Sexologues (Ordre professionnel des) c. Sigouin | 2023 QCCDSEXO 2 |
CONSEIL DE DISCIPLINE | ||||
ORDRE PROFESSIONNEL DES SEXOLOGUES DU QUÉBEC | ||||
CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
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Nos : | 48-22-0012 et 48-22-0014 | |||
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DATE : | 3 mars 2023 | |||
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LE CONSEIL : | Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU | Présidente | ||
M. ROCH BOUCHARD, sexologue | Membre | |||
M. ÉRIC CHARLAND, sexologue | Membre | |||
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GENEVIÈVE BERTHELETTE, sexologue et psychothérapeute, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec | ||||
Plaignante | ||||
c. | ||||
LOUISE SIGOUIN | ||||
Intimée | ||||
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION | ||||
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE | ||||
INTRODUCTION
[1] Le 12 avril 2022, Mme Geneviève Berthelette, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec, dépose une plainte contre Mme Louise Sigouin à la suite de la diffusion de trois saisons de l’émission télévisuelle « Si on s’aimait », au cours de laquelle elle agissait à titre de sexologue.
[2] Le 26 juillet 2022, la syndique adjointe signe une deuxième plainte contre Mme Sigouin en lien avec la même émission.
[3] Lors d’une conférence de gestion tenue le 27 septembre 2022, la présidente en chef autorise la réunion de ces deux plaintes en accord avec le consentement des parties. Considérant les pourparlers de règlement, une seule journée d’audition est fixée au 24 janvier 2023. À défaut d’entente, une audition de trois semaines est à prévoir.
[4] Lors de l’audition du 24 janvier 2023, les parties confirment au Conseil qu’une entente est intervenue. Font partie de cette entente une demande de modification des deux plaintes, un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des chefs des plaintes modifiées, une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à certaines dispositions identifiées afin d’éviter des condamnations multiples ainsi qu’une recommandation conjointe sur sanction.
[5] Fort de cette entente, le Conseil autorise les modifications demandées pour les deux plaintes.
[6] Mme Sigouin enregistre alors un plaidoyer de culpabilité à l’égard des chefs des deux plaintes modifiées. Par la suite, son avocat l’interroge afin d’établir que son plaidoyer est libre, volontaire et éclairé, qu’elle comprend que le Conseil n’est pas lié par la recommandation conjointe sur sanction qui sera présentée et qu’il pourra s’en écarter s’il considère que les sanctions suggérées sont contraires à l’intérêt public et de nature à déconsidérer l’administration de la justice.
[7] Satisfait, le Conseil déclare Mme Sigouin coupable des infractions reprochées dans les deux plaintes, comme plus amplement décrites au dispositif de la présente décision.
[8] Les parties présentent ensuite leur recommandation conjointe sur sanction et font valoir leurs arguments. La plaignante dépose un plan d’argumentation citant la jurisprudence[1] applicable en matière de détermination d’une sanction.
[9] Les parties conviennent ainsi de recommander conjointement au Conseil l’imposition des sanctions suivantes :
Plainte 48-22-0012 :
Plainte 48-22-0014 :
- Les périodes de radiation temporaire seront purgées concurremment;
- Les périodes de radiation seront exécutoires au moment de la réinscription de l’intimée au tableau de l’Ordre, le cas échéant;
- Conformément à l’article
- L’ensemble des déboursés sera à la charge de l'intimée, y compris les frais d’expertise de la partie plaignante de 21 846,68 $ ainsi que les frais de publication de l’avis de la décision, le cas échéant.
QUESTION EN LITIGE
[10] Le Conseil de discipline doit-il imposer à l’intimée les sanctions recommandées conjointement par les parties pour les infractions mentionnées aux plaintes modifiées 48‑22‑0012 et 48‑22‑0014?
[11] Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil donne suite à la recommandation conjointe étant d’avis que les sanctions suggérées ne déconsidèrent pas l’administration de la justice et ne sont pas contraires à l’intérêt public.
PLAINTES
[12] Les chefs des deux plaintes modifiées pour lesquels Mme Sigouin a plaidé coupable sont ainsi libellés :
Plainte modifiée 48-22-0012
a) de subordonner son intérêt personnel (…) à l’intérêt et aux besoins de ses clients;
b) d’ignorer l’intervention de tiers qui pouvaient influer sur l’exercice de son jugement professionnel ou de ses activités professionnelles (…);
c) d’éviter d’utiliser sa relation professionnelle afin d’obtenir pour elle (…) des avantages de toute nature;
d) d’éviter toute situation de conflits d’intérêts réels ou apparents lorsque les intérêts en présence étaient tels qu’elle pouvait être portée à préférer certains d’entre eux à ceux de ses clients ou lorsque son intégrité et sa loyauté envers ceux-ci pouvaient être affectés;
e) d’aviser ses clients qu’elle se trouvait en situation de conflits d’intérêts, réels ou apparents, et en ne prenant pas les moyens raisonnables pour leur éviter un préjudice;
commettant ainsi une infraction aux dispositions des articles
a) du but, de la nature, de la pertinence et de la présence d’alternatives aux services professionnels rendus;
b) des modalités de résiliation de ces services professionnels;
c) de l’utilisation prévue des renseignements confidentiels obtenus dans le cadre de la relation professionnelle;
d) des implications liées au partage des renseignements confidentiels avec des tiers;
a) de reconnaître le droit de ses clients de révoquer, en tout temps, leur consentement à la diffusion des renseignements protégés par le secret professionnel les concernant;
b) d’obtenir personnellement une autorisation écrite préalable spécifiant l’usage ultérieur des enregistrements d’une entrevue ou d’une activité;
c) de prévoir les modalités de révocation de cette autorisation et de destruction des enregistrements;
commettant ainsi une infraction aux dispositions des articles
a) d’identifier clairement les motifs de consultation ou les besoins des clients;
b) de réévaluer les motifs de consultation ou les besoins des clients en fonction du rythme des clients;
c) de faire un plan d’intervention spécifique pour chacun des clients;
commettant ainsi une infraction aux dispositions des articles
[Transcription textuelle]
Plainte 48-22-0014
1. Entre le ou vers le 30 avril 2019 et le ou vers le 21 mai 2019, l’Intimée, exerçant sa profession à Montréal, n’a pas cherché à établir et à maintenir une relation de confiance mutuelle avec […] F, et a agi de façon contraire aux règles de l’art et aux normes de pratique généralement reconnues concernant :
- la qualité de la relation professionnelle établie avec […];
- la qualité de ses interventions auprès de […];
- la qualité du lien avec […];
commettant ainsi une infraction aux dispositions des articles
- la qualité de la relation professionnelle établie avec […];
- la qualité de ses interventions auprès de […];
- la qualité du lien avec […];
commettant ainsi une infraction aux dispositions des articles
- la qualité de la relation professionnelle établie avec […];
- la qualité de ses interventions auprès de […];
- la qualité du lien avec […];
commettant ainsi une infraction aux dispositions des articles
[Transcription textuelle, sauf anonymisation]
CONTEXTE
[13] Afin de respecter les faits admis entre les parties, le Conseil juge approprié de reproduire l’exposé conjoint des faits préparé et signé par les parties et leurs avocats, à l’exception des passages caviardés, en tenant compte de l’ordonnance prononcée en vertu de l’article
Exposé conjoint des faits
La trame factuelle ayant mené aux demandes d’enquête
Plainte #1 (dossier 48-22-0012)
Chefs 1, 2 et 6 : Indépendance professionnelle / Conflit d’intérêts / Atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession / Manque de loyauté
« L’écoute des entrevues nous fait questionner si la relation professionnelle principale de la sexologue priorise les besoins des participants qui sont en cheminement relationnel avec elle, les besoins de la population qu’elle cherche à éduquer ou les besoins de la production qui a une infrastructure complexe pour réaliser l’émission de télévision. Dans le verbatim de l’entrevue de la sexologue, aux questions suivantes la sexologue répond : -Qui était le client = le/s participant/s (p.3) -Qui était le payeur = la production (p.3) -Qui es la clientèle cible= « la madame de la Côte-Nord6 » (i.e. éduquer la population) (p.26) Ce manque de clarté se reflète dans les tensions avec certains participants, tel que nous le verrons plus bas et a pour conséquence de nuire à la relation professionnelle entre la sexologue et les clients, ainsi qu’à la confiance qu’elle a le devoir d’établir avec eux lors de leurs rencontres.»
Chefs 3 et 4 : Consentement libre et éclairé / Confidentialité
Chef 5 : Ne pas avoir pleinement engagé sa responsabilité civile
Chef 7 : Connaissance et compréhension insuffisante des faits
Plainte #2 (dossier 48-22-0014)
Chef 1 : Relation professionnelle entre l’Intimée et […]
[…]
Chef 2 : Relation professionnelle entre l’Intimée et […]
« En réponse à ces malaises, les interventions et la forme de coopération que la sexologue leur demande n’est pas en alignement avec les besoins et malaises exprimés. Plutôt que de les aider à mieux s’ajuster à la démarche, elle utilise parfois des interventions où elle use de pression sur eux (notion de privilège), dicte avec autorité comment ils devraient agir, se sentir.
[…]
« Lorsque ceux-ci expriment des malaises quant à la forme du processus et le niveau d’implication qui est exigé d’eux, auxquels ils ne s’attendaient pas, la sexologue ignore les commentaires ou réagit de façon à ce que les clients doivent mettre de côté leur malaise et leur propos pour se conformer aux demandes qu’elle leur fait, de suivre un processus prédéterminé et balisé dans le cadre de l’émission, usant parfois de pression sur eux. Cette pression ne fait pas en sorte de maintenir la confiance dans la relation professionnelle et de prioriser le respect des vulnérabilités et des besoins particuliers de ses clients, ce qui peut avoir pour conséquence de faire obstruction à leur liberté de parler, de ressentir et à leur jugement de décider ce qui leur convient ou pas, de façon libre et éclairée. »
Chef 3 : Relation professionnelle entre l’Intimée et […]
« Les interventions suivant la conclusion font preuve d’un manque de discernement sur comment et quand apporter des sujets délicats qui ont un lien avec le sujet de la démarche, ce qui n’est même pas le cas ici. Il y a un grand manque de cohérence entre l’objectif de la démarche et comment la sexologue arrive à appliquer des interventions adéquates et ajustées aux besoins et au rythme de […] Les interventions ne sont pas en alignement avec les besoins de […], ne permettent pas de s’en rapprocher ni de favoriser un meilleur équilibre chez […] dans sa démarche amoureuse.
Ici un exemple tiré de leur rencontre du […] :
[…] Il n’y a pas de cohérence entre cette intervention et l’objectif de la démarche, elle n’apparait être ni adéquate, ni être respectueuse, ni être ajustée aux besoins et au rythme de […] »
Éléments de preuve communs aux 3 chefs d’infraction de la plainte #2
« Les [trois] clients semblent s’attendre à ce que le processus d’accompagnement relationnel soit centré sur eux et leurs besoins relationnels spécifiques. Toutefois, la sexologue semble s’attendre à ce que les [trois] clients suivent un processus d’accompagnement relationnel prédéterminé et balisé dans le cadre de l’émission et ne semble pas toujours avoir validé les objectifs spécifiques et la forme de la démarche avec les [trois] clients. Elle semble les diriger et leur demande de se conformer malgré les malaises et inconforts parfois exprimés, tel que nous le verrons plus bas. »
« La qualité des interventions de la sexologue sont parfois adéquates et pertinentes mais souvent insistantes, confrontantes, voir brusques et autoritaires. La sexologue domine souvent la discussion, ne s’accorde pas beaucoup. Son écoute et ses interventions semblent plutôt orientées à trier les confidences des [trois] clients en accord avec ses dualités plutôt que d’être centrée sur leur rythme et leurs besoins. »
« La qualité du lien entre la sexologue et ses [trois] clients semble entre moyenne et pauvre. La qualité de sa présence semble plutôt axée sur remplir un rôle prédéterminé et balisé par l’émission avec pour intention de démontrer l’application des 5 dualités et non un rôle d’accompagnement réellement centré sur les besoins [des trois] clients. La sexologue se montre souvent désaccordée face aux propos, besoins et langage non verbal de ceux-ci, surtout quand ils ne répondent pas aux priorités et aux attentes de l’émission. Elle oppose alors son avis ou ses réactions à ceux des [trois] clients ce qui interfère avec la relation et la qualité du lien avec eux. À plusieurs reprises lorsque les [trois] clients expriment des malaises à ce propos, elle applique de la pression sur la relation en faisant valoir le privilège qu’ils ont d’être là. Elle ne fait pas en sorte de se montrer empathique et de maintenir le lien de confiance, de faire preuve d’accueil inconditionnel et d’acceptation de leurs besoins, ni de soutien dans l’expression de ceux-ci. Ceci ne donne pas des conditions propices à établir une alliance positive et valorisante, permettant au client de sentir qu’il est encouragé à s’exprimer et agir librement, qu’il est dans un environnement sécuritaire pour développer son estime de soi. En terminant, elle fait preuve d’un manque de congruence en voulant enseigner l’autonomie affective entre les [trois] participants, tout en négligeant entièrement de créer les conditions nécessaires à ce qu’ils développent une autonomie affective équilibrée dans leur relation avec elle. »
[Transcription intégrale, sauf les passages caviardés
et les références aux pièces]
ANALYSE
[14] Le Conseil doit maintenant décider s’il imposera les sanctions suggérées conjointement par les parties.
[15] Il est important de rappeler que la recommandation conjointe est « un important outil contribuant à l’efficacité du système de justice tant criminel que disciplinaire »[3].
[16] La Cour suprême du Canada a d’ailleurs rappelé récemment, dans R. c. Nahanee[4], qu’une recommandation conjointe « procure aux parties une certitude raisonnable que la position dont elles ont convenu constituera la décision ».
[17] Le Conseil est ainsi tenu de suivre les sanctions résultant d’une recommandation conjointe à moins que ce qui est proposé par les parties ne soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public[5].
[18] En d’autres mots, une recommandation conjointe devra être entérinée par le Conseil, sauf si les sanctions suggérées correspondent si peu aux attentes des personnes raisonnables au parfum de toutes les circonstances de l’affaire, y compris l’importance de favoriser les négociations en vue d’un règlement, qu’elles seraient d’avis que ces sanctions font échec au bon fonctionnement du système disciplinaire[6].
[19] Il ne s’agit donc pas pour le Conseil d’évaluer la justesse de la sanction proposée ni de décider si elle est trop sévère ou trop clémente pour y substituer celle qu’il juge plus appropriée, mais bien d’intervenir seulement si l'intérêt public l’exige[7]. Il s’agit donc d’un critère d’intervention élevé.
[20] L’analyse du Conseil porte plutôt sur les fondements des parties au soutien de leur recommandation conjointe et sur ses bénéfices pour le système de justice disciplinaire.
[21] L’intimée a reconnu sa culpabilité d’avoir enfreint différentes dispositions du Code de déontologie des sexologues dans le cadre de l’émission télévisuelle « Si on s’aimait », alors qu’elle agissait à titre de sexologue.
[22] Les dispositions retenues en vertu desquelles une sanction doit être imposée à l’intimée sont les suivantes :
4. Le sexologue ne peut poser un acte ou avoir un comportement contraire à ce qui est généralement admis dans l’exercice de la profession ou qui est susceptible de porter atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession ou de briser le lien de confiance du public envers celle-ci. (Chef 2, plainte 48-22-0012)
12. Le sexologue doit, sauf urgence, obtenir de son client, de son représentant légal ou, s’il s’agit d’un mineur de moins de 14 ans, du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur, un consentement libre et éclairé avant d’entreprendre toute prestation de services professionnels.
Afin que son client donne un consentement libre et éclairé, le sexologue l’informe et s’assure de sa compréhension des éléments suivants :
1° le but, la nature et la pertinence des services professionnels ainsi que leurs principales modalités de réalisation;
2° les alternatives ainsi que les limites et les contraintes à la prestation du service professionnel;
3° l’utilisation des renseignements recueillis;
4° les implications d’un partage de renseignements avec des tiers ou de la transmission d’un rapport à des tiers;
5° le montant des honoraires, la perception d’intérêts sur les comptes et les modalités de paiement. (Chef 3, plainte 48-22-0012)
15. Le sexologue respecte le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l’exercice de sa profession.
Il n’est relevé du secret professionnel qu’avec l’autorisation de son client ou lorsque la loi l’ordonne ou l’autorise par une disposition expresse.
En vue d’obtenir l’autorisation du client, le sexologue l’informe de l’utilisation et des conséquences possibles de la transmission de ces renseignements. (Chef 4, plainte 48-22-0012)
33. Le sexologue sauvegarde en tout temps son indépendance professionnelle, notamment:
1° en ignorant l’intervention d’un tiers qui pourrait influer sur l’exercice de son jugement professionnel ou de ses activités professionnelles au préjudice de son client;
2° en évitant d’utiliser sa relation professionnelle afin d’obtenir pour lui ou pour un tiers des avantages de toute nature;
3° en évitant toute situation de conflit d’intérêts réel ou apparent, notamment lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il pourrait être porté à préférer certains d’entre eux à ceux de son client ou lorsque son intégrité et sa loyauté envers celui-ci pourraient être affectées. (Chef 1, plainte 48-22-0012)
42. Le sexologue s’acquitte de ses obligations professionnelles avec compétence, loyauté et intégrité. (Chef 6, plainte 48-22-0012)
44. Le sexologue exerce sa profession selon des principes scientifiques, dans le respect des règles de l’art et des normes de pratique généralement reconnues. (Chefs 1, 2 et 3, plainte 48-22-0014)
49. Le sexologue n’émet de conclusion ou ne donne des avis ou des conseils que s’il possède une connaissance et une compréhension suffisante des faits pour le faire. (Chef 7, plainte 48-22-0012)
54. Le sexologue engage pleinement sa responsabilité civile personnelle. Il ne peut l’éluder ou tenter de l’éluder de quelque façon que ce soit, notamment en invoquant la responsabilité de la société au sein de laquelle il exerce ses activités professionnelles ou celle d’une autre personne qui y exerce ou en requérant de son client ou de son représentant une renonciation à ses recours en cas de faute professionnelle de sa part. (Chef 5, plainte 48-22-0012)
[Emphase ajoutée]
[23] La plaignante a déposé un plan d’argumentation détaillé auquel l’intimée adhère.
[24] Dans ce plan, on retrouve des extraits du Guide explicatif concernant la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines[8] qui expose l’essence de la pratique et le champ d’exercice du sexologue que le Conseil juge utile de reproduire ci-dessous :
Le champ d’exercice du sexologue
Évaluer le comportement et le développement sexuels de la personne, déterminer, recommander et effectuer des interventions et des traitements dans le but de favoriser un meilleur équilibre sexuel chez l’être humain en interaction avec son environnement.
La marque distinctive de la profession
Le sexologue intervient dans le but de favoriser un meilleur équilibre sexuel des personnes. Ses interventions visent l’amélioration, le maintien ou le rétablissement de la santé sexuelle.
Le sexologue évalue le comportement et le développement sexuels de la personne, lesquels constituent les objets d’étude et d’interventions de la profession. Cette personne peut être un individu, un couple, une famille, un groupe ou une collectivité. […]
L’essentiel de la pratique
Le sexologue intervient afin d’améliorer, de maintenir et de rétablir la santé sexuelle des personnes. Lorsque la santé sexuelle est détériorée, un nouvel équilibre est à réinstaurer et le sexologue dispose à cet égard d’un ensemble d’interventions et de traitements qu’il peut déterminer, recommander ou appliquer. Les interventions du sexologue comprennent également la détermination d’un plan d’intervention dont il assure la mise en œuvre […]
Une finalité particulière
La finalité de la pratique du sexologue vise à favoriser un meilleur équilibre sexuel chez l’être humain en interaction avec son environnement. Puisqu’il agit aussi auprès de groupes ou d’organisations, cette finalité s’applique également à leur bon fonctionnement.
[25] Afin de convenir d’une recommandation conjointe, les parties se sont fondées sur les principes jurisprudentiels reconnus en matière de détermination d’une sanction. Elles appliquent les objectifs d’une sanction disciplinaire, soit : assurer d’abord la protection du public, dissuader le professionnel de récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession pour les dissuader de poser des gestes semblables et, en dernier lieu, le droit du professionnel d’exercer sa profession[9].
[26] Les parties tiennent également compte de la proportionnalité entre la gravité des infractions commises et la situation particulière de l’intimée, afin que les sanctions soient individualisées.
[27] Considérant le nombre de chefs d’infraction, les parties insistent sur l’importance du principe de la globalité des sanctions qui empêche que celles-ci ne deviennent disproportionnées lorsque prises dans leur ensemble, et ce, afin d’éviter un fardeau accablant pour le professionnel fautif[10].
[28] La plaignante présente les facteurs objectifs et subjectifs considérés pour chacun des chefs d’infraction ainsi que les circonstances atténuantes et aggravantes propres au présent dossier.
- La gravité objective des infractions commises en regard de la protection du public et de la perception du public, dont l’impact sur la confiance du public :
Plainte 48-22-0012
Plainte 48-22-0014
- Le lien des infractions avec l’exercice de la profession
- À titre de facteurs aggravants, la plaignante relève les éléments suivants :
- L’intimée est membre de l’Ordre depuis sa création en 2013;
- Elle n’a pas d’antécédents disciplinaires;
- Elle accepte de négocier tôt dans le processus;
- Elle a plaidé coupable sur l’ensemble des chefs;
- Elle a collaboré à l’enquête du syndic;
- Elle n’est plus membre de l’Ordre et n’a pas l’intention de se réinscrire;
- Le risque de récidive est donc faible.
[29] L’intimée est d’accord avec la présentation de la plaignante, mais diffère d’opinion sur certains points.
[30] Elle soutient que son comportement n’est pas susceptible de causer des préjudices aux clients.
[31] Elle ajoute que le signalement du 5 août 2020 ne peut constituer un facteur aggravant puisque la plainte disciplinaire est déposée en avril 2022.
[32] La plaignante présente deux tableaux[11] de précédents jurisprudentiels de sanctions imposées pour des infractions de nature semblable, mais dans des contextes différents. On y constate des périodes de radiation temporaire variant de deux (2) semaines à six (6) mois et des amendes s’élevant jusqu’à 5 000 $.
[33] Considérant la nature et le contexte particulier des infractions commises, les parties ont convenu de recommander des sanctions se situant dans le haut de la fourchette, tout en tenant compte de la globalité des sanctions.
[34] Elles soulignent l’importance de l’exemplarité afin qu’un message clair soit transmis aux membres de la profession que, peu importe le contexte de la pratique, l’intérêt du client doit toujours demeurer au cœur des préoccupations.
[35] La préservation de la confiance du public envers la profession, alors que la diffusion des émissions a provoqué de vives réactions auprès du public, guide également leur recommandation.
[36] Ainsi, les parties recommandent, pour la plainte 48‑22‑0012, des périodes de radiation temporaire de six (6) mois pour les chefs 1 et 3 portant sur le manque d’indépendance professionnelle et le défaut de consentement; de cinq (5) mois pour le chef 4 portant sur le bris du secret professionnel; de quatre (4) mois pour le chef 6 portant sur le défaut de loyauté et pour les chefs 1, 2 et 3 de la plainte 48‑22‑0014 portant sur le défaut de lien de confiance.
[37] Concernant les chefs 2, 5 et 7 de la plainte 48-22-0012, les parties recommandent l’imposition d’amendes, soit, respectivement, 5 000 $ pour le bris du lien de confiance, 5 000 $ pour la renonciation à la responsabilité civile de l’intimée et 4 000 $ pour les manquements dans le suivi professionnel.
[38] Les parties recommandent également le paiement des déboursés et des frais d’expertise s’élevant à 21 846,68 $.
[39] Les périodes de radiation et les amendes suggérées s’inscrivent dans le spectre des sanctions imposées selon les autorités présentées.
[40] L’intimée reconnaît que l’exercice de la profession de sexologue est incompatible avec sa participation à l’émission « Si on s’aimait ». À la suite de la réception de la plainte 48‑22‑0012, elle choisit de se retirer du tableau de l’Ordre en mai 2022. Les médias en ont fait état.
[41] Le Conseil comprend donc que les périodes de radiation suggérées ont essentiellement pour but de sensibiliser les autres membres de la profession à la gravité des infractions commises et de les dissuader de commettre de tels gestes, peu importe le contexte.
[42] En effet, l’intimée, n’étant plus inscrite au tableau de l’Ordre professionnel des sexologues et n’ayant pas l’intention de se réinscrire dans le futur, n’aura pour ainsi dire jamais à purger ces périodes de radiation.
[43] Un avis de ces radiations visant à informer la population ne sera incidemment pas publié par la secrétaire du Conseil de discipline.
[44] Cela dit, le Conseil retient que les parties ont convenu que l’intimée soit également condamnée à payer un montant de 14 000 $ en amende et des frais d’expertise de l’ordre de 21 846,68 $ pour un total de 35 846,68 $, en plus des déboursés.
[45] Le Conseil reconnaît l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement et les avantages pour l’administration du système disciplinaire qui découlent de la négociation d’un plaidoyer de culpabilité et d’une entente sur sanction.
[46] À la lumière de toutes les circonstances du présent dossier, le montant substantiel que devra payer l’intimée, les périodes de radiation nécessaires à des fins d’exemplarité et l’avantage d’un plaidoyer de culpabilité évitant une longue audition et le déplacement de nombreux témoins convainquent le Conseil que la recommandation conjointe des parties ne déconsidère pas l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public.
[47] Le Conseil est d’avis que les sanctions proposées n’amèneraient pas des personnes renseignées et raisonnables au fait de toutes les circonstances pertinentes à croire que le système disciplinaire a cessé de bien fonctionner.
[48] En terminant, soucieux de protéger le public et de sauvegarder l’image de la profession, le Conseil ne peut faire autrement que de souligner la pertinence du caractère public de la présente décision afin que la population soit en mesure de dissocier l’intimée de l’exercice de la profession de sexologue dans l’éventualité de sa participation à une prochaine saison de l’émission « Si on s’aimait ».
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 24 JANVIER 2023 :
PLAINTE 48-22-0012
[49] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 1 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[50] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
[51] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 2 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[52] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
[53] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 3 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[54] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
[55] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 4 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[56] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
[57] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 5 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[58] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
[59] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 6 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[60] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
[61] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 7 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[62] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
PLAINTE 48-22-0014
[63] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 1 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[64] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
[65] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 2 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[66] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
[67] A DÉCLARÉ l’intimée coupable du chef 3 de la plainte modifiée à l’égard de l’infraction fondée sur les articles
[68] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles
ET CE JOUR :
[69] IMPOSE à l’intimée les sanctions suivantes :
PLAINTE 48-22-0012
PLAINTE 48-22-0014
[70] ORDONNE que les périodes de radiation temporaire imposées sous les chefs 1, 3, 4 et 6 de la plainte 48-22-0012 et les chefs 1, 2 et 3 de la plainte 48-22-0014 soient purgées de façon concurrente.
[71] ORDONNE que les périodes de radiation temporaire ainsi imposées soient exécutoires au moment de la réinscription de l’intimée au tableau de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec, le cas échéant.
[72] ORDONNE qu’un avis de la présente décision soit publié, aux frais de l’intimée, par la secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée aura son domicile professionnel au moment de sa réinscription au tableau de l’Ordre, le cas échéant, conformément à l’article
[73] CONDAMNE l’intimée au paiement de l’ensemble des déboursés, y compris les frais d’expertise de la plaignante de 21 846,68 $.
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__________________________________ Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU Présidente
__________________________________ M. ROCH BOUCHARD, sexologue Membre
__________________________________ M. ÉRIC CHARLAND, sexologue Membre
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Me Véronique Brouillette et Me Andréa Provencher | ||
Avocates de la plaignante | ||
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Me Nicholas St-Jacques | ||
Avocat de l’intimée | ||
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Date d’audience : | 24 janvier 2023 | |
[1] Fillion c. Laurent, ès-qual. (notaires),
[2] La transmission d’un avis de la décision aux membres de l’Ordre est également prévue à l’article
[3] Chan c. Médecins (Ordre professionnel des),
[4] R. c. Nahanee,
[5] R. c. Anthony-Cook,
[6] R. c. Primeau,
[7] R. c. Anthony‑Cook, supra, note 5, paragr. 31 ; Médecins (Ordre professionnel des) c. Mwilambwe,
[8] Office des professions, Guide explicatif concernant la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, janvier 2021.
[9] Pigeon c. Daigneault, supra, note 1, paragr. 38; Serra c. Médecins (Ordre professionnel des), supra, note 1, paragr. 116; Chevalier c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), supra, note 1, paragr. 18.
[10] BERNARD, Me Pierre, « La sanction en droit disciplinaire quelques réflexions », supra, note 1, p. 123; Arpenteurs-géomètres (Ordre professionnel des) c. Ladouceur, supra, note 1, paragr. 25.
[11] Tableau 1 (plainte 48-22-0012) : Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Giasson, 2021 QCCDTSTCF 18; Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Lévesque,
AVIS :
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