Décision

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Linnell c. Rebelo

2022 QCTAL 34831

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Sherbrooke

 

No dossier :

641846 26 20220706 G

No demande :

3606357

 

 

Date :

05 décembre 2022

Devant la juge administrative :

Mélanie Marois

 

Jack Linnell

 

Luke Allan

 

Micah Della Foresta

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

Gabriel Rebelo

 

Mathieu Rebelo

 

Locateurs - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le Tribunal est saisi d’une demande, présentée par les locataires Jack Linnell, Luke Allan et Micah Della Foresta[1] à l’encontre des locateurs, Gabriel et Mathieu Rebelo. Les locataires réclament la résiliation du bail pour logement impropre à l’habitation, car il constitue un risque pour la santé et la sécurité. Ils allèguent la présence de vermines, les nombreuses réparations à effectuer, notamment l’absence de détecteurs de fumée, le palier du balcon et la rampe extérieurs pourris, le revêtement extérieur abîmé, des luminaires manquants ou arrachés, des trous, la porte extérieure de l’immeuble qui ne barre pas, l’insalubrité de l’immeuble et du logement, des déchets, une fenêtre cassée et remplacée par un contreplaqué, l’ensemble des biens des anciens locataires laissé sur les lieux, des odeurs et de la nourriture pétrifiée. 

[2]         Au-delà des termes utilisés, ce que les locataires plaident, c’est aussi que les locateurs font substantiellement défaut de leur livrer le logement en bon état d’habitabilité, de propreté, de salubrité et de réparation. L’état des lieux et le refus d’y remédier avec diligence justifient la résiliation du bail.


[3]         Les locateurs, représentés lors de l’audition par leur mère, Gisèle Gagné, laquelle est aussi la gestionnaire de l’immeuble, s’opposent à la demande. Ils considèrent que c’est de la responsabilité des anciens locataires de remettre le logement en bon état et qu’ils ne peuvent pas intervenir puisque les locataires prennent possession du logement en laissant des biens sur place et en permettant à une personne de demeurer sur les lieux.

Questions en litige

[4]         Lors de la remise du logement le 1er mai 2022, les locateurs fontils défaut de s’acquitter de leurs obligations relatives à la délivrance du logement en bon état d’habitabilité, de propreté, de salubrité et de réparation, justifiant la résiliation du bail?

[5]         Le fait pour les locataires de tolérer la présence d’un tiers dans le logement et de laisser des biens à l’intérieur de celuici constituetil une prise de possession des lieux les empêchant d’obtenir la résiliation du bail?

Contexte et analyse

[6]         Les parties sont liées par un bail du 1er mai 2022 au 30 avril 2023 pour un loyer mensuel de 1 680 $. Le logement est un 6½, situé près de l’université Bishop. Les locataires sont des étudiants demeurant à l’extérieur de la province. Ils prennent connaissance du fait que le logement sera vacant par boucheàoreille. Ils signent le bail le 5 janvier 2022 après l’avoir visité.

[7]         La gestionnaire insiste sur les particularités entourant la location de ce type de logement, notamment que les étudiants « se passent » les logements entre eux et qu’ils se vendent des meubles. Dans le cas présent, les anciens locataires l’avisent qu’ils ont trouvé de nouveaux locataires pour la fin de leur bail. Le concierge leur fait signer le nouveau bail. Il n’est donc pas question de cession de bail ou de souslocation et les règles usuelles en matière de louage résidentiel s’appliquent.

[8]         Les articles 1854, 1863 et 1910 à 1914 du Code civil du Québec prévoient :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

« 1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.

La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet. »

« 1914. Le locataire peut refuser de prendre possession du logement qui lui est délivré s'il est impropre à l'habitation; le bail est alors résilié de plein droit. »

[9]         Dans le cas présent, les locataires ont le fardeau de prouver les faits qui soutiennent leurs prétentions selon la balance des probabilités.[2]

État du logement lors de sa remise

[10]     Le Tribunal retient de la preuve que lors de la délivrance du logement, celuici est en mauvais état d’habitabilité, de propreté, de salubrité et de réparation. Malgré la dénonciation de la situation par les locataires, les locateurs ne remédient pas à la situation avec diligence. Les échanges écrits du 3 mai démontrent que la gestionnaire connaît la situation « I know it wasn’t your stuff, but two of the previous tenants are still living there (…) we just wanted you know that their actions were not acceptable and it’s a shame they left the place like that for you. » Nonobstant la reconnaissance du caractère inacceptable de la situation, elle ne pose aucune action correctrice.


[11]     De leur côté, les locataires font preuve d’indulgence et de tolérance dans la situation, le tout dans le contexte où ils n’entendent pas occuper immédiatement les lieux. Néanmoins, ils demandent à la gestionnaire d’intervenir, soit de nettoyer le logement, d’enlever les restes de nourriture et de sortir les biens des locataires précédents. Or, le 5 mai, la gestionnaire répond que ce n’est pas leur responsabilité « we do not clean the apartments when the tenants leave as it is their responsability to leave it clean and otherwise the new tenants that come in on the same day will have to clean it. (…) Once you have moved in we cannot do any cleaning as we do not touch or move or sort through any belongings that are already moved in » Lors de l’audience, madame Gagné réitère que ce n’était pas à eux de nettoyer les lieux. Elle ajoute que si les locataires l’avaient avisée qu’ils avaient besoin du logement pour la fin mai, ils auraient agi différemment.

[12]     Or, le fait que la session scolaire commence en août ne permet pas aux locateurs d’attendre à ce moment pour remettre le logement en bon état. S’il est vrai que les locataires doivent remettre les lieux en bon état lors de leur départ, cela ne modifie en rien les obligations propres aux locateurs. Aussi, le type de clientèle, soit étudiants dans le cas présent, ne module pas non plus l’intensité des obligations des locateurs.

[13]     Le logement doit être livré en bon état le premier jour du bail, tout comme le loyer est payable ce jour. Les locateurs ne peuvent pas exiger que les locataires respectent leurs obligations sans s’acquitter des leurs. Aussi, devant le défaut des anciens locataires de laisser le logement en bon état, les locateurs devaient faire preuve de diligence et le remettre ainsi le plus rapidement possible. En niant leurs responsabilités, ils sont en défaut de respecter leurs obligations. De plus, la fausseté des propos tenus, l’inaction malgré la reconnaissance des faits et le refus de résilier le bail dénotent de la mauvaise foi.

[14]     Aussi, ils mettent les locataires dans la situation où, soit ils s’arrangent euxmêmes avec les anciens locataires, soit ils rendent les lieux en état par leurs propres moyens. Finalement, ils se déchargent de leurs responsabilités sur eux, le tout dans un contexte où ces derniers habitent à l’extérieur de la province. Dans les circonstances, les locataires adoptent une attitude résiliente et ils tentent de s’entendre avec les anciens locataires. Ils leur octroient du délai, euxmêmes ne souhaitant pas résider au logement avant la fin du mois.

[15]     Par contre, pendant ce temps, aucune action n’est posée, ni par les anciens locataires ni par les locateurs. Lorsque l’un des locataires se présente au logement à la fin du mois et qu’il constate le tout, il perd confiance. Les locataires ne souhaitent plus leur donner de délais supplémentaires, notamment jusqu’à la graduation au début juin et ils exigent le respect de leurs droits. Leurs parents s’en mêlent et ils demandent la résiliation du bail.

[16]     Quelques jours plus tard, la gestionnaire fait changer la serrure du logement, car elle entend parler qu’un party de graduation, impliquant des centaines de personnes et organisé par les anciens locataires, se prépare. Aucune preuve probante n’établit que les locataires ont un lien avec ces événements. D’ailleurs, les anciens locataires entrent par effraction dans le logement, par une fenêtre. Appelé par la police, l’un des locataires affirme qu’il ne donne pas son consentement à leur présence. Il est là lorsqu’ils sortent certaines de leurs choses, accompagné par les policiers.

[17]     Une mise en demeure est datée du 6 juin et réclame officiellement la résiliation du bail. Les travaux débutent le lendemain et les locateurs refusent la résiliation par écrit le 15 juin. Ils avisent que le logement est prêt le 23 juin, soit près de deux mois après le début du bail. La demande des locataires est introduite le 5 juillet.

[18]     Le Tribunal conclut que les locateurs ne respectent pas leurs obligations de délivrer le logement en bon état d’habitabilité, de propreté, de salubrité et de réparation. Ces manquements substantiels de leurs obligations contractuelles causent un préjudice sérieux aux locataires qui paient un loyer pour un logement qu’ils ne peuvent pas habiter en raison de son mauvais état. L’inaction des locateurs et leurs tentatives de transférer leurs responsabilités sur les épaules des locataires ajoutent aux préjudices subis. La résiliation du bail est justifiée.

[19]     La « tradition » entourant la location des logements étudiants, telle que le définit la gestionnaire, peut expliquer l’attitude très tolérante des locataires, mais elle ne libère pas les locateurs de leurs obligations légales.


Présence d’un tiers et biens laissés dans le logement

[20]     Le 30 avril, l’un des locataires informe la gestionnaire qu’il rentre certains de ses biens dans le logement, dans la chambre près de la rue, de même qu’un divan, avec la permission des locataires, le tout dans l’objectif d’éviter toute confusion. Par ailleurs, lorsqu’il arrive au logement le 1er mai, une personne est présente sur les lieux, avec la permission des anciens locataires. Devant le fait accompli et dans les circonstances particulières ci-après décrites, il lui permet de demeurer quelques jours au logement.

[21]     Tout d’abord, les locataires sont dans leurs droits d’amener des biens à partir du début du bail. De plus, il n’est pas inhabituel ni interdit que les locataires s’entendent entre eux pour entreposer des biens avant la prise de possession des lieux. Cela ne signifie aucunement que les locataires renoncent à leurs droits d’obtenir un logement en bon état ou aux protections que la loi prévoit en cas de nonrespect de cette obligation.

[22]     Par ailleurs, les locateurs sont mal venus d’affirmer que les locataires prennent possession du logement, car ils permettent aux anciens locataires de laisser des choses sur les lieux. Cela survient en raison de leurs propres manquements à délivrer le logement en bon état. La tolérance de l’un ne peut pas légitimer les manquements de l’autre. Les locataires étaient tout à fait en droit de s’attendre à ce que les lieux soient rapidement remis en bon état.

[23]     Quant à la présence d’un tiers, il faut l’apprécier dans le contexte où la personne est déjà là, avec l’autorisation des anciens locataires, qu’elle utilise les biens de ceuxci, qu’il s’agit d’un autre locataire de l’immeuble, que la situation est temporaire et résulte du fait qu’elle ne peut pas rentrer chez elle, car sa famille est affectée par la COVID. D’ailleurs, dans un courriel de confirmation du 1er mai, madame Gagné écrit : « When we came to your new apartment,  Callum Kendall, a new tenant of apartment #3, was sleeping in one of the rooms. He told us that you have allowed him to stay a few days in your apartment. » Elle connaît la situation, le contexte et le caractère temporaire de celleci.

[24]     Dans les circonstances, le Tribunal ne considère pas les faits mis en preuve comme une acceptation des lieux ou une prise de possession relevant les locateurs de leurs obligations. Cette position est erronée en faits et en droit. Tout au plus, cela démontre encore la grande tolérance des nouveaux locataires, dans le contexte où tout le monde connaît un peu tout le monde et que personne ne veut nuire à personne. Si l’attitude des locataires à cet égard n’est pas des plus prudentes, elle ne relève en rien les locateurs de leurs obligations.

[25]     Par ailleurs, le fait que les locataires prennent en charge les frais d’énergie à la mimai ne constitue pas non plus une renonciation à la délivrance du logement en bon état. Il s’agit d’une preuve de leur bonne foi à s’acquitter de leurs obligations.

[26]     La demande des locataires est justifiée et la défense des locateurs est rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[27]     ACCUEILLE la demande des locataires;

[28]     RÉSILIE le bail conclu entre les parties pour le logement concerné rétroactivement à la date de la mise en demeure du 6 juin 2022;

[29]     CONDAMNE les locateurs à payer aux locataires les frais de justice de 89,75 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Mélanie Marois

 

Présence(s) :

les locataires

le locateur Gabriel Rebelo

Date de l’audience : 

31 août 2022

 

 

 


[1]  Un amendement est accueilli lors de l’audience afin d’ajouter Micah Della Foresta à titre de demandeur.

[2]  Articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec.

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