Centre de santé et de services sociaux de l'Énergie et Fortin (Succession de) |
2019 QCTAT 3437 |
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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL |
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(Division de la santé et de la sécurité du travail) |
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Région : |
Mauricie-Centre-du-Québec |
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Dossier : |
652210-04-1711 668899-04-1806 668900-04-1806 668933-04-1806 |
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Dossier CNESST : |
501621775 |
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Trois-Rivières, |
le 30 juillet 2019 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : |
Daniel Therrien |
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Centre de Santé et de Services sociaux de l’Énergie |
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Partie demanderesse |
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et |
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Louise Fortin (succession) |
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Partie mise en cause |
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DÉCISION RECTIFIÉE
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[1] Le Tribunal administratif du travail a rendu, le 26 juillet 2019, une décision dans le présent dossier;
[2] Cette décision contient une erreur concernant le numéro du dossier associé à la décision qu’il y a lieu de rectifier en vertu de l’article 48 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail RLRQ, c. T-15.1. (la LITAT).
[3] Sur la première page, nous lisons :
652210-04-1711
[4] Alors que nous aurions dû lire :
652210 04 1711 668899-04-1806 668900-04-1806
668933-04-1806
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Daniel Therrien |
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Me Amélie Asselin |
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JOLI-COEUR LACASSE S.E.N.C.R.L. |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Sophie Mongeon |
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DESROCHES, MONGEON |
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Pour la partie mise en cause |
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Date de l’audience : 6 juin 2019 |
Centre de santé et de services sociaux de l'Énergie et Fortin (Succession de) |
2019 QCTAT 3437 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE QUESTION PRÉLIMINAIRE
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L’APERÇU
[1] Louise Fortin s’est vue reconnaître par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail une maladie professionnelle pulmonaire sous la forme d’un mésothéliome pleural malin. Son employeur, le Centre de Santé et de Services sociaux de l’Énergie conteste cette reconnaissance.
[2] Dans le cadre de cette contestation, l’employeur soulève une question préliminaire, sujet de la présente décision. Il prétend que la réclamation déposée initialement par la travailleuse est irrecevable puisqu’elle a été déposée après le délai de six mois prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1].
[3] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la réclamation déposée par la travailleuse est recevable.
L’ANALYSE
[4] Pour bénéficier des avantages de la Loi, le législateur impose une procédure à suivre, incluant le dépôt d’une réclamation à la Commission dans un délai de six mois de la lésion professionnelle alléguée[2]. Le présent litige porte sur l’identification du point de départ de ce délai.
[5] Le diagnostic de la maladie professionnelle alléguée, un mésothéliome pleural malin, n’est pas contesté. À sa réclamation qu’elle dépose à la Commission le 3 mars 2016, la travailleuse allègue que son « cancer » fut « déclaré » le 4 février 2015. Elle est alors âgée de 78 ans. Elle décède l’année suivante, en mai 2016, et la succession prend la relève des recours.
[6] En présence d’une allégation de maladie professionnelle, l’article 272 de la Loi stipule que le délai de six mois pour déposer la réclamation à la Commission débute au jour où il est porté à la connaissance de la travailleuse qu’elle est atteinte d'une maladie professionnelle.
272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteints d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
[…]
[7] Selon la jurisprudence, le niveau de « connaissance » requis se situe entre le soupçon ou la croyance et la certitude médicale[3]. L’exercice consiste à identifier le moment où la travailleuse pouvait, avec l’information à sa disposition, établir un lien probable entre les symptômes qui l’affligent et son travail[4].
[8] Les trois décisions soumises par la représentante de l’employeur à l’audience reprennent les mêmes principes, tout en y apportant des nuances et des précisions.
- Dans l’affaire Bravenec et Resto Casino (Montréal), la démarche est décrite comme « l’aboutissement d’un processus intellectuel qui requiert de se représenter, de percevoir et de comprendre les données ou les faits et en tirer ses propres conclusions »[5];
- Dans l’affaire Équipement YGE inc. et Thibault, le Tribunal recherche, à partir des faits mis en preuve, le moment ou le travailleur a acquis une connaissance au-delà du soupçon, c'est-à-dire suffisante pour lui permettre d’établir une relation entre les mouvements exécutés au travail et les diagnostics médicalement confirmés[6];
- Dans Tour Belvédère inc. et Quintanilla, les mêmes principes sont repris en précisant que la source de l’information à l’origine de la connaissance « doit provenir d’une source externe, le plus souvent un professionnel de la santé. »[7]
[9] La représentante de la succession dépose également trois décisions, parfois rendues par les mêmes décideurs que ceux cités par l’employeur[8]. Les mêmes principes s’appuyant sur la même jurisprudence s’y retrouvent.
[10] En application de ces principes, l’employeur plaide que la travailleuse, qui aurait exercé l’emploi d’infirmière à un de ses établissements il y plusieurs dizaines d’années, a acquis cette connaissance le 12 décembre 2014 lorsqu’un médecin à l’urgence lui déclare qu’elle est porteuse d’un cancer découlant d’une exposition à l’amiante. La réclamation déposée le 3 mars 2016, un an plus tard, excède donc largement le délai de six mois alloué.
[11] La succession prétend au contraire que la travailleuse a déposé sa réclamation au moment où elle a fait un lien entre son travail exercé chez l’employeur et l’exposition à l’amiante. Elle acquiert cette connaissance en décembre 2015 et dépose sa réclamation en mars 2016, donc à l’intérieur du délai alloué.
[12] Le Tribunal adhère à l’argument de la succession. L’employeur confond la notion de connaissance de la cause de la maladie, c'est-à-dire ici l’exposition à l’amiante acquise dès février 2014, avec celle de la connaissance du lien entre la maladie et le travail acquise en décembre 2015. Pour déposer une réclamation à la Commission, il ne suffit pas de faire un lien entre sa maladie et sa cause, mais également avec un travail ou des tâches exercés chez un employeur couvert par la Loi.
[13] Ici, comme le souligne l’employeur, la travailleuse apprend rapidement que la cause de sa maladie découle d’une exposition à l’amiante. Cela apparaît à une note de consultation médicale du 12 février 2014, d’où le dépassement allégué du délai. Par ailleurs, selon la preuve au dossier et présentée à l’audience, la travailleuse n’est toujours pas convaincue, même au moment de déposer sa réclamation à la Commission et dans les derniers moments de sa vie, que la source réelle d’exposition découle de l’exercice de son métier d’infirmière dans un des établissements de l’employeur.
[14] L’absence de connaissance s’explique. Le métier d’infirmière n’est pas reconnu pour entraîner un risque d’exposition à l’amiante. L’exposition, selon l’information disponible, aurait aussi eu lieu il y a plus de 50 ans, vers 1957. On peut donc comprendre le scepticisme de la travailleuse face au diagnostic posé.
[15] Le peu d’intérêt à connaître la source de l’exposition s’explique également par le contexte particulier vécu par la travailleuse à l’époque. Celle-ci apprend qu’elle est porteuse, à 78 ans, d’un cancer malin. La priorité alors n’est pas de connaître la source d’exposition ni d’intenter des recours, mais d’analyser les options de traitements curatifs ou palliatifs.
[16] Cette absence justifiée d’intérêt et de connaissance suffisante se confirme à l’audience par le biais des trois témoins convoqués par l’employeur.
[17] La première témoin exerce la médecine interne et assure le suivi des cas complexes au centre hospitalier de Shawinigan. Elle débute la prise en charge de la travailleuse en février 2014 pour un problème pulmonaire bénin, croyait-on à l’époque. Le diagnostic fatal n’est posé qu’en février 2015. La témoin se souvient d’avoir rencontré la travailleuse avec une infirmière le 17 février 2015, moment de l’annonce des suites tragiques du diagnostic posé. La travailleuse ignore alors la source d’exposition à l’amiante. Il n’est pas question de cette source d’exposition par la suite, l’attention étant portée sur le suivi palliatif.
[18] Le médecin traitant de la travailleuse témoigne également. Il suit la travailleuse depuis plusieurs années. Il nie avoir discuté de la cause de la maladie avec sa patiente. Dans une de ses notes de consultation, il écrit que la travailleuse est connue pour avoir fumé la cigarette et avoir été exposée au « radon ». Il n’est pas question d’amiante, et le médecin n’a aucun souvenir de la conversation à l’origine de cette note.
[19] Le dernier témoin est la fille de la travailleuse. C’est elle qui écrit la réclamation en litige signée par sa mère le 3 mars 2016. L’idée de réclamer à la Commission origine du frère de la témoin et fils de la travailleuse. Ce dernier annonce à la famille durant les festivités de Noël 2015, donc en décembre, qu’une connaissance, qui représente des victimes de lésion professionnelle, lui affirme que la travailleuse aurait probablement été exposée à l’amiante en exerçant son métier d’infirmière dans un des établissements de l’employeur. Pour corroborer ses propos, la témoin dépose un échange de courriel entre son frère et la personne-ressource. Dans un des courriels, daté du 4 février 2015, le frère écrit qu’il a réussi à convaincre sa mère de déposer une réclamation à la Commission. La démarche est effectuée le mois après.
[20] Lorsque la Commission étudie la réclamation en juin 2016, la travailleuse est déjà décédée. Il n’y a donc aucun éclairage à tirer des notes d’intervention pour répondre à la question préliminaire. La Commission confirme par ailleurs à sa décision contestée par l’employeur, sujet du fond du litige, que la travailleuse aurait pu être exposée à l’amiante en 1957 lors de travaux de rénovation effectués dans un des établissements de l’employeur. Cette décision s’appuie sur le résultat d’une étude effectuée par un hygiéniste du travail. Les conclusions de l’enquête se retrouvent dans une courte lettre du 29 mars 2017, donc bien après le décès de la travailleuse.
[21] En somme, sous l’angle d’une question préliminaire, le Tribunal ne peut souscrire à la thèse avancée par l’employeur. Il ne suffit pas de connaître la cause de la maladie, l’exposition, ici, à l’amiante. Pour qu’il soit porté à la connaissance de la travailleuse qu’elle est atteinte d'une maladie professionnelle au sens de la Loi, la travailleuse doit posséder assez d’informations pour établir un lien entre sa maladie et un emploi exercé au cours de sa vie.
[22] Certes, un travailleur doit faire preuve de diligence et rechercher l’information requise pour acquérir une connaissance « suffisante ». L’analyse de cette diligence doit cependant tenir compte des circonstances propres à chaque affaire, incluant la complexité de la maladie visée et les caractéristiques du travailleur atteint, incluant son âge.
[23] La travailleuse est âgée de 78 ans lorsque sa maladie fatale est diagnostiquée. Elle n’a pas exercé un métier de mineur, mais d’infirmière. La source d’exposition à l’amiante peut donc être multiple, inconsciente et d’origine accidentelle, fortuite ou secondaire aux activités personnelles ou professionnelles. L’écoulement du temps, inhérent au développement d’un cancer pulmonaire, complique aussi les recherches.
[24] Conseillée et assistée par sa famille en décembre 2015, la travailleuse dépose sa réclamation en mars 2016 peu de temps avant sa mort, sans connaître les résultats de l’enquête effectuée par l’hygiéniste du travail, donc avant d’obtenir la confirmation d’une exposition possible chez l’employeur vers 1957. Jusqu’alors, il s’agit de simples soupçons, une thèse défendue par une ressource externe inconnue de la travailleuse. On ne peut donc pas reprocher à celle-ci d’avoir tardé à s’exécuter, bien au contraire. Elle a fait preuve de diligence en écoutant les conseils de son entourage et en déposant sa réclamation à l’intérieur du délai de six mois suivant la découverte d’une source possible d’exposition à l’amiante chez l’employeur.
[25] La réclamation de la travailleuse est recevable.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la question préliminaire soulevée par le Centre de Santé et de Services sociaux de l’Énergie, l’employeur;
DÉCLARE recevable la réclamation de Louise Fortin, la travailleuse.
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Daniel Therrien |
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Me Amélie Asselin |
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JOLI-COEUR LACASSE S.E.N.C.R.L. |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Sophie Mongeon |
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DESROCHES, MONGEON |
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Pour la partie mise en cause |
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Date de l’audience : 6 juin 2019 |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Art. 265 et suivants de la Loi.
[3] Viger et C.H.U.Q. (Pavillon Hôtel-Dieu), C.L.P. 215083-31-0308, 29 janvier 2004, M. Beaudoin; Hôpital Louis-H. Lafontaine et Dénommée, 2014 QCCLP 3533; Brûlé et Commonwealth Plywood ltée, 2019 QCTAT 2652.
[4] Commission scolaire de Val d’or et Moreau, C.L.P. 100680-08-9804, 14 septembre 1999, P. Prégent; Roy et Alcatel Canada inc., C.L.P. 129915-31-001, 29 mars 2001, P. Simard; Morse et Agence services frontaliers du Canada, 2017 QCTAT 68.
[5] 2017 QCTAT 4478, par. 26.
[6] 2018 QCTAT 1795, par. 27 à 29.
[7] 2018 QCTAT 817, par. 60.
[8] Gestion Laberge inc. et Potvin, 2013 QCCLP 1092; Robillard et Hôtel Hilton Lac Leamy, 2014 QCCLP 164; Domtar inc. (Usine de Windsor) et Murphy (Succession de), 2016 QCTAT 570.
AVIS :
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