Cap Reit GP inc., s.e.c./Cap Reit c. McCorquodale Alton |
2019 QCRDL 39801 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
474544 31 20190805 G |
No demande : |
2819914 |
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Date : |
12 décembre 2019 |
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Régisseure : |
Linda Boucher, juge administrative |
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Capreit GP Inc. SOCIÉTÉ EN COMMANDITE Capreit Limited Partnership |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Al. C. McCorquodale Alton |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le 5 août 2019, le locateur dépose une demande de résiliation de bail et éviction du locataire et de tous les autres occupants du logement, exécution provisoire de la décision nonobstant l’appel et sa condamnation aux frais judiciaires.
[2] Il est admis que les parties sont liées par un bail du 1er mai 2019 au 30 avril 2020 au loyer mensuel de 800 $.
[3] Le locataire occupe un studio.
La preuve
[4] La partie demanderesse fait témoigner une employée, Mme Sydney Lemieux, qui déclare que le 18 juillet 2019, le locataire lui a apporté un aérosol anti-ours « bear spray ».
[5] Cette offre inusitée faisait suite à de nombreuses conversations dans les bureaux administratifs du locateur où s’invitait le locataire. À cet effet, l’employée relate d’embarrassantes conversations dans lesquelles l’obsession du locataire pour sa sécurité et sa curiosité des détails de sa vie privée ressortait invariablement.
[6] Elle a d’abord accepté l’aérosol puis, ne désirant pas de cette arme sous son toit, elle l’a rapidement rendu à son donateur.
[7] Elle ne soupçonnait pas alors l’élan de colère qu’elle allait provoquer chez le locataire pour avoir refusé de lui rembourser le coût du cadeau qu’elle n’avait ni sollicité ni voulu conserver.
[8] Ce jour-là, à la fin de sa journée de travail, elle croise le locataire armé d’un bâton. L’homme la plaque contre un mur en plaçant son bâton sous sa gorge, lui crie dessus, l’invective et l’insulte de propos sexistes. Il menace aussi de s’en prendre à son conjoint et à son fils.
[9] Apeurée et sous le choc, l’employée est allée porter plainte à la police qui a assuré un suivi auprès du locataire pour l’intimer de ne plus entrer en contact avec elle.
[10] En contravention de cette ordonnance, le locataire lui expédie, ainsi qu’à ses supérieurs, une missive dans laquelle il relate sa version des faits entourant l’achat de l’aérosol qui, écrit-il, lui avait été réclamé par elle.
[11] Tirant parti des confidences que lui avait partagées l’employée au cours de conversations privées, le locataire expose le statut matrimonial de celle-ci qu’il réprouve ouvertement et pour juger son choix d’avoir un enfant hors mariage. Non content de révéler des détails de la vie privée de l’employée qu’elle aurait voulu garder confidentiels, il se permet de juger de ses choix qu’il dénonce comme étant une atteinte à la morale et à la religion.
[12] Puis, il y reproche au directeur des opérations de l’immeuble d’avoir embauché l’employée dont il n’approuve pas le mode de vie et qu’il juge malhonnête et conteste les critères d’embauche du directeur.
[13] Il termine sa missive en mentionnant un don de Nouveau Testament aux employés du locateur.
[14] Une nouvelle plainte est déposée à la police et ce soir-là une descente policière de grande envergure se déroule dans l’immeuble pour arrêter le locataire. Plusieurs corps policiers sont sur place ainsi que les pompiers. Des locataires sont évacués, tandis que d’autres sont empêchés de rentrer dans l’immeuble. L’opération se terminera vers 3 :00 du matin.
[15] Les policiers défoncent la porte du locataire et l’emmènent en détention. Il y demeurera quelques jours.
[16] Craignant de rencontrer à nouveau son assaillant, l’employée s’est fait changer de lieu de travail au détriment des perspectives d’avancement que lui offrait son poste précédent et de l’avantage qu’elle tirait de la proximité de son lieu de travail situé près de sa résidence.
[17] Une proximité qui lui fait d’ailleurs craindre des représailles à son domicile de la part du locataire.
[18] Elle souhaite retourner travailler au [...], mais ne le fera pas tant que le locataire y résidera.
[19] L’affaire n’en est pas restée là et le 23 août 2019, le locataire faisait parvenir un autre courriel cette fois à un groupe de personnes dont certains locataires du [...] et à un supérieur de l’employée.
[20] Mme Lemieux en a eu connaissance.
[21] Elle s’est alors renseignée sur l’opportunité de poursuites pénales, mais s’est laissée convaincre de n’en rien faire pour ne pas provoquer plus avant le locataire.
[22] Elle affirme craindre celui-là d’autant plus qu’il lui a montré des armes blanches qu’il garde chez lui ainsi que des douilles d’armes à feu qui lui font craindre qu’il possède de telles armes avec lesquelles il pourrait s’en prendre à elle et sa famille.
[23] Dans ce second courriel, entre autres, le locataire relate son arrestation et indique que des policiers ont tiré des projectiles d’armes à feu sur sa porte.
[24] Il mentionne qu’au moment des évènements il a instinctivement cherché à s’emparer de l’arme. La partie demanderesse y voit une dénonciation de la présence d’armes à feu chez le locataire.
[25] Il y admet avoir incité l’employée de lui amener son conjoint afin qu’il le batte.
[26] Le locataire poursuit en s’en prenant au gouvernement fédéral, qu’il qualifie de totalitaire, et l’accuse d’avoir orchestré son arrestation en raison de ses critiques de sa gestion lors de l’achat de sous-marins.
[27] Il critique le Premier ministre du Canada dont il assimile les tactiques à celui d’un régime nazi.
[28] Il sollicite la formation d’un comité parlementaire afin qu’il se penche sur les circonstances de son arrestation et la présence illégitime de la GRC qu’il affirme avoir été sur place malgré les prétentions contraires.
[29] Finalement, il jure qu’il ne se laissera pas intimider par la police et le Premier ministre du Canada qu’il qualifie de corrompus et reproche à ce dernier d’avoir nommé une femme au poste de procureure générale.
[30] Poursuivant l’employée témoigne avec émotion des répercussions que le comportement du locataire et l’assaut dont elle a été victime de la part de celui-ci lui causent : l'angoisse, la peur, l’insomnie et l’hyper vigilance qu’elle vit depuis les évènements. Des sentiments qui ne faiblissent pas en dépit du temps qui passe.
[31] Elle exprime clairement à l’audience, en parole, mais aussi par son comportement la terreur que lui inspire le locataire et sa crainte de le croiser.
[32] Le directeur des opérations du locateur, M. Thomas Racicot, était présent au moment de l’opération policière et témoigne au tribunal de la détresse des locataires de l’immeuble qui ont été témoins de l’opération policière menée contre le locataire et alors qu’ils se sont vus privés de leur logis.
[33] Ceux-là lui expriment régulièrement leur malaise, voire leurs craintes d’avoir à cohabiter avec le locataire qu’ils évitent depuis lors.
[34] Lui-même a vu les policiers défoncer la porte du logement du locataire pour atteindre le défendeur qui résistait à son arrestation.
[35] Il ajoute qu’à son retour de prison, le locataire a dessiné une cible et inscrit des annotations relatives à des armes à feu sur la porte temporaire qui a été apposée par le locateur, car les policiers avaient irrémédiablement abîmé la porte du logement dans leur opération.
[36] Des inscriptions inquiétantes pour les voisins qui n’ont pas manqué de le lui dire.
[37] Poursuivant, le directeur qualifie Mme Lemieux de bonne employée que le locateur souhaite conserver à son emploi.
[38] Il ajoute que le locateur n’a aucune tolérance envers la violence envers son personnel. C’est pourquoi, par mesure de précaution et afin de rassurer les autres employés qui ont été témoins de la violence du locataire et qui le craignent à leur tour, il a embauché des agents de sécurité pour assurer leur sécurité.
[39] L’insécurité chez ses employés lui cause donc, au surplus, des problèmes de gestion du personnel et le locataire est depuis interdit d’approcher les bureaux administratifs du locateur.
[40] D’un point de vue plus personnel, il déclare s’être senti visé par le locataire et craint de devenir à son tour sa victime puisqu’il l’a nommé dans sa première lettre dans laquelle il conteste son jugement.
[41] Une fois l’audition de la demande du locateur terminée et alors que l’avocate de celui-ci et le directeur s’apprêtaient à quitter la salle, le locataire a fait irruption.
[42] L’homme âgé, de grande taille, est arrivé portant dans une main un long bâton et dans l’autre une valise qui s’est avérée être pleine de documents divers.
[43] La soussignée a alors proposé de rouvrir l’enquête afin de permettre au locataire de s’exprimer sur les motifs qui lui sont reprochés, ce qui a été fait.
[44] Le locataire a alors spontanément accusé l’employée du locateur de mentir puisque d’une part, il est un vieillard au physique débilitant qui doit utiliser son bâton pour se relever et qui ne peut donc se battre avec quiconque et, d’autre part, parce que les accusations déposées contre lui n’ont pas été retenues par le directeur des poursuites judiciaires.
[45] Il produit son engagement du 29 juillet 2019 de se tenir loin de l’employée et de ne pas communiquer ou tenter de communiquer avec elle.
[46] Il décrit de son point de vue les évènements entourant son arrestation et maintient que les policiers ont tiré avec leurs armes à travers sa porte. Il dépose les correspondances qui avaient déjà été produites par la partie demanderesse, corroborant de ce fait en être l’auteur.
[47] Il explique que la cible qu’il a tracée sur le panneau de bois qui lui a servi de porte temporaire par la suite sert à démontrer l’endroit où les balles ont frappé la porte. Admettant être l’auteur du graffiti.
[48] Puis, il reprend sa diatribe contre la gendarmerie Royale, et le gouvernement fédéral répétant ses propos dans la missive dont le contenu a été rapporté plus haut.
[49] Il ajoute cependant que le locateur s’en prend à lui parce qu’il n’est pas un québécois, puis reproche au gouvernement du Québec sa trop grande tolérance envers les étrangers pour ensuite, de façon contradictoire, reprocher au peuple québécois son intolérance envers lui parce qu’il n’est pas originaire de cette province.
[50] Il confirme son opinion de la moralité de Mme Lemieux qu’il réprouve et affirme qu’en général les francophones en sont dépourvus.
[51] Le locataire insiste aussi pour produire un réquisitoire contre l’assistante procureure de la couronne pour le comté de Frontenac en Ontario. Document dans lequel s’entremêlent des critiques personnelles de la femme en question, des citations bibliques et un évènement au cours duquel il aurait tenté d’étrangler un homme qu’il admet avoir séquestré et menacé de lui crever un œil pour enfin l’assassiner et disposer de la dépouille. Évènement pour lequel il décrit son incarcération tant aux États-Unis qu’au Canada et pour lequel il n’exprime aucun remords, mais plutôt le sentiment d’avoir rendu service à la société.
[52] Il brandit également un document récent émanant d’un CLSC attestant de son refus de subir un examen psychologique et psychiatrique. Le locataire affirme ne pas en avoir besoin.
[53] Sa fascination pour les armes teinte son témoignage qu’il termine en déclarant avoir des connaissances en armement d’où l’intérêt des gouvernements envers lui.
[54] Ainsi peut-on résumer la preuve.
Le droit
[55] L’article
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »
[56] Cet article peut être associé aux obligations de bonne foi des 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec, lesquels stipulent ce qui suit :
« 6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi. »
« 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi. »
« 1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction. »
[57] À ce sujet, les auteurs Baudoin et Jobin s'expriment ainsi([1]) :
« 98 - Bonne foi - On doit d'abord rappeler le
sens subjectif, traditionnel, de la bonne foi. En fait, ce premier concept de
bonne foi a deux acceptions dans le vocabulaire juridique. La première est
celle qui oppose bonne foi à mauvaise foi : est de bonne foi toute
personne qui agit sans intention malicieuse. Notons à cet égard que l'article
Ces deux acceptions de la bonne foi renvoient à la disposition d'esprit dans laquelle se trouve une personne lorsqu'elle agit. Le Code civil en consacre une troisième, que l'on avait vue affirmer dans une trilogie de la Cour suprême. Cette bonne foi, dite objective, a un sens beaucoup plus large, soit celui de norme de comportement acceptable. Selon le contexte, de telles normes ont une dimension morale, sociale, ou encore elles renvoient simplement au « bon sens » ou au « raisonnable ». La bonne foi est donc devenue l'éthique de comportement exigée en matière contractuelle (comme d'ailleurs dans bien d'autres matières). Elle suppose un comportement loyal et honnête. On parle alors d'agir selon les exigences de la bonne foi. Ainsi, une personne peut être de bonne foi (au sens subjectif), c'est-à-dire ne pas agir de façon malicieuse ou agir dans l'ignorance de certains faits, et agir tout de même à l'encontre des exigences de la bonne foi, soit en violant des normes de comportement objectives et généralement admises dans la société. » (Notre soulignement)
[58] Après analyse et délibération, le tribunal conclut que le locataire trouble la jouissance paisible des autres locataires de l’immeuble par le risque qu’il représente et qu’il a un comportement violent et inadmissible incompatible avec son obligation de bonne foi dans ses rapports avec le locateur et, incidemment, ses agents et employés.
[59] Le caractère volatil et impulsif du locataire est apparu tant dans les témoignages que dans ses admissions verbales et écrites.
[60] Il s’agit d’un homme qui se déplace armé d’un long bâton et n’hésite pas à user de violence pour se venger comme il l’a démontré en s’en prenant à Mme Lemieux qui le craint depuis ce jour et doit vivre avec les conséquences de l’attaque et des menaces dont elle a été victime. Par ailleurs, celui-ci est apparu tout à fait capable de donner suite à ses menaces dans un moment d’emportement.
[61] Les craintes de Mme Lemieux et des autres locataires de l’immeuble sont d’autant plus justifiées que le locataire ne ressent aucun remords de ses actions et, au surplus, se vante d’avoir mutilé et assassiné un homme et démontre une fascination pour les armes.
[62] Sachant cela, comment ne pas craindre un tel homme lorsqu’il s’en prend à vous ?
[63] De plus, la colère qu’il exprime envers les institutions, sa rigidité morale, son obsession religieuse et sa conviction d’être une victime de la société qui l’héberge et dont il est convaincu devoir se méfier et s’en défendre le rend d’autant plus dangereux en société qu’il refuse tout secours ou traitement.
[64] Ceci ajouté à son passé violent dont il se targue.
[65] Le Tribunal considère
que tous ces éléments suffisent à démontrer que le locataire cause un préjudice
sérieux au locateur et justifient la résiliation du bail,
conformément à l'article
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
[66] Les circonstances et
la sécurité des occupants de l’immeuble ainsi que celle des agents et employés
justifient l'ordonnance de l'exécution provisoire de la décision, malgré
l'appel, conformément à l'article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[67] ACCUEILLE la demande du locateur;
[68] RÉSILIE le bail et ordonne l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[69] ORDONNE l'exécution provisoire, malgré l'appel, de la décision dans les 5 jours des présentes.
[70] CONDAMNE le locataire à payer au locateur les frais judiciaires et de notification de 122 $.
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Linda Boucher |
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Présence(s) : |
la mandataire du locateur Me Roxane Hardy, avocate du locateur le locataire |
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Date de l’audience : |
21 novembre 2019 |
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[1] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, Les obligations, 6e édition, Les Éditions Yvon Blais, 2005, no 98.
AVIS :
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