Décision

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Décision

Gosselin c. Therrien

2020 QCTAL 5823

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jérôme

 

No dossier :

524273 28 20200603 G

No demande :

3002336

 

 

Date :

27 octobre 2020

Devant la juge administrative :

Lucie Béliveau

 

Denise Gosselin

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Isabelle Therrien

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par un recours introduit le 3 juin 2020, un amendement non capté par le Tribunal, mais signifié à la locatrice le 17 août 2020 et un amendement verbal à l’audience, la locataire demande :

·       La réintégration dans son logement pour le 1er juillet 2020 et l’expulsion des occupants sans droits;

·       À défaut de pouvoir ordonner la réintégration, ordonner à la locatrice de fournir un logement semblable à la locataire à Saint-Jérôme;

·       Reconduire son bail aux mêmes conditions;

·       La condamnation de la locatrice en dommages-intérêts de 4 000 $ pour troubles et inconvénients;

·       La condamnation de la locatrice en dommages punitifs de 5 000 $;

·       La condamnation de la locatrice en dommages pécuniaires de 737,06 $;

·       Le remboursement des frais de justice.

[2]      Les parties sont liées par un bail annuel de logement originalement du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013, au loyer mensuel de 410 $, reconduit au 30 juin 2020, au loyer mensuel de 466 $.

[3]      Le logement de quatre pièces et demie est situé au sous-sol d’un immeuble de cinq logements.

APERÇU

[4]      D’emblée, la locataire précise qu’elle habitait le logement concerné depuis 28 ans et qu’elle aura 76 ans le 18 novembre prochain.


[5]      La preuve démontre que le 24 juillet 2019, un incendie majeur s'est déclaré au rez-de-chaussée de l’immeuble où le logement de la locataire se situe. L’incendie cause des dommages importants et endommage les logements, dont celui de la locataire.

[6]      Le Service de la sécurité incendie de la cille de Saint-Jérôme avise la locataire en date du 26 juillet 2019 que son logement est inhabitable à la suite de cet incendie.

[7]      La locataire se voit obligée d’entreposer ses meubles et d’aller vivre chez une amie qui l’héberge encore à ce jour.

[8]      Elle affirme qu’elle a toujours cru qu’elle récupérerait son logement lorsque les rénovations seraient terminées. D’ailleurs, soutient-elle, elle a appelé le gestionnaire de l’immeuble à plusieurs reprises afin de connaître la date où son logement serait prêt. De même, elle se rendait sur place pour constater de visu l’évolution des travaux. Or, ceux-ci ont débuté qu’après la période des fêtes et ne se sont parachevés qu’à la fin juin 2020.

[9]      Elle relate que c’est par hasard, au cours du mois de juin 2020, lorsqu’elle se rend voir sur place le logement, qu’elle rencontre le conjoint de la locatrice et gestionnaire de l’immeuble, qui l’informe que le logement est déjà loué.

[10]   Elle allègue avoir été secouée et désemparée par cette annonce. Elle n’a jamais reçu d’avis de fin de travaux ou d’avis de modification de bail ni d’avis de résiliation.

[11]   Cette situation lui cause plusieurs troubles et inconvénients, tels :

·       Elle ne peut plus récupérer son logement auquel elle était attachée par son mode de vie qu’elle appréciait, car elle entretenait des relations amicales avec de nombreux voisins;

·       Elle devra payer beaucoup plus cher un logement de même dimension;

·       Son assurance habitation ne couvre plus les frais d’entreposage de ses meubles depuis le mois de juillet 2020 puisque l’entreprise a un lien contractuel annuel avec les assurances et que les espaces sont réservés longtemps d’avance. Elle a dû entreposer ses biens ailleurs, acheter un cadenas et elle paie maintenant des frais d’entreposage;

·       Un réacheminement de son courrier a été nécessaire, lui occasionnant des frais qu’elle réclame.

[12]   Pour toutes ces raisons, la locataire demande la réintégration de son logement et à défaut que lui soit fourni un logement à Saint-Jérôme au même loyer mensuel.

[13]   Elle réclame 4 000 $ en dommages moraux pour troubles et inconvénients et 737,06 $ en dommages pécuniaires.

[14]   En outre, dans le contexte de crise de logement actuelle, le procureur de la locataire allègue que la locatrice a bafoué sciemment le droit au maintien dans les lieux de la locataire et ce faisant a enfreint le droit de la locataire à la jouissance paisible des lieux et à la libre disposition de ses biens, en contravention de l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte). Des dommages punitifs de 5 000 $ sont réclamés à ce titre.

[15]   Le mandataire de la locatrice, son conjoint en l’occurrence, s’occupe de la gestion de l’immeuble concerné. Il avoue qu’un bail débutant le 1er juillet 2020 a été signé avec un nouveau locataire le 10 mai 2020.

[16]   Il est vrai que la locataire a communiqué avec lui au début du mois d’août 2019 pour lui demander ce qu’elle devait faire, ce à quoi il lui a répondu qu’elle devait appeler ses assurances.

[17]   Par la suite, il a eu une conversation de quelques minutes le 20 décembre 2019 où il informe la locataire que les travaux ne font que débuter, que les rénovations vont perdurer sur une longue période et que le logement sera certainement augmenté à 800 $ ou 900 $ après fixation du loyer, car il sera flambant neuf. Il allègue que la locataire répond alors que c’est trop cher pour elle.

[18]   En mars 2020, la locataire lui demande les coordonnées de son expert en sinistre, ce qu’il lui fournit, sans plus.


[19]   Il explique qu’il n’a jamais reçu d’avis d’abandon de la locataire et qu’il n’avait pas ses coordonnées, de sorte qu’il ne pouvait pas communiquer avec elle. Il gère plus de 300 logements. Il ne pouvait pas détecter le numéro de téléphone de la locataire parmi tous les appels qu’il reçoit, car le numéro de téléphone de celle-ci n’était pas identifié. Le numéro de téléphone qui figure sur son bail était invalide.

[20]   Il prétend qu’il n’a jamais voulu brimer les droits de la locataire. C’est plutôt la locataire qui ne lui a jamais fait savoir son désir de réintégrer le logement.

[21]   Il considère la demande de la locataire abusive.

QUESTIONS EN LITIGE

1.   La locataire devait-elle donner un avis d’abandon à la locatrice en lui précisant son désir de réintégrer le logement?

2.   La réintégration du logement est-elle possible? À défaut, la relocalisation dans un autre logement à Saint-Jérôme?

3.   Les dommages moraux sont-ils justifiés?

4.   Les dommages pécuniaires sont-ils justifiés?

5.   Les dommages punitifs sont-ils justifiés?

ANALYSE ET DÉCISION

Fardeau de la preuve

[22]   Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.

[23]   Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.

[24]   Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.

[25]   Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].

L’avis d’abandon

[26]   La preuve démontre que la locataire a dû évacuer l’immeuble en raison de l’incendie majeur qui se déclenche le 24 juillet 2019; lequel cause des dommages importants à l’immeuble.

[27]   Les réparations se parachèvent seulement à la fin juin 2020.

[28]   En matière de réparations urgentes, l’article 1865 du Code civil du Québec (C.c.Q.) précise les obligations des parties :

« 1865. Le locataire doit subir les réparations urgentes et nécessaires pour assurer la conservation ou la jouissance du bien loué.

Le locateur qui procède à ces réparations peut exiger l'évacuation ou la dépossession temporaire du locataire, mais il doit, s'il ne s'agit pas de réparations urgentes, obtenir l'autorisation préalable du tribunal, lequel fixe alors les conditions requises pour la protection des droits du locataire.

Le locataire conserve néanmoins, suivant les circonstances, le droit d'obtenir une diminution de loyer, celui de demander la résiliation du bail ou, en cas d'évacuation ou de dépossession temporaire, celui d'exiger une indemnité. »


[29]   Or, dans la présente instance, il est indéniable que les réparations étaient urgentes et nécessaires à la conservation ou la jouissance du bien loué. Il s'agit de réparations qui ne pouvaient être différées jusqu'à la fin du bail. Ces réparations pouvaient être entreprises sans autorisation du tribunal vu le caractère urgent et nécessaire de celles-ci.

[30]   Comme le logement était devenu inhabitable, il s'agit en l'espèce de déterminer si la locataire était tenue de donner au locateur un avis d'abandon, tel qu’exigé lorsqu’un logement est devenu impropre à l’habitation.

[31]   Les dispositions du Code civil du Québec concernant le logement impropre à l'habitation se retrouvent aux articles 1913, 1915 et 1916 C.c.Q., lesquels se lisent comme suit :

« 1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation.

Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l'autorité compétente. »

« 1915. Le locataire peut abandonner son logement s'il devient impropre à l'habitation. Il est alors tenu d'aviser le locateur de l'état du logement, avant l'abandon ou dans les 10 jours qui suivent.

Le locataire qui donne cet avis est dispensé de payer le loyer pour la période pendant laquelle le logement est impropre à l'habitation, à moins que l'état du logement ne résulte de sa faute. »

« 1916. Dès que le logement redevient propre à l'habitation, le locateur est tenu d'en aviser le locataire, si ce dernier l'a avisé de sa nouvelle adresse; le locataire est alors tenu, dans les 10 jours, d'aviser le locateur de son intention de réintégrer ou non le logement.

Si le locataire n'a pas avisé le locateur de sa nouvelle adresse ou de son intention de réintégrer le logement, le bail est résilié de plein droit et le locateur peut consentir un bail à un nouveau locataire. »

[32]   Dans l'espèce, il est établi que le logement est devenu inhabitable en juillet 2019. Cependant, la preuve démontre que la locataire n'a pas quitté les lieux après avoir décidé unilatéralement que le logement était devenu impropre à l'habitation, mais plutôt parce que l’autorité concernée, en l’occurrence la ville de Saint-Jérôme l’a déclaré comme tel.

[33]   Une situation similaire est analysée dans un jugement de la Cour du Québec où le juge s’exprime ainsi[2]:

« Pour sa part, l'appelante Grosvenor aurait pu également demander la résiliation du bail en vertu de l'article 1972 C.C. parce que l'incendie du 1er décembre avait rendu sa bâtisse impropre à l'habitation, ce qu'elle n'a pas fait.

Elle a plutôt pris pour acquis que le bail avait été résilié de plein droit en invoquant la sanction prévue à l'article 1916 C.C. précité résultant du défaut allégué de l'intimée de lui faire parvenir sa nouvelle adresse.

Cette prise de position des appelantes est erronée, car ni l'article 1915 C.C. ni son corollaire l'article 1916 C.C. n'ont d'application en l'instance. D'une part, l'intimée, dame Paterson, n'avait pas l'obligation d'aviser son propriétaire que l'incendie avait rendu son logement inhabitable, car c'est plutôt celui-ci qui lui dit de l'évacuer parce qu'il doit entreprendre des réparations urgentes.

D'autre part, elle n'avait pas non plus l'obligation de l'aviser de son départ.

Le 2e paragraphe de l’article 1865 C.C. précité prévoit que le propriétaire peut s’adresser au tribunal pour obtenir l’évacuation dans le cas où il doit entreprendre des réparations urgentes. Dans de telles circonstances, on conçoit difficilement que le locataire évincé suite à l’ordonnance du tribunal doive donner l’avis de départ prévu à l’article 1915 C.C.

À cause du caractère avéré de l'urgence des réparations, les appelantes n'ont pas eu recours au tribunal pour exiger l'évacuation et ont tout simplement demandé à l'intimée de le faire, lettre A-3.

Il en résulte que dame Paterson n'avait pas à aviser son propriétaire de son départ, car elle ne faisait que se conformer à l'obligation générale que lui impose l'article 1865 C.C. de « subir les réparations ». Son droit au maintien dans les lieux une fois les réparations complétées n'est pas pour autant altéré, sauf si la résiliation judiciaire du bail est prononcée. »


[34]   Après avoir entendu les témoignages et analysé les documents soumis, le Tribunal considère que la locatrice a enfreint le droit au maintien dans les lieux de la locataire dont le caractère impératif est énoncé à l'article 1936 C.c.Q. :

« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »

[35]   Le louage résidentiel est articulé autour du principe fondamental du droit du locataire au maintien dans les lieux.

[36]   L'article 1972 C.c.Q. accorde à chacune des parties au bail le droit de demander la résiliation du bail lorsque le logement devient impropre à l'habitation, mais aucune des parties ne l’a demandé.

[37]   La locataire ne peut perdre son droit au maintien dans les lieux que dans les cas prévus par la loi. Or, en la présente instance, les faits ne démontrent pas qu'il s'agit d'un de ces cas.

[38]   De surcroit, le Tribunal considère que la locatrice ne respecte pas les exigences de la bonne foi qui lui sont imposées par les articles 6 et 7 C.c.Q., lesquels se lisent comme suit :

« 6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi. »

« 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi. »

[39]   La locatrice ne peut contrevenir aux dispositions de l'article 1936 C.c.Q. et aux exigences de la bonne foi et forcer l'éviction de la locataire sous prétexte qu'elle n'a pas donné un avis d'abandon, alors qu'elle avait l’obligation de le quitter. En l'espèce, un avis d'abandon n'était pas nécessaire.

[40]   Le gestionnaire aurait dû prendre le soin de prendre les coordonnées de la locataire lorsque celle-ci l’appelait de temps à autre, afin de pouvoir l’aviser de la date où elle pourrait réintégrer son logement, puisqu’aucune résiliation de bail n’a été prononcée.

La réintégration au logement ou relocalisation dans un autre logement à Saint-Jérôme

[41]   La preuve démontre que la locatrice a déjà reloué le logement rendant impossible l’exécution en nature. De même, la locatrice ne dispose d’aucun autre logement vacant à Saint-Jérôme, invalidant la possibilité de lui trouver un autre logement dans cette ville. Le Tribunal ne peut donc pas faire droit à ces demandes.

Les dommages moraux

[42]   Un locataire peut demander au Tribunal d’ordonner à un locateur de payer des dommages-intérêts, de nature morale, matériels, ou punitifs, en plus de tout autre remède applicable, s’il peut établir une violation des obligations du locateur, un préjudice subi et un lien de causalité. Le préjudice subi doit donc être la conséquence directe et immédiate de l’acte fautif du locateur.

[43]   La jurisprudence édicte que sous ce titre, on entend les pertes non pécuniaires subies par les locataires, pour les angoisses, les inconvénients, les problèmes de quelque nature qu'on a pu leur faire subir.

[44]   L'évaluation de tels dommages demeure un défi important, car, sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du Tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent être équitables et raisonnables[3].

[45]   Ainsi, le Tribunal estime que la locataire a prouvé qu’elle a perdu un milieu de vie qu’elle appréciait depuis 28 ans et où elle avait plusieurs amis. Nul doute que de perdre son logement lui a causé un stress énorme qui a son âge est d’autant plus ardu. De surcroit, elle aura de la difficulté à trouver un logement semblable à 466 $ par mois.

[46]   Le Tribunal estime que la détresse de la locataire est directement causée par le comportement fautif de la locatrice. La locataire a passé presqu’une année à attendre son logement pour s’apercevoir que la locatrice a tout simplement fait fi de son droit au maintien dans les lieux en louant à une tierce partie.


[47]   Ainsi, le Tribunal accorde la somme de 4 000 $ à titre de dommages moraux.

Les dommages pécuniaires

[48]   Le Tribunal estime que le remboursement des factures que réclament la locataire est justifié, mais pour un montant de 650,60 $, tel qu’en fait foi les reçus présentés, soit pour un cadenas, la location d’un espace d’entreposage et le réacheminement de son courrier.

Dommages punitifs

[49]   Pour accorder des dommages punitifs, ils doivent être prévus par la loi.

[50]   En tout état de cause, l'atteinte doit être commise dans des circonstances qui indiquent une volonté de causer le dommage résultant de la violation. Il faut que la conduite de l'auteur soit voulue, consciente et délibérée.

[51]   Ils ont une fonction strictement préventive. L'intention est de punir l'auteur d'un acte répréhensible et de dissuader ceux qui voudraient imiter son geste. Ils s'apprécient selon les circonstances de chaque cas.

[52]   Or, l’article 6 de la Charte édicte :

« 6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. »

[53]   L'article 49 de cette Charte stipule également :

« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

Dommages-intérêts punitifs.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[54]   Par ailleurs, comme le soulignait la Cour d'appel dans l'affaire West Island Teachers Association c. Nantel [4] :

« L'atteinte illicite à un des droits reconnus par la Charte est un délit. Pour être intentionnel, il faut qu'il soit commis dans des circonstances qui indiquent une volonté déterminée de causer le dommage résultant de la violation. Cette volonté peut se manifester de plusieurs façons. Elle est susceptible d'apparaître par suite de la constatation que la faute commise est lourde ou grossière au point que l'esprit ne saurait s'imaginer que celui qui l'a commise ne pouvait pas ne pas se rendre compte au départ qu'elle produirait les conséquences préjudiciables qui en ont été la suite. La faute est également intentionnelle si elle provient d'une insouciance déréglée et téméraire du respect du droit d'autrui, en parfaite connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que son geste va causer à sa victime. »

[Notre soulignement]

[55]   Le Tribunal estime que la locatrice a porté atteinte à la jouissance paisible de la locataire en la privant injustement de son logement.

[56]   Son atteinte était non seulement illicite, mais également intentionnelle, justifiant l'octroi de dommages exemplaires, alors que la locatrice ne pouvait ignorer que sa façon d'agir produirait des conséquences préjudiciables et drastique pour la locataire en la privant d’un logement qu’elle habitait depuis 28 ans.

[57]   La valeur patrimoniale de la locatrice n’a pas été prouvée à l’audience. Le conjoint gère 300 logements, mais appartiennent-ils tous à la locatrice? La preuve n’en a pas été faite.

[58]   Le Tribunal accorde la somme de 4 000 $ tenant compte des critères énoncés à l'article 1621 C.c.Q., et se limite à ce qui est nécessaire pour assurer la fonction préventive de tels dommages en fonction des circonstances portées à sa connaissance.


[59]   La Cour suprême a cependant décidé que les intérêts et l'indemnité additionnelle sur les dommages punitifs ne peuvent être accordés qu'à compter du jugement[5].

[60]   Finalement, tel que prévu par règlement, la locatrice a droit aux frais de justice lesquels ne correspondent pas nécessairement à tous les types de frais encourus et aux montants déboursés.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[61]   ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;

[62]   CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 8 650,60 $ plus les intérêts et indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 3 juin 2020 sur la somme de 4 650,60 $ et à compter de la date de signature du présent jugement sur la somme de 4 000 $, plus les frais de justice admissibles de 101 $;

[63]   RÉSERVE à la locataire tous ses recours en dommages en ce qui concerne la différence entre le coût du nouveau loyer qu’elle déboursera et l’ancien loyer du logement qui fait l’objet des présentes ainsi que des dépenses usuelles tels les frais d’énergie.

 

 

 

 

 

 

 

 

Lucie Béliveau

 

Présence(s) :

la locataire

Me Catherine Nicol, avocate de la locataire

le mandataire de la locatrice

Date de l’audience :  

21 août 2020

 

 

 


 



[1] Articles 2803, 2804 et 2845 Code civil du Québec, C.c.Q. -1991;

[2] Zaveco ltée c. Paterson, C.Q., 2002-06-11, SOQUIJ AZ-50132942, J.E. 2002-1169, [2002] J.L. 236.

[3] Éditions Vice-versa inc. c. Aubry*, C.A., 1996-08-15, SOQUIJ AZ-96011796, J.E. 96-1711, [1996] R.J.Q. 2137, [1996] R.R.A. 982 (rés.)(opinion du juge Baudouin, dissident) et, en Cour Suprême; Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., C.S. Can., 1998-04-09, SOQUIJ AZ-98111049, J.E. 98-878, [1998] 1 R.C.S. 591 (opinion des juges Lamer et Major, dissidents).

[4] West Island Teachers'Association c. Nantel*, C.A., 1988-06-16, SOQUIJ AZ-88011764, J.E. 88-842.

[5] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, C.S. Can., 1996-10-03, SOQUIJ AZ-96111110, J.E. 96-2256, [1996] 3 R.C.S. 211

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