Leblond c. R. | 2022 QCCS 3236 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
| ||||||
CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | KAMOURASKA | |||||
| ||||||
N° : | 250-36-000279-211 | |||||
|
| |||||
DATE : | Le 31 août 2022 | |||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : | L’HONORABLE | MANON LAVOIE, j.c.s. | ||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
| ||||||
DENIS LEBLOND | ||||||
Appelant
| ||||||
c.
| ||||||
SA MAJESTÉ LA REINE | ||||||
Intimée | ||||||
| ||||||
____________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
JUGEMENT | ||||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
L’APERÇU
[1] Le 18 février 2021, l’appelant est déclaré coupable par un juge de la Cour du Québec (l’honorable Martin Gagnon), de deux chefs d’accusation, soit de conduite alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool (article 320.14(1)a) du Code criminel (« C.cr. ») et d’avoir eu une alcoolémie égale ou supérieure à 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire un moyen de transport, soit un véhicule à moteur (article 320.14(1)b) C.cr.). Un arrêt conditionnel des procédures fut prononcé sur le premier chef d’accusation[1].
[2] Il porte ce jugement en appel au motif que le juge d’instance a procédé à une interprétation erronée des éléments factuels, qu’il a erré en droit en s’arrogeant la connaissance judiciaire de l’effet de l’exposition au froid sur ses mains et en lui imposant un fardeau trop élevé pour repousser la présomption prévue à l’article 320.35 C.cr., et enfin qu’il a erré en faits et en droit en concluant à l’existence d’un risque réaliste de mise en mouvement de son véhicule.
[3] Vers 6 h, le matin du 7 décembre 2019, deux policiers en patrouille aperçoivent une camionnette immobilisée, le moteur en marche et les phares allumés, dans le stationnement du CLSC de Rivière-du-Loup.
[4] À son bord, il y a l’appelant assis à la place du conducteur. Il est endormi, la tête appuyée sur ses mains qui sont posées sur le volant.
[5] Lorsque l’agent Ouellet arrive à la hauteur de la vitre du conducteur, il s’aperçoit que l’appelant dort profondément. Il cogne à deux reprises dans la vitre afin de le réveiller. Sa démarche s’avère négative; l’appelant demeure inerte malgré l’utilisation de sa lampe de poche pour frapper sur la vitre du véhicule.
[6] L’agent Ouellet ouvre la portière et s’adresse à l’appelant. À ce moment, il perçoit une forte odeur de boisson alcoolisée qui se dégage de l’habitacle. Il tente de le réveiller, mais l’appelant ne réagit pas. Il saisit l’appelant par l’épaule pour le sortir de son sommeil. Celui-ci ouvre les yeux, mais il se rendort instantanément.
[7] L’agent lui demande s’il se sent bien et l’appelant finit par ouvrir les yeux très lentement, ils sont rouges. Il est incommodé par la lumière et sent l’alcool.
[8] À 6 h 21, l’appelant est mis en état d’arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool. L’agent lui demande de sortir de son véhicule et d’enlever les clés du contact. L’appelant s’exécute de façon lente et doit se reprendre pour enlever les clés. Il sort finalement de sa voiture et se dirige vers le véhicule de patrouille.
[9] L’agent Ouellet demande alors à l’appelant de lui fournir son permis de conduire. Ce dernier lui donne en premier sa carte d’assurance-maladie et après plusieurs secondes, lui remet mollement son permis de conduire.
[10] L’appelant est conduit au poste de police. À 6 h40, il est placé dans une salle d’interrogatoire et ses droits lui sont relus. Il ne désire pas faire appel à un avocat.
[11] L’appelant est ensuite soumis à l’alcootest. À 6 h 50, l’agent Dufour obtient un premier résultat de 120 mg/100 ml de sang et un deuxième à 7 h 15 au même taux.
[12] À 6 h 53, l’appelant déclare : « Je suis allé au 3L au hockey, pour aller voir mon ami. Après, j’ai sorti au bar. Je me suis assoupi dans ma voiture avant de retourner à Trois-Pistoles. ».
[13] Au procès, l’appelant admet son taux d’alcoolémie mais n’admet pas ses facultés affaiblies[2]. Il soutient qu’il n’avait pas l’intention de mettre son véhicule en marche et qu’il avait un plan bien arrêté, soit de prendre un taxi pour retourner chez lui, à Trois‑Pistoles. C’est dans l’attente d’un taxi qu’il s’est endormi.
[14] Il donne au procès une version plus détaillée des évènements que celle relatée aux policiers lors de son arrestation. En effet, à la fermeture du bar vers 3 h, l’appelant réalise ne pas être en état de conduire. Il appelle les services de taxi pour retourner chez lui, mais cela n’est pas possible dans l’immédiat.
[15] N’étant pas adéquatement vêtu pour affronter le froid, l’appelant se rend au restaurant voisin de la station de taxi pour prendre une collation. Ensuite, comme aucun taxi ne se manifeste, il rappelle en empruntant le cellulaire d’un client, le sien étant déchargé. Il obtient la même réponse : les taxis sont débordés et il est impossible de connaître le moment où l’un d’eux se libérera.
[16] Vers 4 h, découragé, il sort car le restaurant ferme. Après trente minutes d’attente, il est frigorifié et ne sent plus ses pieds ni ses mains. Il s’aventure alors à marcher vers un hôtel. Étant à une bonne distance de marche, il rebrousse chemin en se disant : « […] Denis, c’est soit tu creuves ou tu perds des membres, ou tu t’en vas te cacher à quec’part »[3]. Il ajoute : « Puis, je me disais, avec le temps que j’ai à marcher pour aller là-bas [hôtel] puis au frette qu’y fait, c’est sûr qu’ils me trouvent dans un banc de neige […] j’étais errant [...] j’étais [...] transi par le frette »[4].
[17] Vers 4 h 45, il retourne à sa camionnette, qu’il avait stationnée au CLSC à proximité du bar plus tôt dans la soirée, pour se protéger du froid. Il dit ne pas avoir eu le choix, qu’il s’agissait d’une situation « hors contrôle »[5]. Il démarre son moteur, allume le chauffage, son volant et son siège chauffants et branche son cellulaire. Il combat le sommeil environ une demi-heure avant de s’endormir profondément les mains sur le volant chauffant, la tête appuyée sur celui-ci, avant l’arrivée des policiers, vers 6 h. Il affirme catégoriquement qu’il ne voulait pas conduire mais seulement se réchauffer dans son véhicule et s’est assoupi en attendant un taxi ou un de ses employés pour venir le chercher.
[18] En l’instance, les questions en litige portent sur la capacité de conduire de l’appelant à savoir si elle est affaiblie par sa consommation, si la présomption prévue à l’article 320.35 C.cr. est renversée et si la conduite intentionnelle de l’appelant à l’égard de son véhicule a entrainé un risque réaliste de danger pour autrui ou un bien.
[19] Dans un premier temps, le juge d’instance conclut que la capacité de conduire de l’appelant est affaiblie par sa consommation d’alcool, en retenant les symptômes de capacités affaiblies suivants[6] :
- Il est profondément endormi et ne se réveille pas malgré les coups de lampe de poche frappés à sa fenêtre et il a été nécessaire de le saisir par les épaules pour qu’il se réveille;
- Lorsqu’il ouvre les yeux, il se rendort immédiatement;
- Odeur d’alcool provenant de l’appelant;
- Yeux rouges;
- Difficulté à parler;
- Se reprend à deux fois pour éteindre le moteur;
- Suit lentement les policiers et doit s’accoter la main sur le véhicule de patrouille;
- Symptômes laissant croire les policiers qu’il vomirait;
- Donne sa carte d’assurance-maladie plutôt que son permis de conduire;
- Démarche non assurée;
- Difficulté à se concentrer au poste.
[20] Ensuite, guidé par la décision de principe en la matière, l’arrêt Boudreault[7], le juge d’instance débute son analyse de la preuve afin de se demander si la présomption prévue à l’article 320.35 C.cr. est renversée. Il reprend les explications de l’appelant et conclut qu’il ne le croit pas. Pour ce faire, il compare entre autres la déclaration écrite de l’appelant à son témoignage rendu lors du procès.
[21] Le juge d’instance retient que, bien que l’appelant ait le droit de garder le silence, lorsqu’il choisit librement de s’expliquer, jamais il ne parle de sa mésaventure, soit d’attendre un taxi et son combat contre le froid au péril de sa vie[8]. Considérant l’ensemble de la preuve, le juge d’instance ne croit pas l’appelant. Son témoignage ne soulève pas de doute raisonnable, parce qu’il est invraisemblable et incohérent[9]. Il explique d’ailleurs les raisons qui l’amènent à douter de sa version et conclure que la présomption n’est pas renversée, en ces termes[10] :
Il invoque une aventure très risquée pour lui, pour sa vie, sa santé : il fait un froid intense, il est peu vêtu, il a les mains et les pieds gelés au point de ne plus les sentir. Ses doigts sont tellement gelés qu’il a de la difficulté à signer les documents au poste de police, à signer un scénario de consommation, et, écrit sa propre déclaration. Pourtant, à 4h 45 jusqu’à l’arrivée des policiers à 6h 00, donc un délai d’environ une heure quinze, il est dans sa camionnette dont le moteur tourne, la chaufferette est en opération, son siège chauffe, son volant… son volant chauffe. Il a les mains sur son volant. Il dort sur son volant.
Après une heure quinze dans cette position et dans cette situation, il affirme qu’il a toujours les mains gelées, il a trois doigts qu’il ne peut plus sentir. Deux heures plus tard, autour de 6h 53, lorsqu’il écrit sa déclaration, signe le scénario de consommation, il affirme en contre-interrogatoire qu’il fallait qu’il « force à plein » pour signer. Il dit que sa signature est très différente même lorsqu’on lui montre sa signature sur son certificat d’enregistrement. Il continue à "nier" que ses signatures est très différente (sic) à cause de ses membres gelés, sa main, ses doigts, alors que manifestement on constate la même signature. Et, en plus, il en fait jamais mention aux policiers de sa difficulté à écrire et de toute son aventure où il a failli… il a mis sa vie en péril, il a eu peur de perdre des membres. Le motif pourquoi il s’est retrouvé dans son véhicule, il n’en fait pas mention, il dit uniquement qu’il s’est endormi avant de repartir à Trois-Pistoles. Alors l’accusé nie l’évidence, déforme et modifie les faits au point de verser dans le déraisonnable et l’invraisemblable.
Puisque j’estime que je rejette les explications de l’accusé, sa version, j’estime que la présomption n’est pas renversée. L’accusé voulait s’en retourner chez lui et, avant de s’exécuter, il a sombré dans un sommeil, fatigué et sous l’effet de l’alcool.
[22] Enfin, même s’il avait conclu au renversement de la présomption, le juge d’instance considère, à la troisième question, qu’il a présence d’un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien. Il base sa conclusion sur sept motifs qu'il convient de reprendre textuellement[11] :
Plusieurs facteurs sont établis qui démontrent le risque réaliste de danger.
Un, l’accusé a lui-même amené la camionnette à cet endroit : l’accusé avait comme plan initial de retourner chez lui après le match à Trois-Pistoles; d’ailleurs, il n’était pas vêtu pour les circonstances; trois, l’accusé a démarré son véhicule et utilisé plusieurs accessoires pour se réchauffer rapidement; quatrièmement, l’accusé était intoxiqué par l’alcool et fatigué; l’accusé a manqué … Cinq, l’accusé a manqué de jugement en ne demandant pas à l’employée du restaurant d’appeler de nouveau le taxi et a préféré, mal vêtu, attendre le taxi à l’extérieur et même de se rendre à l’hôtel, à une bonne distance. Sixièmement, la résidence de l’accusé se trouve dans une autre ville.
Et, finalement : la déclaration de l’accusé qui, dans son témoignage, affirme également ceci : « Je commencerais pas à leur mentir en pleine face » – en faisant référence aux policiers – et qu’il déclare à ce moment-là qu’il s’est endormi avant de repartir pour chez lui, ou pour reprendre ses paroles exactes : « Je me suis assoupi dans ma voiture avant de retourner à Trois-Pistoles ».
Alors, en résumé, même si j’estimais que l’accusé avait renversé la présomption, je conclus, sans l’ombre d’un doute raisonnable, que les éléments essentiels de l’infraction de garde et contrôle sont établis et que l’accusé pouvait mettre son véhicule en mouvement, et, qu’il n’avait aucun plan bien arrêt objectivement concret et fiable. Quitte à le répéter, tout simplement avant de quitter les lieux, l’accusé s’est endormi au volant de sa camionnette. Point à la ligne.
[23] Par conséquent, l’appelant est déclaré coupable des deux chefs d’accusation.
[24] L’appelant soulève les cinq questions suivantes :
A. Le juge d’instance a erré en faits dans l’analyse de la preuve en concluant que la signature de l’appelant apparaissant sur le formulaire de déclaration statutaire était semblable à celle utilisée pour fin de comparaison par l’intimée lors de son contre-interrogatoire;
B. Le juge d’instance a erré en droit en concluant qu’il était invraisemblable que les doigts de l’appelant soient toujours gelés après une heure et quart d’attente dans son véhicule, s’arrogeant ainsi erronément la connaissance judiciaire d’un tel fait;
C. Le juge d’instance a erré en droit en imposant à l’appelant un fardeau excédant la balance des probabilités afin de repousser la présomption édictée à l'article 320.35 C.cr.;
D. Le juge d’instance a erré en faits et en droit en concluant que la déclaration extrajudiciaire de l’appelant faite aux policiers, mentionnant qu’il s’est assoupi dans sa voiture avant de retourner à Trois-Pistoles, signifiait qu’il voulait quitter l’endroit au volant de son véhicule;
E. Le juge d’instance a erré en faits et en droit en concluant à l’existence d’un risque réaliste de mise en mouvement du véhicule par l’appelant.
[25] De l’avis du Tribunal, les moyens d’appel ne sont pas fondés. Le juge d’instance a tenu compte du témoignage de l’appelant qu’il a d’ailleurs résumé de façon fort adéquate. Il a également justifié les raisons pour lesquelles il ne croit pas l’appelant, en analysant sa version à la lumière de l’ensemble de la preuve et plus particulièrement en la comparant à sa déclaration faite aux policiers le soir des évènements.
[26] En l’espèce, l’appelant ne réussit pas à démontrer que le juge d’instance a commis des erreurs manifestes et déterminantes dans son appréciation de sa crédibilité et du risque de mise en mouvement du véhicule. Au contraire, l’appréciation de la crédibilité des témoins par le juge d’instance s’appuie raisonnablement sur la preuve présentée au procès.
[27] D’abord, il importe de rappeler que le juge d’instance retient de la preuve que la capacité de conduire de l’appelant est affaiblie par sa consommation d’alcool. Il retient ainsi les nombreux symptômes vérifiés par les policiers qui sont pour la plupart non contredits. Ces symptômes évalués dans l’ensemble de la preuve amènent le juge d’instance à la seule conclusion logique et rationnelle, et ce hors de tout doute raisonnable, que la capacité de conduire un moyen de transport est affaiblie par l’effet de l’alcool[12].
[28] Ensuite, comme l’appelant occupe la position ordinairement occupée par la personne qui conduit un moyen de transport, ce dernier est présumé l’avoir conduit à moins qu’il n’établisse qu’il n’occupait pas cette position dans le but de mettre en mouvement ce moyen de transport. Le fardeau repose alors sur les épaules de l’appelant, qui se doit de renverser cette présomption.
[29] Pour ce faire, l’appelant doit présenter des éléments de preuve qui seront examinés dans leur ensemble. C’est ainsi qu’il explique que son projet initial était de retourner chez lui après le match. Toutefois, son projet s’est modifié. Il s’est rendu dans un bar avec un ami. Lorsque ce dernier quitte, il se retrouve seul dans un état d’intoxication qui ne lui permet pas de conduire son véhicule. C’est dans ce contexte qu’à sa sortie du bar, l’appelant explique ses différentes démarches afin d’éviter de conduire son véhicule, tel ses appels au service de taxi, son attente au restaurant, celle à l’extérieur et sa démarche pour se louer une chambre d’hôtel. Toutes ces démarches aboutissent au fait que l’appelant a été retrouvé dans son véhicule en marche, endormi.
[30] Plus spécifiquement, à 4 h 45, l’appelant embarque dans sa camionnette pour se protéger du froid. Il s’écoule 1 h 36 entre le moment où l’appelant se dit frigorifié et celui où il est mis en état d’arrestation par les policiers, à 6 h 21.
[31] En l’espèce, le juge d’instance rejette les explications de l’appelant[13]. Il estime que la présomption n’est pas renversée. Selon lui, l’appelant voulait retourner chez lui et, avant de s’exécuter, il a sombré dans un sommeil, fatigué et sous l’effet de l’alcool[14]. Pour ce faire, il évalue la crédibilité de l’appelant de différentes manières.
[32] L’appelant soulève que le juge d’instance a conclu à tort qu’il n’existait aucune différence entre les deux signatures déposées en preuve alors que leur examen permet de constater des différences.
[33] Or, le juge d’instance a apprécié les deux signatures de l’appelant, soit celle apparaissant sur le formulaire de sa déclaration statutaire le soir des évènements et celle que l’on retrouve sur son certificat d’immatriculation[15] et les qualifie de similaires[16].
[34] Il procède à cette comparaison dans le contexte où l’appelant prétend être gelé au point de penser perdre ses membres, et ce, même s’il s’est réfugié dans son véhicule durant plus de 1 h 30. Il ira plus loin en ajoutant avoir de la difficulté à écrire tellement ses doigts sont gelés « ben dur » et dit même avoir forcé « à plein » pour signer, affirmant que sa signature est différente.
[35] L’appelant ne démontre pas en quoi le Tribunal serait justifié d’intervenir quant à l’appréciation du juge d’instance sur cet élément. Celle-ci découle d’une interprétation raisonnable de la preuve.
[36] L’appelant prétend que le juge d’instance a erré en tirant une conclusion d’un fait n’étant pas de connaissance d’office en ce qui concerne le temps requis pour que les doigts de l’appelant dégèlent, et ce, puisqu’aucune preuve n’a été faite devant lui à cet effet.
[37] Le Tribunal ne partage pas cet avis.
[38] Par le biais d’une erreur de droit, l’appelant s’attaque au poids accordé par le juge d’instance à son récit des évènements.
[39] Le juge d’instance explique les raisons l’amenant à rejeter le témoignage de l’appelant et considère qu’il nie l’évidence, qu’il déforme et modifie les faits au point de verser dans le déraisonnable et l’invraisemblable[17]. Il ne croit pas l’accusé, qui maintient avoir les mains si gelées qu’il a de la difficulté à écrire à 6 h 53, plus de deux heures après avoir activé son volant chauffant et avoir été transporté au poste.
[40] Le délai requis pour que les doigts de l’appelant retrouvent leur sensation ne nécessitait pas une preuve supplémentaire, contrairement à ce que soutient l’appelant. Le Tribunal considère que le juge d’instance n’a pas commis d’erreur de droit et que l’appréciation qu’il fait de cet élément de preuve s’appuie sur la logique et le bon sens[18].
[41] L’appelant reproche au juge d’instance de lui avoir imposé un fardeau excédant la balance des probabilités afin de repousser la présomption édictée à l’article 320.35 C.cr. À titre d’exemple, le juge d’instance, en lui reprochant de ne pas avoir fait un troisième appel au service de taxi, lui impose un fardeau trop lourd. Pour l’appelant, il était inutile de faire un troisième appel dans les circonstances, et aucune inférence négative touchant sa crédibilité ne devait être retenue. Il en va de même lorsque le juge d’instance retient son silence le soir des évènements quant à sa mésaventure comme affectant sa crédibilité.
[42] Le Tribunal n’est également pas de cet avis.
[43] L’article 320.35 C.cr. est rédigé comme suit :
Dans les poursuites engagées pour une infraction prévue aux articles 320.14 ou 320.15, lorsqu’il est prouvé que l’accusé occupait la place ou la position ordinairement occupée par la personne qui conduit un moyen de transport, il est présumé l’avoir conduit à moins qu’il n’établisse qu’il n’occupait pas cette place ou cette position dans le but de mettre en mouvement le moyen de transport.
[44] D’emblée, le juge d’instance énonce correctement le droit quant à la notion de garde et contrôle, en se questionnant, dans un premier temps, si l’appelant, ivre, qui occupe la place du conducteur, a réussi à repousser la présomption.
[45] En l’espèce, bien que l’appelant ait tenté de convaincre le juge d’instance qu’il n’avait pas l’intention de mettre son véhicule en mouvement, ce dernier a échoué. Le juge d’instance ne le croit pas.
[46] Dans un premier temps, il résume la version de l’appelant[19] pour ensuite la comparer à sa version écrite donnée aux policiers le soir des évènements en se fondant sur l’arrêt Hill[20]. Pour terminer, il explique pourquoi il ne retient pas son témoignage.
[47] Ainsi, les deux reproches formulés par l’appelant, comme quoi aucune inférence négative sur sa crédibilité ne devrait découler du fait qu’il n’est pas logé un troisième appel et qu’il donne au procès une version différente de celle du soir des évènements sont des éléments qui relèvent de l’appréciation de la crédibilité de l’appelant. Il revient au juge d’instance d’apprécier ces explications, tout comme son témoignage en lien avec sa version antérieure.
[48] En l’occurrence, le juge d’instance a eu le privilège de voir et d’entendre l’appelant sur les raisons qu’il donne pour ne pas avoir expliqué aux policiers sa tragique aventure[21] dont il s’est sorti indemne. Il était raisonnable pour le juge d’instance de conclure que la version de l’appelant est incohérente. Rien dans la décision du juge d’instance ne démontre qu’il aurait imposé un fardeau qui excède la balance des probabilités.
[49] Conséquemment, aucune erreur de droit n’est démontrée par l’appelant sur cette question.
[50] L’appelant reproche au juge d’instance d’avoir erré en faits en concluant que sa déclaration extrajudiciaire faite aux policiers, mentionnant qu’il s’est assoupi dans sa voiture avant de retourner à Trois-Pistoles, signifiait qu’il voulait quitter l’endroit au volant de son véhicule, d’autant plus que l’agent Ouellet reconnaît au procès que l’appelant ne lui a jamais dit qu’il prenait son véhicule pour retourner chez lui.
[51] Le juge d’instance apprécie le contenu de cette déclaration qui est incompatible avec la version qu’il donne au procès, alors qu’il n’est jamais question de sa mésaventure, ce qui est permis dans les circonstances et affecte la crédibilité de l’appelant[22].
[52] En somme, pour rejeter les prétentions de l’appelant, le juge d’instance conclut par deux fois qu’il ne croit pas l’appelant[23]. Il résume le témoignage de l’appelant qui consiste essentiellement en des explications qui sont invraisemblables et surtout ne sont jamais abordées le soir des évènements[24]. Ces éléments permettent au juge d’instance de conclure au caractère invraisemblable du témoignage de l’appelant.
[53] Il importe de garder à l’esprit que le juge d’instance a forgé sa conclusion quant à la crédibilité de l’appelant sur la base du cumul des invraisemblances dans la preuve. Il appartient au juge d’instance de tirer des conclusions en matière de crédibilité. Ce n’est que le constat d’une erreur manifeste et dominante dans l’appréciation de la crédibilité des témoins qui justifie l’intervention du tribunal d’appel[25]. À défaut, la perception du juge d’instance a droit au respect et à la déférence.
[54] D’ailleurs, tel que mentionné, le juge d’instance a eu le privilège de voir et entendre l’appelant sur les raisons qu’il donne de ne pas avoir expliqué aux policiers cette dernière version. Il est raisonnable de conclure que cette version est incohérente, ce qui lui permet d’écarter le témoignage de l’appelant.
[55] Par conséquent, le Tribunal n’est pas en présence d’une erreur manifeste et dominante justifiant son intervention. Bien au contraire, les conclusions du juge d’instance sur l’absence de crédibilité de l’appelant sont supportées par des motifs précis qui sont eux-mêmes soutenus par la preuve produite. Il a considéré l’ensemble du témoignage de l’appelant et la preuve soumise, y compris la réponse de l’agent Ouellet lors de son contre-interrogatoire.
[56] L’appelant plaide que le juge d’instance a erré en faits et en droit en concluant à l’existence d’un risque réaliste de mise en mouvement du véhicule, alors que l’appelant est catégorique quant à son absence d’intention de reprendre le volant et à la présence d’un plan bien arrêté. L’appelant considère que les facteurs de risque énumérés par le juge d’instance n’établissent pas de risque réaliste de danger dans les circonstances.
[57] En l’occurrence, l’appelant invite le Tribunal à apprécier de nouveau son témoignage, alors que le juge d’instance ne l’a pas cru. En effet, ses arguments reviennent à demander une nouvelle appréciation de sa crédibilité afin que son interprétation, différente de celle du juge d’instance, soit retenue en appel, ce qui n’est pas le rôle d’un Tribunal siégeant en appel[26].
[58] Il s’agit d’une question purement factuelle qu’il revient au juge d’instance de trancher et la déférence est de mise en l’absence d’erreur manifeste et dominante[27].
[59] Sur ce risque réaliste de danger, l’arrêt Boudreault précise[28] :
D’abord, une personne ivre qui, initialement, n’a pas l’intention de conduire peut, ultérieurement, alors qu’elle est encore intoxiquée, changer d’idée et prendre le volant. Ensuite, une personne ivre assise à la place du conducteur peut, involontairement, mettre le véhicule en mouvement. Enfin, par suite de négligence ou d’un manque de jugement ou autrement, un véhicule stationnaire ou qui n’est pas en état de fonctionner peut mettre des personnes ou des biens en danger.
[60] L’élément du « risque réaliste » est un critère peu rigoureux[29], qui n’a pas à être probable, sérieux ou considérable[30] puisque l’intention du législateur est de prévenir le danger pour la sécurité publique.
[61] Le juge d’instance pouvait conclure dans la présente affaire que l’appelant intoxiqué par l’alcool pouvait se réveiller et décider de conduire son véhicule, ce qui constitue l’existence d’un risque de danger. Cette conclusion est raisonnable dans les circonstances. En effet, l’appelant trouve refuge dans son véhicule alors qu’il est frigorifié et fatigué. Il prend place derrière le volant, les mains sur celui-ci et le moteur en marche. Il actionne également des accessoires pour se réchauffer. De plus, il a déjà manqué de jugement en prenant des décisions discutables, ce qui découle d’une interprétation raisonnable de la preuve.
[62] D’abord, comme le fait remarquer le juge d’instance, l’appelant attend le taxi à l’extérieur, par un temps glacial, alors qu’il n’est pas vêtu pour affronter le froid. Sur ce, le juge d’instance conclut à un manque de jugement tout en précisant que l’appelant aurait pu demander à l’employée du restaurant de refaire un appel.
[63] Ensuite, le juge d’instance dénote un autre manque de jugement de la part de l’appelant lorsque ce dernier décide de s’aventurer à pied vers un hôtel, alors que l’hôtel est à une bonne distance et qu’il ne sent plus ses pieds ni ses mains.
[64] Enfin, bien que le juge d’instance conclue que la présomption n’est pas renversée, il conclut subsidiairement que même si celle-ci avait été renversée, il y avait présence d’un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien. Il retient sept facteurs pour appuyer cette conclusion[31].
[65] L’appelant prétend que le juge d’instance a erronément ou mal interprété certains de ces facteurs, notamment que l’appelant a amené la camionnette au stationnement, la modification du plan initial en cours de soirée, les manœuvres requises pour mettre le véhicule en marche, le manque de jugement de l’appelant à plusieurs égards, la résidence de l’appelant dans une autre ville et la déclaration aux policiers qu’il ne voulait pas leur mentir[32].
[66] Or, avec égard, ces facteurs peuvent être considérés pour déterminer l’existence d’un risque réaliste de danger. En effet, ils se retrouvent dans R. v. Szymanski[33], où l’on énonce une liste non exhaustive des éléments de preuve pertinents pour déterminer l’existence ou non d’un risque réaliste de danger sur la base d’une preuve circonstancielle.
[67] Par ailleurs, le fait que l’appelant doive préalablement appuyer sur le frein ou manipuler son levier de vitesse pour la mise en mouvement de son véhicule n’enlève rien au risque en l’espèce, d’autant plus que le juge d’instance ne le croit pas et rejette sa version[34].
[68] L’interprétation des faits par le juge d’instance est raisonnable dans les circonstances et trouve appui dans la preuve présentée. Ainsi, bien que l’appelant invoque qu’il avait un plan bien arrêté pour s’assurer d’un retour sécuritaire chez lui, le juge d’instance ne retient pas son témoignage. Ce dernier retient plutôt l’état d’ébriété de l’appelant, son comportement, son jugement et ses actions au cours de la soirée qui démontrent l’existence d’un risque réaliste et que son plan n’était pas objectivement concret et fiable. Son jugement étant affaibli par l’alcool, « on ne peut tenir pour acquis à la légère que les actions de la personne ivre, lorsqu’elle était derrière le volant, allaient concorder avec ses intentions ni à ce moment‑là ni ultérieurement »[35].
[69] De plus, bien qu’il soit vrai que le fait que l’appelant a lui-même amené sa camionnette dans le stationnement du CLSC, pris isolément, est un élément neutre quant à savoir s’il conduira celle-ci ou risquera de le faire ultérieurement avec les capacités affaiblies, il faut considérer l’ensemble des éléments. L’appelant n’a aucunement fait la démonstration que le juge d’instance a tiré de la preuve des inférences illogiques ou irrationnelles ni comment les prétendues erreurs commises par celui-ci ont vicié son raisonnement.
[70] En somme, le juge d’instance ne commet aucune erreur révisable en appel dans son appréciation de la crédibilité de l’appelant et du risque réaliste. Il explique les raisons qui lui font conclure que le témoignage de l’appelant n’est pas crédible. Le juge d’instance a correctement suivi les enseignements de la jurisprudence avant de rendre son verdict, en analysant si la preuve de la culpabilité de l’appelant lui avait été faite hors de tout doute raisonnable, malgré qu’il le juge peu crédible. Sa réponse est positive, en raison de plusieurs éléments.
[71] Il n’y a pas lieu, en l’espèce, d’intervenir.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[72] REJETTE l’appel;
[73] LE TOUT, sans frais de justice.
| ||
| __________________________________ MANON LAVOIE, j.c.s. | |
Me Pierre Gagnon | ||
Pierre Gagnon avocat | ||
Procureur de l’appelant | ||
| ||
Me Pascale Gaudette | ||
Directeur des poursuites criminelles et pénales | ||
Procureure de l’intimée | ||
| ||
Date d’audience : | 15 juin 2022 | |
[1] Sa Majesté la Reine c. Denis Leblond, C.Q. Kamouraska, no 250-01-032839-200, 18 février 2021, j. Gagnon (« décision entreprise »).
[2] Décision entreprise, p. 3.
[3] Notes sténographiques, témoignage de l’appelant le 27 janvier 2021, p. 84.
[4] Notes sténographiques, témoignage de l’appelant le 27 janvier 2021, p. 94.
[5] Notes sténographiques, témoignage de l’appelant le 27 janvier 2021, p. 86.
[6] Décision entreprise, p. 11 et 12.
[7] R. c. Boudreault, 2012 CSC 56.
[8] Décision entreprise, p. 16 et 17.
[9] Id., p. 16 à 18.
[10] Id.
[11] Id., p. 24 à 26.
[12] Id., p. 11 et 12.
[13] Id., p. 18.
[14] Id.
[15] Pièce P-5.
[16] Décision entreprise, p. 18.
[17] Id.; R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, par. 22.
[18] Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales 2021, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 37.6 et 37.9, p. 1276 et 1278; Colegrove c. R., 2020 QCCA 842, par. 70 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2021-11-25, 39764); R. c. Leblanc, 2021 QCCA 1283, par. 130 et 131.
[19] Décision entreprise, p. 13 à 15.
[20] Id., p. 16; R. v. Hill, 2015 ONCA 616.
[21] Notes sténographiques, témoignage de l’appelant le 27 janvier 2021, p. 108 à 111.
[22] R. v. Hill, préc., note 20, par. 43 à 45; Boivin c. R., 2020 QCCA 1219, par. 18 à 24.
[23] Décision entreprise, p. 16 et 18.
[24] Id., p. 18.
[25] R. c. Gagnon, préc., note 17, par. 10 et 20.
[26] Girard c. R., 2020 QCCA 12, par. 72.
[27] R. c. Boudreault, préc., note 7, par. 50.
[28] Id., par. 42.
[29] Id., par. 35.
[30] Id., par. 34.
[31] Décision entreprise, p. 24 et 25.
[32] Exposé de l’appelant, par. 43 à 52.
[33] R. v. Szymanski, 2009 CanLII 45328, par. 93 (ON SC), également cité au par. 50 de l’arrêt Boudreault.
[34] Todorovic c. R., 2019 QCCS 3776, par. 79 et 101.
[35] R. c. Boudreault, préc., note 7, par. 52.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.