Ascofare c. Rozon |
2021 QCTAL 213 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
539897 31 20201007 G |
No demande : |
3082687 |
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Date : |
07 janvier 2021 |
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Devant la juge administrative : |
Suzanne Guévremont |
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Omar Ascofare |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Loïc Rozon
Patrice B. Sénécal |
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Locataires - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur demande une ordonnance d’accès au logement et l’autorisation pour procéder aux travaux suivants : éliminer la présence d’amiante et réparer les dommages après un sinistre d’eau.
[2] Subsidiairement, il demande la résiliation du bail si les locataires refusent de partir temporairement, l’exécution provisoire de la décision et les frais judiciaires.
LE BAIL
[3] Les parties sont liées par un bail qui couvre la période du 30 avril 2020 au 30 juin 2021 au loyer mensuel de 1 400 $.
ALLÉGATIONS ET PREUVE EN DEMANDE
[4] Le locateur explique que dans la nuit du 5 août 2020, après une forte pluie, l’eau en provenance de la toiture s’est infiltrée à l’intérieur de son triplex.
[5] Tous les logements ont été touchés, dont celui des locataires qui comporte 5 ½ pièces et qui se situe au rez-de-chaussée.
[6] Après le sinistre, l’immeuble a été inspecté et des experts mandatés par sa compagnie d’assurance ont trouvé de l'amiante à l'intérieur des murs et des plafonds sur les trois étages. Le rapport de la compagnie Sphearetest Environnement est déposé en preuve en l’absence de ses auteurs.
[7] Le locateur prétend que ses assureurs l’obligent à enlever l’amiante dans le bâtiment, sinon ils ne paieront pas pour les réparations. Or, pendant les travaux de décontamination, lorsque les plafonds et les murs seront démolis chez les locataires, les normes de sécurité exigent que le logement soit inhabité.
[8] Du mois d’août à octobre 2020, un ingénieur et plusieurs entrepreneurs sont allés sur place. L’entrepreneur qui fera les travaux a été choisi. Ni l’ingénieur ni l’entrepreneur ne témoignent à l’audience.
[9] Lorsque finalement sa compagnie d’assurances a donné le feu vert pour débuter les travaux, le locateur a écrit aux locataires. Nous sommes le 6 octobre 2020. La réponse qu’il a obtenue n’est pas celle souhaitée puisqu’ils ont refusé de quitter.
[10] Le locateur produit à l’audience son courriel et la réponse des locataires. Il convient ici de les reproduire tout au long.
[11] Premièrement, le courriel du locateur :
« Bonjour Patrice,
Suite au sinistre, l’assurance a donné son accord pour procéder avec les travaux de réparation dans l’immeuble.
Les travaux auront trois volets :
1- Démolition des murs et plafonds
2- Traitement de l’amiante
3- Reconstruction et remise en l’état
Nous profiterons des travaux pour remplacer les panneaux électriques et le ventilateur comme convenu.
Pour votre logement, les travaux débuteront le 19 octobre 2020 pour une durée de deux semaines et prendront fin le 1er novembre 2020.
Je vous invite à contacter votre assurance dans les meilleurs délais, afin de trouver une solution de relogement et de compensation suite au sinistre et aux travaux qui en découlent.
En vous renouvellement toute ma sympathie en votre endroit pour les désagréments causés par le sinistre.
N’hésitez-pas à me contacter pour toute autre question.
Très cordialement.
Omar Ascofare » [sic]
[12] Deuxièmement la réponse des locataires :
« Bonjour Omar,
Tel que nous en avions un peu discuté lors de la visite de l’ingénieur, nous ne passerons pas par le biais de nos assureurs afin de couvrir les frais de relocation. N’étant pas responsables des dommages qui ont été causés par ta négligence à entretenir le toit de l’immeuble, il te revient à toi de t’en charger. Nous écoperions de frais et d’une hausse de cotisation qui nous suivrait sur plusieurs années (entre 10 et 20% par année, sur une période de dix ans, selon Desjardins).
Nous trouvons très insultante ta demande de libérer l’appartement à même pas 2 semaines de préavis, surtout en période de pénurie de logement, ainsi qu’en temps de pandémie mondiale; sans mentionner en plein cœur de la poussée incontrôlée de la deuxième vague. C’est une demande selon nous outrageuse, et, de toute manière, illégale. Tu dois effectivement nous faire parvenir un avis écrit au minimum 3 mois avant la relocalisation temporaire, si celle-ci dure plus de 7 jours. C’est une situation angoissante et qui prend plus que quelques jours à régler.
Nous refusons donc formellement les travaux selon les conditions que tu as édictées.
Nous sommes bien conscients du trouble que cela t’occasionne, mais il est impératif que tu respectes les droits de tes locataires, ainsi que tu agisses de manière juste et équitable. Afin de s’assurer de ne pas avoir de conflit, puisque nous ne désirons seulement que de jouir de notre appartement en toute quiétude, nous préférons respecter les procédures qui ont été mises en place par la régie du logement pour ce genre de situation.
Nous nous attendons donc à ce que, tel qu’exigé par la régie, tu nous fasses parvenir un écrit incluant la nouvelle date des travaux, leur nature exacte, la durée exacte des travaux, les mesures prises afin de protéger ou entreposer nos meubles qui sont dans le chemin (s’il y a lieu), ainsi que l’indemnisation que tu nous proposes.
Je te laisse te renseigner plus sur les procédures mises en place par la régie, mais l’indemnisation doit couvrir la totalité des frais de l’appartement / airbnb / hôtel où nous vivons, ou dans un quartier limitrophe, nous pourrons t’aider dans la recherche d’un endroit et sommes ouverts à nous déplacer un peu plus loin s’il est trop difficile de trouver, ainsi qu’un logement qui accepte les chiens, puisque cela figure à notre contrat), même si ceux-ci ne sont pas égaux à ceux que nous payons actuellement, les frais de déménagement / entreposage (s’il y a lieu), les frais de ménage à la fin du chantier, ainsi que le débranchement et le rebranchement aux services internet et Hydro.
Ces mesures existent afin de s’assurer que personne ne se retrouver dans le besoin, à la rue ou dans une situation précaire, et nous jugeons important qu’elles soient respectées, surtout dans la période difficile que nous vivons actuellement. Inutile de mentionner que s’il y a plusieurs employés qui travaillent à l’intérieur, ils devront respecter les mesures sanitaires, et nous devrons possiblement demander quelques jours de sursis avant de pouvoir retourner dans notre logement, afin de s’assurer qu’il n’y a aucun risque de contagion.
P.S. Les employés ne se sont toujours pas présentés dans la cour pour le chantier des balcons, et ne finiront probablement pas les travaux demain, tel que prévu dans ton message de samedi. Saurais-tu nous confirmer quand est-ce que cela sera terminé? Ce sera le deuxième report de la date de fin des travaux; cela est un facteur inquiétant quant aux éventuels travaux à l’intérieur qu’il faudra prendre en compte dans ton avis.
Patrice B. Senécal » [sic]
[13] Le locateur veut aller vivre dans son triplex. Il prétend que ses projets sont retardés par la faute des locataires puisque les trois logements seront décontaminés en même temps. Or tout est stoppé présentement.
[14] En contre-interrogatoire, le locateur admet que l’amiante n’affecte pas l’intégrité de l’immeuble. Il reconnaît aussi que sa dangerosité survient lorsqu’il se retrouve dans l’air, en particules, mais pas à l’état solide.
LA PREUVE EN DÉFENSE
[15] Les locataires reconnaissent que la décontamination et les travaux qui suivront sont nécessaires et ils ne refusent pas d’évacuer le logement le temps qu’ils se fassent, mais à n’importe quelles conditions.
[16] Selon les locataires, le locateur exagère l’urgence à agir. Il utilise ce prétexte, jamais abordé avant octobre 2020, pour précipiter le début des travaux, sans égard à la loi.
[17] Les deux locataires travaillent dans le domaine de l’architecture et, selon leur expérience, il est commun que les vieux immeubles contiennent de l’amiante. Sa présence ne menace pas l’intégrité d’un bâtiment.
[18] Qui plus est, lorsqu’il est sous forme solide à l’intérieur des cloisons comme en l’espèce, l’amiante ne comporte aucun risque immédiat pour la santé.
[19] Les locataires soumettent que leur logement n’a pas subi de dommages structuraux en raison de l’eau. Les dégâts sont mineurs.
[20] Cela-étant, ils
veulent que le locateur se conforme aux articles
[21] Quant à la demande de résiliation du bail, ils la contestent puisqu’elle ne repose sur aucun motif sérieux. Ils respectent le bail et souhaitent la réciprocité de leur cocontractant.
[22] Ainsi se résume l’essentiel de la preuve.
ANALYSE ET DÉCISION
[23] La demande se fonde
sur les articles
« 1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail […] »
« 1865. Le locataire doit subir les réparations urgentes et nécessaires pour assurer la conservation ou la jouissance du bien loué.
Le locateur qui procède à ces réparations peut exiger l’évacuation ou la dépossession temporaire du locataire, mais il doit, s’il ne s’agit pas de réparations urgentes, obtenir l’autorisation préalable du tribunal, lequel fixe alors les conditions requises pour la protection des droits du locataire.
Le locataire conserve néanmoins, suivant les circonstances, le droit d’obtenir une diminution de loyer, celui de demander la résiliation du bail ou, en cas d’évacuation ou de dépossession temporaire, celui d’exiger une indemnité. »
[24] Quant aux règles de
preuve, elles se retrouvent aux articles
[25] Qu’en est-il en l’espèce?
[26] Des règles encadrent rigoureusement le droit du locateur d’exécuter des travaux dans un logement, vu celui conféré au locataire d’en jouir pleinement pendant toute la vie du bail.
[27] Chaque cas est particulier et pour savoir quelles sont les règles qui s’appliquent ici, il faut d’abord déterminer si les réparations sont nécessaires dans l’immédiat ou non.
[28] Si elles le sont, les locataires doivent les subir et aucun avis n'est requis pour obtenir leur évacuation temporaire (1865 C.c.Q.).
[29] Le remède, on en convient, est extrême. C’est pourquoi la portée de cette disposition est limitée aux réparations urgentes qui doivent être faites à brève échéance ou celles qui comportent des risques pour la santé ou la sécurité des locataires.
[30] L'honorable juge
Claude Auclair, appelé à interpréter les termes de l'article
« Les réparations urgentes et nécessaires de
l'article
Interpréter le critère de l'urgence requise pour
justifier une exception importante des obligations d'un locateur, comme
incluant toutes les réparations qui doivent être effectuées avant la fin d'un
bail de longue durée aurait pour conséquence de réduire à néant l'exigence de
la permission de la Cour pour effectuer toutes réparations nécessaires et
viderait de tout sens le deuxième alinéa de l'article
[31] En l’instance, le Tribunal
est d'avis que les travaux que le locateur veut faire dans le logement ne sont
pas urgents dans le sens où l'entend l’article
[32] La preuve démontre que l’amiante n’est pas toujours dangereux. Il le devient lorsqu’il se retrouve en particules dans l’air.
[33] Dans le cas qui nous occupe, l’amiante est à l’intérieur des plafonds. Là où il est, il n'affecte ni la conservation, ni la jouissance du logement, ni même la santé des occupants.
[34] Le rapport d’expert produit par le locateur et sur lequel se fonde sa demande ne dit pas que l’enlèvement de l’amiante doit se faire dans l’immédiat.
[35] Ce rapport date du 11 août 2020. Le locateur ne peut invoquer des risques à la santé et à la sécurité des locataires et attendre à la mi-octobre pour débuter la décontamination. Cela est contradictoire.
[36] Qui plus est, le Tribunal est loin d’être convaincu, comme le prétend le locateur, que ses assureurs refusent de payer pour les réparations dans les autres logements s’il n’enlève pas l’amiante chez les locataires. Cette affirmation n’est appuyée d’aucune preuve, autre que le témoignage du locateur.
[37] Certes, la présence d’amiante doit être enrayée, mais la solidité ou l'intégrité de l'immeuble n'est pas compromise à brève échéance.
[38] Cela étant, s’il n’y a
pas d’urgence, comme c’est le cas en l’espèce, la loi oblige le locateur à respecter
les règles prévues aux articles
[39] Le Tribunal constate que l’avis donné aux locataires le 6 octobre 2020 ne respecte pas les règles établies. Il est hors délai et son contenu n’est pas conforme aux articles précités.
[40] Dans les circonstances propres au présent litige, le refus des locataires d’évacuer le logement est pleinement justifié. Le locateur a intérêt à respecter la loi s’il veut que les locataires collaborent avec lui.
[41] C’est pourquoi, à la lumière du droit applicable et après avoir analysé la preuve soumise, le Tribunal en arrive à la conclusion que la demande du locateur n’est pas fondée ni en faits, ni en droit.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[42] REJETTE la demande du locateur, qui en supporte les frais.
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Suzanne Guévremont |
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Présence(s) : |
le locateur Me Mélanie Chaperon, avocate du locateur les locataires |
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Date de l’audience : |
5 novembre 2020 |
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[1] Gervais Harding et Associés Design
Inc. c. Placements St-Mathieu Inc., C.S.,
2005-07-22, SOQUIJ AZ-50325681,
AVIS :
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