourgeois

Procureurs de la partie requérante

 

Gagnier, Guay, Biron

Me Louise Boutin

Procureure de la partie intimée


 


[1]  Matricule 9940-23-5378-5-001-0110.

[2]  Décision 2022 QCTAQ 02606, rendue en application de l’article 142.1 la Loi sur la fiscalité municipale,               LRQ, chapitre F-2.1 (LFM).

[3]  Avis de modification n⁰ 50-17-F161717, émis le 6 décembre 2018 pour la période du 28 octobre 2017               au 31 décembre 2019.

[4]  Soit 22 057 300 $ pour le terrain et 39 -262 700 $ pour le bâtiment.

[5]  Soit 22 057 300 $ pour le terrain et 24 262 700 $ pour le bâtiment, selon l’article 174 (6) LFM.

[6]  Décision 2022 QCTAQ 02606.

[7]  Chacune des parties a réalisé un document sous forme de chronologie relatant les faits. Lors de l’audience,               elles déposent ce même document et ses annexes dans le cadre de leur preuve respective sous les cotes               suivantes : Pièce R-1, Entente sur les faits et admissions (à partir de la 4e page du document); Pièce R-2,               Rapport d’expertise de M. Neil Gold (à l’annexe A); Pièce I-1, Rapport d’expertise de M. Richard Denis              l’annexe 6). Comme chacun de ces documents est identique et comporte la même pagination, le Tribunal y               référera indistinctement sous la désignation « Chronologie des faits ».

[8]  Loi sur la justice administrative, RLRQ, chapitre J-3 (LJA), art. 32.

[9]  Chronologie des faits, p. 2.

[10]  Id., p. 10.

[11]  Chronologie des faits, p. 10, 14-15; pièce I-1, annexe 3.

[12]  Chronologie des faits, p. 10-13.

[13]  Id., p. 11-13.

[14]  Il s’agit d’une date moyenne de la fin de l’ensemble des travaux du projet convenue entre les parties,               Chronologie des faits, p. 16, 21.

[15]  Elle réfère le Tribunal à la portée des travaux décrits dans Chronologie des faits, p. 10 : parmi ces travaux,               elle souligne, entre autres, les travaux de décontamination à l’amiante, la mise aux normes actuelles au               niveau de sécurité, l’ouverture de dalles de béton, le curetage et la remise à neuf complète de tous les               systèmes mécaniques et l’unification des systèmes d’urgence et de prévention incendie.

[16]  R-2, p. 8, 15.

[17]  R-2, p. 13.

[18]  Art. 244.32 (8⁰) LFM.

[19]  Manuel d’évaluation foncière du Québec, Partie 2C.

[20]  I-1, p. ii.

[21]  Chronologie des faits, p. 11-13.

[22]  Id., p. 10.

[23]  Id., p.10 : il est mentionné que le désamiantage vise les deux niveaux occupés par le magasin Les Ailes de               la Mode.

[24]  Pièce I-1, p. 13. L’intimée réfère le Tribunal aux permis de construction émis en mars 2016 et en juin 2017               et ayant pour objet des travaux de réaménagement dans l’immeuble (Chronologie des faits, p. 22-23).

[26]  Le Tribunal ajoute également qu’à la suite d’un changement de valeur, rien dans loi ne prévoit que               l’évaluateur doive modifier la catégorie de taxation : 3428826 Canada Ltd. c. Cour du Québec, 2022 QCCS               3180 (CanLII), par. 88 (Requête pour permission d'appeler accueillie, 2022 QCCA 1594).

[27]  Communauté urbaine de Montréal c. 150528 Canada inc., 1998 CanLII 12503 (QC CA): « Quant au fardeau               de preuve, je partage le point de vue de l’appelante. Celle-ci soutient que la présomption de validité et               d’exactitude des inscriptions au rôle s’applique à toutes les inscriptions, autant les inscriptions initiales que               celles faites lors de la tenue à jour du rôle. » [Soulignements du Tribunal]

[28]  Luc Tremblay c. Malbaie (Ville de), 2018 CanLII 98408 (QC TAQ), par. 31.

[29]  9329-9444 Québec Inc. c. Québec (Ville), 2022 CanLII 63181 (QC TAQ), par. 18. Citant : 3428826 Canada               Ltd. c. Montréal (Ville), 2017 QCTAQ 0359,; Garneau c. Lévis (Ville), 2012 CanLII 48179 (QC TAQ), 2012               QCTAQ 08280; Vigi santé ltée c. Montréal (Ville), 1999 CanLII 13626 (QC CA); 9203-6615 Québec               Inc. c. Montréal (Ville), 2013 CanLII 72942 (QC TAQ).

[31]  Elle réfère au libellé de l’art. 46(2) LFM.

[32]  Certificat portant le numéro 50-17-F161717.

[33]  Certificat portant le numéro 50-20-F055680.

[34]  Chronologie des faits, p. 13, 22.

[35]  Id., p. 13, 23.

[36]  Id., p. 22.

[37]  Id., p. 23.

[38]  Id., p. 11-13.

[39]   9203-6615 Québec Inc. c. Montréal (Ville), 2013 CanLII 72942 (QC TAQ).

[40]  Id., par. 64.

[41]  Vigi santé ltée c. Montréal (Ville), 1999 CanLII 13626 (QC CA), p. 49.

[42]  9189-9294 Québec inc. c. Ville de Montréal, 2021 QCCQ 9012 (CanLII), par. 54-55. Caroline Valois c.               Montréal (Ville), 2013 CanLII 46216 (QC TAQ), par. 67.

[43]  « Rénovation : Action de remettre à neuf par de profondes transformations » : Dictionnaire Larousse, en               ligne : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rénovation/68239.

[44]  Dictionnaire Larousse, en ligne : https://www. larousse.fr/dictionnaires/francais/ construction/18504.

[45]  Chronologie des faits, p. 13.

[46]  Id., p. 11-13.

[47]  MEFQ, p. 2C-59.

[48]  Pièces R-3 et I-1 (à l’annexe 3). Il s’agit de l’échéancier et des plans de réaménagement du Centre Eaton               et du Complexe Les Ailes. Ces plans indiquent que les locaux ont été reconfigurés et que leur nombre a été               réduit (surtout au niveau 1). Chronologie des faits, p. 10.

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