Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2016 QCTAQ 05877
Dossier : SAS-M-161102-0907
MICHEL RIVARD
SOLANGE TARDY
c.
et
COMMISSION DES NORMES, DE L'ÉQUITÉ, DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL (CNESST)
[1] Le requérant conteste une décision rendue par le Bureau de révision administrative de la mise en cause, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après désignée IVAC) rendue le 8 juin 2009.
[2] Par cette décision, l’IVAC refuse d’indemniser le requérant en vertu de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels puisque la demande a été déposée plus d’un an après la survenance de l’acte criminel.
[3] À l’audience du 8 mars 2016, l’intimé ainsi que le requérant sont représentés par avocat.
Les faits
[4] Le requérant est le fils aîné de M… T… Ce dernier était le fondateur d’une secte prédisant la « fin du monde », et ce, de 1977 à 1989, tout d’abord en région A et ensuite en Ontario à ville A.
[5] Au sein de cette secte, les scènes d’horreur se sont multipliées et celles-ci étaient, en grande partie, l’œuvre du gourou : circoncision et amputation à froid, émasculation, orgies ainsi que plusieurs beuveries.
[6] Entre 1980 et 1987, le requérant a vécu avec son frère au sein de cette secte dirigée par leur père, et ce, durant deux longs séjours alors qu’ils étaient enfants et adolescents.
[7] Le requérant a été témoin de plusieurs scènes effroyables et a été lui-même battu par son père.
[8] À l’aube de sa majorité, le requérant réussit à s’extirper de ladite secte et retourne vivre au Québec quelques années plus tard.
[9] La demande de prestations à l’IVAC sera reçue le 7 avril 2009. Dans celle-ci, le requérant souligne qu’il a reçu des coups de planche, de ceinture et que son nez a été fracturé à au moins deux reprises, et ce, alors qu’il vivait avec son père dans les années 80. Enfin, il précise avoir été l’objet de « plusieurs agressions physiques et psychologiques ».
[10] Le 8 juin 2009, le Bureau de révision confirme la décision du 30 avril 2009 rejetant la demande de prestations, puisque présentée hors délai.
[11] D’où le présent recours.
Témoignage du requérant
[12] D’entrée de jeu, le requérant décrit son vécu au sein de la secte de Moïse alors qu’il n’était qu’un enfant.
[13] À l’époque, ses parents étaient séparés et le requérant ainsi que son frère cadet faisaient l’objet d’une garde partagée.
[14] Selon le requérant, sa mère n’était pas au courant de ce qui se passait dans la secte.
[15] Son premier séjour dans ce milieu n’a duré qu’environ un mois et le requérant n’aurait alors été témoin d’aucune violence. Cependant, lors de son deuxième séjour, il a été témoin de violence à toutes les semaines. Selon lui, il y avait beaucoup d’alcool qui était consommé. Les enfants étaient souvent victimes d’abus sexuels de la part des adultes. Enfin, il a été témoin de nombreuses orgies et a été victime d’abus physique à plusieurs reprises.
[16] Selon sa propre estimation, le requérant a vécu environ trois ans et demi au sein de la secte.
[17] En 1987, alors qu’il atteint la majorité, il sort de la secte écorché à tous les niveaux et « fort traumatisé ».
[18] Pour refaire sa vie, il travaille d’abord « dans le tabac » dans le sud de l’Ontario, et ce, environ six mois par an, et ce, jusqu’en 1990.
[19] Il réussit à terminer son secondaire V en 1990, et ce, à l’âge de 20 ans. En 1996, il complète un cours de biologie au Centre A.
[20] De 1990 jusqu’en l’an 2000, le requérant consomme beaucoup d’alcool ainsi que de la cocaïne. De ce fait, il commet plusieurs délits. Il fait de nombreux séjours en prison ainsi qu’en cure de désintoxication.
[21] Entre 1998 et 2003, il allègue avoir été hospitalisé à environ 50 reprises pour des psychoses toxiques.
[22] Il témoigne que la sortie du film A le 26 avril 2002, inspiré de l’enquête d’une travailleuse sociale sur la secte, a été une période très difficile pour lui.
[23] Suite à plusieurs démêlés avec la justice, il est reconnu non criminellement responsable pour troubles mentaux en août 2003, et ce, pour des accusations de voies de fait et menaces de mort.
[24] Le requérant sera donc sous la juridiction de la Commission d’examen des troubles mentaux (ci-après la Commission) jusqu’à sa libération inconditionnelle au mois de décembre 2006.
[25] Parallèlement à cette période trouble, le requérant vit de longues périodes moins sombres.
[26] Il bénéficie d’une thérapie de 1994 à 1997. En 1994, il s’installe à Ville A avec sa conjointe M.
[27] De 1995 à 1996, il travaille au service à la clientèle chez la Compagnie A, et ce, durant deux ans. En 1998 et 1999, il fait du télémarketing pour la Compagnie B dans le domaine des cellulaires.
[28] Même durant son hospitalisation maintenue par la Commission, il occupe un poste d’aide-animateur.
[29] Depuis quelques années, il est suivi en psychiatrie et il fonctionne relativement bien. Selon son témoignage, l’alcool et la coke ne sont plus un problème malgré une rechute en 2015. Il consommerait cependant du cannabis, et ce, de façon régulière.
[30] Le témoignage du requérant porte également sur la parution, en 2009, du livre écrit en collaboration avec son frère […].
[31] Selon son propre témoignage, le requérant et son frère ont débuté l’écriture du livre dès leur sortie de la secte. En l’an 2000, une centaine de pages avaient d’ailleurs été écrites.
[32] Interrogé sur sa motivation, le requérant répondra que le processus avait un « but libérateur » et qu’il a été en mesure de réaliser « qu’il ne peut tout blâmer sur son père ». Il a également réalisé que ses problèmes de consommation avaient eu un effet destructeur sur lui-même.
[33] En 2008, le contrat est donc signé entre la maison d’édition ainsi les deux frères.
[34] Après 18 mois de travail avec l’aide d’un tiers, le livre est terminé et paraît le 16 septembre 2009.
[35] C’est durant la rédaction de son propre livre que le requérant lit « Le fils du bourreau de Beaumont » écrit par Patrick Gosselin. À la lecture de cette œuvre, le requérant apprend qu’il pourrait faire une demande d’indemnisation auprès de l’IVAC puisque M. Gosselin avait reçu des sommes pour les actes subis durant son enfance.
[36] De ce fait, il dépose sa demande de prestations en avril 2009, soit environ cinq mois avant la parution de son livre.
[37] Il est clair, selon son témoignage, qu’il ne connaissait pas auparavant l’existence de l’IVAC.
Témoignage du docteur Christophe Nowakowski
[38] Le deuxième et dernier témoin entendu dans le cadre de la preuve du requérant sera l’expert en psychiatrie, le docteur Christophe Nowakowski.
[39] Pour ce dernier, son diagnostic du requérant est clair, soit un état de stress post-traumatique complexe avec abus de substances psychotropes ainsi la possibilité de trouble schizoaffectif[1].
[40] Bien qu’il reconnaisse que son diagnostic ne soit pas répertorié dans le DSM-5, il témoigne à l’effet que celui-ci est reconnu dans la littérature psychiatrique.
[41] « La différence fondamentale entre un état de stress post-traumatique ordinaire et un état de stress post-traumatique complexe est que ce dernier est le résultat de traumatismes prolongés et sévères qui surviennent en enfance[2]. »
[42] Selon le docteur Nowakowski, il y a sept éléments dont on devrait tenir compte et qui font en sorte que le requérant n’a pas été en mesure de déposer sa demande d’indemnité avant 2009 :
- connaissance imparfaite de l’abus subi et de ses conséquences psychologiques;
- comportement compatible avec une crainte de contredire la personne en autorité;
- capacité d’autodétermination réduite;
- hyper-réactivité aux stimulis évocateurs des abus passés;
- manque de continuité dans la perception de la situation d’abus;
- manque de continuité dans la réaction effective aux abus;
- diminution de la capacité d’agir notamment les tâches qui le confrontent au passé.
[43] L’expert souligne également qu’il y a une corrélation très nette entre les abus subis et le problème de consommation du requérant.
[44] Selon le docteur Nowakowski, la rédaction du livre a été très thérapeutique pour le requérant et un facteur positif dans la vie.
[45] Même en 2014, au moment de son expertise, le docteur témoigne à l’effet que le requérant n’avait pas vraiment conscience de la relation entre les abus subis et leurs conséquences sur sa propre vie.
[46] Enfin, pour l’expert, le requérant n’aurait pas eu la capacité de faire sa demande à l’IVAC même s’il avait connu l’existence de la Loi. En effet, avant 2009, le requérant n’avait pas la capacité d’agir sans souffrir d’une décompensation psychologique.
Témoignage du docteur Jean-Robert Turcotte
[47] Le seul témoin pour l’intimé est le Dr Jean-Robert Turcotte, reconnu expert en psychiatrie.
[48] Pour ce dernier, le diagnostic le plus probable est un trouble schizo-affectif en rémission ainsi qu’un trouble de la dépendance à la cocaïne actuellement en rémission[3].
[49] Le diagnostic, selon lui, va dans le sens de tous les diagnostics précédents incluant celui de la docteure Line Perreault qui a suivi le requérant durant une longue période.
[50] Dans le cas du requérant, il n’y a pas de critères suffisants selon le DSM IV ou V pour établir un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique.
[51] Pour l’expert de l’intimé, l’hypothèse du docteur Nowakowski est intéressante mais n’est pas retenue par le DSM V, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de cohérence populationnelle pour ledit diagnostic.
[52] Il est clair pour le docteur Turcotte que lorsque le requérant prenait bien sa médication et qu’il ne consommait pas, il était en mesure de bien fonctionner à l’image de ce que le requérant projetait lors de son entrevue avec lui en 2015.
[53] Il est également évident pour le médecin que le requérant n’était pas en mesure de faire sa demande de prestations lors des longues hospitalisations ou lorsqu’il était en psychose toxique.
[54] Cependant, ces périodes difficiles ont été entrecoupées de longues périodes où le requérant fonctionnait bien, où il n’était ni suicidaire, ni anxieux, ni dépressif et où il n’avait pas d’hallucinations.
[55] Lors de ces périodes, pour l’expert, le requérant était tout à fait en mesure de réfléchir et de poser un acte.
[56] Questionné par le Tribunal, le docteur Turcotte estime que, d’un point de vue psychiatrique, il n’y avait pas d’empêchement, durant ces périodes, pour faire une demande, et ce, peu importe le diagnostic (nos soulignés).
[57] Il ajoute également que dès le début des années 90, le requérant était tout à fait en mesure de faire certains liens et qu’il était conscient des blessures. D’ailleurs, à preuve, il avait débuté l’écriture d’un livre.
[58] Enfin, il est tout à fait en accord avec son collègue en affirmant que les abus de substances du requérant sont une conséquence du traumatisme subi.
Argumentation des parties
[59] Dans ce dossier, le Tribunal a bénéficié de plaidoiries écrites de la part de chacune des parties.
[60] Le procureur du requérant, de son côté, s’appuie sur le témoignage de son expert et justifie le retard du requérant à déposer sa demande « à son incapacité à prendre des décisions et son manque de motivation ».
[61] Il souligne au Tribunal que la demande de prestations survient lors d’une longue période où les hospitalisations du requérant avaient baissé de façon significative. De plus, il ne faut pas négliger, selon lui, l’effet libérateur de la parution de son livre.
[62] Le procureur se penche ensuite sur la notion de l’ignorance de la Loi en droit administratif.
[63] Il cite une décision récente du TAQ datée du 21 septembre 2015[4] où nos collègues infirment une décision de l’IVAC et traitent abondamment de l’ignorance de la Loi.
[64] Nous y reviendrons.
[65] Pour le procureur du requérant, ce dernier ne pouvait déposer sa demande avant 2009 puisqu’il ignorait l’existence de l’IVAC avant cette date.
[66] Pour la procureure de l’intimé, puisqu’il s’agissait d’une victime mineure, il convenait d’établir le moment où le requérant aurait fait le lien entre les abus et la blessure psychologique.
[67] Pour l’avocate, la réponse est claire puisque, dès 1990, le requérant débutait l’é-criture d’un livre. Il est donc logique de penser qu’à l’époque les liens avaient déjà été faits.
[68] Puisque le requérant avait débuté une thérapie en 1994, elle propose que la date limite pour faire une demande d’indemnisation devrait être le 31 décembre 1995.
[69] Elle souligne ensuite que le requérant n’a pas établi la preuve prépondérante qu’il avait repoussé la présomption de renonciation aux bénéfices de la Loi, puisque le requérant a été fonctionnel durant de longues périodes dans les années 90 et 2000.
[70] Enfin, elle invoque enfin la jurisprudence constante du Tribunal sur l’ignorance de la Loi et invite le Tribunal à faire les distinctions nécessaires, relativement au cas d’espèce récent soumis par le procureur du requérant.
Analyse et motifs
[71] Il s’agit ici de déterminer si le requérant a déposé sa demande de prestations auprès de l’IVAC dans le délai prescrit par la Loi et, si non, a-t-il renversé la présomption selon laquelle il aurait renoncé aux bénéfices de la Loi.
[72] Avant le 23 mai 2013, cette version s’appliquait aux personnes victimes d’un crime au sens de l’article 3 de la Loi[5] :
« 11. Toute demande pour bénéficier des avantages de la présente loi, accompagnée d’un avis de l’option prévue par l’article 8, doit être adressée à la Commission dans l’année de la survenance du préjudice matériel ou de la blessure ou de la mort de la victime.
Si le réclamant fait défaut de formuler la demande et de donner l’avis d’option dans le délai prescrit, il est présumé avoir renoncé à se prévaloir de la présente loi, sous réserve du deuxième alinéa de l’article 8.
La demande et l’avis d’option doivent être formulés suivant que le prescrit la Commission par règlement. »
[73] Selon la jurisprudence, ce délai n’en est pas un de déchéance ni de prescription; il s’agit d’une mesure de temps au terme de laquelle naît une présomption de renonciation.
[74] Cette présomption n’est pas irréfragable. Elle peut être renversée par le requérant qui a le fardeau de faire la preuve de circonstances particulières.
[75] De plus, selon l’arrêt M. (K.) c. M. (H.)[6] de la Cour suprême du Canada, le délai à l’égard des victimes d’inceste ne commence à courir qu’à compter du moment où elles ont pris conscience du préjudice subi et de sa cause probable. De plus, selon une jurisprudence constante du Tribunal, puisque le requérant était mineur au moment des actes criminels, le délai ne commence à courir qu’à compter de la majorité.
[76] Qu’en est-il dans le cas sous étude?
[77] Pour répondre à cette question, le Tribunal doit déterminer, selon la preuve, à quel moment le requérant a-t-il pris conscience du préjudice subi et de sa cause probable.
[78] Le point de départ était donc le […] 1987, soit la date où le requérant a atteint l’âge de la majorité.
[79] Sur ce point, le Tribunal estime que la preuve est claire, que le requérant a rapidement fait les liens entre les abus et ses difficultés.
[80] En effet, selon son propre témoignage, le requérant débutait avec son frère l’écriture de son livre dès 1990. À l’époque déjà, une centaine de pages avaient été écrites. Par la suite, il écrivait de façon irrégulière. Certains extraits du livre publié en 2009 sont très éclairants à ce titre[7] :
[…]
[81] À plusieurs reprises durant son témoignage, le requérant réitère l’effet libérateur du processus d’écriture de sa biographie.
[82] De plus, dès 1994, le requérant débutait une thérapie en lien avec les abus subis. Il est donc logique de statuer, tel que suggéré par le Procureur général, que la date limite pour déposer sa demande se situait en décembre 1995.
[83] La deuxième question est de déterminer si le requérant a fait la preuve prépondérante qu’il n’a jamais renoncé à réclamer les bénéfices de la Loi. Le fardeau reposait donc sur lui.
[84] À ce titre, un expert de chaque côté a été entendu. Dans la preuve du requérant, il s’agissait du docteur Christophe Nowakowski. Pour l’intimé, le docteur Jean-Robert Turcotte a été entendu.
[85] Essentiellement, le docteur Nowakowski témoigne à l’effet qu’en raison d’un diagnostic d’état de stress post-traumatique complexe, le requérant n’avait pas la capacité de dire son histoire, donc de déposer sa demande de prestations avant 2008-2009 sans souffrir d’une décompensation psychologique, d’autant plus qu’il ignorait l’existence de l’IVAC avant cette date.
[86] Le docteur Turcotte, témoignant pour l’intimé, propose plutôt un diagnostic de trouble schizo-affectif n’ayant pas de relation avec les événements vécus durant l’enfance. Ce dernier ne croit pas que les problèmes psychiatriques allégués du requérant l’ont empêché de déposer une demande d’indemnisation dès 1990.
[87] Après analyse, le Tribunal accorde au témoignage du docteur Turcotte une plus grande force probante puisque son évaluation correspond davantage au tableau clinique et factuel du requérant ainsi qu’à la preuve.
[88] Tout d’abord, son évaluation et son diagnostic s’appuient sur le DSM-V.
[89] Ensuite, le diagnostic de l’expert est conforme à celui de la docteure Line Perreault, la psychiatre qui a produit de nombreux rapports lorsque le requérant était sous la juridiction de la Commission d’examen sur les troubles mentaux entre 2003 et 2007.
[90] Enfin et surtout, son évaluation est conforme à la preuve documentaire et testimoniale du dossier.
[91] Voici un extrait de son rapport[8] :
« Question 2. Les problèmes psychiatriques allégués par Monsieur [le requérant] l’ont-ils empêché de déposer une demande d’indemnisation des victimes d’actes criminels?
Je ne crois pas que les problèmes psychiatriques allégués par Monsieur [le requérant] l’ont empêché de déposer une demande d’indemnisation de victime d’acte criminel. Il est vrai que lorsqu’il était en état de psychose, il était sûrement, pour des périodes qui pouvaient varier de quelques jours à quelques semaines, incapable de faire cette demande. Cependant, ces états psychotiques étaient toujours suivis d’un retour à un bien meilleur fonctionnement. À cet égard, il faut se référer au suivi de Dre Tessier, vers 2001-2002, où cette dernière mentionne que lorsque monsieur ne consomme pas et qu’il prenait sa médication, il fonctionnait relativement bien. On peut penser aussi qu’au cours des années 1994 et 1996, durant les périodes où il était en désintoxication et durant les quelques mois qui ont suivi, monsieur était bien capable de faire sa demande. Il y a plusieurs notes au dossier qui nous indiquent que monsieur était bien au courant qu’il avait été victime d’une enfance traumatique et que son père était un personnage anormal, qui avait eu une très mauvaise influence sur lui. »
[92] Selon le Tribunal, cette opinion est en conformité avec la preuve et surtout le témoignage du requérant. Il ne s’agissait pas ici pour le Tribunal de faire le choix entre deux diagnostics mais d’analyser la preuve selon l’ensemble de la situation du requérant.
[93] Dès sa sortie de la secte, il a été en mesure de se trouver du travail. En 1994, il rencontre sa conjointe actuelle. À l’âge de 20 ans, il termine son secondaire V. Il travaille de 1995 à 2001 dans un service à la clientèle ainsi qu’en télé-marketing.
[94] Entre les périodes psychotiques et de consommation, le requérant était en mesure d’écrire un livre et aurait tout à fait été en mesure de se renseigner sur les possibilités de recevoir une indemnité.
[95] Relativement au docteur Nowakowski, son diagnostic, bien que valable, n’est pas reconnu dans le DMS-V.
[96] De plus, les éléments sur lesquels il se base pour émettre son opinion à l’effet que le requérant n’a pas été en mesure de faire sa demande avant 2009 ne sont pas conformes, selon le Tribunal, à la preuve soumise.
[97] En effet, l’expert soumet d’abord que le requérant avait une connaissance imparfaite des abus subis et ses conséquences psychologiques. Ensuite, il propose que le requérant avait une capacité d’agir diminuée notamment pour les tâches qui le confrontent au passé.
[98] Avec respect pour l’opinion contraire, les extraits du livre, le fait que le requérant entreprenait une thérapie dès 1994 vont à l’encontre de ladite opinion.
[99] Le dernier point soumis par le procureur du requérant est le fait que celui-ci ignorait l’existence de l’IVAC avant 2009 alors qu’il l’apprend à la lecture du livre, Le fils du bourreau de Beaumont.
[100] La jurisprudence du Tribunal, à ce titre, est quasi unanime à l’effet qu’elle ne peut être invoquée. Une jurisprudence récente de ce Tribunal démontre cependant que ce principe n’est ni absolu ni immuable.
[101] Cependant, chaque cas est un cas d’espèce.
[102] Une analyse minutieuse de la décision SAS-M-223090-1404 le démontre bien.
[103] Dans ce dossier, notre collègue prend bien soin de préciser au paragraphe [63] de sa décision que l’exercice constitue à transposer dans le contexte particulier d’une affaire les circonstances propres à chaque cas.
[104] Au paragraphe [80] de ladite décision : « le Tribunal conçoit que le requérant, démuni au plan social, résidentiel et éducationnel et contre qui jouaient alors toutes les circonstances, n’ait pas cherché à s’informer des possibilités qui s’offraient à lui en tant que victime ».
[105] De plus dans ce dossier, le dossier n’était hors délai que depuis environ dix-huit mois.
[106] Dans le présent cas, le requérant avait un diplôme de secondaire V. dans les années 90. Il a rencontré sa conjointe, a débuté une thérapie et a été en mesure de maintenir plusieurs emplois malgré ses difficultés.
[107] Enfin, la demande de prestations est hors délai de plus de 15 ans.
[108] Le Tribunal, bien que conscient des difficultés et préjudices réels subis par le requérant, estime qu’il ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer qu’il n’avait pas renoncé aux bénéfices de l’IVAC.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
CONFIRME la décision en révision de l’intimé du 8 janvier 2009;
REJETTE le recours du requérant.
Me Daniel Longpré
Procureur de la partie requérante
Bernard, Roy (Justice-Québec)
Me Florence Lavigne-Le Buis
Procureure de la partie intimée
AVIS :
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